TIDDIS : BOURGADE PAYSANNE DE NUMIDIE
L'ensemble de vestiges le plus original et l'un des plus attachants du
patrimoine archéologique de l'Algérie antique.
Serge Lancel
Entre Constantine et El Milia, au milieu
de l'âpre nudité des montagnes, une route récente
conduit à Tiddis. A la sortie d'un virage, apparaît le squelette
de la ville antique, tâche d'ocre vif au milieu du gris du versant
de la montagne. A moins de vingt kilomètres à vol d'oiseau
de Constantine, le Rhummel a taillé dans le relief schisteux des
gorges semblables à celles où a été construit
Cirta. De là vient que l'on a longtemps nommé Ksantina-el-Kdina,
Constantine la Vieille, les ruines de la ville antique qui occupent une
pittoresque position à l'entrée des gorges du Khreneg et
s'étagent sur les pentes d'une sorte d'acropole. La cité
antique était connue depuis un siècle et demi mais des fouilles
approfondies ont commencé en 1941 et sont l'oeuvre d'André
Berthier, archiviste en chef du département de Constantine. Elles
ont permis de mettre à jour une grande partie de Castelluin Tidditanorum.
Une occupation du site antérieure à celle de Rome
L'occupation du site remontant à une époque antérieure
à la pénétration romaine, celui-ci conserve les vestiges
d'une ancienne civilisation berbère. Les fouilles ont mis à
jour des monuments funéraires appartenant à cette tradition.
Ils se présentent sous formes de tertres à base cylindrique
qui ont inspiré les grands mausolées comme le Médracen
ou le Tombeau de la Chrétienne. Ces bazinas
(Bazina : tombe de forme circulaire caractéristique de la culture
protohistorique numide) étaient utilisés comme
ossuaires et ont livré également un grand nombre de poteries
modelées dont les décors peints figurés ou géométriques
sont sans doute à l'origine des motifs qui se perpétuent
aujourd'hui encore sur les vases kabyles.
La cité faisait partie d'une couronne de " castella ",
villages fortifiés qui protégeaient le territoire de Cirta.
Les habitants de ces cités ont vécu trois siècles
au sein de cette organisation administrative qui était la "
Confédération cirtéenne ".
Une ingénieuse adaptation au relief escarpé
Les textes antiques ne mentionnent pas la petite cité et seuls,
les monuments épigraphiques trouvés sur le site ont apporté
un éclairage sur l'histoire de cette cité qui deviendra
par la suite municipe (Un municipe :
cité jouissant d'un statut intermédiaire entre le droit
pérégrin et celui de cité romaine de plein exercice.).
C'est surtout au Ille siècle que les romains vont s'adapter au
relief à la suite de travaux gigantesques : entaillant la colline,
aménageant des rampes et des terrasses, construisant des murs de
soutènement, les ingénieurs réussiront à intégrer
des équipements publics, des voies, des lieux de culte et même
un forum sur ces pentes escarpées.
Un souci permanent : l'eau.
Mais le principal problème, c'était l'approvisionnement
en eau, le bourg étant dépourvu de sources. La région
est de pluviosité moyenne, peu abondante, irrégulière.
De plus, les ressources financières de la petite ville ne lui permettaient
pas d'envisager la construction d'un aqueduc qui lui aurait permis d'aller
chercher plus loin le précieux liquide. Il a donc fallu faire preuve
d'ingéniosité.
Sur le plateau sommital, le Ras ed-Dar, a pris place un étonnant
complexe hydraulique, le " château d'eau ". lui-même
constitué de trois immenses bassins contigus dont le remplissage
demandait toute l'eau pluviale qui ruisselait sur le Ras-ed- dar. Les
filets de cette eau étaient canalisés vers les cuves par
toute une série de " voies " et notamment par un escalier
taillé dans la roche. L'eau était dirigée sur un
plan incliné vers des bassins de décantation avant d'être
stockée dans de grands réservoirs. Le principal client du
" château d'eau " était des thermes construits
un peu en contre bas. Une inscription situe au milieu du Ille siècle
ce système hydraulique. Le texte nous apprend qu'après avoir
fait déblayer les lieux et entaillé la montagne, le "
curateur ", patron des colonies attachées à Cirta dans
le cadre de la confédération a pourvu " à la
captation de l'eau utile à la Santé publique ".
Habitations et sanctuaires troglodytiques.
" Entailler la montagne ", c'était le maître mot
à Tiddis. On a entaillé autant que l'on a construit. C'était
le souci constant de l'urbanisme. On taillait la roche d'abord et encore
pour recueillir l'eau dans de nombreuses citernes (il y en a plus de cinquante
actuellement connues) disposées, en ligne et recouvertes de toits
formant impluvium. La falaise était aussi forée, en maints
endroits, de cavités souvent recreusées pour en faire des
habitations ou pour aménager en sanctuaires les cavités
les plus spacieuses. L'une d'entre elles était toute désignée
pour abriter un culte au dieu Mithra, importé et aimé des
militaires. Le culte à ce dieu solaire d'origine perse se pratiquait
ordinairement dans des cryptes. A l'entrée de ce sanctuaire, une
curiosité arrête et interroge le visiteur : un phallus muni
d'ailes et de pattes munies d'ergots. Le phallus peut avoir deux sens
: celui de protection contre le mauvais oeil ou bien celui de symbole
de fécondité. Une tête de taureau représentée
de face sur une pierre semble avoir appartenu peut-être à
un temple de Cybèle car le baptême par le sang, le "
taurobole " au sens précis et rituel de ce mot n'a jamais
fait partie de la liturgie mithriaque mais était un symbole rituel
du culte de Cybèle. Les femmes exclues de l'initiation aux mystères
de Mithra, participaient à ceux de la Magna Mater (
Magna Mater : Grande mère. Autre nom donné à Cybèle.).
Les cultes de Mithra et de Cybèle se sont trouvés ainsi
juxtaposés. Une hypothèse aurait fait supposer qu'il y eut
à Tiddis, côte à côte un double sanctuaire Mithra-Cybèle.
Le christianisme n'est pas sans avoir laissé de traces de son passage.
Faisant face au sanctuaire de Mithra, un petit édifice de basse
époque semble avoir été transformé à
l'usage de la religion chrétienne ; sa destination est attestée
par des sépultures, des mosaïques, des traces de formulaire
chrétien.
Principaux édifices exhumés
S'il fallait donner un aperçu de la partie sommitale de la ville
pour en comprendre la problématique posée à l'urbanisme,
il nous faut maintenant repartir du bas pour prendre possession de l'ensemble
de cette cité à l'architecture peu commune. On aborde le
site au pied du versant Est sur lequel il s'étage en terrasses
successives.
Les bazinas typiquement protohistoriques, à l'entrée même
de la ville, sont déjà un indice de l'ancrage dans le passé
lointain. La route d'accès au site se prolonge par le cardo, voie
dallée qui se dirige vers le forum après être passée
par une porte monumentale couverte d'un arc et munie de deux vantaux.
Un décret des décurions que commémore une inscription
visible sur place réglemente le fonctionnement et la périodicité
du marché qui se tenait à l'entrée de la ville. Un
système de marchés tournants s'échelonnait au fil
du mois aux portes des bourgs numides qui faisaient couronne autour de
Cirta.
Après une centaine de mètres sur le cardo (Cardo
: voie romaine orientée nord-sud), on parvenait au forum.
On comprend fort bien qu'il n'y eut pas ici d'espaces consacrés
à des activités commerciales comme cela fut le cas à
Timgad avec le marché de Sertius et à Djetnila avec celui
de Cosinius.
Sur l'un de ses côtés, s'ouvrent trois petites salles munies
de banquettes : l'une d'entre elles devait abriter les réunions
de l'ordre des décurions, le conseil municipal de l'époque.
A mi-pente, un escalier comprenant cinq paliers et une quarantaine de
marches monte à l'assaut de la pente et tient lieu de " decamanus
maximus (Décamnanus : voie romaine
orientée est-ouest) ". Il reliait la ville basse
au quartier du forum.
Un travail important pour les épigraphistes
Une centaine d'inscriptions ont été mises à jour.
Pour les épigraphistes, la tâche s'annonce ardue mais passionnante.
L'espoir est que les quelques plages d'ombre qui demeurent sur le passé
préromain de Tiddis soient éclaircies.
Parmi ces inscriptions, il y a lieu de donner une place de choix à
celle qui rappelle la carrière de Q. Lollius Urbicus, né
près de Tiddis et qui devint préfet de Rome au lie siècle.
Cet enfant du pays, devenu un des principaux personnages de l'empire est
un bel exemple de réussite personnelle et de promotion officielle.
Les activités de la ville antique
Les fouilles de Tiddis ont permis de recueillir une multitude de petits
objets et notamment un important lot de pièces de monnaie (10 000
pièces). On a, en particulier, trouvé plus de 60 pastilles
de verre appelées dénéraux et considérées
comme des masses pour de très petites pesées. Ceux-ci ayant
été trouvés dans tous les quartiers de la ville,
il est permis de faire l'hypothèse que Tiddis était un centre
artisanal important sans savoir encore la matière travaillée
par ces artisans.
Le site a également livré des éléments importants
pour l'histoire de la poterie. La grande variété des échantillons
trouvés et leur appartenance à diverses époques a
permis d'établir une succession chronologique. La poterie préromaine
existe sous la forme de débris de vases à couverte noire.
La poterie romaine comprend de très nombreux tessons de vases en
terre rouge. La découverte d'un poinçon et d'un tesson de
sigillé rouge orangé portant cette marque a confirmé
que Tiddis était un des centres de production africaine de ce type
de céramique. Par ailleurs, un important quartier de potiers a
été mis à jour. On y a étudié une vingtaine
de fours et, souvent groupées par trois, nombre de cuves qui servaient
à préparer l'argile.
Ces activités multiples : centre artisanal, fabrication de poteries,
important marché agricole ont fait la prospérité
de Tiddis dont la densité de sa population a contraint les urbanistes
à construire des faubourgs en dehors des positions fortifiées.
En guise de conclusion
Quels sont les traits caractérisant Tiddis ? Il est indéniable
que sa position fortifiée lui confère d'abord une valeur
militaire. Mais, la multiplication des sanctuaires et des divinités
auxquelles un culte était rendu a fait de Tiddis une acropole religieuse.
Ajoutons à cela ses activités de marché et de centre
artisanal qui ont fait de la cité une grosse bourgade paysanne.
Certes, le site n'a pas la somptuosité
de Timgad et Djemila mais il offre à tout passionné d'histoire
l'évocation de la vie d'un castellum à l'époque romaine
dans le cadre pittoresque d'un site inattendu.
Claude Barnier
Bibliographie :
Tiddis, antique Castellum Tidditanorum André Berthier.
L'Algérie antique Serge Lancel (Mangés)
L'Algérie, sites et monuments antiques Blas de Roblès et
Sintes (Edisud)
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