-les chemins de fer en Algérie
LES CHEMINS DE FER ALGÉRIENS DE L'ÉTAT - 1922

LES CHEMINS DE FER ALGÉRIENS DE L'ÉTAT

Le Réseau algérien de l'État comporte les lignes le moins favorables de la Colonie, celles dont le profil est le plus accidenté et le trafic le moins rémunérateur. Le rachat est devenu obligatoire lorsque les Compagnies privées qui poursuivent un résultat financier n'ont pas cru devoir engager inutilement les dépenses importantes qu'exigeait l'intérêt général. Pour la Compagnie privée, la création et l'exploitation d'un chemin de fer constituent un placement de fonds à objectif limité : obtenir à bref délai un revenu aussi élevé que possible d'un capital déterminé.

La Colonie peut voir plus grand et plus loin. Elle associe le chemin de fer aux autres éléments de la prospérité collective : la sécurité, l'exploitation des richesses naturelles du sol et du sous-sol, le développement de la colonisation.

Le prolongement de la ligne oranaise jusqu'à Colomb-Béchar. par exemple, a assaini la vaste région saharienne des confins du Sud-Marocain, dont la police exigeait antérieurement l'entretien fort onéreux de forces militaires, cependant qu'étaient multipliées les relations commerciales avec les Oasis et le Soudan...

La ligne de Bône à Tébessa, dont la capacité est prodigieusement augmentée, va permettre l'exploitation d'un bassin minier d'une richesse unique, et si l'outil a coûté cher, les revenus en seront fort beaux que constitueront les droits d'extraction et d'exportation des produits des mines, indépendamment du développement simultané de la colonisation et du commerce.

Mais il est, pour le réseau d'État, des contingences qu'ignore la Compagnie privée. L'entrepreneur qui construirait sur une rivière un grand pont avec pour tout paiement privilège de droit de péage dans une région peu peuplée se ruinerait ; l'État construit le pont et permet le peuplement et la mise en valeur de la région. La communauté recueillera dans 10, 15 ou 20 ans les intérêts du capital de premier établissement.

C'est pourquoi des gens fort sensés et pas du tout étatistes estiment néanmoins que les pays neufs, dont la mise en valeur est à réaliser, ont tout à gagner au développement d'un réseau d'État. C'est une création à supporter par la communauté au même titre que les routes, les ponts, les écoles et l'alimentation en eau.

*** La qualité médiocre des photos de cette page est celle de la revue. Nous sommes ici en 1922. Amélioration notable plus tard, dans les revues à venir. " Algeria " en particulier.
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Afrique du nord illustrée du 18-3-1922 - Transmis par Francis Rambert

mise sur site : avril 2021

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LES CHEMINS DE FER ALGÉRIENS DE L'ÉTAT

Le Réseau algérien de l'État comporte les lignes le moins favorables de la Colonie, celles dont le profil est le plus accidenté et le trafic le moins rémunérateur. Le rachat est devenu obligatoire lorsque les Compagnies privées qui poursuivent un résultat financier n'ont pas cru devoir engager inutilement les dépenses importantes qu'exigeait l'intérêt général. Pour la Compagnie privée, la création et l'exploitation d'un chemin de fer constituent un placement de fonds à objectif limité : obtenir à bref délai un revenu aussi élevé que possible d'un capital déterminé.

La Colonie peut voir plus grand et plus loin. Elle associe le chemin de fer aux autres éléments de la prospérité collective : la sécurité, l'exploitation des richesses naturelles du sol et du sous-sol, le développement de la colonisation.

Le prolongement de la ligne oranaise jusqu'à Colomb-Béchar. par exemple, a assaini la vaste région saharienne des confins du Sud-Marocain, dont la police exigeait antérieurement l'entretien fort onéreux de forces militaires, cependant qu'étaient multipliées les relations commerciales avec les Oasis et le Soudan...

La ligne de Bône à Tébessa, dont la capacité est prodigieusement augmentée, va permettre l'exploitation d'un bassin minier d'une richesse unique, et si l'outil a coûté cher, les revenus en seront fort beaux que constitueront les droits d'extraction et d'exportation des produits des mines, indépendamment du développement simultané de la colonisation et du commerce.

Mais il est, pour le réseau d'État, des contingences qu'ignore la Compagnie privée. L'entrepreneur qui construirait sur une rivière un grand pont avec pour tout paiement privilège de droit de péage dans une région peu peuplée se ruinerait ; l'État construit le pont et permet le peuplement et la mise en valeur de la région. La communauté recueillera dans 10, 15 ou 20 ans les intérêts du capital de premier établissement.

C'est pourquoi des gens fort sensés et pas du tout étatistes estiment néanmoins que les pays neufs, dont la mise en valeur est à réaliser, ont tout à gagner au développement d'un réseau d'État. C'est une création à supporter par la communauté au même titre que les routes, les ponts, les écoles et l'alimentation en eau.

Les rachats successifs des lignes qui composent aujourd'hui notre réseau d'État ont été envisagés et réalisés pour permettre les améliorations reconnues nécessaires et auxquelles les Compagnies privées se refusaient, surtout pour des motifs d'ordre financier. Il fallait mettre les chemins de fer en harmonie avec les besoins croissants du trafic, abaisser les tarifs pour favoriser le développement de la colonisation, exécuter des travaux complémentaires reconnus indispensables à l'essor du pays, assainir le profil, renforcer ou renouveler les voies, augmenter et améliorer le matériel roulant et de traction, en un mot, moderniser l'outil déjà vétuste, frappé de cristallisation en quelque sorte depuis sa création, et partant en retard de quelques bons lustres sur la situation réelle de l'Algérie.
L'œuvre était considérable. Les réseaux avaient été constitués à l'origine avec des programmes restreints, dans des régions souvent ingrates, et paraissent aujourd'hui avoir été dès leur début sous l'influence d'une incompréhension systématique de leur propre avenir.

On se mit au travail et, dans la limite des disponibilités, on réalisa progressivement les améliorations les plus urgentes, les plus nécessaires.

Pour ne considérer que la période antérieure à la guerre, c'est-à-dire prenant fin au 31 décembre 1913, les dépenses de premier établissement s'élèvent :

1° Sur le réseau oranais (de 1902 à 1913), à 12 millions 206.663 fr. 89, dont 6.787.000 francs de travaux complémentaires sur les lignes en exploitation depuis plus de cinq ans, et 4.264.000 francs d'acquisition de matériel (36 locomotives, 3 wagons-restaurants. 29 voitures à voyageurs, 11 fourgons à bagages et 200 wagons de divers types) ;

2° Sur le réseau de l'Est-Algérien. à 27 millions 288.481 fr. 77, dont 15.544.000 francs de travaux complémentaires et 10.076.000 francs d'acquisition de matériel.

Sur le réseau Oranais, le profil fut rectifié, la voie constituée par les rails en fer de 20 kilogs au mètre courant, fut établie en rails d'acier de 25 kilogs, sur traverses métalliques dans les parties favorables, les ponts furent renforcés pour permettre la circulation des nouvelles locomotives, des gares et arrêts nombreux furent créés au fur et à mesure du développement des centres agricoles, le matériel fut renouvelé et accru, les horaires améliorés et complétés, des wagons-couchettes et des wagons-restaurants furent mis en service. Enfin, un vaste programme- d'acquisition de locomotives, voitures à voyageurs et wagons est en cours d'exécution, cependant qu'on prépare le projet de la future gare d'Oran, pour laquelle les terrains nécessaires ont déjà été acquis.
Entre Maison-Carrée et Constantine, l'ancien rail de 25 kilogs 500 a été presque partout remplacé par du matériel de 42 kilogs 130 au mètre courant sur traverses métalliques, ce qui favorise la circulation de trains rapides remorqués par les puissantes machines Pacific.

Pour le trafic minier et des céréales, des wagons nombreux et de grande capacité ont été acquis et permettent de satisfaire à tous les besoins actuels du trafic.

Enfin, les voitures à voyageurs ont été choisies du type le plus moderne ; le confort du matériel affecté aux lignes principales est particulièrement apprécié par les visiteurs étrangers. La grande voie du tourisme va d'Alger à Tunis, avec embranchement sur Biskra ; les trains y offrent toutes les commodités désirables : compartiments spacieux et élégants à vaste couloir latéral, wagons-restaurants et wagons-lits. C'est postérieurement au rachat qu'a eu lieu l'adjonction des wagons-restaurants aux trains directs circulant entre Alger et Constantine, et qu'ont été rendus quotidiens les trains de nuit, antérieurement tri-hebdomadaires, de la même section.

Dernier venu dans la famille, ce réseau, malgré les difficultés de toutes sortes ayant accompagné la guerre ou issues d'elle, a déjà reçu des améliorations considérables.

De Kroubs à Bône, les voies ont été renforcées, et on a entrepris le renouvellement de la partie comprise entre Guelma et Hammam-Meskoutine ; de Duvivier à Souk-Ahras, en vue du trafic des minerais du Sud Constantinois, la ligne a été entièrement reconstituée en rails de 45 kilogs, cependant que de nombreux travaux d'assainissement étaient réalisés dans les régions accidentées que la voie traverse.

Enfin, une nouvelle ligne à voie large a été construite sur 60 kilomètres de Souk-Ahras à Oued-Kébérit et sera continuée jusqu'à Clairfontaine, puis Tébessa. Un embranchement de 25 kilomètres, à voie large également, a été créé par la Société de l'Ouenza, dont les minerais sont transportés directement de la mine au port de Bône, dans ses propres wagons.

La Compagnie des Phosphates de Constantine désire intensifier son exploitation du Kouif et, dans ce but, a pris toutes les mesures nécessaires de concert avec l'administration des Chemins de fer algériens de l'État.

Les phosphates en provenance du Kouif seront acheminés sur Bône avec transbordement soit à SoukAhras comme précédemment, soit à Oued-Kébérit, et utilisation, à partir de cette gare, de la nouvelle voie normale récemment créée. Cette solution provisoire, en attendant l'achèvement de la ligne, va permettre de doubler à bref délai l'importance du rendement du gisement du Kouif.
Les voies du port de Bône ont été considérablement développées ; ou y construit également, une gare de triage et une gare maritime qui permettront de diriger directement sur les quais d'embarquement des immenses terre-pleins, conquis à Bône sur la mer, tous les produits miniers qui s'y déversent.

Enfin, un projet de grande gare est en préparation pour cette ville, origine de trois lignes (État, Bône - Saint-Charles, Bône-La Calle appelées à être centralisées dans une installation commune.
Outre les wagons propres aux Sociétés minières (Ouenza et Kouif), le réseau de l'État a acquis des machines Decapod à grande puissance, des wagons à marchandises (400), et poursuit la réalisation d'un programme complémentaire qui intéresse en particulier les voitures à voyageurs.

Tels sont les résultats déjà obtenus sur ce réseau racheté le 1er avril 1915.

Il ne faut pas conclure de la contexture pénible du réseau de L'État et du caractère désintéressé de son institution, que son exploitation constitue en quelque sorte une bonne œuvre nécessairement déficitaire.

Si l'époque que nous traversons est particulièrement dure pour les chemins de fer, nous voyons approcher la dernière des vaches maigres et il est bon de rappeler qu'en des temps normaux l'exploitation par l'État a donné en Algérie des résultats brillants.

Si on compare, en effet, la situation avant et après le rachat, on constate que, sur le Réseau Oranais, les recettes sont passées de 4.207.000 francs en 1902 à 8.354.000 francs en 1913, cependant que les dépenses passaient de 3.005.000 francs à 6.103.000 francs et le produit net de 1.141.391 francs à 2.190,.00 francs.

Pendant la période considérée, le produit net s'est élevé à 16.848.000 francs, somme supérieure de 4.642.000 francs au total des dépenses de premier établissement engagées pour améliorer le réseau.
D'autre part, sur le réseau de l'Est-Algérien, les résultats des trois années ayant, précédé et suivi le rachat (1908) sont les suivants :

RECETTES DÉPENSES EXCÉDENT
1905 9.437.000 6.496.000 2.941.000
1906 10.892.000 6.727.000 4.164.000
1907 10.823.000 7.506.000 3.316.000
1908 Rachat le 12 mai 1908
1909 11.321.000 8.664.000 2.656.000
1910 12.602.000 8.916.000 3.685.000
1911 14.684.000 10.315.000 4.368.000

Mais il ne suffit pas de constater les résultats bruts de l'exploitation de ce réseau. Il faut faire apparaître toutes les conséquences du rachat pour l'Algérie.

Avant celte opération, en effet, la Colonie supportait annuellement au titre de la garantie d'intérêt, des dépenses qui se sont élevées à :
7.308.000 francs en 1905
6.277.000 - en 1906
6.449.000 - en 1907.

Or, le rachat une fois réalisé, la Colonie a versé une annuité déterminée à la Compagnie de l'Est-Algérien, mais a, par contre, fait recette du produit net du réseau. La charge que la Colonie a finalement supportée a été de :
7.220.000 francs en 1909.
6.316.000 - en 1910.
5.925.000 - en 1911.

Dans ce dernier (5.925.000 francs) sont compris 494.729 francs, représentant l'intérêt des sommes dépensées en travaux complémentaires et en acquisition de matériel roulant depuis le rachat.
Ainsi donc, les tarifs avaient été baissés, le trafic considérablement développé, on avait acheté 32 locomotives avec tenders, 14 voitures à voyageurs, 100 wagons à 40 tonnes et 400 à 10 tonnes, augmenté de 1.100.000 francs les dépenses du personnel (améliorations de traitement et des institutions de prévoyance) et, finalement la dépense annuelle de l'Algérie avait été réduite de plus de 500.000 francs pour un réseau dont le rendement avait été multiplié. Le trafic de petite vitesse était passé de 6.030.000 tonnes en 1907 à 8.080.000 tonnes en 1910, et la recette par tonne réduite cependant de 9 fr. 21 à 8 fr. 29, ce qui correspond à une économie de 7.433.600 francs pour le public en 1910.

Le rachat avait été une bonne affaire pour les finances de l'Algérie et une heureuse opération pour les usagers du chemin de fer.

Au début de 1914, le Réseau de l'État permettait les plus brillantes espérances. L'amélioration de. l'état, des lignes et l'enrichissement du matériel répondaient aux besoins d'un trafic constamment en progression et, à tous les points de vue, la Colonie allait tirer un heureux parti de l'outil dont elle avait accru la puissance.

La guerre survint. Le trafic subsista intense les premières années et les matières premières conservèrent une valeur normale. Puis la raréfaction de la production accrue des difficultés de ravitaillement consécutives aux torpillages et les restrictions de tout ordre ralentirent les transports et, en 1917, le Réseau de l'État enregistra un déficit. Les premières années de paix furent caractérisées par des récoltes déficitaires en même temps que l'application de la journée de huit heures, la mise en vigueur d'échelles de traitement sensiblement relevées et les prix effrayants des matières premières, notamment du charbon, aggravaient les charges des chemins de fer et, par suite, l'insuffisance de leurs recettes comparées à leurs dépenses.

Il a d'ailleurs été clairement démontré que cette situation déficitaire n'a pas été spéciale au Réseau algérien de l'État, les mêmes causes ayant entraîné les mêmes conséquences défavorables pour toutes les exploitations de chemins de fer, non seulement dans la Colonie, mais encore dans la Métropole et dans tous les pays du monde.

Il est bon de préciser que la tonne de combustible, dont le prix de revient fut de 31 fr. 95 en 1914, coûtait 458 fr. 24 en 1920. Cette augmentation de 1.300 % du prix d'un élément essentiel de dépense du chemin de fer doit être mis en parallèle avec la majoration de 125 % qu'ont subie les tarifs, et dont on envisage d'ailleurs la réduction prochaine.

Les résultats de l'exercice 1921 se traduisent par un déficit de 50 millions, et non de 90 ou de 127 millions comme certains l'ont avancé.

En 1922, si la récolte est normale, les évaluations les moins optimistes permettent d'envisager une dernière insuffisance d'une vingtaine de millions. Pour 1923, un produit net est escompté
Les Chemins de fer algériens de L'État s'intéressent aux œuvres favorisant l'essor de l'Algérie. Dans la limite d'un budget limité par suite des circonstances actuelles, ils apportent leur concours financier aux manifestations ou créations qui font connaître la Colonie ou lui attirent des clients.

C'est ainsi qu'ils ont alloué une subvention à l'Exposition d'Alger (1921), à la prochaine Exposition Nationale Coloniale de Marseille et à la Compagnie Générale Transatlantique qui va organiser un bel | hôtel moderne à Figuig pour développer le tourisme dans le Sud de l'Oranie.

Leur appui financier va aussi, en Algérie, aux œuvres d'enseignement technique, aux écoles manuelles d'apprentissage, aux écoles professionnelles, c'est-à-dire aux centres de formation d'ouvriers et de techniciens parmi lesquels se recrutent leurs futurs mécaniciens, contremaîtres et piqueurs. Là encore, c'est pour l'Algérie de demain que le Réseau algérien de l'État sème aujourd'hui.

En terminant cette étude d'où nous nous sommes efforcés de bannir, dans la mesure du possible, toute aridité technique, nous considérons comme un devoir de rendre un hommage éclatant à l'homme qui a été l'âme de ce réseau des Chemins de fer algériens de l'État, nous voulons parler de M. Rouzaud. Bien souvent l'institution vaut surtout par celui qui la dirige. Pour le bonheur de la Colonie, nous trouvons là - une fois n'est malheureusement pas coutume - the right man in the right place, l'homme qu'il faut à la place qui convient. Puissions-nous l'y posséder encore longtemps.