Tipasa et le tombeau de la Chrétienne.
Ville antique de Maurétanie
3.-Monuments et leur visite : forum, capitole, curie, basilique judiciaire, établissement industriel, thermes, grande basilique chrétienne.

Jean Baradès, archéologue. Directeur des Fouilles de Tipasa.
Cette plaquette éditée sur l'ordre de M.Roger Léonard, gouverneur général de l'Algérie , par la Direction de l'Intérieur et des Beaux-Arts (service des antiquités) a été tirée sur les presses de l'Imprimerie officielle, en avril 1952, à Alger
pages mises sur site le 11-10-2005

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II.-LES MONUMENTS ET LEUR VISITE (3)

---------Cœur de la cité antique, occupant une position centrale et élevée de la ville primitive, le forum montre son dallage parfait, long de 50 mètres, parmi les armoises, les lentisques, les oliviers sauvages et la végétation qui, sans cesse, voudrait en reprendre possession.

---------En dehors de ce dallage intact, où l'on voit encore la trace des anneaux servant à dresser les tentes des marchands et les caniveaux d'écoulement des eaux de pluie, le reste a cruellement souffert du temps et plus encore des hommes : presque tout ce qui était utilisable a disparu. Du portique qui l'entourait sur trois côtés, il ne reste qu'un fragile témoignage. Des colonnes qui dominaient l'aire à ciel ouvert et portaient les toitures des galeries, il ne reste rien ; rien non plus des bases des statues aux empereurs ou aux personnalités de la ville. Et il faut faire preuve d'une grande imagination pour se représenter, sous le portique de l'Est, la Curie, grande salle ornée de marbre où siégeait l'Ordre des Décurions, conseil municipal de la cité, et, un peu plus au nord, la tribune d'où les orateurs et les hérauts haranguaient le peuple.

---------Du Capitole, qui servait de fond au petit côté du forum en dominant ville et mer de sa masse imposante, il reste seulement les assises monumentales de l'escalier et le sou-bassement des trois chapelles accolées. Les lentisques géants ont heureusement remplacé certaines masses architecturales disparues, et la Méditerranée offre entre les pins des échappées admirables sur les criques rocheuses et sur la baie du Chenoua (photo 16, page 34).

---------A l'opposé, le squelette d'un escalier double, sur lequel se dresse un olivier tordu, sert de premier plan au petit port moderne, successeur du port antique vers lequel il permettait de descendre. Un peu à gauche, au fond, la nécropole de Sainte-Salsa montre ses ruines couleur de pain grillé parmi les asphodèles, tandis qu'au dernier plan, le "" Tombeau de la Chrétienne " boursoufle l'horizon.

---------Revenant vers l'Ouest, on franchira la voûte restaurée d'un crypto-portique, et l'on arrivera à l'escalier permettant d'accéder obliquement à la basilique judiciaire.

LA BASILIQUE JUDICIAIRE

---------C 'est un édifice à trois nefs, long d'une quarantaine de mètres. Au fond, s'ouvre, entre deux pilastres, une abside à laquelle on accédait par trois marches et qu'une grille isolait de la nef principale. Deux salles latérales flanquaient l'abside : chacune d'elles contenait une statue dont la trace du socle est encore visible sur le sol.
---------Annexe couverte du forum les jours où les intempéries invitaient à s'y abriter, la basilique civile jouait à la fois le rôle de " Chambre de commerce ", de " Bourse " où se discutaient les affaires, et de Tribunal. Dans ce cas, les magistrats prenaient place dans l'abside, et la superbe mosaïque gui couvrait le sol devait contribuer puissamment à rehausser le prestige du représentant de l'autorité impériale (1).
---------(1) Cette mosaïque sera transportée au musée de Tipasa, en cours de réalisation.

---------Au centre d'un bel ensemble décoratif dont il éclipse tous les détails par son puissant réalisme, un tableau carré représente trois captifs accroupis, les mains liées : un homme découragé ayant déposé son bouclier, une femme prostrée et un enfant au visage affligé. Douze petits cadres disposés autour du motif principal enferment des têtes d'hommes et de femmes, types de ces autochtones et de ces Maures qui, vaincus ou ralliés, donnèrent tant de soucis à l'Ordre romain (photo page 12).
---------La basilique civile fut utilisée comme basilique chrétienne : un chapiteau orné du monogramme du Christ, d'une part ; les empreintes creusées dans le béton de 1a nef centrale, devant l'abside, pour y fixer les pieds de la table en bois constituant l'autel, d'autre part, en sont les preuves incontestables.
---------Cette réutilisation d'une basilique civile est un fait très rare. Et, cependant, les chrétiens adoptèrent presque immédiatement pour leur culte le type, la forme et le nom de ces bâtiments classiques dont la construction ne posait aucun problème nouveau aux maçons comme aux charpentiers : il convenait admirablement aux besoins subits d'une collectivité sortant brusquement de la clandestinité pour affirmer sa foi au grand jour, en présence de son chef, l'Evêque, auquel l'abside surélevée fournissait la place correspondant à son rang spirituel par rapport aux fidèles placés dans les nefs.

DE LA BASILIQUE JUDICIAIRE A LA COLLINE DE L'OUEST

---------Nous sortirons de la basilique à gauche de l'abside, et nous nous dirigerons vers la mer en laissant à droite les énormes assises des trois cellae du Capitole (sentier vert). Nous ne pourrons, au cours d'une visite rapide, voir tout un ensemble de constructions qui s'étageaient en dominant la baie du Chénoua et notamment, à une centaine de mètres à droite, les ruines d'une maison contenant les restes d'une chapelle chrétienne (photo 19) dont l'abside est bien conservée. La majeure partie de la colline n'a pas été fouillée : on y voit surtout les vestiges de quelques vastes citernes ou de murs, encore anonymes.
---------Le sentier longe le bord de la mer puis traverse une rue et une demeure dont la fouille s'achève : on y remarquera les chambres ouvertes sur un portique entourant la cour dans laquelle s'ouvrent deux citernes béantes ; on retrouvera plus difficilement l'emplacement des salles ou terrasses qui dominaient la mer et que les tempêtes ont rongées
petit à petit.
---------Un peu plus loin, on verra l'aboutissement de deux égouts taillés dans le rocher et l'on arrivera, à travers les armoises, à un petit ensemble de fouilles déjà anciennes ayant incomplètement mis au jour un établissement industriel et des petits thermes.

ETABLISSEMENT INDUSTRIEL

---------Quatre cuves profondes, carrées avec des angles arrondis, construites en maçonnerie et alignées au pied d'un bassin rectangulaire que dominait un château d'eau, aujourd'hui à moitié basculé sur la partie des thermes qui lui servait de support ; une aire bétonnée où se voient les bases des charpentes de hangars (dont un abritait les cuves) ; tel est l'aspect d'un petit établissement industriel. Il contenait un certain nombre de grandes jarres intactes, dont plusieurs ornent aujourd'hui le musée-jardin ; quantité de débris de poterie gisaient autour.
---------On a pensé à un atelier de céramique, mais il n'y a pas de fours. On a songé à une tannerie avec son aire d'écharnage ou de séchage des peaux et ses cuves à tanner ; mais pourquoi tant de restes d'amphores ? D'autres ont cru voir une teinturerie et l'établissement d'un foulon. Il semble que l'on puisse penser aussi à une salerie de poisson et à une fabrique de garum, cette sauce à la saveur violente, composée de foies et de déchets de poissons, dont Rome était si friande. A l'appui de cette dernière hypothèse, on fait valoir l'emplacement : au bord d'une crique protégée où les bateaux de pêcheurs peuvent atterrir sans difficultés, à côté des thermes et de son réseau d'adduction d'eau courante, enfin au-dessus d'un vaste égout.
---------On peut d'ailleurs espérer que l'élargissement des fouilles d'autrefois permettra de définir plus exactement les productions de cet établissement industriel.

PETITS THERMES

---------Juste au Nord se dressent les restes de petits thermes, partiellement fouillés et bien détériorés. Situés sur le trajet de l'égout venant du decumanus et allant, peu après, se jeter dans la mer, ces thermes possédaient de vastes bassins permettant d'accumuler l'eau nécessaire à leur alimentation.
---------Ils comportent, malgré leurs dimensions restreintes, toutes les normes de thermes classiques : piscines et chambres chauffées, tièdes ou froides, se distinguent sans trop de difficultés à travers les buissons et les débris qui les encombrent, laissant apercevoir, de-ci de-là, quelques restes de mosaïque commune et grossière.
---------L'achèvement des fouilles de ces thermes et leur présentation seront entrepris dès que le programme des travaux en cours le permettra.

THERMES PRIVES

---------En continuant vers l'Ouest, on passe sous des oliviers sauvages couchés par les vents du large et on longe une crique charmante qui servit malheureusement - sous les Barbaresques - à embarquer les pierres prélevées sur les ruines pour les constructions de la région d'Alger. L'étroit sentier bordé de lentisques, débouche sur un rivage rocheux et permet de voir des petits thermes privés.
---------Sans doute sont-ils de construction tardive et assez médiocre. Mais ils offraient dans un espace réduit, au riche propriétaire de la maison voisine, tous les bienfaits des thermes romains les plus vastes. On remarquera la salle de chauffe avec son entrée séparée, les fourneaux à charbon de bois placés sous les baignoires chaudes (l'une quadrangulaire, précédée de trois marches, et l'autre semi-circulaire), les salles de sudation dont le sol était supporté par des piles de briques entre lesquelles circulaient les flammes et les gaz chauds avant de s'élever dans la double cloison de poterie des murs, afin de porter le caldarium à la température voulue. Enfin, à quelques mètres, le frigidarium montre sa piscine froide et sa salle rectangulaire pourvue d'une banquette où l'on pouvait s'asseoir. Une baignoire tiède ou chaude, en quart de cercle, utilisait un recoin disponible, tandis que les latrines étaient situées un peu plus loin.

COLLINE DE L'OUEST : GRANDE BASILIQUE CHRETIENNE

---------Deux sentiers s'offrent ici au visiteur pour escalader la colline de l'Ouest. L'un (marques vertes) suit de très près le littoral abrupt : il permet de voir les restes de pans de murs antiques, sapés par les grandes tempêtes, et d'admirer l'étonnante transparence de la mer où les fragments architecturaux servent de support aux algues et aux oursins.

---------L'autre (rouge) gravit d'abord l'escalier par lequel on accédait aux thermes privés et décrit quelques lacets parmi les armoises (photo 20, p. 41).
---------Tous deux débouchent sur une vaste plateforme limitée sur deux côtés par les falaises abruptes et par la muraille d'enceinte de la ville. Cette plateforme est presque entièrement occupée par la cathédrale de Tipasa, le plus vaste édifice chrétien de l'Algérie antique (52 mètres sur 42), et par ses différentes dépendances.
---------Construite sans doute au IVe siècle, avec des éléments architecturaux prélevés sur divers édifices païens, - ce qui explique en partie l'état de destruction du Capitole ou des temples, - la cathédrale occupa la totalité de l'espace qui s'offrait aux constructeurs : à l'ouest, son porche est appuyé au rempart de la ville, tandis que, à l'est, l'abside, construite sur une pente proche des falaises, était soutenue par de forts soubassements. L'intérieur a été partagé primitivement en sept nefs séparées par des piliers en pierre (qui, d'ailleurs, ne sont pas disposés symétriquement et ne correspondent pas exactement entre eux). La nef centrale était très large. Aussi éprouva-t-on le besoin, sans doute pour diminuer la portée des pièces de charpente, de la diviser en trois parties séparées par des colonnes : la cathédrale eut alors neuf nefs. L'emplacement du siège épiscopal, au fond de l'abside, dont il ne reste que l'amorce, a aujourd'hui disparu.
---------Le vaisseau central était entièrement revêtu d'une mosaïque ornementale dont les motifs se répétaient à l'infini : tresses colorées formant des carrés, entourant des lignes de petits triangles enfermés dans des filets. Il reste peu de chose des 700 mètres carrés que représentait cette mosaïque construite sans doute un peu rapidement, sur laquelle ont été posés, à même, les piliers des nefs centrales, et que la dégradation du temps et des hommes - limitée seulement aujourd'hui - ont soumise à une terrible épreuve. Mais, à certaines époques de l'année, des milliers de petites pâquerettes et de fleurs minuscules viennent se substituer aux cubes de marbre disparus pour constituer le tapis le plus délicat et le plus ravissant (photo 22).

---------Pour les nefs latérales, le sol était simplement bétonné. Les rangées de piliers et d'arceaux, de hauteurs décroissantes en allant de l'intérieur vers l'extérieur, soutenaient des toits inclinés, dont les tuiles étaient supportées par une charpente.
---------Au nord de la basilique, s'étendaient les dépendances destinées à l'exercice du culte et aux besoins du clergé.
---------Tout d'abord une chapelle, réduite à une seule nef, destinée à la confirmation des fidèles qui venaient d'être baptisés : le consignatorium. " Une mosaïque, trouvée en mauvais état et maintenant détruite, y représentait des agneaux paissant parmi les asphodèles : peut-être une image symbolique des chrétiens vivant en paix sous la loi du Christ, qui s'était comparé lui-même à un Bon Pasteur ", nous apprend Stéphane Gsell.
---------On peut voir, quelques mètres plus loin, une salle oblongue. La partie Ouest, carrée, contient le baptistère. Elle était pavée autrefois d'une mosaïque ornementale, transportée au Musée d'Alger : une inscription en vers y recommande à ceux qui veulent acquérir la vraie science de la vie, de venir se laver ici dans l'eau du baptême, don céleste. La partie Est, aujourd'hui détruite, se terminait par une abside et contenait une mosaïque représentant des oiseaux, des fruits et des poissons.
---------C'est dans les fonts circulaires, où l'on descendait par trois marches concentriques, que les néophytes recevaient le baptême de l'évêque lui-même, au cours de deux grandes cérémonies, les veilles des fêtes de Pâques et de la Pente-côte.
Plus au nord, des thermes, dont on peut voir l'ouverture des chaufferies et une piscine, avaient sans doute pour des-sein de laisser seulement des corps purs approcher du sacrement purificateur du baptême.