Petits métiers..
" Cirer, M'siou ?,
coup de brosse, M'siou ? " Quelle est la personne qui n'a point
entendu cet appel des yaouleds ? On n'y prend même plus garde
tant il est fréquent. Mais, en dehors de ces " travailleurs
" du pavé il en est d'autres, fort nombreux, qui parfois
attirent et captivent l'attention du passant. Leurs cris dissonants,
n'ayant de sens que pour les initiés, emplissent l'espace étroit
des rues.
Le matinal marchand de poissons, toujours courant, portant sur la tête
le plateau de bois d'où s'écoule l'eau de la glace fondue,
éveille les paresseux. A l'en croire, sa marchandise est toujours
belle : " la belle sépia, la belle sardine !... ".
Il va, sa balance ferraillant à ses côtés, par les
rues les plus éloignées des marchés. Bientôt
arrive le maraîcher, portant, de chaque côté de l'épaule,
à la manière d'un havresac, doux corbeilles emplies de
légumes. Il s'annonce par des cris dont la compréhension
est souvent laborieuse. Toujours est-il qu'il fait suffisamment de bruit
pour attirer l'attention des ménagères.
" Faval'foul ! " hurle un brave homme aux bras encombrés
de cornets de papier journal ; ce sont les fèves cuites qui font
les délices de certains. S'égosillant, un indigène
chargé d'un vieux couffin répète sur un ton plaintif,
avec une mine de chien battu : " Caoucaou ! caoucaou ! " ;
c'est à lui que s'adressent les amateurs de cacahuètes.
Un vieux sac sur l'épaule, la main en porte-voix, le marchand
d'habits lance son appel chevrotant vers les balcons d'où, parfois,
il lui est fait un signe l'invitant à venir débarrasser
de quelques vieilles hardes une garde-robe encombrée. Rarement
il fait affaire, ne voulant payer ce qui lui est offert que de quelques
centimes. Et, parcourant sans relâche les quartiers les plus éloignés
de la ville, montant et descendant infatigablement des étages
et des étages, il cherche l'occasion rare de réaliser
un bénéfice honnête.
A la terrasse des cafés se présente le vieil indigène
aux bras chargés de coffrets, de plateaux de cèdre sculpté,
incrusté de cuivre. Le regard malicieux du marchand de tabletterie
en quête d'acheteurs en dit assez sur la rouerie de ce commerçant
ambulant. Un grand burnous au capuchon drôlement surmonté
d'un pompon de laine ne laisse apparaître que son visage ridé,
à la barbe hirsute. Avec un sang-froid et une ruse sans égale
il fait part à ses clients éventuels des prix de sa marchandise.
Évidemment c'est le prix fort qu'il donne le premier, mais, avec
quelque peu de patience et de la diplomatie, il baisse tellement que
l'on est, à la fin, persuadé d'avoir fait une bonne affaire.
Les porteurs d'eau, la cruche de cuivre rouge sur l'épaule, courent
de la fontaine aux gourbis et cela sans relâche, du matin au soir.
Ce sont peut-être les seuls qui gardent la bouche close pour travailler.
On conçoit d'ailleurs très bien que leur marchandise se
passe de publicité.
Dans un coin d'escalier se détache une masse sombre. Une main
tenant une chéchia crasseuse, deux pointes de sandales et une
matraque s'échappent d'un tas do guenilles informes et sales.
Un mendiant est accroupi là, la tête soigneusement enfouie
dans des chiffons, psalmodiant une plainte dont on ignore la cause mais
non point le but. Il demeure parfaitement immobile et l'on a peine à
croire que ce soit un être humain abîmé sous ces
haillons, dans une attitude fort incommode. Il lui a certes fallu de
la persévérance pour arriver à ce résultat
et voilà sans aucun doute un métier difficile à
apprendre.
Voulant épargner sa' voix, le rétameur se contente de
frapper avec un boulon sur la queue d'un poêlon et le bruit qu'il
produit ainsi est capable d'attirer l'attention de quiconque. Par contre,
c'est à pleine gorge et sur un ton aigu que le vitrier annonce
sa venue. Celui-ci a de la voix pour deux et, sur la hotte accrochée
à ses épaules les vitres doivent en vibrer.
Le marchand de fleurs attend aux carrefours les couples amoureux auxquels
il présente, sur une corbeille d'osier, ses jasmins, ses pâquerettes,
ses violettes, ses roses et son mimosa suivant la saison.
Misérable dans ses vêtements éliminés, la
barbe sale, les souliers qui baillent et le chef couvert d'une antique
casquette, lo vieux marchand de " calentita " porte son plateau
de fer suspendu à l'épaule par une courroie et appuyé
sur la hanche. Du dos de la lame de son couteau, il frappe à
petits coups précipités sur le rebord du plateau. Les
enfants connaissent parfaitement cette musique et, bien vite, vont acheter
pour quelques sous de la pâte gélatineuse qu'ils mordent
à belles dents.
" Caoucaou, caoucaou ! " - " Chand-d'habits " -
" vitrier " - " Calentita " - " Faval'foul
" - " tapis " - " la belle sepia " - et d'autres
cris encore aux accents surprenants, donnent a la rue algéroise
une belle note pittoresque.