THIBILIS - ANNOUNA
Un munícípe romano-numide
Extrait de l'Echo d'Alger du 10-2-1952- Transmis par Francis Rambert

Vers un monde aboli

Les ruines de Thibilis que nous portons visiter se trouvent à 8 kilomètres au sud de Meskautine, à proximité du village de Clauzel et à 24 kilometres de Guelma, la Kalama antique. Pour des personnes ingambes, s'y rendre à pied d'ici serait donc une promenade puisque deux heure de marche suffiraient pour l'atteindre, comme les dolmen; de Rgknia dont j'ai parlé naguère, a 8 kilomètres au nord. Si je me rends en voiture, moi qui n'apprécie rien autant que le footing, c'est pour gagner du temps - ce temps qui a des ailes et fuit, irréparable.

Des noms comme une caresse

L'Afrique du Nord est pleine de noms de villes et de sites d'une enchantante musique.

Dans l'Aurès, naguère, j'avais composé une litanie d'appellations de bourgs et de " mechtas " dont la répétition faisait sur mol l'effet d'une vapeur de hachisch : Bouzina-Haïdouce-Menaâ-Amentane-Djemora... A ce rosaire sonore, j'ajoute aujourd'hui deux gemmes d'une musique contrastée : Thibilis et Announa.

Nom arabe de la romaine Thibilis, féminin d'Announi et synonyme d'Aziza, Announa signifie Bien-Aimée. Quant à Thibilis, nul n'en sait l'origine, car elle n'est pas latine malgré les apparences, Comme Tiddis, castellum voisin de Constantine, comme Volubllis, dans la plaine de Meknès, Thibilis serait un nom libyen, peu ou prou déformé. Mais qui oserait opter entre Announa et Thibilis, puisque choisir celui-ci serait exclure celui-là ? Syncrétisons ! Ces noms comme une caresse, accouplons-les d'un trait d'union et disons désormais : Thibilis-Announa,

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--THIBILIS - ANNOUNA
THIBILIS-ANNOUNA
Un munícípe romano-numide

Vers un monde aboli

Les ruines de Thibilis que nous portons visiter se trouvent à 8 kilomètres au sud de Meskautine, à proximité du village de Clauzel et à 24 kilometres de Guelma, la Kalama antique. Pour des personnes ingambes, s'y rendre à pied d'ici serait donc une promenade puisque deux heure de marche suffiraient pour l'atteindre, comme les dolmen; de Rgknia dont j'ai parlé naguère, a 8 kilomètres au nord. Si je me rends en voiture, moi qui n'apprécie rien autant que le footing, c'est pour gagner du temps - ce temps qui a des ailes et fuit, irréparable.

Des noms comme une caresse
L'Afrique du Nord est pleine de noms de villes et de sites d'une enchantante musique.
Dans ll'Aurès, naguère, j'avais composé une litanie d'appellations de bourgs et de " mechtas " dont la répétition faisait sur mol l'effet d'une vapeur de hachisch : Bouzina-Haïdouce-Menaâ-Amentane-Djemora... A ce rosaire sonore, j'ajoute aujourd'hui deux gemmes d'une musique contrastée : Thibilis et Announa.
Nom arabe de la romaine Thibilis, féminin d'Announi et synonyme d'Aziza, Announa signifie Bien-Aimée. Quant à Thibilis, nul n'en sait l'origine, car elle n'est pas latine
malgré les apparences, Comme Tiddis, castellum voisin de Constantine, comme Volubllis, dans la plaine de Meknès, Thibilis serait un nom libyen, peu ou prou déformé. Mais qui oserait opter entre Announa et Thibilis, puisque choisir celui-ci serait
exclure celui-là ? Syncrétisons ! Ces noms comme une caresse, accouplons-les d'un trait d'union et disons désormais : Thibilis-Announa,
Que l'on songe, maintenant. Au cas de Djemila, vocable arabe qui signifie la Belle, et l'on admirera que les guerriers d'Islam aient su trouver, pour leurs victimes, ces hommages chevaleresques.

Découverte et premières fouilles de Thibilis
EDécouvert dès 1725 par le médecin français Peysonnet, au cours d'un voyage de recherches botaniques, mentionnée par Shaw en 1738, visitée par Berbrugger en 1836, le premier plan d'Announa fut; relevé par le capitaine Foy en 1837, " qui ne négligea pas les textes épigraphiques ". Or, je tiens à. le noter, la capitaine Foy
avait obéi aux ordres de Damrémont, en route vers Constantine pour le siège mémorable de la capitale d'Ahmed Bey, où il devait périr. Voyons là une preuve nouvelle (car il y en a d'autres) que tous les conquérants ne sont pas des soudards, et saluons au passage la mémoire de ce héros qui, bien qu'absorbé par ses plans de bataille, pense à. faire relever celui d'une ville morte inconnue.
En 1842, l'architecte Ravoisié campa sur le plateau d'Announa et put, le premier, en étudier les monuments à loisir. De 1889 à 1894, l'administrateur de commune mixte Bernelle exécuta les premières fouilles importantes et recueillit des centaines d'inscriptions. En 1895, Diehl y séjourne à son tour. Enfin, dès 1903, le service des monuments historiques de l'Algérie avait entrepris à Announa des recherches qui ont été poursuivies pendant six ans sous la direction de Charles-Albert Joly, le même auquel on doit l'harmonieuse restitution du théâtre antique de Guelma.
Les résultats de toutes ces recherches, patientes et savantes, furent exposés par Stéphane Gsell, le père de l'Archéologie algérienne, dans son irremplaçable album consacré au triptyque " Khamissa, M'Daourouch, Announa " publié en 1918, et dans
lequel on pouvait lire que les inscriptions de Thibilis colligées à cette époque dépassaient le nombre de 1.250.

Thibilis de Numidie
Dans " La Cité de Dieu " et dans sa Correspondance, saint Augustin. évêque d'Hippo Regius (notre Bône), cite plusieurs fois Thibilis. Son nom figure sur la Table de Peutinger et l'Itinéraire d'Antonin, les plus anciens documents scripturaires que nous possédons sur la Berbérie latine.
Thibilis a toujours dépendu de Cirta, capitale de la Numidie. Même quand César constitua "l'Afruica nova" sur le domaine de Juba Ier, après la défaite de Pompée, Thibilis n'y fut pas englobée, bien que Guelma le fût
Thibilis fut un " pagus " (district) de la " Numidia cirtensis " à la tête duquel était un " magister " et que peuplaient des Romains. Descendants 'des compagnons du condottiere Sittius, auxiliaire et protégé de César, et de Numides locaux transformés
" légalement " en Romains, d'abord par le droit de cité, plus tard par l'édit de Caracalla. Et dès le III° siècle - c'est du moins ce qu'attestent les inscriptions recueillies " in situ " - les deux éléments de la population, Latins immigrés et Numides romanisés. étaient entièrement fondus.

Gloires thibilitaines
Nombreux furent les Thibilitains investis de dignités dans la Confédération cirtéenne, laquelle était; formée de quatre Colonies ; Cirta (Constantine-), Milev (Milla)., Chullu (Collo) et Rusicade (Philippeville), Certains devinrent officiers et fonctionnaires impériaux, un fut sénateur. Le plus célèbre du pagus est présumablement Antistius
Adventus, qui fut consul sous Marc-Aurèle.
De la " gens " des Antistii, dont 'la " domus " est déblayée, il était le contemporain de Fronton de Cirta, le célèbre rhéteur, qui se flattait légitimement d'avoir été le maître en beau langage de deux empereurs : Marcus Aurelio et Lucius Verus, et qui revendiquait sa qualité d'indigène en proclamant fièrement : " Ego Libius " - je suis Libyen. Son " cursus honorum ", prolixe et emphatique, a été exhumé sur le forum d'Announa.

Un Thibilitain épouse une fille de Marc-Aurèle
Un frère ou demi-frère de cet Adventus, je veux dire frère de père mais non de mère, Antistius Mundicus Burrus, figure avec lui sur la dédicace au " Genius domus ",
reproduit dans ma chronique du 22 janvier, laquelle date de 154,
Ce Burrus aurait épousé, en second mariage, une fille de Marc-Auréle.
On découvrit également à Thibilis une dédicace à. Vibia Aurélia Sabina, sœur, est-il dit, du Divus Severus (l'empereur Septime Sévére) par laquelle les " thibilitani " rendent hommage à la " singularis adfectio "› de leur patronne pour leur petite patrie. Cette Vibia Aurélia serait la propre fille de l'Empereur philosophe et la femme de Burrus Antistius, lequel, soupçonné d'aspirer à la pourpre impériale, aurait été supprimé.

De pagus Thibilis devient municipium
Si les " pagi " cirtéens ressemblaient beaucoup à de vraies communes, le terme " res publica " ne leur était pas applicable, et ces districts n'avaient pas d'existence fficielle.
C''est, ainsi que Thibilis resta sous la dépendance de Cirta jusqu'au début du Bas-Empire. Ce n'est que sous le règne de Diociétien et de Maximien (286-305 après J.-C.) qu'apparait, sur une borne milliaire, la première inscription mentionnant la promotion de Thibilis en municipe.
Devenue commune autonome, avec des " duumvirs " (magistrats supérieurs) et un " curator rei publicae " pour chef, le conseil. municipal devint " l'ordo splendidissimus thibilitanorum "
La gloire enfle, dit l'Ecriture

Bacax divinité cavernicole
Certes Thibilis ne fut jamais qu'une bourgade, un chef-lieu de canton, a écrit Stéphane Gsell, qui recouvrait une dizaine d'hectares au maximum. Mais son territoire, selon le même historien, devait s'étendre bien au-delà des Aquœ thibilitains, jusqu'au djebel Taya, par-delà Roknia, à 13 kilomètres au nord à vol d'oiseau.
Là, en effet, dans une caverne, les magistrats de Thibilis rendaient un culte officiel à une divinité locale : Bacax, qu'ils avaient latinisé par l'épithète " Augustus". Tricherie
pieuse, qui rappelle la " conversion " de cet Apollon de Guelma, trop beau pour être païen, que les chrétiens du Bas-Empire exorcisèrent; en ciselant une croix sur sa poitrine…

Les grands dieux de Carthage et de Rome
Outre ce dieu indigène, qui n'est signalé qu'ici, les Thibilitains adoraient toutes les divinités du panthéon romain. En premier lieu, Saturne, hypostase de Baal-Hammon, le Jupiter carthaginois dévorateur d'enfants, et sa parèdre Tanit, dont d'innombrables stèles votives ou funéraires, éternisent la mémoire.
Ensuite venait Eschmoun, autre dieu punique, dont les Grecs firent Asclépios et les Latins Esculape, Junon Celestls, " la prometteuse de pluie ", laquelle avait un temple et des prêtres à. Cirta, Cybèle,. la Grande Mère des Dieux, confondue à Thibilis avec
la Terra Mater; enfin, la grande triade capitoline : Jupiter-Minerva Junon.
J'ai oublié Hercule, Bellone, Mercure et cette déesse Africa. représentée coiffée d'un mufle d'éléphant dont la trompe est dardée. Et bien d'autres sans doute. Mais ils sont trop nombreux les dieux du paganisme ; comment les nommer tous ?

Thibilis chrétienne
Comme tous les centre; romanisés, Thibilis fut chrétienne. Mais il parait prouvé que le christianisme n'y pénétra que tardivement et qu'il y fut peu florissant. Selon Gsell, en effet : " Dans l'épigraphie si abondante d'Announa. on ;ne rencontre qu'une épitaphe chrétienne, et elle n'est pas antérieure au VI° siècle "
Une chapelle et deux églises ont été identifiées, ces deux dernières éloignées du centre de la ville.
Dans l'une, celle du nord, les fonts baptismaux, grâce aux travaux de déblaiement de nos archéologues, sont parfaitement visibles. Je m'y arrêtai longuement au terme de ma promenade à travers la ville morte.
Et mes regards furent saisis par l'inscription d'une pierre du rebord circulaire de la cuve baptismale, où je pus déchiffrer : " Vibia Aurélia Sabina ", le nom de cette fille de,Marc-Aurèle,mariée à l'Antistius Burrus, dont je parlais tout à l'heure.
Cette dédicace à la " patronne " de Thibilis, réemployée par les Chrétiens victorieux du paganisme, était venue finir là, foulée par les pieds nus des aspirants au baptême. Quelle revanche pour ces disciples du Christ que l'lmperator son père avait voués au supplice ! Et quel symbole éloquent de l'instabilité de la domination !
Mais ce baptistère. où l'on ne baptise plus depuis douze ou treize siècles. et dont nul ne sait dire s'il fut, donatiste ou catholique, me parlait également de l'intermittence des credos et des querelles des églises, querelles sanguinaire, et parfois suicidaires. On l'a vu ici même, puisque si les Vandales ont vaincu les Romains et ravagé l'Afrique, ce fut à cause du duel, fratricide et séculaire, du donatisme schismatique et du catholicisme qui égara les esprits, énerva la résistance, suscita les trahisons et favorisa le triomphe des bandes de Genséric.

Un sanglot sur une tombe
C'est cette leçon - amère comme la coloquinte- que j'emporte de ma visite à cette bourgade isolée sur ce plateau aérien des Alpes numidiques. Et c'est à quoi je pense en revoyant les portiques gisants du Capitole, l'Arc de Triomphe et la porte à. deux baies qui ont connu ses fastes et ses tribulations.
De belles pierres humiliées, parmi lesquelles s'essaiment des pistachiers de l'Atlas et paissent des chèvres noires, c'est tout ce qui subsiste de l'ancien municipe, dont une pierre du forum portait ce vœu naïf :
IN PERPETUUM FELIX THIBILIS
(Pour la prospérité éternelle de Thibilis !) .
Cela et ce beau nom, câlin comme une caresse, mais qui sonne en mon cœur comme un sanglot sur une tombe : Thibilis-Announa...
P.-S. - Dans toutes ces notes sur Meskoutine et sa région, je n'ai rien dit de l'hôtel thermal, Cette question intéressant les touristes, j'ai le devoir de leur signaler qu'il est parfaitement tenu et qu'ils sont sûrs d'y trouver et bonne table et bon gite, à des prix très raisonnables.
J'ajoute que la chambre comporte une salle de bains alimentée par l'eau chaude naturelle.