Géographie
de l'Afrique du nord
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Il n’y a pas un Titteri mais trois avec, du nord au sud, les montagnes de l’Atlas tellien, les hautes plaines steppiques et les chaînons et bassins de l’Atlas saharien. |
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3/ L'Atlas saharien On sait que l'on arrive dans l'Atlas saharien lorsque,
de la route de Djelfa, on aperçoit sur la droite des collines d'un
blanc sale qui se démarquent nettement de la teinte ocre de la
steppe. Ces collines sont celles d'un " Rocher de sel " au sens
propre situé à 22 km au nord de Djelfa. Elles ne portent
aucune végétation. Il s'agit de l'émergence d'un
dôme de sel gemme traditionnellement qualifié de pli diapir,
bien que le moteur de son ascension ne soit pas un plissement mais le
phénomène plus rare de l'halocinèse. Le sel gemme
ayant une densité inférieure à celle des roches qui
le surmontent, il remonte comme le ferait une balle de ping-pong placée
au fond d'une baignoire pleine d'eau ; beaucoup moins vite bien évidemment.
Cette force d'halocinèse est suffisante pour que le sel perce sa
couverture de roches sédimentaires et affleure. Cet affleurement
n'est visible que si le climat est assez sec pour que le sel ne soit pas
dissous au fur et à mesure de sa remontée par les eaux de
pluie infiltrées. C'est le cas ici. La photo du rocher montre des
formes de détail assez chaotiques et de couleurs diverses à
cause des impuretés insolubles restées en place après
la dissolution du sel. Cette dernière explique aussi la présence
de " puits " sans eau analogues aux avens karstiques des régions
calcaires. L'arrivée dans l'Atlas saharien est confirmée, aussitôt après le passage face au rocher de sel, par les paysages de la vallée de l'oued Mellah (la rivière salée) qu'il faut remonter pour aller à Djelfa. Le lit de l'oued est profondément encaissé dans ses alluvions et les versants des collines sont très ravinés.
L'Atlas saharien du Titteri est formé pour l'essentiel par les monts des Ouled Nail prolongés à l'est par le début des monts du Zab. Au-delà des djebels Zemra et Fernane le département de Médéa empiète légèrement sur la dépression du Hodna ; au sud il possède sur la rive gauche de l'oued Djedi une petite partie du piémont saharien. Du rocher de sel à Laghouat il y a, par la route, environ 125km. Ce parcours transversal recoupe quatre rides plissées parallèles alignant leurs chaînons isolés, séparées par trois ensembles de vallées et bassins de remblaiement intermédiaires. L'orientation générale des djebels est SO-NE, avec quelques exceptions que la coupe schématique ci-dessous a volontairement ignorées. La coupe des Monts des Ouled Nail est, elle, orientée du NO au SE. Il s'agit de montagnes plissées régulièrement au début du tertiaire, à l'éocène, et peu remaniées par la suite, mais très érodées. La structure est simple, les altitudes sont modestes pour les sommets (même pas 1600 m) et élevées pour les bas-fonds : 1138 m à Djelfa et 970 m à Aïn Rich. Seules les régions, périphériques, de Bou Saâda et de l'oued Djedi ont moins de 600m d'altitude. Les contrastes de hauteurs sont donc plutôt modérés. Cependant, surtout vers le sud, l'aspect des crêtes est parfois spectaculaire avec des escarpements presque verticaux de calcaire ou de grès. Il s'agit de crêts encadrant des synclinaux perchés, parfois en " fond de bateau ", comme les djebels Milok ou Bou Kahil. C'est en bordure du Sahara que le relief est le plus dégagé avec ses crêtes pelées et dissymétriques traversées par des cluses.
Comme le climat est aride depuis longtemps, l'érosion fluviale est faible et n'a pu évacuer les matériaux arrachés aux versants. Les chaînons se sont partiellement enfouis sous leurs propres débris. Ainsi explique-t-on la largeur des surfaces de remblaiement qui ensevelissent jusqu'au cur des synclinaux perchés. Les climats sont secs partout, mais les températures varient beaucoup en fonction de l'altitude. A Djelfa (1138m) les hivers sont longs et froids : il fait 4° en moyenne en janvier. On est bien au-dessous de l'isotherme 7° qui limite le domaine où survit le palmier. Il n'y en n'a pas beaucoup dans l'Atlas saharien, sauf là où l'altitude descend au-dessous de 600m. A Bou Saâda il fait frais l'hiver, mais pas froid, et les températures de l'été proches de 28° permettent aux dattes d'être consommables sans être bonnes. C'est l'isotherme de 28° en juillet qui limite la zone de parfaite maturation des dattes, et donc la zone des grandes palmeraies. La culture du palmier-dattier est la limite conventionnelle du Sahara. Seule une toute petite partie de l'Atlas saharien est donc au Sahara. J'ai souligné cette limite sur mon croquis : seuls les jardins de Messaâd et de Bou Saâda méritent le nom de palmeraies et sont donc au Sahara. La pluviométrie est un peu plus élevée que sur les hautes plaines grâce à l'altitude. Elle est parfois suffisante pour que les djebels soient couverts de forêts de pins d'Alep. Cet arbre forme des futaies claires accompagnées de genévriers et de thuyas de Barbarie, avec un sous bois assez abondant. Il est sensible au feu mais se régénère assez facilement. Boumediene l'avait choisi en 1974 pour un projet chimérique qui a sombré depuis dans l'oubli. Il s'agissait de faire planter par des conscrits peu motivés et très incompétents les millions d'arbres qui auraient, sur 1500 km, constitué du Maroc à la Tunisie un " barrage vert " continu large de 5 à 20 km. Un journaliste du Monde, étourdi ou inculte avait publié le 4 novembre 1974 une carte de pure propagande où les arbres colonisaient, outre la moitié nord de l'Atlas saharien une partie des hautes plaines, dunes d'El Mesrane et rives salées des zahrez compris. Je ne résiste pas au plaisir de scanner le meilleur morceau de cette grandiose illusion. Pour les cultures de céréales, ce qui compte
c'est autant la répartition saisonnière que le total. La
pluviométrie moyenne n'a guère de valeur prédictive,
tant les quantités tombées peuvent varier d'une année
à l'autre : ainsi Djelfa (moyenne de l'ordre de 318 mm) a reçu
90 mm en 1913 et 775 mm en 1893. Ces diagrammes appellent les commentaires suivants. Les monts des Ouled Nail doivent leur nom à une confédération de tribus nomades ou semi-nomades d'origines diverses. Elles imaginent toutes descendre d'ancêtres arabes arrivés au XIè siècle. Et il est vrai que la région a reçu beaucoup d'envahisseurs, à commencer par les Beni Riah, précurseurs des Beni Hilal. Néanmoins les occupants antérieurs, qui étaient des berbères Zénètes déjà islamisés, n'ont pas été exterminés : ils se sont facilement assimilés aux nouveaux maîtres dont ils partageaient la foi et le genre de vie. En 1830, ou en 1852 date de l'installation de l'autorité française dans la région, les Ouled Nail étaient des éleveurs nomades certes, mais ne dédaignant pas d'ensemencer ce qui pouvait l'être dans les bassins et les vallées de leurs djebels. L'été ils menaient leurs troupeaux de dromadaires et de moutons sur les steppes, à la lisière des terres cultivées par les sédentaires. Et l'hiver ils " descendaient " jusqu'à l'oued Djedi. Ils " montaient " vers le nord en avril-mai, après l'agnelage, et " redescendaient " vers le sud pour la ghatna (récolte des dattes) en septembre-octobre. Le nombre des bêtes qui partaient estiver dépendaient des pluies de printemps : toutes ne s'en allaient que si le printemps avait été très sec. Aux troupeaux des Ouled Nail se joignaient, ou succédaient, le cheptel des Arbaa du sud de Laghouat, et celui des Saïd Atba du sud d'Ouargla. Les uns et les autres transitaient, non sans querelles, par le couloir de Zénina (aujourd'hui El Idrissia) ; les Arbaa accompagnaient les Ouled Nail vers les zones proches de Chabounia, Boghari et Aïn Boucif et les Saïd Atba piquaient plus à l'ouest jusque vers Tiaret. Ainsi par leurs déplacements à très longue distance, ces derniers paraissaient retrouver le chemin d'exil que leurs ancêtres de l'époque Rostémide avaient suivi de Tahert à Sedrata en 911. Les années terribles pour les troupeaux sont les années sèches et les années à hiver froid et prolongé. Les années de 1944 à 1947 ayant conjugué les deux fléaux, les troupeaux furent décimés à plus de 50%. Or la richesse, le prestige et le bonheur du nomade dépendent de la taille de son troupeau, même s'il se nourrit surtout de céréales et s'il cultive lui-même ou fait cultiver par des Khammès (métayers au cinquième) les terres djelf et maâder qui sont nombreuses, plus que sur les steppes, entre les djebels On n'y semait que si l'inondation n'avait pas été
trop tardive ; du blé de préférence, ou de l'orge
si le sol était trop salé pour le blé. Les années
exceptionnellement favorables pouvaient connaître des rendements
records de 30 ou 40qx/ha. Rares étaient les nomades possédant des palmiers dattiers. Mais tous se procuraient des dattes grâce à des échanges avec les sédentaires des oasis de Laghouat jusqu'à l'oued Rhir. Je mets à part les modestes oasis de Messaâd et surtout de Bou Saâda que j'étudierai dans l'un des chapitres consacrés aux monographies. C'est également avec Bou Saâda que j'évoquerai plus en détail le métier de galanterie que nombre de jeunes filles Ouled Nail pratiquaient dans tous les lieux de plaisir des dechras et ksour de la région. La France leur avait affecté un quartier réservé dès1850 dans la ville de Bou Saâda, et les avait soumises à un suivi médical par le médecin de la garnison.. L'annexion de ces territoires par la France a bien sûr
perturbé la vie de ces tribus, mais beaucoup moins que dans le
nord, car les Français n'y ont créé, ex nihilo, qu'un
seul centre de peuplement européen, celui de Djelfa. Le site, alors
désert, de Djelfa a été occupé par le général
Yusuf le 24 septembre 1852. Il y laissa
une petite garnison pour sécuriser le passage du col des caravanes
vers Laghouat et le Sahara. En 1861 seulement est créé un
village de colonisation, le seul de toute cette région, pour 55
feux sur 1775 ha. En 1852 ou 1853
Djelfa est choisi comme résidence du bachaga des Ouled Nail, Si
Chérif ben Lahrèche, ex khalifa d'Abd el-Kader rallié
à la France après la reddition de son émir en 1847. En 1962 Djelfa était un bourg administratif et commercial ayant réussi à l'emplacement d'un village de colonisation qui avait échoué. Il était devenu également un carrefour routier situé au terminus de la voie ferrée et une étape sur la RN 1, axe majeur des camions alimentant les chantiers de recherche du pétrole et du gaz naturel. Hors de Djelfa il n'y avait d'européens à demeure qu'à Bou Saâda, oasis ancienne occupée en 1849. Ailleurs ne se trouvaient que des instituteurs ou forestiers très isolés et pour de courts séjours. La modernité n'a vraiment pénétré
que sur deux axes, celui de Bou Saâda devenu après 1918,
grâce aux transports par automobile, un site touristique majeur
de l'Algérois ; et celui de la RN 1 par Djelfa. Tous les développements
qu'ont connus cet axe et surtout Djelfa, sont liés aux charrois
vers le grand sud. Il y eut le temps des diligences, des caravansérails
tous les 25/30km et des ateliers des maréchaux-ferrants à
Djelfa. Puis il y eut le temps des autobus relayant, à partir de
Djelfa, dans toutes les directions, les autobus de la société
des autocars blidéens venus d'Alger et les trains venus de Blida.
Djelfa est traversé dès 1934 par les autocars que la SATT
(Société Algérienne des Transports Tropicaux) met
en service en vers Tamanrasset et le Niger, avec étape à
Laghouat. En 1951 la SATT reprend l'exploitation des services routiers
réguliers mis en place après 1921 par les chemins de fer,
de Djelfa à Laghouat, Ghardaïa et Ouargla dans un but touristique.
Le terminus ferroviaire après 1921 et la noria des camions dans les années 1950/1962 ne doivent pas faire illusion : les monts des Ouled Nail et leurs tribus n'en n'ont guère profité. Ils ont été effleurés plus que concernés par l'essor du tourisme saharien avant 1939 ( à l'exception de Bou Saâda) et par l'exploitation des hydrocarbures dans l'après guerre. Le guide Michelin de 1956 ne consacre que quelques lignes au Rocher de sel, à Messaâd et à Bou Saâda. Djelfa n'est même pas cité et les Ouled Nail ne sont que des danseuses et des courtisanes orientales. Les autres noms de dechra ou de ksar sont, comme celui de Djelfa, absents. Djelfa était trop près d'Alger (319 km) et trop loin de la première palmeraie (112 km) pour devenir une étape obligée des touristes ou des routiers. Seuls dormaient dans son (je n'en n'ai connu qu'un seul) ou ses modestes hôtels, les chauffeurs attardés. Les autobus de la Satt qui allaient au Niger faisaient halte à Boghari pour le déjeuner et à Laghouat pour le dîner. Djelfa et sa région ont vu passer beaucoup de monde sans en tirer de grands profits. La géologie a favorisé le territoire voisin où l'on a découvert en 1956 l'un des plus gros gisements de gaz naturel du monde, celui d'Hassi R'Mel (le puits du sable) entre Laghouat et Ghardaïa. Les retombées locales de sa mise en exploitation en 1961 se limitent à quelques emplois sur les chantiers de la modernisation de la route de Laghouat à Aflou par Aïn el Hamara qui fut rendue nécessaire par la pose du gazoduc d'Hassi R'Mel à Arzeu qui traverse, à cet endroit, un petit bout du département de Médéa. Vers 1900 le Titteri pouvait paraître favorisée
par ses richesses vinicoles autour de Médéa et d'Aïn
Bessem : en 1962 il est l'un des plus pauvres de l'Algérie malgré
la présence de l'un des axes routiers majeurs de l'Algérie
vers le Sahara, ses oasis, son pétrole et son gaz.
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