L' algérianiste n°121.- 
          
          Ces machines articulées, au profil tubulaire, furent mises en 
          service dans les années trente sur la « Grande Rocade longitudinale 
          » de 1 300 km de long. Elles s'ajoutaient à d'autres Garratt, 
          plus petites, à double tender de forme cubique. Ces dernières 
          tractaient des trains de la ligne à voie étroite Blida- 
          Djelfa.
          
          Je suis persuadé, que M. C. B. n'aura aucune difficulté 
          à se procurer des photos de ces locomotives dotées du 
          système de chargement mécanique du foyer qui se substituait 
          aux bras et à la pelle du chauffeur. Sa judicieuse question nous 
          permet de réactiver le halètement de leurs jets de vapeur, 
          de l'odeur de leurs fumées qui se mêlaient parfois aux 
          effluves suaves, émanant de l'usine des « Cafés 
          Nizière ». Tous les soirs, rue 
          de l'Union, rue Rigodit, et dans toutes les rues du quartier, 
          mécaniciens et chauffeurs, anciens du PLM venus aux CFA, 
          se retrouvaient, panier d'osier en mains, treillis bleu, casquette délavée 
          surmontée des lunettes, foulard rouge noué autour du cou, 
          pour préparer leur « Garratt » du train de nuit de 
            
           Constantine ou d'Oran. 
          
          Cette machine articulée comprenait un tender à eau devant 
          la machine et un tender à charbon derrière. Le chargement 
          mécanique du foyer constituait déjà une incontestable 
          avancée technique par rapport aux locomotives de la fin du xixe 
          siècle, que nous décrivait Émile Zola. 
          
          Cependant bien que peu ou mal connu, le travail des hommes y était 
          pénible à un point que l'on ne peut imaginer aujourd'hui. 
          En raison des conditions de l'armistice imposant une pénurie 
          de bon charbon de « Cardiff », ces puissantes machines brûlaient 
          un mauvais combustible de Kénadza 
          contraignant souvent à un arrêt en pleine voie pour nettoyer 
          les grilles du foyer. Nous conservons le souvenir des convois s'essoufflant, 
          immobilisés dans la rampe de Saint-Lucien avant d'arriver à 
          Sidi-Bel-Abbès. Après l'arrêt en gare, les machines 
          sillonnaient allègrement la plaine en direction de Détrie 
          et Boukanéfis ponctuant leur marche de volutes de fumée 
          blanche. Mais que dire de la rampe de Bouïra que, les convois à 
          court de vapeur, devaient redescendre en marche arrière sur les 
          freins, pour débarrasser leurs grilles du mâchefer, sur 
          le palier d'Aomar afin de reprendre leur potentiel de puissance avant 
          d'entrer en gare, avec un retard considérable. Le mécanicien 
          devant les cadrans de ses manomètres et à la commande 
          du sifflet vapeur ainsi que le chauffeur, étaient contraints 
          de se pencher à l'extérieur pour voir la voie dont la 
          vue était bouchée par le tender, démuni d'écran 
          lève-fumée. Au- delà de cet assemblage de tôles, 
          de bielles et de cylindres d'acier fumant, crachant leur vapeur, il 
          convient de ne pas oublier l'histoire occultée des hommes qui 
          assurèrent leur arrivée et leur départ des grandes 
          gares comme des plus petites, telles celles de Tiaret 
          où il y en avait deux, une « grande » 
          à voie normale et une « petite » à voie étroite. 
          À Alger, notamment à Belcourt, mécaniciens et chauffeurs 
          des CFA formaient avec leurs machines et les bâtiments, un ensemble 
          groupé autour de la halte des « Ateliers ».
          
          Dans les années trente, les conditions de travail y étaient 
          encore très pénibles. À compter de novembre 1942, 
          une centaine de locomotives américaines avec leur cloche, lointaine 
          réminiscence de celles des films du FarWest, éclipsèrent 
          les « Garratt » dans l'intérêt des soldats 
          de garde aux aiguillages. À l'intérieur des machines, 
          dans la fumée et la chaleur étouffante des plaines algériennes 
          beaucoup d'hommes des CFA laissèrent leur vie, notamment, en 
          gare de Maison-Carrée 
          en juillet 1943, lors de l'explosion d'un train de munitions.
        Edgar Scotti 31000 Toulouse ()
          [Voir également l'algérianiste n° 94: « Les 
          locomotives Garratt », de Gérard Ducruc.] L'équipe 
          de la chronique.