II.-LES MONUMENTS ET
LEUR VISITE (3)
---------Cur
de la cité antique, occupant une position centrale et élevée
de la ville primitive, le forum montre son dallage parfait, long de 50
mètres, parmi les armoises, les lentisques, les oliviers sauvages
et la végétation qui, sans cesse, voudrait en reprendre
possession.
---------En
dehors de ce dallage intact, où l'on voit encore la trace des anneaux
servant à dresser les tentes des marchands et les caniveaux d'écoulement
des eaux de pluie, le reste a cruellement souffert du temps et plus encore
des hommes : presque tout ce qui était utilisable a disparu. Du
portique qui l'entourait sur trois côtés, il ne reste qu'un
fragile témoignage. Des colonnes qui dominaient l'aire à
ciel ouvert et portaient les toitures des galeries, il ne reste rien ;
rien non plus des bases des statues aux empereurs ou aux personnalités
de la ville. Et il faut faire preuve d'une grande imagination pour se
représenter, sous le portique de l'Est, la Curie, grande salle
ornée de marbre où siégeait l'Ordre des Décurions,
conseil municipal de la cité, et, un peu plus au nord, la tribune
d'où les orateurs et les hérauts haranguaient le peuple.
---------Du Capitole,
qui servait de fond au petit côté du forum en dominant ville
et mer de sa masse imposante, il reste seulement les assises monumentales
de l'escalier et le sou-bassement des trois chapelles accolées.
Les lentisques géants ont heureusement remplacé certaines
masses architecturales disparues, et la Méditerranée offre
entre les pins des échappées admirables sur les criques
rocheuses et sur la baie du Chenoua (photo 16, page 34).
---------A l'opposé,
le squelette d'un escalier double, sur lequel se dresse un olivier tordu,
sert de premier plan au petit port moderne, successeur du port antique
vers lequel il permettait de descendre. Un peu à gauche, au fond,
la nécropole de Sainte-Salsa montre ses ruines couleur de pain
grillé parmi les asphodèles, tandis qu'au dernier plan,
le "" Tombeau de la Chrétienne " boursoufle l'horizon.
---------Revenant
vers l'Ouest, on franchira la voûte restaurée d'un crypto-portique,
et l'on arrivera à l'escalier permettant d'accéder obliquement
à la basilique judiciaire.
LA BASILIQUE JUDICIAIRE
---------C 'est
un édifice à trois nefs, long d'une quarantaine de mètres.
Au fond, s'ouvre, entre deux pilastres, une abside à laquelle on
accédait par trois marches et qu'une grille isolait de la nef principale.
Deux salles latérales flanquaient l'abside : chacune d'elles contenait
une statue dont la trace du socle est encore visible sur le sol.
---------Annexe
couverte du forum les jours où les intempéries invitaient
à s'y abriter, la basilique civile jouait à la fois le rôle
de " Chambre de commerce ", de " Bourse " où
se discutaient les affaires, et de Tribunal. Dans ce cas, les magistrats
prenaient place dans l'abside, et la superbe mosaïque gui couvrait
le sol devait contribuer puissamment à rehausser le prestige du
représentant de l'autorité impériale (1).
---------(1)
Cette mosaïque sera transportée au musée de Tipasa,
en cours de réalisation.
---------Au
centre d'un bel ensemble décoratif dont il éclipse tous
les détails par son puissant réalisme, un tableau carré
représente trois captifs accroupis, les mains liées : un
homme découragé ayant déposé son bouclier,
une femme prostrée et un enfant au visage affligé. Douze
petits cadres disposés autour du motif principal enferment des
têtes d'hommes et de femmes, types de ces autochtones et de ces
Maures qui, vaincus ou ralliés, donnèrent tant de soucis
à l'Ordre romain (photo page 12).
---------La
basilique civile fut utilisée comme basilique chrétienne
: un chapiteau orné du monogramme du Christ, d'une part ; les empreintes
creusées dans le béton de 1a nef centrale, devant l'abside,
pour y fixer les pieds de la table en bois constituant l'autel, d'autre
part, en sont les preuves incontestables.
---------Cette
réutilisation d'une basilique civile est un fait très rare.
Et, cependant, les chrétiens adoptèrent presque immédiatement
pour leur culte le type, la forme et le nom de ces bâtiments classiques
dont la construction ne posait aucun problème nouveau aux maçons
comme aux charpentiers : il convenait admirablement aux besoins subits
d'une collectivité sortant brusquement de la clandestinité
pour affirmer sa foi au grand jour, en présence de son chef, l'Evêque,
auquel l'abside surélevée fournissait la place correspondant
à son rang spirituel par rapport aux fidèles placés
dans les nefs.
DE LA BASILIQUE JUDICIAIRE A LA COLLINE DE L'OUEST
---------Nous sortirons
de la basilique à gauche de l'abside, et nous nous dirigerons vers
la mer en laissant à droite les énormes assises des trois
cellae du Capitole (sentier vert). Nous ne pourrons, au cours d'une visite
rapide, voir tout un ensemble de constructions qui s'étageaient
en dominant la baie du Chénoua et notamment, à une centaine
de mètres à droite, les ruines d'une maison contenant les
restes d'une chapelle chrétienne (photo 19) dont l'abside
est bien conservée. La majeure partie de la colline n'a pas été
fouillée : on y voit surtout les vestiges de quelques vastes citernes
ou de murs, encore anonymes.
---------Le
sentier longe le bord de la mer puis traverse une rue et une demeure dont
la fouille s'achève : on y remarquera les chambres ouvertes sur
un portique entourant la cour dans laquelle s'ouvrent deux citernes béantes
; on retrouvera plus difficilement l'emplacement des salles ou terrasses
qui dominaient la mer et que les tempêtes ont rongées
petit à petit.
---------Un
peu plus loin, on verra l'aboutissement de deux égouts taillés
dans le rocher et l'on arrivera, à travers les armoises, à
un petit ensemble de fouilles déjà anciennes ayant incomplètement
mis au jour un établissement industriel et des petits thermes.
ETABLISSEMENT INDUSTRIEL
---------Quatre
cuves profondes, carrées avec des angles arrondis, construites
en maçonnerie et alignées au pied d'un bassin rectangulaire
que dominait un château d'eau, aujourd'hui à moitié
basculé sur la partie des thermes qui lui servait de support ;
une aire bétonnée où se voient les bases des charpentes
de hangars (dont un abritait les cuves) ; tel est l'aspect d'un petit
établissement industriel. Il contenait un certain nombre de grandes
jarres intactes, dont plusieurs ornent aujourd'hui le musée-jardin
; quantité de débris de poterie gisaient autour.
---------On
a pensé à un atelier de céramique, mais il n'y a
pas de fours. On a songé à une tannerie avec son aire d'écharnage
ou de séchage des peaux et ses cuves à tanner ; mais pourquoi
tant de restes d'amphores ? D'autres ont cru voir une teinturerie et l'établissement
d'un foulon. Il semble que l'on puisse penser aussi à une salerie
de poisson et à une fabrique de garum, cette sauce à la
saveur violente, composée de foies et de déchets de poissons,
dont Rome était si friande. A l'appui de cette dernière
hypothèse, on fait valoir l'emplacement : au bord d'une crique
protégée où les bateaux de pêcheurs peuvent
atterrir sans difficultés, à côté
des thermes et de son réseau d'adduction d'eau courante, enfin
au-dessus d'un vaste égout.
---------On
peut d'ailleurs espérer que l'élargissement des fouilles
d'autrefois permettra de définir plus exactement les productions
de cet établissement industriel.
PETITS THERMES
---------Juste
au Nord se dressent les restes de petits thermes, partiellement fouillés
et bien détériorés. Situés sur le trajet de
l'égout venant du decumanus et allant, peu après, se jeter
dans la mer, ces thermes possédaient de vastes bassins permettant
d'accumuler l'eau nécessaire à leur alimentation.
---------Ils
comportent, malgré leurs dimensions restreintes, toutes les normes
de thermes classiques : piscines et chambres chauffées, tièdes
ou froides, se distinguent sans trop de difficultés à travers
les buissons et les débris qui les encombrent, laissant apercevoir,
de-ci de-là, quelques restes de mosaïque commune et grossière.
---------L'achèvement
des fouilles de ces thermes et leur présentation seront entrepris
dès que le programme des travaux en cours le permettra.
THERMES PRIVES
---------En
continuant vers l'Ouest, on passe sous des oliviers sauvages couchés
par les vents du large et on longe une crique charmante qui servit malheureusement
- sous les Barbaresques - à embarquer les pierres prélevées
sur les ruines pour les constructions de la région d'Alger. L'étroit
sentier bordé de lentisques, débouche sur un rivage rocheux
et permet de voir des petits thermes privés.
---------Sans
doute sont-ils de construction tardive et assez médiocre. Mais
ils offraient dans un espace réduit, au riche propriétaire
de la maison voisine, tous les bienfaits des thermes romains les plus
vastes. On remarquera la salle de chauffe avec son entrée séparée,
les fourneaux à charbon de bois placés sous les baignoires
chaudes (l'une quadrangulaire, précédée de trois
marches, et l'autre semi-circulaire), les salles de sudation dont le sol
était supporté par des piles de briques entre lesquelles
circulaient les flammes et les gaz chauds avant de s'élever dans
la double cloison de poterie des murs, afin de porter le caldarium à
la température voulue. Enfin, à quelques mètres,
le frigidarium montre sa piscine froide et sa salle rectangulaire pourvue
d'une banquette où l'on pouvait s'asseoir. Une baignoire tiède
ou chaude, en quart de cercle, utilisait un recoin disponible, tandis
que les latrines étaient situées un peu plus loin.
COLLINE DE L'OUEST : GRANDE BASILIQUE
CHRETIENNE
---------Deux
sentiers s'offrent ici au visiteur pour escalader la colline de l'Ouest.
L'un (marques vertes) suit de très près le littoral abrupt
: il permet de voir les restes de pans de murs antiques, sapés
par les grandes tempêtes, et d'admirer l'étonnante transparence
de la mer où les fragments architecturaux servent de support aux
algues et aux oursins.
---------L'autre
(rouge) gravit d'abord l'escalier par lequel on accédait aux thermes
privés et décrit quelques lacets parmi les armoises (photo
20, p. 41).
---------Tous
deux débouchent sur une vaste plateforme limitée sur deux
côtés par les falaises abruptes et par la muraille d'enceinte
de la ville. Cette plateforme est presque entièrement occupée
par la cathédrale de Tipasa, le plus vaste édifice chrétien
de l'Algérie antique (52 mètres sur 42), et par ses différentes
dépendances.
---------Construite
sans doute au IVe siècle, avec des éléments architecturaux
prélevés sur divers édifices païens, - ce qui
explique en partie l'état de destruction du Capitole ou des temples,
- la cathédrale occupa la totalité de l'espace qui s'offrait
aux constructeurs : à l'ouest, son porche est appuyé au
rempart de la ville, tandis que, à l'est, l'abside, construite
sur une pente proche des falaises, était soutenue par de forts
soubassements. L'intérieur a été partagé primitivement
en sept nefs séparées par des piliers en pierre (qui, d'ailleurs,
ne sont pas disposés symétriquement et ne correspondent
pas exactement entre eux). La nef centrale était très large.
Aussi éprouva-t-on le besoin, sans doute pour diminuer la portée
des pièces de charpente, de la diviser en trois parties séparées
par des colonnes : la cathédrale eut alors neuf nefs. L'emplacement
du siège épiscopal, au fond de l'abside, dont il ne reste
que l'amorce, a aujourd'hui disparu.
---------Le
vaisseau central était entièrement revêtu d'une mosaïque
ornementale dont les motifs se répétaient à l'infini
: tresses colorées formant des carrés, entourant des lignes
de petits triangles enfermés dans des filets. Il reste peu de chose
des 700 mètres carrés que représentait cette mosaïque
construite sans doute un peu rapidement, sur laquelle ont été
posés, à même, les piliers des nefs centrales, et
que la dégradation du temps et des hommes - limitée seulement
aujourd'hui - ont soumise à une terrible épreuve. Mais,
à certaines époques de l'année, des milliers de petites
pâquerettes et de fleurs minuscules viennent se substituer aux cubes
de marbre disparus pour constituer le tapis le plus délicat et
le plus ravissant (photo 22).
---------Pour les
nefs latérales, le sol était simplement bétonné.
Les rangées de piliers et d'arceaux, de hauteurs décroissantes
en allant de l'intérieur vers l'extérieur, soutenaient des
toits inclinés, dont les tuiles étaient supportées
par une charpente.
---------Au
nord de la basilique, s'étendaient les dépendances destinées
à l'exercice du culte et aux besoins du clergé.
---------Tout
d'abord une chapelle, réduite à une seule nef, destinée
à la confirmation des fidèles qui venaient d'être
baptisés : le consignatorium. " Une
mosaïque, trouvée en mauvais état et maintenant détruite,
y représentait des agneaux paissant parmi les asphodèles
: peut-être une image symbolique des chrétiens vivant en
paix sous la loi du Christ, qui s'était comparé lui-même
à un Bon Pasteur ", nous apprend Stéphane
Gsell.
---------On
peut voir, quelques mètres plus loin, une salle oblongue. La partie
Ouest, carrée, contient le baptistère. Elle était
pavée autrefois d'une mosaïque ornementale, transportée
au Musée d'Alger : une inscription en vers y recommande à
ceux qui veulent acquérir la vraie science de la vie, de venir
se laver ici dans l'eau du baptême, don céleste. La partie
Est, aujourd'hui détruite, se terminait par une abside et contenait
une mosaïque représentant des oiseaux, des fruits et des poissons.
---------C'est
dans les fonts circulaires, où l'on descendait par trois marches
concentriques, que les néophytes recevaient le baptême de
l'évêque lui-même, au cours de deux grandes cérémonies,
les veilles des fêtes de Pâques et de la Pente-côte.
Plus au nord, des thermes, dont on peut voir l'ouverture des chaufferies
et une piscine, avaient sans doute pour des-sein de laisser seulement
des corps purs approcher du sacrement purificateur du baptême.
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