Alger, la Casbah
Porteur d'eau , le biskri.

Biskri veut dire enfant de BISKRA. Il est aisé de reconnaître le biskri à son visage basané, presque noir, indiquant son origine de BISKRA
ou des environs de la ville du soleil et des dattes.

Bien jeune encore, il quitte son pays, sa montagne, pour venir travailler, gagner des sordis dans la ville des Roumis. Après avoir passé son enfance à décrotter et cirer kif-kif la glace les sebats, bottes ou bottines des mercantis, et avoir attrapé plus de torgnoles que de sous, le biskri devient en grandissant portefaix ou porteur d'eau.

Le porteur d'eau est un homme presque rangé, payant son batanta, immatriculé sur le registre de la mairie, ayant sa bermission, possédant sa plaque et son numéro, en un mot, en règle avec la Municipalité.

Ses fonctions comme son nom l'indique, consistent à transporter dans la maison des bourgeois, l'eau des fontaines, de l'eau bonne à boire, à cuisiner ou à laver, dans une cruche en cuivre d'une capacité déterminée, au prix de 1 sou la cruche et 2 sous en temps de disette. Cette cruche neuve est d'un beau rouge vif et coûte arba (quatre) douros, pas moins. Mais à la longue, elle devient, par l'usage, d'un gris sale, parfois noire et toute bosselée à la suite des chocs et contrechocs qu'elle reçoit.

C'est un bien curieux spectacle que celui qui s'offre parfois à certaines fontaines de notre ville. Souvent une dizaine de porteurs d'eau, assis sur leurs cruches renversées à terre sous eux, sont alignés à la queue leu-leu et attendent patiemment leur tour pour emplir, devisant entre eux pour passer le temps, les uns fumant, d'autres chantonnant un air monotone, une complainte arabe qu'ils accompagnent des mains sur leurs cruches sonores.

Si une roumia jeune et accorte se présente à la fontaine pour emplir, messieurs les biskris font assaut de galanterie à son adresse et c'est celui qui la fera passer hors tour. On lui remplira même son bidon ou sa gargoulette qu'on lui fera passer toute pleine. Mais s'il s'agit d'une vieille ménagère ridée, ou bien d'une juive, fut-elle jolie à croquer, elle attendra son tour sans rémission.

La cruche est pleine, le biskri la charge sur son épaule où pend un large mouchoir rouge et blanc à carreaux, et puis en route.

Ses jambes sont d'acier, ses bras de fer, il ne pliera pas sous le faix. Il va allègrement son train et semble ne point sentir la fatigue ; car autant de voyages, autant de sous gagnés. Tout biskri a sa clientèle à lui, clientèle d'abonnés au mois qui le paie à la fin de chaque louna. Le biskri a ainsi quelquefois toute une rue pour lui ; plus sa clientèle est étendue, et plus il y a pour lui de bénéfice à la fin du mois.

Le matin de bonne heure, avant même le lever de son client, vous le voyez souvent grimper trois et souvent quatre étages, sa cruche d'eau sur l'épaule. Il trouve tous les récipients prêts, bidons, jarres ou baquets ; il vide sa cruche et part comme il est venu. D'autres fois on le reçoit en robe de chambre, voire même en peignoir, et au saut du lit.

Dans les moments de trêve et de loisir, la cruche est entreposée dans un café maure où le biskri passe la journée, attendant de nouveaux ordres, fumant, jouant e absorbant force caouas (cafés) en raison directe des recettes opérées. Le porteur d'eau est aussi portefaix de sa nature. Il s'offre pour les déménagements, pour porter les bagages, voire même faire parvenir à son adresse un poulet parfumé ; ce sont là de petits profits qui forment son casuel.

Tous les trois ou quatre ans, le biskri possesseur d'une somme assez rondelette, retourne à son pays, à sa montagne, y enterre son argent ou bien le place en lieu sûr et revient bientôt à la ville continuer à peiner pour les Roumis, jusqu'à la fin de ses jours.
Jacques TERZUALLI
( Aux échos d'Alger -n° 127, déc. 2014)

mise sur site : déc. 2014

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Porteur d'eau
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