Place du Titteri
dans l'ensemble de l'Algérie du nord
(sans les départements sahariens)
Au terme du chapitre précédent concernant
l'Atlas saharien, j'ai donné à penser que le département
de Médéa était l'un des plus pauvres de l'Algérie
française. Reste à étayer ce jugement par les arguments
probants, cartes et statistiques, que j'ai trouvés dans deux brochures
officielles éditées à Alger par l'imprimerie Baconnier
à la demande du Service de l'information de la Délégation
Générale du Gouvernement en Algérie en 1959, et du
service de la Statistique Générale de l'Algérie en
1961.
Cartes et statistiques ont été établies
parfois dans le cadre des 12 départements
nés en 1956, parfois dans celui
des 13 départements apparu
en 1959. Une petit rappel historique
s'impose : les 12 départements, parmi lesquels celui de Médéa,
ont été créés par le décret du
28 juin 1956. Le décret du 7
août 1957 sépara les 4 territoires sahariens de
l'Algérie, à l'exception de la commune mixte de Djelfa désormais
rattachée au nouveau département de Médéa.
Ce même décret dissolvait les communes mixtes pour les scinder
en communes de plein exercice théoriquement régies par la
loi du 5 avril 1884. C'était une mesure visant à l'assimilation
des institutions métropolitaines et algériennes ;ce qui
n'empêcha cependant pas le vent de l'histoire de continuer à
souffler en direction de l'indépendance. Les 4 territoires du sud
furent englobés dans une Organisation
Commune des Régions
Sahariennes qui s'étendait
sur certaines régions de l'AOF dans l'espoir, qui s'avéra
chimérique, de préserver notre accès aux gisements
de pétrole en cours de mise en exploitation.
Le treizième département, celui de Saïda,
fut créé par le décret du 7
novembre 1959 qui avait scindé en deux le département
d'Oran délimité en 1956.
Entre temps, de mars à mai 1958, le département de Médéa
avait été amputé de ses arrondissements d'Aumale
et de Bou Saâda réunis dans un département d'Aumale
dont l'existence fut éphémère car supprimée
de facto après le 13 mai 1958 et de jure par le décret du
7 novembre 1959 déjà cité.
Place du Titteri en
ce qui concerne la superficie
Département de Médéa
|
Algérie du Nord
|
Place du Titteri
|
50 331km²
|
295 035km²
|
1er sur 12
départements
2° sur 13 derrière Saïda
|
NB |
: Avec les territoires sahariens confiés à
l'OCRS et finalement conservés par l'Algérie, l'Algérie
couvre 2 381741km². C'est le deuxième pays d'Afrique par
la taille, derrière le Soudan qui a 2 525 813km² et devant
le Congo ex belge qui a 2 345 409km². |
Place du Titteri en
ce qui concerne la population fin 1954
|
Département de Médéa
|
Algérie du Nord
|
Place du Titteri
|
Population totale
|
652 779
|
8 931 137
|
6è sur
13
|
Dont Européens
|
10 405
|
974 245
|
12è sur 13 devant Batna
|
Dont Musulmans
|
642 373
|
7 956 892
|
4è sur 13
|
NB 1 |
Avant 1957 le Titteri
avait 18 CPE (Communes de plein exercice), 10 Communes mixtes et 4
centres municipaux.
La CM de Djelfa couvrait 18 150km² soit plus du double de la
Corse et presque le double du département de la Gironde qui
est le plus étendu de France.
Après 1957 il y eut, dans
le nouveau département de Médéa, Djelfa compris,
107 CPE. |
NB 2 |
Pour l'ensemble de l'Algérie les chiffres sont
les suivants.
Avant 1957 321 CPE, 78 CM et 157
centres municipaux
Après 1957 1 502 CPE. |
Pourquoi trois types
de commune en Algérie ?
Parce que la création des communes " normales "
a accompagné la création des villages de colonisation
; et qu'ensuite, pour les régions où les Européens
étaient très peu nombreux ou absents, il a fallu inventer
de nouveaux types de communes.
CPE ou commune de plein exercice.
Une CPE obéit en théorie aux mêmes règles
que les communes métropolitaines, telles qu'elles avaient
été instituées par la loi municipale du 5
avril 1884. Elle est dirigée par un maire élu
assisté d'adjoints et de conseillers municipaux également
élus.
En vérité la loi de 1884 dut subir, en plusieurs fois,
quelques adaptations locales, notamment pour la désignation,
le rôle et le nombre des conseillers musulmans.
CM ou commune mixte. Une CM
est un " type de transition " appelé à disparaître,
mais qui ne disparut jamais car il se maintint sans bouleversement
jusqu'en 1962. Les premières furent créées
dans les seuls territoires militaires dépendant des bureaux
arabes par le décret du 20 mai 1868.
Ce sont les Gouverneurs Généraux Gueydon
(arrêté du 24/11/1871)
et Chanzy (décret du
24/12/1875) qui étendirent
ce système à tous les centres où résidaient
quelques Européens, mais en nombre insuffisant pour créer
une CPE. A sa tête on nomme un Administrateur doté
d'un statut civil et d'un uniforme proche de celui du Préfet
dont il dépend. Il peut avoir un ou plusieurs adjoints. Il
préside des commissions dont les membres, européens
ou musulmans, sont nommés par le Préfet.
Elle est très vaste, même si toutes n'ont pas la taille
de celle de Djelfa. Elle contient, outre le centre où vivent
les Européens de nombreux douars, mechtas, dechra ou tribus
sans autres résidents européens que les fonctionnaires
en début de carrière. L'administrateur peut et même
doit choisir des caïds pour relayer son action sur place.
La CM ne porte pas forcément le nom de son chef-lieu : ainsi
Reibell est le centre administratif de la CM de Chellala et Bou
Saâda le centre de celle de Ben S'Rour. Une même localité
peut être le centre, et d'une CPE et d'une CM, tels Boghari,
Berrouaghia ou Aïn Boucif.
CM ou centre municipal. Le
CM est une création beaucoup plus récente et quasi
expérimentale au début. C'est le Gouverneur Général
Le Beau qui invente la formule
par son décret du 25 août
1937. Un centre municipal de ce type ne peut être
créé qu'à l'intérieur d'une commune
mixte afin d' " initier les musulmans à la pratique
de la vie municipale ". Le centre municipal a un conseil élu
au suffrage universel (masculin) qui désigne son Président
qui joue le rôle d'un maire sans en avoir le titre. Il bénéficie
de la même autonomie financière qu'une CPE.
Les 4 premiers sont créés en 1938 et supprimés
en 1940 !
Le système est repris après 1947, mais n'est vraiment
généralisé qu'en Kabylie (127 centres sur 157)
grâce sûrement à la tradition des djemaa kabyles
réunissant les principaux chefs de famille.
|
Place du Titteri en
ce qui concerne l'enseignement secondaire en 1959/1960
Nombre de
|
Département de Médéa
|
Algérie du Nord
|
Place du Titteri ( sur 13)
|
Lycées
|
1
|
47
|
9è ( 4 ex æquo)
|
Elèves
|
400
|
44 696
|
11è
|
Dont Européens
|
226
|
34 413
|
10è
|
Dont filles
|
80
|
16 224
|
11è
|
Dont Musulmans
|
174
|
10 283
|
12è
|
Dont filles
|
25
|
2 617
|
10è
|
NB |
Les 3 autres départements n'ayant qu'un seul
lycée étaient ceux de Tizi Ouzou, Batna et Tiaret. C'est
le département de Saïda qui n'en avait aucun. Mais il
y en avait un, au Sahara, à Colomb Béchar. |
Place du Titteri en
ce qui concerne les enseignement primaire et primaire supérieur
(cours complémentaires de la 6è à la 3è )
pour l'année scolaire 1959/1960
Nombre de
|
Département de Médéa
|
Algérie du Nord
|
Place du Titteri ( sur 12)
|
Elèves |
21 484
|
713 739
|
12è
|
Dont Européens |
1 560
|
127365
|
10è
|
Dont filles |
714
|
61 641
|
10è
|
Dont Musulmans |
19 924
|
586 374
|
12è
|
Dont filles |
6 513
|
217 923
|
12è
|
NB |
On doit noter que si le déséquilibre garçons-filles
est très élevé chez les musulmans (deux garçons
pour une fille) il existe aussi chez les Européens car toutes
les filles n'allaient pas dans les 4 classes des cours complémentaires.
Ces cours complémentaires n'étaient présents
que dans une minorité d'écoles. Les cours étaient
assurés par des instituteurs. On n'y enseignait ni le latin,
ni le grec ancien, ni aucune langue vivante (sauf rarissimes exceptions).
Ces classes, situées le plus souvent dans des écoles
de garçons, étaient mixtes ; de la même façon
que pour les classes préparatoires aux concours d'entrée
dans les grandes écoles, toutes ouvertes, à Alger, dans
un seul lycée de garçons, le
lycée Bugeaud. |
Place du Titteri en
ce qui concerne le personnel médical civil le 31/12/1959
Nombre de
|
Département de Médéa
|
Algérie
|
Place du Titteri ( sur 13)
|
Médecins |
31
|
1870
|
10è
|
Dentistes * |
3
|
449
|
11è
|
Pharmaciens |
15
|
708
|
11è
|
Sage-femmes |
7
|
422
|
10è
|
La modestie des chiffres du département de Médéa
m'ont vraiment étonné. Et j'ai relu, plutôt trois
fois que deux le tableau de la page 103 de la brochure diffusée
par la Statistique Générale de l'Algérie sous
la responsabilité de Jacques Breil, chef du service. Ces chiffres
sont donc irréfutables. *Où se trouvaient les trois
dentistes (pour 652000 clients potentiels !) ? Je ne sais pas. Imaginons
à Médéa, Aumale et Boghari. Bien sûr il
faudrait y ajouter le personnel des établissements militaires.
Mais, tout de même, ça ne fait pas beaucoup. Il y avait
Alger et Oran, qui regroupaient les trois quarts du personnel, et
le reste de l'Algérie
, et surtout les dentistes d'Alger
qui montaient dans l'"intérieur" pour venir soigner
leurs patients un ou deux jours par semaine. Je connais, de source
sûre, deux exemples: celui du dentiste , qui en 1948, venait
à Berrouaghia un jour par semaine, et celui qui, vers 1960,
grâce à l'avion, partait travailler tout le week-end
à Ghardaïa.
Par exemple dans le département d'Alger : 928 médecins,
224 dentistes et 314 pharmaciens.
Le treizième une fois encore était Saïda : 9 médecins,
1 dentiste, 4 pharmaciens et 0 sage-femme. |
Place du Titteri en
ce qui concerne les hôpitaux civils au 31/12/1958
Nombre de
|
Département de Médéa
|
Algérie
|
Place du Titteri ( sur 13)
|
Hôpitaux
|
11
|
144
|
9è exæquo avec Orléansville
|
Lits
|
1133
|
33 199
|
10è
|
Pour ceux qui verraient une contradiction entre 11 hôpitaux
et 31 médecins (3 par hôpital !) je dois dire que cette
statistique additionne 6 sortes de centres de soins, tous qualifiés
d'hôpital, sûrement de façon parfois abusive. Elle
n'indique pas la répartition entre les 6 catégories.
Mais elle mentionne la répartition des lits selon 8 spécialités,
dont celle d'hospice !
Il faudrait y ajouter les hôpitaux militaires. Je n'ai pas trouvé
leurs statistiques.
Le département d'Alger n'avait que 21 hôpitaux, mais
concentrait le tiers des lits : c'est dire que les hôpitaux
les plus grands, les mieux équipés et les plus polyvalents
s'y trouvaient rassemblés. |
Place du Titteri en
ce qui concerne la valeur des productions agricoles pour
1957, en milliards d'anciens francs et les effectifs des troupeaux en
1959
Production
|
Département de Médéa
|
Algérie
|
Place du Titteri ( sur 13)
|
Vins |
11
|
1119
|
9è
|
Céréales |
22
|
529
|
10è
|
Légumes Fruits |
31
|
427
|
6è
|
Elevage |
51
|
546
|
3è
|
NB 1 |
Il s'agit d'estimations des valeurs des productions
récoltées.
Ces valeurs intègrent donc les consommations familiales et
les ventes locales. |
NB 2 |
Calculées en % de la production algérienne
totale, ces valeurs feraient ressortir la modestie des productions
du Titteri ; particulièrement pour les vins, pourtant de qualité
supérieure.
Le vignoble couvrait 5 800 ha
(dont 600 appartenant à des musulmans)
et
produisit en 1959 198 000 hl (dont 20 000 par des musulmans)
avec
un rendement moyen de 34 hl/ha
Les fruits et légumes sont
notamment en 1959 :
les dattes
: 31 000 qx et 2è rang
raisins
: 30 000qx et 2è rang
pommes
de terre : 33 000 qx et 11è rang
légumes
secs :13 000 qx et 10è rang
Il n'y avait pas du tout d'agrumes et presque pas de figuiers et d'oliviers.
|
NB 3 |
Le Titteri s'en sort mieux en ce qui concerne l'élevage.
Les effectifs des troupeaux étaient estimés au 1/11/
1959 à :
1 385 000 moutons
; enfin un premier rang avec 26% du troupeau algérien
180 000 chèvres
; 4è rang avec 9% du troupeau algérien
42 000 ânes
; 2è rang avec 10%
21 000 bovins
à peine ; 10è rang avec 3%
Le département de Médéa partage avec celui de
Batna le fait de n'élever aucun porc. |
Place du Titteri en
ce qui concerne les ressources du sous-sol en 1958
Minerais métalliques :
rien
Gypse pour la fabrication de plâtre
: 12 500 tonnes. 5è rang (région de Médéa)
Sel gemme : 4 600 tonnes
Pétrole : rien car l'exploitation
de l'oued Guétérini avait été arrêtée
à cause de l'insécurité
Place du Titteri en
ce qui concerne les réseaux routier en 1958, et ferré
Routes nationales
: 1 320km et 1er rang sur 12 devant Oran Total
Algérie : 8 790km
Routes départementales : 1
650km et 2è rang sur 12 derrière Oran Total
Algérie 13 500km
Les habitants du département possédaient
au 1er janvier 1959
2 132
véhicules de tourisme sur 124 746 pour toute l'Algérie
(11è rang sur 12)
1 497 véhicules
utilitaires sur 58 013 pour toute l'Algérie (11è
rang sur 12)
La modestie de ce parc automobile est encore plus apparente
si on le présente en nombre d'habitants pour une voiture : soit
une auto pour 306 personnes.
Pour être complet sur les réseaux de transport
rappelons les deux voies ferrées étroites
de 1,055m :
les 273 km
de celle de Blida à Djelfa, posée entre 1886 et 1921 et
toujours en service en 1962,
et les 43
km celle de Bouira à Aumale ouverte en 1927 et déclassée
dans les années 1930.
Carte des
routes nationales et départementales en 1960
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Les routes nationales sont en rouge : leur
numéro est écrit sur une pastille ronde et rouge.
Les routes départementales sont en jaune
|
La RN 1 reliait Alger à Tamanrasset
: 2027 km, et poursuivait jusqu'en AOF
La RN 8 reliait Alger à Bou Saâda : 250 km
La RN 18 reliait Bouira à Affreville : 174 km + 29 sur
la RN 1.
La RN 23 reliait Mostaganem à Laghouat : 450 km
La RN 40 reliait Tiaret à Magra par M'Sila : c'est la
rocade sud : 378 km
La RN 46 reliait Djelfa à Biskra : 291 km |
|
Algérie
: densité de population
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|
L'hydraulique agricole en
Algérie
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Cette carte permet de constater la rapide
dégradation de la pluviométrie vers le sud.
L'aridité va loin vers le Nord, avec l'isohyète
400mm proche de Boghari
Le seul barrage du département de Médéa
est bien indiqué, mais discrètement car il ne
sert pas du tout à l'irrigation, contrairement à
tous les autres
Celui de Bou Namoussa, près de Bône, était
en voie d'achèvement en 1960 dans le but de fournir
d l'eau nécessaire pour l'aciérie prévue
à El Hadjar et inaugurée en 1972 ! |
|
Revenu agricole
brut
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|
Et pour finir deux
cartes qui résument tout
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C'est une carte qui est conçue
pour faciliter les comparaisons en exprimant le revenu moyen
de chaque département par rapport à la moyenne
de l'Algérie qui a l'indice 100
Comme les chiffres ne sont pas faciles à lire, les voici
par ordre décroissant : |
Alger |
259 |
|
Oran (Saïda compris) |
189 |
Bône |
100 |
|
Mostaganem |
88 |
Tlemcen |
86 |
|
Constantine |
83 |
Sétif |
67 |
|
Tiaret |
59 |
Orléansville |
57 |
|
Tizi Ouzou |
52 |
Médéa |
40 |
|
Batna |
38 |
Carte
de 1960 indiquant les projets de développement industriel
du plan de Constantine
Clic sur l'image pour
l'agrandir
|
L'expression " zone d'implantation
industrielle N° 3 " est un euphémisme poli
qui signifie absence de développement industriel. Le
Titteri n'est concerné par aucun projet même
si le gazoduc d'Arzeu le traverse sur quelques kilomètres.
L'oléoduc de Bougie déjà posé
et le gazoduc de Philippeville posé plus tard n'y passent
pas du tout, même s'ils ne passent pas loin.
Malgré sa position centrale et proche d'Alger le Titteri
est ignoré par l'industrie. Le cartographe a, autour
d'Alger, volontairement confondu limite de département
et limite de zone industrielle : soulignant ainsi l'exclusion
du Titteri. Le département de Médéa faisait
assurément partie, avec ceux de Saïda et de Batna,
du tiercé perdant industriel
de l'Algérie, malgré quelques plâtrières
et quelques minoteries près de Médéa.
|
|
|