Reconnaissance d'itinéraires
  LES TRANSPORTS AUTOMOBILES AU SAHARA
Texte, illustration: Georges Bouchet
sur site le 4-2-2007

 
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Au départ de l’Algérie de 1901 à 1962

Les automobiles n’existaient pas lorsque les Français ont entamé la conquête du Sahara. Elles n’ont  donc pas accompagné ses débuts ; mais elles ont profité de son achèvement et sans doute aidé à la consolidation de la souveraineté française.

Pour mémoire rappelons que Laghouat a été occupée en 1852 et Touggourt en 1854, par des troupes de fantassins et de cavaliers. En 1882 le Mzab, avec Ghardaïa perd une autonomie que nous avions reconnue en 1853. Mais ensuite la pénétration française fut freinée par l’hostilité des Touaregs et des Anglais. L’obstacle anglais, tout symbolique, fut levé par la convention du 5 août 1890 par laquelle le Royaume Uni reconnaissait «  la zone d’influence française au sud de ses possessions méditerranéennes jusqu’à une ligne allant de Say sur le Niger à Barroua sur le lac Tchad ». Il ne s’opposera pas ce que l’Algérie ( et la Tunisie) soient reliées aux territoires des futures AOF ( 1904) et AEF (1910) de façon à former un territoire français d’un seul tenant. La route du Hoggar est ouverte en 1899 par la difficile conquête d’In Salah aussitôt suivie par les occupations du Tidikelt, du Gourara, du Touat et de la Saoura.
En 1902 intervient la création décisive des Compagnies méharistes par le Commandant Laperrine avec l’appui des tribus Chaamba qui ont fini par constituer une sorte de « Parti français ». En 1905 Laperrine peut installer son ami, le père De Foucauld, à Tamanrasset. Mais le Hoggar n’est pas encore vraiment sûr. A cette date il y avait déjà 4 ans que les 2 Panhard et Levassor des frères Pierre, Jean et Joseph De Crawhez, 3 frères belges fortunés et aventureux, avaient atteint Ghardaïa le 14 février 1901. Un autre aventureux imaginatif, Gaston Liegeard, avait équipé sa Peugeot, en 1908, d’ « une courroie sans fin qui déroule un chemin de 50cm de largeur sur lequel les roues s’appuient ». Ce procédé curieux n’eut pas de suite malgré un aller-retour Biskra-Touggourt réussi ; à moins d’y voir une sorte d’ancêtre des chenilles. 

Mais à l’époque, au-delà de Ghardaïa et de Touggourt, seule l’armée pouvait s’aventurer.

La Peugeot 28CV de Liegeard équipée de sa courroie qui a parcouru 450 km de Biskra à Touggourt et retour et 150km de Tébessa à Gafsa en 1908
La Peugeot 28CV de Liegeard équipée de sa courroie qui a parcouru 450 km de Biskra à Touggourt et retour   et 150km de Tébessa à Gafsa en 1908

La Panhard et Levassor des frères De Crawhez ; première voiture à pénétrer au M’Zab 
 La Panhard et Levassor des frères De Crawhez ; première voiture à pénétrer au M’Zab         

  LE  TEMPS  DES RECONNAISSANCES   D’ITINERAIRES.

              Cette carte imprécise n’est là que pour aider les lecteurs fâchés avec la géographie

Cette carte imprécise n’est là que pour aider les lecteurs fâchés avec la géographie

A / Par les militaires

Si l’on en croit le Bulletin du Comité de l’Afrique française, la guerre a favorisé le remplacement du dromadaire par l’automobile là où c’était possible. Dès 1915 le Gouverneur général Lutaud obtient quelques véhicules militaires Rochet-Schneider et Fiat pour le Territoire des Oasis. Ils ont des roues jumelées et sont essayés avec succès sur le trajet Touggourt-Ouargla. Et en 1916 est inauguré un service bi-hebdomadaire pour le courrier sur ce trajet. Mais un essai semblable sur le parcours Ouargla-In Salah s’avère trop difficile ( il a fallu 20 jours ) et les essais cessent. De surcroît au sud d’In Salah les Touaregs redeviennent menaçants.

Et en plus l’avion devient, pour le courrier, un concurrent imbattable. Le premier courrier aérien relie Ouargla à In Salah le 14 mars 1918, en 31 heures avec 3 escales. A partir de là l’auto et l’avion vont s’entraider de façon très logique : les camions reconnaissent les itinéraires, transportent les fûts d’essence et tout le matériel indispensables aux étapes, repèrent et balisent les terrains d’atterrissage éventuels. Bref, l’auto précède l’avion et lui aménage l’escale : elle est moins rapide, mais  elle est moins fragile et a une capacité de transport très supérieure.

Dès la fin 1918 sont ainsi lancés des raids de reconnaissance mi-aérienne, mi-automobile. Les véhicules du train préparent l’arrivée des avions. Le plus souvent le matériel et les véhicules sont acheminés par voie ferrée le plus loin possible. En fait il n’y a que deux lignes possibles : Oran-Colomb Béchar inaugurée le 21 avril 1906, et Philippeville-Touggourt achevée le premier juin 1914. Les deux autres lignes de pénétration ne seront ouvertes que plus tard : Blida-Djelfa en 1921 et Oujda-Colomb-Béchar en 1941

   •La mission Laperrine Touggourt-Tamanrasset Décembre 1919-janvier 1920

Sont acheminées jusqu’à Touggourt 23 camionnettes, 40 tonnes de chargement et 70 personnes.  L’expédition se dirige vers Tamanrasset par Ouargla et In Salah. Elle parvient à In Salah en 15 jours. Deux jours sont consacrés au repos des hommes, du moins de ceux qui n’ont pas à réparer ou entretenir les véhicules. Tamanrasset est atteint en 11 jours. Au passage le convoi a équipé les postes de Tiguelmine, Arak, Tesnou et In Ekker ( dépôts divers, atelier de réparation et poste de TSF). Il ne reste plus qu’à attendre les 3 premiers avions qui atterrissent le 14 février 1920.

   •La mission Rottier Zinder-Agadès-In Gall avril 1927

L’initiative en revient au Gouverneur du Niger, Brévié, et elle se dirige du sud vers le nord dans le but de mesurer la possibilité de créer une artère centrale vers l’Algérie au départ de Zinder ou de Niamey  par Agadès et Tamanrasset. Le Commandant Rottier s’arrête à In Gall ; mais les tronçons de piste ainsi reconnus seront bientôt intégrés à la piste impériale Alger-Zinder

   •La mission Wauthier-Bréard Alger Tamanrasset-Bilma mars 1933

C’est une mission conjointe camion et avion. Wauthier s’occupe d’un avion et Bréard de deux camions Latil d’une charge utile de 4,2 tonnes chacun (essence, eau, vivres, pièces de rechange et armement léger). Bréard a aussi un poste radio lui permettant de communiquer avec l’avion et les stations au sol. Les camions et l’avion, à partir de Tamanrasset, jouent alternativement leurs rôles respectifs d’éclaireurs :lorsque les camions découvrent un site possible d’atterrissage ils transmettent leur position à l’avion qui les y rejoint. A son tour ce dernier survole la piste que les camions auront à parcourir le lendemain.

En mars 1933 cette mission relie Tamanrasset à Bilma, distants de 1190 km par In Azaoua. Cette piste restera quasi inutilisée, sauf un peu en 1942 pour aider Leclerc au Tchad

B/ Par les constructeurs automobiles.

Dans les années 1922-1926 on assista à une vraie rivalité entre Citroën et Renault pour savoir qui découvrirait la technique la mieux adaptée au franchissement des zones sableuses, tout en roulant assez vite sur les sols caillouteux durs. L’idéal était de ne pas s’ensabler dans les ergs et de rouler vite sur les regs.

Citroën crut que la solution serait la chenille. Renault préféra équiper ses voitures de six roues, toutes jumelées avec deux essieux moteurs à l’arrière. Citroën sut sûrement communiquer mieux que Renault car, malgré son échec final, la mémoire collective a retenu ses exploits et oublié ceux de Renault.

     Les autos-chenilles de Citroën.

Avec Georges-Marie Haardt elles réussissent en 1922-1923 la première traversée automobile du Sahara de Touggourt à Tombouctou par Tamanrasset.

Les voitures de la mission dirigée par Georges-Marie Haardt et Louis Audouin-Dubreuil
Touggourt à Tombouctou par Tamanrasset.
Touggourt à Tombouctou par Tamanrasset.
Les voitures de la mission dirigée par Georges-Marie Haardt et Louis Audouin-Dubreuil quittent Touggourt le 17 décembre 1922 et arrivent à In-Salah le 21. Elles en repartent le 24 décembre et atteignent  Tombouctou le 7 janvier 1923. G.M.Haardt peut alors  remettre aux autorités le premier courrier ayant traversé tout le Sahara en automobile jusqu’au Soudan français. A vrai dire les chenilles n’ont pas donné entière satisfaction. Elles s’usent plus vite qu’escompté : toutes les chenilles de rechange ont dû être utilisées dès l’aller.

En janvier-février 1924 la mission Audouin-Dubreuil
reconnaît un deuxième itinéraire à partir de Colomb-Béchar. Elle quitte Colomb-Béchar le 24 janvier et parvient à Tombouctou, par Bidon V et Tessalit le 6 février. Mais, à Adrar, Audouin-Dubreuil a subi le désagrément de se voir doubler par les Renault six-roues de la mission Gradis. Le Sahara est assurément un lieu très médiatisé de la compétition entre Citroën et Renault, c’est-à-dire entre la chenille et le pneumatique. En octobre 1924 une nouvelle expédition Citroën, la mission Centre-Afrique, quitte Colomb-Béchar. L’idée d’AndréCitroën, encouragé par le Président de la république Gaston Doumergue, est de montrer la supériorité de la chenille en terrains très difficiles grâce à une traversée de toute l’Afrique jusqu’au Cap, avec prolongation à Madagascar. Pour cette traversée on a ajouté aux voitures, une remorque. Il y a 8 voitures  réparties en 4 groupes destinés à rallier 4 ports d’embarquement pour Madagascar. Mais le parcours est commun jusqu’à Kampala en Ouganda. Cette première partie de ce qu’on appellera plus tard, à cause d’un film, la Croisière noire, se déroule sans encombre. Les équipages arrivent à Fort-Lamy, juste à temps pour réveillonner le 24 décembre. Ils se retrouveront à Tananarive le 26 juin 1925. André Citroën peut croire avoir gagné son pari ; il n’en est rien.




Ci-dessus les voitures à remorque de la Croisière noire.
Les voitures à remorque de la Croisière noire.
La carte indique les itinéraires suivis par les Citroën en 1923 et 1924.
La carte indique les itinéraires suivis par les Citroën en 1923 et 1924.

La ligne orange suit le tracé suivi par les voitures de la mission Haardt qui a contourné par l’est le plateau de l’Adrar des Ifoghas, par Kidal.

La ligne noire suit le tracé suivi par les deux autres expéditions : il commence par suivre la vallée de la Saoura et offre de très longs parcours rectilignes et plats dans la région du Tanezrouft. Là les chenilles sont handicapées par rapport aux pneus.

Les deux itinéraires se rejoignent à Tabankort au Soudan français  (Mali depuis 1959) et parcourent ensuite la vallée du Tilemsi, en évitant Kidal, pour atteindre le fleuve Niger à Bourem.

     Le six-roues jumelées de Renault

En novembre 1923 la mission Gradis-Estienne utilise encore, comme Citroën, des autos-chenilles  pour parcourir l’itinéraire Adrar-Tessalit à travers le Tanezrouft encore inconnu et entouré d’une réputation de super désert. Elle part de Beni-Ounif-de-Figuig (au nord de Colomb-Béchar) avec  4 voitures à remorque et atteint Tessalit le 30. «  Ce voyage a permis de reconnaître un itinéraire quasiment rectiligne et plat qui fait gagner 300km sur la voie centrale par El-Goléa » dit un compte rendu. Cette piste Gradis devint l’itinéraire de référence des années 1920.

Mais le général Estienne n’est pas convaincu que la chenille soit la bonne solution et il persuade Renault de fabriquer une voiture  équipée de 6 roues jumelées avec des pneus basse pression. L’engin est essayé sur une plage marocaine.

Deux des six-roues Renault de la mission Schwob entre Beni-Abbès et Adrar.
Deux des six-roues Renault de la mission Schwob entre Beni-Abbès et Adrar.
A leur propos Estienne écrit « 
Ces véhicules peuvent rouler en palier à 45km/h, franchissent les dunes avec la plus grande facilité et attaquent des pentes de 45° et plus ».

En  janvier 1924 la mission Schwob avec des voitures six-roues connaît un plein succès : c’est elle qui a doublé les Citroën à Adrar. « La suprématie de la roue sur la chenille s’impose à l’évidence ». Les Renault ont parcouru en 5  jours les 2000km de Colomb-Béchar à Bourem que les Citroën ont parcouru en 71/2 jours. Schwob et son équipe commencent à croire possible la création d’un service régulier de transport de personnes et de courrier entre l’Algérie et l’A.O.F. Dès février 1926 une nouvelle mission Estienne  prépare l’ouverture d’un service Algérie-Soudan en jalonnant la piste de fûts d’eau et d’essence enterrés dans le sable, tous les 50 km et repérés au sol par des bidons numérotés. La star du bidon fut le bidon  numéro cinq, Bidon V appelé à un avenir quasi mythique en tant qu’étape à la porte du Tanezrouft.

Bien sûr  d’autres constructeurs que Renault ont participé à ces voyages de reconnaissance. Mais ils s’y sont lancés plus tard et ont eu moins d’importance.

Pour ne vexer personne citons :

     En décembre 1929-janvier 1930  la mission Proust conduit 4 Peugeot d’Alger à Dakar.

d’Alger à Dakar.
d’Alger à Dakar.
Il s’agit de véhicules de série dont on a allongé le coffre pour permettre aux chauffeur et au mécanicien de dormir
véhicules de série dont on a allongé le coffre pour permettre aux chauffeur et au mécanicien de dormir

Il s’agit de véhicules de série dont on a allongé le coffre pour permettre aux chauffeur et au mécanicien de dormir confortablement. Les 4 voitures parcourent sans panne, ni avarie, les 16000km aller et retour par la piste de Bidon V rejointe à Timimoun.

     En novembre 1930  une mission  Laffly, à  prétention  scientifique,  part  d’Alger  pour  un périple de 3 mois : aller par Bidon V, retour par Tamanrasset et Fort Flatters ; un itinéraire difficile.
aller par Bidon V, retour par Tamanrasset et Fort Flatters
aller par Bidon V, retour par Tamanrasset et Fort Flatters

Les 3 camions Laffly ont des moteurs Diesel. L’un des conducteurs, l’ingénieur Lumet, un peu en avance sur son temps, écrit ceci dans son carnet « Les huiles d’arachide, de palme, de ricin, paraissent devoir donner toute satisfaction dans les moteurs de ce genre, tant au point de vue fonctionnement qu’au point de vue économique : il y a là une importante perspective pour l’avenir de  l’agriculture et de la traction automobile, dans nos colonies africaines ».

     En 1933 les mêmes véhicules, dotés de pneus Michelin très larges et d’une autonomie de carburant de 2000km, effectuent une liaison directe Alger-Fort-Lamy par Djanet et Bilma. Ce tracé permet d’éviter d’avoir à passer par Kano au Nigéria, ou d’avoir à contourner les marais du lac Tchad  par le nord à partir de N’Guigmi. Mais c’est un itinéraire trop difficile et trop excentré pour espérer un trafic régulier, même modeste.

     En février-mars 1932 8 camions de 4 marques ( 2  Laffly, 2  Renault, 2 Saurer et 2  Berliet) s’engagent, dans un concours organisé par le Gouvernement Général d’Algérie, pour tester la capacité de transport de fret utile ( hors pièces de rechange et ravitaillements divers) ; seuls les camions Berliet réussiront l’épreuve en transportant chacun 3,5 tonnes de fret utile entre Alger et Gao. Le plus gros des 2 camions, un 5 tonnes, avait 6 roues dont 4 motrices à l’arrière.

Le temps des reconnaissances s’achève ; celui des services réguliers de transport transsahariens peut être envisagé.