mise sur site le 28-12-2003
- Divers textes sur Alger, l'Algérie, les Pieds-Noirs,...

Revoir Alger côté cœur et côté jardins
Texte de Jean Bélanger
extrait de Historia Magazine , n°218/25, 6 mars 1972

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--------DOMINANT la très bleue Méditerranée, déployé en un vaste amphithéâtre couronné de verdure, Alger offre ses jardins sur tous ses coteaux.
--------À l'une des extrémités de la ville, au pied d'une haute colline, près de la mer, de séculaires jardins entouraient déjà la résidence du dey, résidence qui, plus tard, devint un grand hôpital. À l'autre extrémité, juchée sur une colline en falaise, une autre villa offre un parfait témoignage d'architecture ottomane et, rare vestige, un très vieil aqueduc que décorent des bougainvillées éclatantes.
--------Le Jardin d'essai, extraordinaire parc d'expérimentation pour les plantes tropicales, le Jardin d'essai était un éden ouvert sur la mer. A l'origine, il couvrait 5 hectares et on l'appelait le jardin du Homme : c'était en 1832. En 1918, le Gouvernement général y organisa une école d'horticulture et une école ménagère agricole. Suivre l'itinéraire de toutes les allées représente 20 km de marche. Chacune d'elles est plantée d'arbres différents : allée des Bambous ou allée des Palmiers, des Ficus, des Cocos...

--------Il y a un demi-siècle, on se préoccupa d'aménager la ville en transformant les anciennes fortifications. À l'ouest, on ouvrit le boulevard Guillemin. Des jardins plantés de palmiers et d'altiers strelitzias y montent en gradins jusqu'à un ultime palier qui sert d'arène aux jeux d'enfants drus et volontaires. A l'est, ce fut la percée du boulevard Laferrière, continué par le boulevard Maréchal-Foch. Ils descendent majestueusement vers la mer et leurs verdoyantes terrasses étagées sont blasonnées d'histoire par deux monuments élevés l'un à Jeanne d'Arc, l'autre aux morts des deux guerres. Des allées fleuries conduisent au monument : un groupe imposant de cavaliers africains porte à bout de bras le corps d'un soldat.
--------Au bas de la vieille ville, le jardin Marengo, où une végétation africaine et semi-tropicale éclate de vitalité. De charmants bassins entourés de bancs offrent le double enchantement d'eaux paisibles et transparentes, que troublent seuls les jeux de poissons dorés et argentés à travers la végétation aquatique.
--------À flanc de coteau encore, le parc Saint-Saëns. Comme dans presque tous les autres jardins d'Alger, des escaliers coupent les pentes d'allées qui reviennent sur ellesmêmes. Ici flânent le matin, inondés du soleil qui frappe ses versants tournés vers la mer, ceux qui sont en quête de repos ou de rêverie.
--------Au milieu des pins, les bâtiments du lycée Fromentin. Devenu célèbre dans les annales de l'histoire contemporaine, il accueillit le général Giraud, puis le général de Gaulle. C'est au milieu de ces bosquets et de ces massifs fleuris que travaillèrent les commissariats de la France libre et que se prépara la libération du territoire.

Les bleus jacarandas

--------C'est encore au milieu de jardins à la végétation exotique que se dressent l'imposant bâtiment central et les laboratoires de l'université d'Alger, centrale africaine de l'esprit français.
--------En retrait de la ville, qu'elle domine, la falaise Saint-Raphaël est couronnée de jardins. La vue sur Alger, son port et sa baie est grandiose, et les vents apportent jusqu'ici un peu des parfums de la mer.
--------Les jardins de l'hôtel Saint-George ont vu des hôtes célèbres, tels Paul Valéry, Rudyard Kipling et Georges Duhamel, puis, après le débarquement de novembre 1942, les plus grands chefs militaires alliés, car le grand quartier général d'Eisenhower était établi ici.
--------Les jardins du parc de Galland, du musée du Bardo et du palais d'Été forment un ensemble enchanteur, à moins de cent mètres les uns des autres.
--------Dans le parc de Galland, euphorbes, cactées et, le long des allées qui dévalent fortement, les vertes dentelles des palmes hautement érigées ainsi que les poudroiements bleus des jacarandas. Blanche symphonie : une kouba délicatement dessinée, étincelante sous sa peinture à la chaux, des pigeons gourmands, des musulmanes voilées de leur gracieux haïk. Au bas des allées, un escalier se dédouble élégamment pour enlacer un bassin qui semble plus frais sous les ardeurs de midi.

Une statue de la France

--------Le musée préhistorique du Bardo a pour cadre un ravissant palais de l'époque turque. Au milieu d'une cour, mollement agités par le vent, de grands massifs de strelitzias, vrais oiseaux de paradis, se reflètent dans un bassin. Autour, des portes en cèdre ouvragé, entourées de faïences aux arabesques délicatement colorées. C'est par ces fenêtres à barreaux que les femmes cloîtrées pouvaient regarder dans la cour sans être elles-mêmes vues.
--------La longue façade de la villa Arthur, demeure du secrétaire général du Gouvernement, est construite autour d'un vieux palais dont la cour des femmes, gracieusement dessinée, est le joyau. De vastes pelouses plantées de cyprès, de lauriersroses, de citronniers qui parfument subtilement l'air, d'eucalyptus dont les feuilles frémissent au plus léger souffle.
--------Résidence du gouverneur général, le palais d'Été est un harmonieux et vaste édifice hispano-mauresque. Il dresse ses coupoles et loggias au couur de nobles jardins, encadrées de ficus, d'euphorbes, de jacarandas aux émouvants bleus mauves. Au milieu de cours lumineuses, des jets d'eau fusent vers l'azur du ciel pour retomber dans des bassins aux faïences bleues. Ici, une gracieuse kouba, là, une douéra précédée d'une terrasse à colonnes torses. Des échappées ont été ménagées vers la baie, d'où parviennent de tendres brises. Par la diversité de ses aspects, le palais d'Été évoque à la fois un Orient séduisant et aussi, sous certains de ses angles et de façon surprenante, le palais des Doges, à Venise.

 

--------Aux portes d'Alger, riche en végétation tropicale, le Jardin d'essai est dominé par la puissante statue de la France, par Bourdelle. Tournée vers le large, qu'elle regarde intensément, elle s'élève devant la partie centrale, dessinée à la française. Une large allée, ornée de pièces d'eau, est bordée de chaque côté par de très hauts palmiers exotiques, qui semblent de gigantesques sauvages chevelus vêtus de curieux pagnes. Non loin, les strelitzias érigent leurs somptueuses crêtes orange et pourpres. De curieux arbres aux branches massives portent des feuilles qui sont autant de coutelas. Les bananiers déploient leurs feuilles vernies aussi largement que sous l'équateur. Dans les allées de ficus géants le soleil pénètre à peine le dense réseau des feuilles épaisses. Au milieu de massifs de figuiers de Barbarie, dont les palettes hérissées de piquants sont coiffées de fruits, les statues d'hiératiques danseuses musulmanes.
--------Partout des massifs de fleurs font des mosaïques de couleurs que les souffles venus de la mer toute proche rendent délicatement mouvantes. Au milieu d'un petit lac, un îlot auquel conduit un léger pont cambré d'où l'eau apparaît comme une mémoire fidèle où s'inscrivent les images renversées des rives.

 

Pour la joie des yeux et des oreilles...

--------Quelle diversité dans les jardins d'Alger! Ficus aux feuilles caoutchoutées, palmiers élancés à la taille si souple, araucarias aux branches rigidement étalées, cactées érigeant leurs inquiétantes silhouettes, orangers, mandariniers, citronniers des quatre-saisons toujours porteurs de fruits, mimosas dont le jaune duvet mousseux est d'une émouvante délicatesse. Les hibiscus présentent leurs fleurs, qui s'évasent en coupes couleur de sang, et les arbres de Judée des profusions de grappes d'un violet mauve. Les bougainvillées, avec leurs clochettes mauves, magenta, pourpres ou rouges, éclaboussent de leurs couleurs les murs si blancs. De sa base à sa pointe, chaque cyprès est une grande flamme noire dont la gravité est atténuée par la pourpre des plumbagos qui ceinturent son pied. Les arbres sont venus de tous les coins du globe : des îles Fidji, ces palmiers curieux; du Cap, ces strelitzias; de l'Afrique du Sud, ces aloès, verts candélabres qui se terminent en rouges flammes; du Japon, ces palmiers nains aux tendres cceurs. Ici sont rassemblées pour les Algérois les beautés que révélerait un tour du monde botanique.
Partout, l'eau est ardemment attendue par cette vigoureuse vie végétale; elle lui parvient dans des canaux ou dans des jaillissements bénéfiques. Mais l'eau joue aussi pour la joie des yeux et des oreilles, car on la découvre souvent jouant dans des vasques de marbre où elle rythme sa danse en égrenant son chapelet liquide.

--------Les feuillages étaient toujours verts.
--------L'hiver durait à peine une soixantaine de jours. Et ces hivers-là étaient si printaniers!... --------Quand donc a-t-il neigé sur les jardins?...

--------Ajoutant au décor des jardins, des faïences d'inspiration hispano-mauresque ou persane. Elles bordent des murs ou garnissent des bancs, et la géométrie de leurs lignes anguleuses ou courbes, indéfiniment répétées en bleu, vert ou turquoise, est un ravissement pour les yeux.
--------Aux jardins. d'Alger, la mer toujours présente, la Méditerranée toujours jeune, s'offre ou parfois se laisse deviner derrière les filigranes aériens des branches légères, et parfois s'aperçoit, bordée par un massif de fleurs éclatantes qui avivent ses bleus.
--------Ici, le ciel est d'une durable pureté, ciel qui fait souvent oublier automne et hiver, ciel tenture d'un sacre du printemps qui est de toutes les saisons, et dans ce ciel, le soleil, or liquide, est roi.
--------Jardins d'Alger, que de visions de beauté vous offrez! Fleurs, arbres, palais, mer, ciel demeurent pour tous ceux qui vous ont connus de merveilleux souvenirs, tels des objets précieux conservés dans un coffret qu'on ouvre souvent pour les contempler avec ravissement, avant de le refermer à regret sur le passé.

Jean BÉLANGER