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site le 20/01/2002
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------Jusqu'en 1830, les relations maritimes de la Régence d'Alger avec les autres nations se sont poursuivies sous le signe de la piraterie. Pays de production médiocre, l'exportation normale se limitait aux cuirs, aux laines, à la cire, aux plumes d'autruche, rarement aux grains. Nombre de ces marchandises arrivaient de l'intérieur apportées par des caravanes dont la régularité était commandée par l'état et l'insécurité des pistes. Le tout était de quantité et de valeur généralement inférieures aux objets importés. Ces transactions normales étaient, pour la régence, d'un faible revenu. De là, pour les Barbaresques, la nécessité d'assurer - nous serions tentés de dire leur matérielle - en levant de façon permanente des contributions extraordinaires sur les pays plus riches. ------Cette situation donnait aux relations algéro-européennes un caractère particulier. Des navires de toutes nations qui apportaient des marchandises à Alger, le plus grand nombre n'était pas à destination de cette ville. De même, la presque totalité des Européens qui débarquaient à Alger n'avaient pas eu, en partant, cette intention. Ceux-ci et celles-là avaient été, en cours de voyage, déroutés sur la Régence par les corsaires. ------Les choses se passaient toujours de la même façon. En Méditerranée ou sur les côtes de l'Atlantique, un paisible navire qui suivait lentement sa route à destination de quelque port d'Espagne, de France ou d'Italie, voyait apparaître tout à coup une goélette ou un chebeck bons marcheurs qui l'arraisonnaient sous la menace de leurs canons. Les navires appartenant à des nations en paix avec la Régence avaient beau produire des papiers en règle ; le Consul de Kercy a énuméré les vingt moyens que les raïs pratiquaient pour les trouver en défaut. L'équipage peu nombreux se gardait de résister et les passagers n'avaient pas d'autre idée que de dérober leur or et leurs bagages les plus précieux à la curiosité des pirates. Précautions dérisoires. La cargaison du bateau capturé était reconnue, les prisonniers fouillés avec soin et rudesse et parqués à fond de cale. ------Finalement, choses et gens arrivaient à Alger, ville de réputation fâcheuse. Là, tout était mis à l'encan et le produit de la vente partagé suivant un barème équitable entre les parties prenantes : tant pour le beylick, tant pour le raïs et son équipage, tant pour les Maures ou les Juifs qui avaient commandité la course. Des marchandises ainsi capturées, les Algériens gardaient pour eux les bois de construction, les armes, les munitions, les tissus. Le reste était mis en vente et racheté par des commerçants européens établis à Alger, directement ou par l'intermédiaire des Juifs et réexporté en Europe. Parmi ceux qui pratiquaient les transactions de cette sorte figuraient des agents de divers consulats. Dans cette affaire tout le monde était satisfait, sauf le propriétaire légitime qui, fait prisonnier avec sa cargaison destinée à Marseille, Livourne ou Naples, la voyait ainsi disperser sur la place d'Alger. ------Quant aux prisonniers exposés au marché, les Barbaresques s'efforçaient de discerner quels étaient ceux dont il pourraient exiger une forte rançon. Par des questions insidieuses, et aussi par la bastonnade, ils parvenaient à identifier les gens de qualité. Après que le beylick s'était réservé la part du lion, le restant du lot était mis aux enchères. Les uns étaient achetés par des particuliers qui s'efforçaient de tirer d'eux le meilleur parti. Leur existence matérielle - l'accoutumance une fois acquise - n'était pas précisément misérable. Le maître n'avait aucun intérêt à diminuer, pour de mauvais traitements, le rendement d'un esclave qui travaillait et dont il pouvait toujours espérer tirer rançon; le commerce des métis issus des chrétiens et des femmes du pays était aussi d'un bon rendement. ------Les autres s'entassaient dans les bagnes du beylick où ils vivaient dans la misère et l'abjection. Leur seule espérance était dans la venue de quelqu'un de ces religieux voués au rachat des captifs. Les Pères, nantis des aumônes de la chrétienté, parvenaient, après des marchandages acharnés, à en rédimer un certain nombre. Ils débarquaient dans quelque port chrétien au chant des cantiques. Les récits que d'anciens esclaves ont écrit de leur captivité, ceux que les Pères de la Merci nous ont laissés de leurs rédemptions sont les premières manifestations de la littérature touristique nord-africaine. ------Ainsi nous apparaît, avant 1830, l'aspect commercial et privé des relations de la Régence d'Alger avec les autres puissances. Ces relations pouvaient aussi prendre un aspect officiel de nature non moins particulière. Parfois, les grands vaisseaux du roi, qui portaient dans leurs architectures quelque chose de la majesté de Versailles, apparaissaient en vue d'Alger pour appuyer la mission d'un envoyé extraordinaire ou pour remettre au Dey un ultimatum. Les galères rangeaient à bonne portée les galiottes à bombes ; c'étaient de furieuses canonnades. Le Dey faisait mettre au canon ou jeter en prison le Consul de France. Régulièrement, la paix était signée pour cent ans et la piraterie reprenait dans l'année. Elle était le gagne-pain des Barbaresques, et compter les y voir renoncer de bon gré était une curieuse illusion. Pour que les relations maritimes avec la Régence d'Alger se déroulent sur le plan des transactions normales, il fallut, après trois siècles, se convaincre que le seul moyen d'en finir était qu'une nation eût la volonté et la force de détruire la puissance turque à Alger et de s'y installer pour toujours. ------Le Gouvernement de Charles X ne s'y résolut toutefois que forcé par l'entêtement du Dey Hussein. Entre l'entrevue du 29 avril 1827, au cours de laquelle le Dey frappa de son chasse-mouches le Consul de France, et le moment où l'expédition fut décidée, il s'écoula trente-trois mois qui se passèrent en tergiversations, en un blocus coûteux et inutile, en démarches tentées pour que Dey voulut bien donner aux griefs du Gouvernement français une satisfaction que le désir de conciliation de celui-ci avait fini par réduire à quasi rien. Le Dey, ne voyant là qu'une preuve de faiblesse, son intransigeance s'accrut d'autant. Il fallut qu'un vaisseau français couvert par le pavillon parlementaire fut canonné par les batteries turques pour que le Cabinet Polignac se trouvât amené, afin d'en finir avec cette situation sans issue, à expulser d'Alger le Dey Hussein. Encore fut-il question de charger de ce soin le pacha d'Egypte, Méhémet Ali. ------L'expédition de 1830 est une des entreprises les plus réussies de l'Histoire. Trois mois furent à peine nécessaires pour que fut rassemblée à Toulon une flotte composée de 14 vaisseaux de ligne, 21 frégates, 14 corvettes, 33 bricks, 6 goélettes, 8 bombardes, 10 gabarres, 7 bateaux à vapeur, soit : 103 navires de guerre et près de 700 bâtiments de commerce, prêts à transporter en Afrique plus de 37 000 hommes, près de 4 000 chevaux, avec le matériel les munitions et les approvisionnements. Tandis que dans les ports de France on travaillait nuit et jour, des agents du Gouvernement et du munitionnaire général Seillière affrétaient des bâtiments de transport en Espagne, en Italie et en Autriche. On avait fait appel à l'expérience des marins provençaux ou étrangers qui avaient été captifs à Alger. ----- |
-------Aussitôt
les transports arrivés à Toulon, l'embarquement des approvisionnements
commençait. Il n'y eut ni à-coups, ni retards. Les bateaux
portaient des flammes de couleurs différentes et des numéros
de grandes dimensions qui permettaient de les reconnaître à
distance. Ainsi, les ballots passaient directement des voitures qui les
avaient transportés à bord des bâtiments destinés
à les recevoir. G. Esquier |