-LES TAGARINS
extrait de " Aux Échos d'Alger , juin 2001, n°73"

photocopies de cartes postales appartenant à mr Gualde
24 Ko / 11 s
retour
 
Racontez-nous... LES TAGARINS
Christian GUALDE
22, avenue des Sources - 69130 ECULLY

------À deux pas du centre ville, le quartier des TAGARINS sentait déjà bon la campagne. Bâti sur une arête, il surplombait d'un côté le port d'ALGER et de l'autre le quartier de Fontaine Fraîche. Le nom de TAGARINS venait d'une tribu de Maures chassée d'Espagne par les rois catholiques après la reconquête et qui s'étaient installés là. Une plaque en marbre au-dessus de la pharmacie COURTINE rappelait cet événement. Du temps des Turcs quelques moulins à vent y déployaient leurs ailes.
------Dès le début de la conquête les premiers immigrants maltais y avaient élu domicile, leurs chèvres pouvant brouter dans les collines avoisinantes. Beaucoup de leurs descendants s'y trouvaient encore en 1962. Je pense à la famille CALLEJA et BALDACHINO (ma famille), à la famille MIKALEFF où nous achetions nos cahiers d'écoliers, à la famille FARRUJIA qui avait des vaches et une laiterie rue Isabelle Eberhardt
------Le quartier des TAGARINS de par sa situation avait aussi une prédestination toute militaire. Le Fort l'Empereur, que les troupes du Maréchal de BOURMONT en 1830 avaient réduit, se trouvait sur la colline dominante. Mon père y avait séjourné en 1943 au 411e des Forces Terrestres Anti-aériennes. Quelques baraquements par la suite démolis abritaient quelques familles de militaires. Un peu plus bas se trouvait la caserne des gardes mobiles. Encore plus bas il y avait la salle d'artifice et enfin aux abords de la Casbah la caserne d'Orléans et le stade Mingasson. Beaucoup de mes copains d'école étaient fils de garde mobile. Ils venaient pour la plupart de métropole. Nous les envions quand à la rentrée ils nous racontaient leurs vacances " en France ". L'école de garçons se trouvait avenue Maréchal de Bourmont, l'école des filles en montant au Fort l'Empereur.
------La maternelle était mixte. La salle du cours préparatoire " garçons ", faute de place. était logée à l'intérieur de la Cité Sociale. Nous avions l'impression d'être devenus des grands quand nous traversions enfin l'avenue pour entrer au CM1. Nos heures de cours, en particulier au CP, étaient bercées par la douce chaleur du soleil qui pénétrait dans la classe, par la musique que répétaient des tirailleurs sénégalais un peu plus bas vers le champ de tir et enfin par les pilons des femmes arabes qui préparaient la cuisine. Je me souviens de mes instituteurs (que nous craignions) leurs noms me reviennent souvent enmémoire: Mme MONNET, M. GARCIN, MmeCACHIA, M. MORANDINI, M. GOUYGOU, M. MENGUAL ( avec toutes mes excuses si j'ai mal orthographié certains noms).
------En juillet 1957, pendant la bataille d'ALGER une compagnie du 3e RPC de BIGEARD occupait l'école des filles. Tous les matins nous courrions pour les voir passer quand ils remontaient du stade en chantant. Nous les admirions. ils étaient pour nous de véritables surhommes. Aussi à la Noël 57, la panoplie de parachutiste devient pour nombre d'entre nous le jouet incontournable.
------C'est Mademoiselle CHAPDVILLE - la sage femme - qui accouchait les " mamans " du quartier.La clinique " Villa Coin de France " était située rue Isabelle Eberhardt. Les baptêmes. les communions, les mariages. les enterrements étaient célébrés à l'Eglise Ste Croix ancienne mosquée située en face de l'ancien palais des Deys d'ALGER.
------Son curé l'Abbé DECLAIRE était en plus aumônier de la prison civile d'ALGER, la prison Barberousse. L'œil averti de ce brave curé savait repérer les absents à la messe du dimanche. Il nous en faisait grief au catéchisme le jeudi suivant C'est entre copains que l'on se rendait à l'église. En passant, stade Mingasson, nous grimpions dans la carcasse d'un vieux Junnker, un SU 52, installé là pour l'entraînement des troupes de la caserne d'Orléans. C'est à coups de pieds aux fesses que les militaires bien souvent nous en faisaient descendre.
Pour se rendre au centre ville, nous empruntions l'avenue Maréchal de Lattre de Tassigny. En chemin, nous nous arrêtions pour voir évoluer des modèles réduits d'avions que des passionnés faisaient voler dans un vacarme assourdissant. Un peu plus bas, stade LECLERC, mes parents me permettaient de glisser sur le toboggan ou de grimper sur la cage à poules.
------La vie du quartier s'écoulait paisible malgré les événements entre l'épicerie de Mme JAUDON " au Panier Fleuri " où les ménagères se donnaient rendez-vous pour discuter et le bistrot de M. et Mme COUVE où les hommes aimaient à se retrouver le soir devant une bonne anisette (qui se consommait à l'époque sans modération).
------Il existait aussi le café dancing de la Treille qui fut démoli à la fin des années 50 pour faire face au vaste chantier de la cité nucléaire.
-----Il y avait quatre autres épiceries, dont un épicier arabe: STEFAOUI où nous nous fournissions en chewing-gum " globo ".
------Des mozabites tenaient aussi boutique où tout s'achetait indifféremment: semoule, haricots secs, pétrole pour le chauffage... La boucherie était tenue par M. STORA. Le boulanger était arabe. Nous achetions pendant les fêtes musulmanes de gros pains ronds aux graines de sésame et d'anis.
------Il y avait aussi quelques artisans. Le salon de coiffure pour hommes, un encadreur, M. MICHOUK le quincaillier, la plomberie BALDACHINO, ORFILA le menuisier, un autre menuisier arabe qui sculptait merveilleusement des petits meubles artisanaux, deux garagistes et TAYEB le ferrailleur. Un chiffonnier entassait ses sacs dans un modeste cabanon de tôle le long de l'avenue. Je n'oublierai pas non plus " MICHE " le charbonnier dont la mule était aussi noire que le charbon qu'elle transportait.

-----L'abri creusé pendant la guerre pour protéger les habitants du quartier des bombardements allemands s'ouvrait sur l'avenue et débouchait en contrebas sur la route de Fontaine Fraîche. Il avait été loué par la suite à un cultivateur de champignons de Paris. L'abri qui s'enfonçait profondément sous la terre dégageait une odeur fétide ce qui renforçait encore plus, pour moi petit garçon, cette part de mystère et d'inquiétude quand je passais devant ce souterrain.-- Quelques personnages typiques restent gravés dans ma mémoire. Il y avait tout d'abord M. JABROT à l'allure toute coloniale avec sa canne et son éternel canotier. Son jardin ressemblait à une jungle inextricable. Quelques grands cactus " cierges " y poussaient. Venait ensuite la MADELON toujours coiffée d'un grand chapeau. C'est sur sa carriole tirée par un cheval qu'elle se rendait dans les différentes casernes du quartier. Elle aura vendu à des générations de soldats cigarettes et boissons. D'un tout autre genre, il y avait TARZAN le clochard que les enfants du quartier poursuivaient en criant " Tarzan l'quilo " (Tarzan I'ivrogne). C'est en faisant mine de jeter quelques cailloux qu'il dispersait toute cette marmaille.
------Aucune espèce de racisme ou de religion venait entacher la quiétude du quarter: juifs, musulmans, chrétiens tout le monde se côtoyait. N'avions-nous pas grandi ensemble, essuyé les mêmes bancs d'école?
------
Pourquoi les médias de l'époque (et même actuellement) ont-il oublié de parler de cette entente. Pourquoi donner une image néfaste de 130 ans de présence française? Certains musulmans sauront nous prouver leur amitié au plus fort de la tourmente.
------C'est avec mon copain BOUALEM que j'ai découvert la rue, les " carrossas " à roulements à billes, les pièges à moineaux que l'on posait dans le ravin surplombant Fontaine Fraîche, la cage attrape pour les chardonnerets.
------Puis vinrent les heures noires. La violence qui semblait nous avoir épargnés a surgi brutalement. Il y eut d'abord les deux grenades, au café, à quelques mois d'intervalle qui ne firent heureusement aucune victime, puis cette grenade jetée dans l'épicerie où se trouvaient rua mère, matante et l'épicière. Ma tante fut blessée, ma mère fut, elle, blessée dans son âme. Un ami de mes parents tomba à EL-BIAR sous les balles du FLN. Un gamin de 16 ans fut abattu sur sa motocyclette rue Isabelle Eberhardt. Les gardes mobiles nouvellement arrivés de métropole patrouillaient dans les rues nous considérant avec mépris. Je revois aussi cet avion T6 frôlant les toits des maisons pour aller, en contrebas mitrailler les façades des immeubles de BAB-EL-OUED assiégé. Pour finir de noircir le tableau, il y eut le père d'un copain d'école abattu par l'armée française le 26 mars rue d'Isly. Cette armée que nous avions tant admirée, nous la regardions maintenant comme une armée ennemie.
------Le " bouquet final " fut l'explosion d'un camion d'essence dont les flammes embrasèrent une bonne partie du quartier...
------Voilà en quelques lignes, l'histoire de mon quartier avec ses joies et ses peines. En 1962 j'avais à peine 13 ans.
------En 1979, je suis retourné à ALGER avec mon épouse. Je suis monté aux TAGARINS. Instinctivement j'ai cherché derrière les fenêtres les visages du passé. Même les Arabes du quartier n'étaient plus là. Mon copain BOUALEM était mort accidentellement. La maison de mon enfance disparaissait derrière une palissade de tôles. L'eucalyptus que mon grand oncle avait planté et que l'on apercevait depuis le port était bien malade. La moitié du quartier avait été démoli pour laisser la place à un grand hôtel.
------Ce monde merveilleux de mon enfance s'écroulait définitivement.

Christian GUALDE
22, avenue des Sources - 69130 ECULLY

QUELQUES SUPPLÉMENTS SUR LES TAGARINS.
de la part de L.MILANDRE
-------J'ai parcouru le site et j'ai été émue par tant de souvenirs. Je suis rentrée également dans celui de Monsieur GUALDE qui parle si bien de la cité sociale aux TAGARINS où j''habitais avec ma famille. Dans ses souvenirs il a oublié quelques familles unies de ce quartier : les SANTAMARIA, BALLESTER, DISLAIR, FOUCHET, BAGUR, CORNU, LEON, GONZALES, HAGUET. 4O ans après nous nous retrouvons toujours avec émotion et tristesse puisque tous nos parents ou presque ont disparu depuis. Nous avions 2O ans en 1962
-------Il nous a rappelé quelques souvenirs tels que les noms de nos instituteurs, rues, voisins. Nous étions dans la cité lorsqu'elle a été brûlée .. Il a oublié également le nom d'une institutrice Mme BERTIN qui habitait à la Garde Mobile et qui m'a laissé le bon souvenir d'une gifle parce que je n'écoutais pas la leçon. Impensable à notre époque ! Merci à vous qui vivez avec vos souvenirs et qui les faites partager. Je vais faire lire quelques passages à mes enfants qui ont du mal à comprendre notre nostalgie. Pour la petite histoire je me suis mariée avec un para de Bigeard qui était dans cette fameuse école de filles des Tagarins. Je le suis toujours depuis le 9 avril 1960.

------Une petite anecdote concernant mr STEFAOUI .Quand on était jeunes on l'appelait "SIX FOIS HUIT / QUARANTE-HUIT" . Monsieur STORA le boucher avait une balance spéciale pour les enfants qui allaient acheter chez lui, elle marquait toujours beaucoup plus !!!!!!!! Quant à TARZAN je m'en souviens encore puisqu'il dormait dans la cité sociale à coté de la classe maternelle. Quand on allait vider les poubelles il nous courait après et on en avait une peur bleue.
------ Vous pourrez ajouter que malgré les dires j'ai été amie avec la famille CHERCHALI, GUITECHE, et même la poseuse de bombe des Tagarins qui a fait tant de victimes au Milk-bar et à la Corniche. J'ai cotoyé un monstre sans le savoir....(note webmaster : comme quoi ! on côtoie des "amis", on se tape dans le dos, on rit entre nous...mais , par derrière ?!?!?!)

Lydie Curci
-----...Je me promène sur votre page Tagarins où j'ai reconnu les noms (je crois que vous avez oublié Mr.Mme Bordier : magasin d'alimentation en face geogeo Callegea) bref je connaissais beaucoup de monde - de 1939 a 1962 - je me rappelle les balades en passant par les 7 merveilles, stade Leclerc ...