Géographie de l'Afrique du nord
Le Titteri des Français
1830-1962
Place du Titteri dans l'ensemble de l'Algérie du nord
(sans les départements sahariens)

Documents et textes : Georges Bouchet
mise sur site le 11-12-2008

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Place du Titteri dans l'ensemble de l'Algérie du nord
(sans les départements sahariens)

Au terme du chapitre précédent concernant l'Atlas saharien, j'ai donné à penser que le département de Médéa était l'un des plus pauvres de l'Algérie française. Reste à étayer ce jugement par les arguments probants, cartes et statistiques, que j'ai trouvés dans deux brochures officielles éditées à Alger par l'imprimerie Baconnier à la demande du Service de l'information de la Délégation Générale du Gouvernement en Algérie en 1959, et du service de la Statistique Générale de l'Algérie en 1961.

Cartes et statistiques ont été établies parfois dans le cadre des 12 départements nés en 1956, parfois dans celui des 13 départements apparu en 1959. Une petit rappel historique s'impose : les 12 départements, parmi lesquels celui de Médéa, ont été créés par le décret du 28 juin 1956. Le décret du 7 août 1957 sépara les 4 territoires sahariens de l'Algérie, à l'exception de la commune mixte de Djelfa désormais rattachée au nouveau département de Médéa. Ce même décret dissolvait les communes mixtes pour les scinder en communes de plein exercice théoriquement régies par la loi du 5 avril 1884. C'était une mesure visant à l'assimilation des institutions métropolitaines et algériennes ;ce qui n'empêcha cependant pas le vent de l'histoire de continuer à souffler en direction de l'indépendance. Les 4 territoires du sud furent englobés dans une Organisation Commune des Régions Sahariennes qui s'étendait sur certaines régions de l'AOF dans l'espoir, qui s'avéra chimérique, de préserver notre accès aux gisements de pétrole en cours de mise en exploitation.
Le treizième département, celui de Saïda, fut créé par le décret du 7 novembre 1959 qui avait scindé en deux le département d'Oran délimité en 1956.
Entre temps, de mars à mai 1958, le département de Médéa avait été amputé de ses arrondissements d'Aumale et de Bou Saâda réunis dans un département d'Aumale dont l'existence fut éphémère car supprimée de facto après le 13 mai 1958 et de jure par le décret du 7 novembre 1959 déjà cité.

Place du Titteri en ce qui concerne la superficie

Département de Médéa
Algérie du Nord
Place du Titteri
50 331km²
295 035km²
1er sur 12 départements
2° sur 13 derrière Saïda
NB : Avec les territoires sahariens confiés à l'OCRS et finalement conservés par l'Algérie, l'Algérie couvre 2 381741km². C'est le deuxième pays d'Afrique par la taille, derrière le Soudan qui a 2 525 813km² et devant le Congo ex belge qui a 2 345 409km².

Place du Titteri en ce qui concerne la population fin 1954

 
Département de Médéa
Algérie du Nord
Place du Titteri
Population totale
652 779
8 931 137
6è sur 13
Dont Européens
10 405
974 245
12è sur 13 devant Batna
Dont Musulmans
642 373
7 956 892
4è sur 13
NB 1 Avant 1957 le Titteri avait 18 CPE (Communes de plein exercice), 10 Communes mixtes et 4 centres municipaux.
La CM de Djelfa couvrait 18 150km² soit plus du double de la Corse et presque le double du département de la Gironde qui est le plus étendu de France.
Après 1957 il y eut, dans le nouveau département de Médéa, Djelfa compris, 107 CPE.
NB 2 Pour l'ensemble de l'Algérie les chiffres sont les suivants.
Avant 1957 321 CPE, 78 CM et 157 centres municipaux
Après 1957 1 502 CPE.

Pourquoi trois types de commune en Algérie ?

Parce que la création des communes " normales " a accompagné la création des villages de colonisation ; et qu'ensuite, pour les régions où les Européens étaient très peu nombreux ou absents, il a fallu inventer de nouveaux types de communes.

CPE ou commune de plein exercice. Une CPE obéit en théorie aux mêmes règles que les communes métropolitaines, telles qu'elles avaient été instituées par la loi municipale du 5 avril 1884. Elle est dirigée par un maire élu assisté d'adjoints et de conseillers municipaux également élus.
En vérité la loi de 1884 dut subir, en plusieurs fois, quelques adaptations locales, notamment pour la désignation, le rôle et le nombre des conseillers musulmans.

CM ou commune mixte. Une CM est un " type de transition " appelé à disparaître, mais qui ne disparut jamais car il se maintint sans bouleversement jusqu'en 1962. Les premières furent créées dans les seuls territoires militaires dépendant des bureaux arabes par le décret du 20 mai 1868.
Ce sont les Gouverneurs Généraux Gueydon (arrêté du 24/11/1871) et Chanzy (décret du 24/12/1875) qui étendirent ce système à tous les centres où résidaient quelques Européens, mais en nombre insuffisant pour créer une CPE. A sa tête on nomme un Administrateur doté d'un statut civil et d'un uniforme proche de celui du Préfet dont il dépend. Il peut avoir un ou plusieurs adjoints. Il préside des commissions dont les membres, européens ou musulmans, sont nommés par le Préfet.
Elle est très vaste, même si toutes n'ont pas la taille de celle de Djelfa. Elle contient, outre le centre où vivent les Européens de nombreux douars, mechtas, dechra ou tribus sans autres résidents européens que les fonctionnaires en début de carrière. L'administrateur peut et même doit choisir des caïds pour relayer son action sur place.
La CM ne porte pas forcément le nom de son chef-lieu : ainsi Reibell est le centre administratif de la CM de Chellala et Bou Saâda le centre de celle de Ben S'Rour. Une même localité peut être le centre, et d'une CPE et d'une CM, tels Boghari, Berrouaghia ou Aïn Boucif.

CM ou centre municipal. Le CM est une création beaucoup plus récente et quasi expérimentale au début. C'est le Gouverneur Général Le Beau qui invente la formule par son décret du 25 août 1937. Un centre municipal de ce type ne peut être créé qu'à l'intérieur d'une commune mixte afin d' " initier les musulmans à la pratique de la vie municipale ". Le centre municipal a un conseil élu au suffrage universel (masculin) qui désigne son Président qui joue le rôle d'un maire sans en avoir le titre. Il bénéficie de la même autonomie financière qu'une CPE.
Les 4 premiers sont créés en 1938 et supprimés en 1940 !
Le système est repris après 1947, mais n'est vraiment généralisé qu'en Kabylie (127 centres sur 157) grâce sûrement à la tradition des djemaa kabyles réunissant les principaux chefs de famille.

Place du Titteri en ce qui concerne l'enseignement secondaire en 1959/1960

Nombre de
Département de Médéa
Algérie du Nord
Place du Titteri ( sur 13)
Lycées
1
47
9è ( 4 ex æquo)
Elèves
400
44 696
11è
Dont Européens
226
34 413
10è
Dont filles
80
16 224
11è
Dont Musulmans
174
10 283
12è
Dont filles
25
2 617
10è
NB Les 3 autres départements n'ayant qu'un seul lycée étaient ceux de Tizi Ouzou, Batna et Tiaret. C'est le département de Saïda qui n'en avait aucun. Mais il y en avait un, au Sahara, à Colomb Béchar.

Place du Titteri en ce qui concerne les enseignement primaire et primaire supérieur (cours complémentaires de la 6è à la 3è ) pour l'année scolaire 1959/1960

Nombre de
Département de Médéa
Algérie du Nord
Place du Titteri ( sur 12)
Elèves
21 484
713 739
12è
Dont Européens
1 560
127365
10è
Dont filles
714
61 641
10è
Dont Musulmans
19 924
586 374
12è
Dont filles
6 513
217 923
12è
NB On doit noter que si le déséquilibre garçons-filles est très élevé chez les musulmans (deux garçons pour une fille) il existe aussi chez les Européens car toutes les filles n'allaient pas dans les 4 classes des cours complémentaires. Ces cours complémentaires n'étaient présents que dans une minorité d'écoles. Les cours étaient assurés par des instituteurs. On n'y enseignait ni le latin, ni le grec ancien, ni aucune langue vivante (sauf rarissimes exceptions).
Ces classes, situées le plus souvent dans des écoles de garçons, étaient mixtes ; de la même façon que pour les classes préparatoires aux concours d'entrée dans les grandes écoles, toutes ouvertes, à Alger, dans un seul lycée de garçons, le lycée Bugeaud.

Place du Titteri en ce qui concerne le personnel médical civil le 31/12/1959

Nombre de
Département de Médéa
Algérie
Place du Titteri ( sur 13)
Médecins
31
1870
10è
Dentistes *
3
449
11è
Pharmaciens
15
708
11è
Sage-femmes
7
422
10è
La modestie des chiffres du département de Médéa m'ont vraiment étonné. Et j'ai relu, plutôt trois fois que deux le tableau de la page 103 de la brochure diffusée par la Statistique Générale de l'Algérie sous la responsabilité de Jacques Breil, chef du service. Ces chiffres sont donc irréfutables. *Où se trouvaient les trois dentistes (pour 652000 clients potentiels !) ? Je ne sais pas. Imaginons à Médéa, Aumale et Boghari. Bien sûr il faudrait y ajouter le personnel des établissements militaires. Mais, tout de même, ça ne fait pas beaucoup. Il y avait Alger et Oran, qui regroupaient les trois quarts du personnel, et le reste de l'Algérie…, et surtout les dentistes d'Alger qui montaient dans l'"intérieur" pour venir soigner leurs patients un ou deux jours par semaine. Je connais, de source sûre, deux exemples: celui du dentiste , qui en 1948, venait à Berrouaghia un jour par semaine, et celui qui, vers 1960, grâce à l'avion, partait travailler tout le week-end à Ghardaïa.
Par exemple dans le département d'Alger : 928 médecins, 224 dentistes et 314 pharmaciens.
Le treizième une fois encore était Saïda : 9 médecins, 1 dentiste, 4 pharmaciens et 0 sage-femme.

Place du Titteri en ce qui concerne les hôpitaux civils au 31/12/1958

Nombre de
Département de Médéa
Algérie
Place du Titteri ( sur 13)
Hôpitaux
11
144
exæquo avec Orléansville
Lits
1133
33 199
10è
Pour ceux qui verraient une contradiction entre 11 hôpitaux et 31 médecins (3 par hôpital !) je dois dire que cette statistique additionne 6 sortes de centres de soins, tous qualifiés d'hôpital, sûrement de façon parfois abusive. Elle n'indique pas la répartition entre les 6 catégories. Mais elle mentionne la répartition des lits selon 8 spécialités, dont celle d'hospice !
Il faudrait y ajouter les hôpitaux militaires. Je n'ai pas trouvé leurs statistiques.
Le département d'Alger n'avait que 21 hôpitaux, mais concentrait le tiers des lits : c'est dire que les hôpitaux les plus grands, les mieux équipés et les plus polyvalents s'y trouvaient rassemblés.

Place du Titteri en ce qui concerne la valeur des productions agricoles pour
1957, en milliards d'anciens francs et les effectifs des troupeaux en 1959

Production
Département de Médéa
Algérie
Place du Titteri ( sur 13)
Vins
11
1119
Céréales
22
529
10è
Légumes Fruits
31
427
Elevage
51
546
NB 1 Il s'agit d'estimations des valeurs des productions récoltées.
Ces valeurs intègrent donc les consommations familiales et les ventes locales.
NB 2 Calculées en % de la production algérienne totale, ces valeurs feraient ressortir la modestie des productions du Titteri ; particulièrement pour les vins, pourtant de qualité supérieure.
Le vignoble couvrait 5 800 ha (dont 600 appartenant à des musulmans)
                      et produisit en 1959 198 000 hl (dont 20 000 par des musulmans)
                      avec un rendement moyen de 34 hl/ha
Les fruits et légumes sont notamment en 1959 :
          les dattes : 31 000 qx et 2è rang
          raisins : 30 000qx et 2è rang
          pommes de terre : 33 000 qx et 11è rang
          légumes secs :13 000 qx et 10è rang
Il n'y avait pas du tout d'agrumes et presque pas de figuiers et d'oliviers.
NB 3 Le Titteri s'en sort mieux en ce qui concerne l'élevage.
Les effectifs des troupeaux étaient estimés au 1/11/ 1959 à :
     1 385 000 moutons ; enfin un premier rang avec 26% du troupeau algérien
     180 000 chèvres ; 4è rang avec 9% du troupeau algérien
      42 000 ânes ; 2è rang avec 10%
      21 000 bovins à peine ; 10è rang avec 3%
Le département de Médéa partage avec celui de Batna le fait de n'élever aucun porc.

Place du Titteri en ce qui concerne les ressources du sous-sol en 1958

Minerais métalliques : rien
Gypse pour la fabrication de plâtre : 12 500 tonnes. 5è rang (région de Médéa)
Sel gemme : 4 600 tonnes
Pétrole : rien car l'exploitation de l'oued Guétérini avait été arrêtée à cause de l'insécurité

Place du Titteri en ce qui concerne les réseaux routier en 1958, et ferré

Routes nationales : 1 320km et 1er rang sur 12 devant Oran              Total Algérie : 8 790km
Routes départementales : 1 650km et 2è rang sur 12 derrière Oran    Total Algérie 13 500km

Les habitants du département possédaient au 1er janvier 1959
          2 132 véhicules de tourisme sur 124 746 pour toute l'Algérie (11è rang sur 12)
          1 497 véhicules utilitaires sur 58 013 pour toute l'Algérie (11è rang sur 12)

La modestie de ce parc automobile est encore plus apparente si on le présente en nombre d'habitants pour une voiture : soit une auto pour 306 personnes.

Pour être complet sur les réseaux de transport rappelons les deux voies ferrées étroites de 1,055m :
          les 273 km de celle de Blida à Djelfa, posée entre 1886 et 1921 et toujours en service en 1962,
          et les 43 km celle de Bouira à Aumale ouverte en 1927 et déclassée dans les années 1930.

Carte des routes nationales et départementales en 1960
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Carte des routes nationales et départementales en 1960
Les routes nationales sont en rouge : leur numéro est écrit sur une pastille ronde et rouge.
Les routes départementales sont en jaune
La RN 1 reliait Alger à Tamanrasset : 2027 km, et poursuivait jusqu'en AOF
La RN 8 reliait Alger à Bou Saâda : 250 km
La RN 18 reliait Bouira à Affreville : 174 km + 29 sur la RN 1.
La RN 23 reliait Mostaganem à Laghouat : 450 km
La RN 40 reliait Tiaret à Magra par M'Sila : c'est la rocade sud : 378 km
La RN 46 reliait Djelfa à Biskra : 291 km

Algérie : densité de population
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densité de population

L'hydraulique agricole en Algérie
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hydraulique agricole en algerie

Cette carte permet de constater la rapide dégradation de la pluviométrie vers le sud.
L'aridité va loin vers le Nord, avec l'isohyète 400mm proche de Boghari
Le seul barrage du département de Médéa est bien indiqué, mais discrètement car il ne sert pas du tout à l'irrigation, contrairement à tous les autres
Celui de Bou Namoussa, près de Bône, était en voie d'achèvement en 1960 dans le but de fournir d l'eau nécessaire pour l'aciérie prévue à El Hadjar et inaugurée en 1972 !

Revenu agricole brut
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Revenu agricole brut

Et pour finir deux cartes qui résument tout

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indice du revenu moyen

C'est une carte qui est conçue pour faciliter les comparaisons en exprimant le revenu moyen de chaque département par rapport à la moyenne de l'Algérie qui a l'indice 100
Comme les chiffres ne sont pas faciles à lire, les voici par ordre décroissant :
Alger 259   Oran (Saïda compris) 189
Bône 100   Mostaganem 88
Tlemcen 86   Constantine 83
Sétif 67   Tiaret 59
Orléansville 57   Tizi Ouzou 52
Médéa 40   Batna 38

Carte de 1960 indiquant les projets de développement industriel du plan de Constantine
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Carte de 1960 indiquant les projets de développement industriel du plan de Constantine

L'expression " zone d'implantation industrielle N° 3 " est un euphémisme poli qui signifie absence de développement industriel. Le Titteri n'est concerné par aucun projet même si le gazoduc d'Arzeu le traverse sur quelques kilomètres. L'oléoduc de Bougie déjà posé et le gazoduc de Philippeville posé plus tard n'y passent pas du tout, même s'ils ne passent pas loin.
Malgré sa position centrale et proche d'Alger le Titteri est ignoré par l'industrie. Le cartographe a, autour d'Alger, volontairement confondu limite de département et limite de zone industrielle : soulignant ainsi l'exclusion du Titteri. Le département de Médéa faisait assurément partie, avec ceux de Saïda et de Batna, du tiercé perdant industriel de l'Algérie, malgré quelques plâtrières et quelques minoteries près de Médéa.