PREMIERE PARTIE :
PRESENTATION GENERALE
HISTORIQUE
·
1°/ Avant Rome
Le
Titteri n’entre dans l’histoire qu’avec les écrits des historiens romains,
notamment Tite-Live et Tacite, et grâce aussi aux inscriptions latines
gravées dans la pierre et déchiffrées par les archéologues après 1830.
Nous savons peu de choses assurées et précises sur le Titteri avant 44,
date de l’annexion officielle, par l’Empereur Claude, du royaume de
Maurétanie.
Les Carthaginois
ne tenaient pas à annexer des territoires loin des côtes, difficiles à
protéger, défendre et administrer. C’eût été trop de soucis et de dépenses
pour ce peuple de navigateurs et de commerçants qui se contentait d’escales
rapprochées sur le littoral. Néanmoins ces refuges maritimes modestes,
avec leurs marchandises entreposées, auraient fourni aux tribus berbères
de l’arrière pays des buts de razzia faciles, si les Carthaginois, et
avant eux les Phéniciens, n’avaient noué aucun lien avec les populations
locales. Il est cependant impossible de définir la nature des liens avec
les tribus du Titteri ou de préciser la localisation des implantations
carthaginoises loin des côtes ; à une exception près : Auzia
(Aumale) qui était une agglomération allogène bien avant la chute
de Carthage en 146 avant J-C. Mais « le passé punique de l’Algérie
est enfoui sous les ruines de son passé romain ».
Pour les
Romains la Maurétanie fut d’abord un royaume protégé. La Maurétanie, Titteri
compris, est alors le pays des Maures. Mais ce terme est très ambigu :
sous Auguste il est synonyme de Berbère, plus tard il servit à désigner
les nomades turbulents des steppes au delà du limes, après la reconquista
il désigna les musulmans chassés d’Espagne et réfugiés en Algérie. Maintenant
il concerne des populations musulmanes des confins du Mali, du Sénégal
et de Mauritanie. Ce royaume correspondait à l’Algérie centrale englobant
les montagnes de l’Atlas tellien, mais pas les hautes plaines steppiques
plus au sud. Sa capitale était Iol, la future Caesarea
(Cherchell)
A vrai
dire Rome n’attendit pas 44 pour intervenir directement dans ce royaume,
implantant des colonies dès le règne d’Auguste. C’est un légat romain,
Publius Cornelius Dolabella qui vint mettre un terme à la révolte de Tacfarinas.
Ce dernier avait enlevé au roi Juba II Icosium (Alger) Ténès et même Caesarea :
Rome ne pouvait pas ne pas venir sauver son protégé. La bataille décisive
eut lieu dans le Titteri, entre Auzia et la future Bouira. Tacfarinas
se serait suicidé sur le champ de bataille. Sa révolte avait duré 7 ans
de 17 à 24. Juba II était mort depuis un an. Il serait inhumé à Stephane
Gsell (Hakimia). C’est son fils Ptolémée qui lui succéda et qui fut dépossédé
par les Romains.
·
2°/ Le Titteri romain 44-429
Il fit
partie de la province de Maurétanie Césarienne
qui garda sa capitale Caesarea.
On peut choisir deux dates pour la création de
cette province : 40 ou 44.
40 c’est l’annexion de facto quand Caligula élimina
Ptolémée en le faisant assassiner à Lugdunum,
44 c’est la date officielle de l’annexion par Claude.
Son
Statut
Cette
nouvelle province n’étant ni riche, ni stable, ni assez romanisée, ne
pouvait être sénatoriale comme la Narbonnaise : elle fut donc impériale
comme l’Aquitaine ou la Lyonnaise. Ceci signifie qu’elle fut administrée
par deux procurateurs (et non par
un légat).Un procurateur s’occupait de l’administration et de la sécurité,
et l’autre, subordonné au précédent, était responsable des finances, donc
des impôts. Un procurateur est alors un haut fonctionnaire obligatoirement
issu de l’ordre équestre, mais qui n’avait pas le droit de commander des
légionnaires romains.
Il n’a à
sa disposition que des soldats auxiliaires (en l’occurrence gaulois ou
pannoniens et ensuite de plus en plus souvent indigènes, donc berbères).
Ces soldats étaient astreints à 25 ans de service (au lieu de 20) et pouvaient
ensuite, s’ils le désiraient, bénéficier d’un lot de terrain à cultiver
dans un village de vétérans situé près d’une frontière menacée ou sur
une route stratégique ; par exemple dans le Titteri à Rapidum
(Masqueray). Ils participaient ainsi à la protection du limes qui,
ici, était proche des steppes habitées par des tribus nomades.
Toutes ces
troupes appartenaient à la troisième légion, la Tertia Augusta, dont
l’Etat-Major se trouvait en Numidie, à Lambèse.
Ses Limites
et sa défense
L’empereur
Claude se contenta d’occuper le littoral et de maintenir la colonie et
la garnison d’Auzia, et sans doute aussi le Castellum Auziense (Aïn-Bessem)
qui secondait le camp d’Auzia. Très vite les Romains aménagèrent la route
principale de l’axe ouest-est, une sorte de rocade, qui reliait toutes
les provinces d’Afrique, de la Tingitane (Maroc) à la Numidie (Constantinois)
et à la Proconsulaire (Tunisie) ; et au-delà à l’Egypte. Cette voie
montait de la vallée du Chéliff vers Ad Medias (Médéa) et passait par
Tirinadi (Berrouaghia) Rapidum (Masqueray) et Auzia. Après Auzia trois
routes conduisaient vers la côte à Saldae (Bougie), Sitifis (Sétif) et
Vescera (Biskra). Ce fut l’axe le plus commode pour le déplacement des
troupes loin du littoral et près du limes. Ad Medias (Médéa) n’était encore
qu’un gîte d’étape, Tirinadi était dominé par un grand camp, celui de
Thanaramusa castra, Rapidum hébergeait une cohorte. La garnison principale
demeurait à Auzia. En cas de menace exceptionnelle, des soldats romains
pouvaient venir rapidement de Lambèse ; mais alors leur commandement
échappait au procurateur
Jusqu’au
IIIè siècle la mission essentielle des légionnaires fut de
préserver la sécurité des routes et surtout de verrouiller le limes qui
protégeait les zones cultivées par des colons romains ou indigènes contre
les incursions des nomades des steppes, appelés Gétules, puis Maures,
puis Zénètes. Dans le Titteri ce limes est un avatar simplifié du
Fossatum africae aménagé au sud de l’Aurès. Ici pas de fossé
continu, pas de remblai de terre ou de muret de pierres, mais des fortins
abritant des numeri exploratores,
unités de reconnaissance surveillant les mouvements des nomades. On sait
localiser à coup sûr deux de ces fortins : celui de Boghar qui surveillait
la percée du Chéliff, et celui de la cluse de Saneg plus à l’est(voir
carte).
Son
extension vers le sud
Les Romains
n’ont pas installé de colonies de vétérans au sud du limes, mais ils ont
établi des postes militaires en bordure de l’Atlas saharien afin de mieux
surveiller les nomades ainsi encadrés par deux lignes de fortins, une
au nord et une autre au sud des steppes. En 198 ils ont même poussé une
pointe jusqu’à l’orée du désert avec Aïn Rich et Messaâd. Le fort de Messaâd
est le Castellum Dimidi créé par Septime
Sévère (empereur africain, 193-211)). C’est d’ailleurs sous les Sévère,
avec Septime et Caracalla (211-217) que le Titteri romain fut le plus
étendu.
Castellum
Dimidi devait être difficile à tenir. On y envoya finalement des soldats
syriens spécialistes du tir à l’arc : les archers palmyréniens.
Ce poste
et celui d’Aïn Rich ne tinrent que 40 ans. Gordien Ier (226-244)
décida l’évacuation, soit par incapacité de maintenir des liaisons sûres
avec des garnisons aventurées aussi loin, soit par changement de stratégie
en privilégiant la protection du Titteri utile, celui de l’Atlas tellien.
Le Sahara est à deux pas : 20 km environ. Il suffit
de suivre les méandres, à sec le plus souvent, de l’oued Messaâd.
Le chaînon du djebel Sba el Hadid est le dernier chaînon de
l’Atlas saharien vers le sud..
L'oued Messaâd se jette dans l'oued Djedi qui est tributaire
du chott Melrhir
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Le fortin de l'oued Saneg surveillait la cluse de
l'oued conduisant au bassin d'El Fahis.
Cette cluse coupe le long crêt qui, sous des noms divers, domine
les hautes plaines steppiques.
Elle est située à 13 km de la vallée du Chéliff
à l'ouest; et à 20 km d'Aïn Boucif, plus à
l'est.
La colonie romaine d'Uzinasis y fut créée en 205. |
La christianisation
Elle est
tardive, mais au IIIè siècle elle est attestée par la présence
d’évêques de Maurétanie césarienne à divers conciles, notamment celui
de Carthage en 256. Auparavant l’Afrique avait connu ses premiers martyrs,
en 180, mais hors du Titteri. Vers 250 la nouvelle religion est bien implantée
chez les Berbères des milieux populaires. Elle a ses églises et son clergé.
Mais elle a aussi à souffrir, ici comme partout dans l’Empire, des contradictions
de la politique impériale :
persécutions sous Dioclétien, de 303 à 305 ;
liberté sous Constantin à partir de 313 (édit de Milan) ;
interdiction par Julien l’Apostat en 361 ;
obligation avec Théodose Ier à partir de 380.
Ces incohérences entraînèrent l’apparition
de mouvements schismatiques : en Maurétanie et dans le Titteri, ce
fut le Donatisme créé par Donat, un
diacre de Carthage ulcéré par la réhabilitation accordée aux évêques qui
avaient failli lors des persécutions de Dioclétien. En effet certains
d’entre eux, pour sauver leur vie ou leur confort, avaient accepté de
détruire des objets du culte et des livres sacrés. L’Eglise, vu les circonstances
difficiles de la période 303-305, leur avait pardonné.
En
313 Rome condamna l’attitude donatiste. Le concile d’Arles confirma cette
condamnation en 314. En 317 Constantin ordonna leur exclusion des églises
et la confiscation de leurs biens. Sûrs d’avoir raison, les donatistes
ne se soumirent pas et se joignirent aux circoncellions qui troublaient
gravement les campagnes.
Les
troubles des IIIè et IVè siècle
Avec l’affaiblissement
du pouvoir impérial durant la période dite de l’anarchie militaire à partir
de 225, les paysans des confins furent de plus en plus souvent victimes
des incursion des nomades. L’économie fut désorganisée et un processus
d’insoumission vis-à-vis d’une autorité défaillante apparut chez certains
Berbères du Titteri. Une première révolte survint en 253 qui ne fut vraiment
jugulée que 20 ans plus tard.
A partir
de 340 les donatistes ajoutèrent leurs pillages à ceux des circoncellions
en s’en prenant aux propriétaires qu’ils contraignaient à libérer leurs
esclaves (lesquels se retrouvaient alors sans maître et sans ressources)
et à annuler les dettes de leurs débiteurs. Les circoncellions
(ceux qui tournent autour des granges) sont des Berbères ouvriers
agricoles sans emploi qui attaquent les fermes et les villages parfois :
ils pillent les réserves, incendient les bâtiments et parfois tuent le
fermier. L’insécurité s’étend en même temps que la misère. Les premières
victimes furent les riches Berbères romanisés.
Cette
convergence des donatistes et des circoncellions aboutit à une situation
que l’on peut qualifier de Jacquerie et de Schisme (mais pas d’hérésie).
Certains Kabyles croient y déceler comme un début de revendication indépendantiste ;
mais j’estime que c’est pousser leur bouchon de liège un peu loin.
Quoi
qu’il en soit, en 372, les uns et les autres vinrent prêter main forte
à la révolte de Firmus.
La
révolte de Firmus 372-375
Firmus
est un général maure et chrétien donatiste qui, au cours d’une rixe, avait
tué l’un des participants. Le représentant de l’empereur l’accusa de meurtre
et le menaça de poursuites judiciaires. Firmus appela les Berbères de
Maurétanie césarienne à se soulever : ce qu’ils firent. Les rebelles
prirent Ténès, Icosium et même Caesarea, et tinrent solidement les montagnes
du Titteri.
Firmus
s’installa à Auzia, pour y attendre les troupes que Rome finirait par
envoyer. Celles-ci débarquèrent à Igilgili (Djidjelli) et remontèrent
la vallée de la Soummam. Elles étaient commandées par Théodose l’Ancien
(père du futur Empereur) qui s’établit au Castellum Auziense (Aïn Bessem),
un peu au nord d’Auzia. Firmus ne fut pas vaincu sur un champ de bataille,
mais livré aux Romains par un de ses alliés berbères. Firmus se donna
la mort en prison.
Cette
victoire romaine ne mit pas fin aux désordres ; en 397 un frère de
Firmus se rebella à son tour contre Honorius, après le partage de l’empire
en 395 entre Rome et Byzance. Bientôt les Vandales allaient mettre
fin à ce qui restait de pouvoir romain.
Croquis du Titteri romain vers l’an 200
Cliquer sur l'image pour une
meilleure lecture (126 ko)
L’Atlas tellien
avec le tracé de la rocade est en orange. Les noms des établissements
romains sont ceux de l’époque romaine.
Le tracé du limes est en vert.
Les garnisons romaines de la steppe et de l’Atlas
saharien sont localisées par des croix . Leurs noms sont ceux
de l’époque française.
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· 3°/
Le Titteri sous les Vandales : 429-533
Dans
cette région les Vandales ne firent que passer, en 429 ou en 430. Ce peuple
germanique avait traversé le Rhin en 406, pillé la Gaule en 407 et franchi
les Pyrénées en 408. Par contre il fit une longue halte de vingt ans (409-429)
dans le sud de l’Espagne, dans cette province, l’Andalousie, qui porte
aujourd’hui son nom en français et en arabe (Al Andalus).
Les Vandales
(50 000 à 80 000 personnes) franchirent le détroit de Gibraltar en 429
sous la conduite de leur chef Genséric
(428-477) pour trois raisons qui se complètent. En Espagne ils étaient
soumis à la pression des Wisigoths et ils connaissaient la réputation
de richesse de l’Afrique romaine orientale. L’occasion du départ leur
fut fournie par un appel à l’aide d’un gouverneur romain de Maurétanie
(Boniface) révolté contre l’autorité en place à Rome (Placidie). Ils traversèrent
le détroit sur des navires romains car ils avaient reçu le statut de « fédérés ».
Une
fois débarqués près de Tanger, ils se mirent aussitôt en marche vers l’est.
Après avoir rasé les murailles de Caesarea ils traversèrent à coup sûr
le Titteri par la voie romaine de Tirinadi à Auzia.
En
mai 430 ils sont à Hippone (Bône), et en 439 ils prennent Carthage. Entre
temps ils avaient obtenu de Rome, en 435, la confirmation du statut de
peuple fédéré avec possession de la Maurétanie césarienne, et donc du
Titteri qui en fait partie. Mais cette province peu développée n’intéressa
guère Genséric qui multiplia les expéditions de pillage maritime, en Corse,
en Sardaigne, et même à Rome saccagée en 455 ! Il semble néanmoins
qu’Auzia posséda une garnison vandale permanente.
Malgré
les mérites de mon maître Christian Courtois qui soutînt en 1955 sa thèse
de doctorat sur « Les Vandales et l’Afrique » (hommage soit
rendu à ce professeur de l’Université d’Alger, sans conteste le plus brillant
du département d’Histoire), je n’ai point de certitudes sur le sort du
Titteri sous les Vandales. Le plus probable est que Genséric ait confié
ce territoire à des chefs de tribus berbères qui bénéficiaient d’une indépendance
de fait, à l’exception de la place stratégique d’Auzia.
C’est
ainsi que l’éloignement par rapport à Carthage a sans doute évité aux
catholiques d’être persécutés par les Vandales adeptes de l’hérésie arienne.
En effet là où ils étaient présents, les Vandales fermèrent ou livrèrent
les églises au culte arien et déportèrent les évêques dans le Hodna.
Les successeurs
de Genséric s’avérèrent incapables de maintenir l’héritage de Genséric :
les révoltes berbères se multiplièrent et affaiblirent leur pouvoir qui
fut aisément balayé par la reconquête byzantine.
Il est
possible, mais pas sûr, qu’à partir de 496 ou de 508 le Titteri ait été
partiellement intégré au royaume de Masuna
qui s’était proclamé « Roi des Maures et des Romains » en Maurétanie
césarienne.
· 4°/
Le Titteri sous les Byzantins : 533-647
Durant
ce siècle le Titteri est une province oubliée par l’histoire. Elle était
en marge du royaume vandale ; elle est ignorée par la reconquête
byzantine qui ne concerna que l’actuelle Tunisie (alors appelée Africa)
et la Numidie. La reconquête fut facile ; les Berbères auraient probablement
chassé eux-mêmes les Vandales sans l’aide des généraux de l’empereur Justinien :
Bélisaire, puis Solomon. Au-delà de Sétif, les Byzantins n’occupèrent
vers l’ouest que quelques points sur la côte, notamment Caesarea, mais
pas du tout l’arrière-pays.
Comme
le Titteri sort de l’histoire écrite (notamment par Procope), on ne peut
que supposer qu’il a échappé aux troubles des provinces tenues par les
Byzantins : persécutions des Ariens, exactions fiscales, mutineries
de soldats et insurrections des tribus. Il n’a pas non plus été agité
par les nouvelles querelles théologiques sur la double nature humaine
et divine du Christ (crise du monophysisme). Il n’a, par contre, sûrement
pas été épargné par les incursions des nomades désormais appelés Zénètes
et montés sur des dromadaires qui effrayaient les chevaux byzantins.
Le résultat
dut être une sorte d’anarchie politique et d’appauvrissement économique.
Les Byzantins se heurtèrent aux mêmes tribus que naguère les Carthaginois,
puis les Romains. En dehors des villes (il n’y en avait plus dans le Titteri)
le pouvoir s’est comme éparpillé et a repris ses formes tribales ancestrales.
On peut
noter avec étonnement, ici comme ailleurs dans cette Afrique restée romaine
pendant plusieurs siècles, que lorsque Byzance eut cédé la place aux envahisseurs
arabes, il ne resta rien de l’occupation vandale, et seulement des ruines
de la période romaine. La langue latine n’a laissé aucune trace en Algérie,
alors qu’elle a donné naissance au français, à l’espagnol et au portugais.
Le christianisme n’avait pas disparu en 647 mais il avait sérieusement
commencé à reculer, en partie peut-être à cause des persécutions croisées
entre Donatistes, Ariens et Catholiques. A l’époque les Byzantins qui
parlent grec sont encore catholiques : la séparation catholiques-orthodoxes
étant de 1054.
Finalement
dans toute l’Afrique romaine « l’extérieur avait été romain, mais
le fond était resté berbère ». Rome a laissé des pans
de murs, des bouts de routes et de rues, quelques monuments, quelques
statues, quelques inscriptions en latin qu’en 647 plus personne ne comprenait :
mais ni sa langue, ni sa religion, ni ses institutions. Le Berbère s’était
révélé parfaitement inassimilable. Les Vandales et les Byzantins n’ont
été que des passants, et pas vraiment bien accueillis. Il est resté des
chrétiens en Irak et au Liban, au cœur du monde mausulman, jusqu’à nos
jours : mais pas au Maghreb. Etonnant.
· 5°/
Le Titteri médieval de 647-911
Nous
ne traiterons dans ce paragraphe que les trois premiers siècles
d'une longue période médiévale de 900 ans durant
laquelle le Titteri a connu les mêmes évolutions que les autres régions
de l’Afrique du Nord : islamisation au VIIè siècle et
arabisation à partir du XIè siècle. Le Titteri est devenu
une partie du Maghreb central ;
et une partie modeste et quasi « marginale » malgré son emplacement
central car ce sont les villes de l’ouest marocain ou de l’est tunisien
(l’Ifrikiya des Arabes) qui se sont disputé la souveraineté sur les tribus
nord-africaines.
Une exception
brillante néanmoins dans cette histoire bien terne, les 35 ans du règne
de Ziri ibn Menad
pendant lesquels le Titteri montagneux de l’Atlas tellien fut indépendant
de fait et interventionniste jusqu’en Ifrikiya. Je précise « Atlas
tellien » car les trois régions naturelles du Titteri (Atlas tellien,
Steppes, Atlas saharien) n’ont pas vécu exactement la même histoire, ou
pas au même rythme ou aux mêmes dates.
Les populations
sont quasi exclusivement berbères car les Romains, les Vandales et les
rares Grecs qui avaient vécu ici, étaient partis ou avaient été assimilés
par des mariages mixtes. Mais il est tout à fait nécessaire de distinguer
deux grands groupes de tribus berbères : les Sanhadja et les Zénètes.
Les Sanhadja
sont au nord, dans l’Atlas tellien,
sont
sédentaires et agriculteurs,
reconnaissent
les califes abbassides, puis fatimides,
adoptent
l’Islam sunnite, puis chiite, puis sunnite à nouveau.
Les Zénètes vivent plus au sud, sur
les terres de parcours steppiques,
sont
semi nomades et d’abord éleveurs de moutons,
reconnaissent
les califes omeyyades,
adoptent
l’hérésie kharedjite dans un premier temps.
Ces deux groupes sont en contact tout au long d’une
ligne suivant approximativement l’emplacement de l’ancien limes romain.
Et leurs rapports furent le plus souvent difficiles, voire conflictuels.
Le
Titteri est islamisé à partir des années 680
Les premiers
conquérants arabes, ceux qui ont commencé à éliminer les Byzantins à Sbeitla
en 647, sont retournés en Egypte au bout de 14 mois sans même s’être approchés
du Titteri. Ce dernier a dû être traversé par les soldats participants
aux deux expéditions d’Okba ben Nafi en 669 et en 681. Les cavaliers d’Okba
ont sûrement choisi les chemins les plus commodes ; celui des steppes
et celui des larges couloirs des monts Ouled Naïl de l’Atlas saharien.
Les Zénètes ont sans doute été mis en contact avec la nouvelle religion
avant les Sanhadja. On considère néanmoins que le processus d’islamisation
était à peu près achevé dans tout le Maghreb central en 711 lorsque des
Berbères ont suivi Tarik pour partir à la conquête de l’Espagne, puis
de la France. Les Byzantins avaient perdu Carthage en 693.
Okba n’avait
aucun projet de colonisation ; il menait un djihad et proposait la
conversion aux vaincus païens, juifs ou chrétiens. Les conversions ont,
pense-t-on, été aidées par le fait que les Berbères christianisés ou judaïsés
étaient préparés à l’acceptation d’un nouveau monothéisme. Certains chrétiens
ont pu croire que l’islam était une nouvelle hérésie chrétienne et qu’il
n’y avait pas lieu de contrarier les nouveaux maîtres. Accessoirement
la conversion permettait d’échapper à deux impôts spéciaux, une capitation
et un impôt territorial. Elle permettait aussi aux plus belliqueux et
aux plus aventureux de devenir soldats de l’Islam et de participer aux
conquêtes et aux pillages en cours en Europe. Elle les mettait également
à l’abri de la mise en esclavage.
J’ignore
si des communautés chrétiennes ont persisté dans le Titteri aussi longtemps
qu’en Ifrikiya. J’ignore aussi si le Titteri a reçu quelques unes des
familles juives du Yémen ayant suivi les armées arabes. Quoi qu’il en
soit, en 1830, il n’y avait plus aucun chrétien dans la région, mais il
y avait une forte communauté juive à Médéa et une autre, arabophone, à
Bou- Saâda.
Le
Titteri dans le royaume kharédjite des Rostémides de Tahert : 761-911
Ce paragraphe
ne concerne que les Berbères Zénètes des steppes. Ils sont les seuls à
voir leur territoire intégré au royaume (ou à l’Imamat ?) créé par
Abderrahman ben Rostem. Ce personnage avait été un haut fonctionnaire
persan travaillant à Kairouan pour le souverain Aghlabide d’Ifrikiya.
Mais il avait déplu et avait été destitué. Il trouva refuge chez les
Zénètes, en même temps que son entourage persan. Les Zénètes avaient choisi
l’hérésie kharédjite. Rostem fut séduit par cette hérésie qui permettait
à n’importe quel bon musulman d’être choisi comme calife, alors que les
Sunnites (la majorité) réservaient le califat à un arabe de la tribu du
prophète, celle des Koraïchites. Rostem fut aussi attiré par les aspects
très rigoristes et très égalitaires de cette doctrine. Les Kharédjites
se sont avérés être à la fois des musulmans puritains et des négociants
redoutables.
Malgré
ce choix pas orthodoxe (kharédjite signifie « qui est sortant», sous-entendu ;
de l’orthodoxie) les Kharédjites ont montré un attachement aux califes
Omeyyades, refusant toute légitimité aux Abbassides et aux Fatimides :
ce qui les distinguait, une fois encore, de leurs voisins Sanhadja.
Rostem établit sa capitale à Tahert
(aujourd’hui Tagdempt près de Tiaret) et étendit son royaume à travers
les steppes, du chott ech Chergui au chott el Hodna (voir croquis). Le
Titerri steppique était au centre de cet état qui côtoyait les sédentaires
Sanhadja des monts du Tell. Il y eut durant deux siècles de perpétuels
conflits de voisinage, pour des raisons économiques d’abord, mais aussi
politiques.
C’est dans la tribu sanhadja des Kotama
de Kabylie (plutôt celles des Babors que celle du Djurdjura) que les Rostémides
eurent leurs plus redoutables opposants. Cette tribu, à la suite d’un
pèlerinage à la Mecque de quelques chefs, fut instruite par des missionnaires
chiites ayant accompagné les pèlerins de retour d’Arabie. Il furent sûrement
éloquents et persuasifs car les Kotama devinrent des soutiens fanatiques
du Chiisme. Ce sont eux qui, entre 908 et 911, attaquèrent et pillèrent
la ville de Tahert, mettant ainsi fin au pouvoir des Rostémides. Un grand
nombre de citadins purent cependant fuir. Sous la conduite d’un imam ils
partirent vers le sud et s’établirent près d’Ouargla, où ils fondèrent
la ville de Sédrata. Plus tard leurs descendants s’installèrent dans
le région de Ghardaïa : on les appelle aujourd’hui Mozabites.
Les hachures rouges délimitent l’extension maxima du royaume
rostémide
Les noms des villes situées
hors du royaume rostémide ne sont là que pour servir de points
de repère
Leur présence ne signifie pas que
ces villes existaient déjà à cette époque.
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