Tagarins , Quatre Canons et environs - Alger
COMMUNICATION DE MONSIEUR LE MAIRE au sujet du Parc des Sports des Tagarins.
séance du 6 novembre 1953, bulletin municipal, novembre 1953 - collection B.Venis
sur site, le 17-6-2008

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COMMUNICATION DE MONSIEUR LE MAIRE au sujet du Parc des Sports des Tagarins.

M. Jacques CHEVALLIER, Député- Maire.

Mes chers Collègues,
Ces jours derniers, prenant prétexte de la lettre que j'adressais le 3 octobre 1953 à M. le Gouverneur général pour exprimer notre sentiment et nos suggestions quant au projet des Tagarins, certains journalistes algérois trop complaisamment, voire tendancieusement renseignés, ont cru devoir manifester une émotion extrême et, la communiquant non sans quelque malice aux milieux sportifs, ont tenté de les dresser contre la Municipalité.

C'est ainsi que la lecture du procès-verbal sténographié de l'Assemblée générale du Comité des Sports en date du 26 octobre 1953 nous a révélé qu'à l'occasion de la mise en cause de la Municipalité, un certain Rivet, Président de la Ligue de Football, se laissa entraîner à exprimer à notre encontre - et ce disant je vais employer des mots qui ne dépassent pas ma pensée - toute une série d'insanités qui, en d'autres temps, eussent définitivement déshonoré leur auteur.

Ce personnage et ses insinuations ne méritent rien d'autre que notre commun mépris.

Mais puisque, avant même que le Gouverneur général ait répondu à ma lettre, l'affaire est portée sur le forum, il est de mon devoir d'éclairer la population et singulièrement les milieux sportifs, tant sur la genèse de cette affaire que sur notre position.

En fait, de quoi s'agit-il ?

Au mois de juillet de cette année, j'étais saisi par nos services financiers d'une lettre émanant de M. le Gouverneur général invitant la Ville à payer la somme de 18.168.000 francs à titre de participation dans la construction du Parc des Sports des Tagarins.

L'étude des comptes faisait apparaître, d'une part, que la Ville avait déjà déboursé 51.116.000 frs, ce qui, s'ajoutant à la somme réclamée, porte 'à plus de 80.000.000 le total des sommes dépensées à ce jour, au titre de notre participation à ces travaux.

Soucieux de demeurer fidèle à la politique que nous avons définie dès notre installation et que nous ne cessons depuis de confirmer par les faits, politique qui, dans l'immédiat, confère une priorité absolue au problème de l'habitation et mobilise dans ce but la totalité de nos ressources, j'invitais les services compétents à m'indiquer quel serait le montant total de la dépense des Tagarins et, du même coup, à combien s'élèverait la participation de la Ville.

Des renseignements, fort imprécis d'ailleurs, qui me furent communiqués, il ressortait que la dépense totale, une fois le projet achevé, dépasserait dans tous les cas le milliard et pourrait éventuellement en atteindre deux.
La Ville s'étant engagée, par une délibération du 26 juillet 1946, à participer pour 20 % à ces dépenses, la part lui incombant pouvait donc s'élever en définitive et suivant le cas à 200 ou 400 millions.

Peut-être eut-il été nécessaire que les journalistes, avant tout autre commentaire, dévoilassent ces chiffres pour demeurer dans la plus stricte objectivité.

On n'a pas le droit de les cacher au public car, en définitive, c'est lui qui règle l'addition.

Par ailleurs, il nous est apparu que le développement considérable de la Ville imposait que l'on reconsidérât des données qui, certainement valables oen 1938, date de l'élaboration du projet, pouvaient peut-être ne l'être plus au- j ourd'hui.

En effet, depuis cette époque, les problèmes de circulation se sont compliqués un point tel que l'élargissement des voies urbaines, les expropriations coûteuses qu'elles entraînent, la construction de parkings, seuls moyens susceptibles de les résoudre, imposeront des charges considérables à nos budgets futurs.

Il est d'une saine gestion de le prévoir et, dès maintenant, d'éviter tout ce qui peut congestionner davantage des zones d'une extrême densité, telles que le centre de la Ville.

En dernier lieu, les imprécisions et les contradictions dans les renseignements que nous pouvions recueillir quant à l'ordonnance définitive de ce parc ne manquaient pas de nous surprendre.

Alors que certains prétendent que l'amphithéâtre n'est prévu que pour 30.000 spectateurs, la lettre n°2.563 de l'Education Nationale du 23 octobre 1953 indique que :
" Ce stade serait doté d'un amphithéâtre à gradins pouvant recevoir dans l'immédiat 40.000 personnes environ et, dans l'avenir, 40.000 autres personnes ", soit 80.000.

D'autre part, les architectes nous laissent entrevoir qu'on pourrait y tenir les jeux olympiques avec 100.000 spectateurs.

Ces différences, dans l'évaluation des spectateurs et, partant, des travaux nécessaires pour les contenir, méritent précision et clarté. Méritait également précision et clarté l'évaluation de la dépense.

Des exemples récents et coûteux nous prouvent que toute construction dont la réalisation n'est pas dès l'abord limitée dans le temps, finit par coûter horriblement cher.

Si on connaît le prix au départ, on ne sait jamais ce qu'il sera à l'arrivée.

La construction de notre Hôtel de Ville le prouve malheureusement. Prévu, il y a quelque quinze ans, pour 40 millions, cet édifice nous coûte à ce jour un milliard 300 millions... et il reste encore quelque 600 millions de dépenses pour le finir. On est loin des évaluations de départ.

Aussi. pour parler net, il m'est apparu que si le Conseil municipal de 1946 avait estimé que le rôle de la Ville d'Alger devait se borner à être simplement celui de payeur sans contrôle ni des plans, ni des travaux, notre Conseil municipal ne pouvait accepter des vues aussi simplistes.

Je le déclare formellement : tant que je serai Maire de cette Ville, je n'accepterais pas qu'il soit procédé à une seule inscription budgétaire sans que son utilité ait été préalablement démontrée, sans que nous sachions l'étendue exacte des engagements qu'elle implique, leurs conséquences et les dépenses connexes qu'ils peuvent entraîner.

C'est dans cet esprit que le 3 octobre 1953, tout en me gardant de prendre une position définitive sans vous en avoir préalablement référé, j'ai suggéré à M. le Gouverneur général de réunir une commission où serait examiné le problème dans son ensemble, après quoi le Conseil municipal pourrait juger sur pièces et décider.

Pour éviter toute équivoque, le Conseil et la population ont le droit de connaître le contenu de ma lettre ; le voici :
" Par délibération du 26 juillet 1946, le Conseil municipal a fixé à 20 % la quote-part de la Ville dans les travaux à réaliser au Parc des Sports d'Alger et de la piscine de Bab-el-Oued.

Cet engagement a été, par la suite, consacré par une décision n° 396 du 27 janvier 1947 de votre direction générale de l'Education Nationale, fixant à 80 % le taux de subvention à appliquer pour tous les travaux à entreprendre sur les esplanades des Tagarins et de la Consolation.

Conformément à cette décision, la Ville a, depuis les dates prémentionnées, versé, au fur et à mesure de l'exécution des tra vaux, des contributions dont le total s'élève à ce jour à 7.800.000 francs pour l'esplanade de la Consolation et à 51.116.000 frs (situation arrêtée dans votre lettre à M. le Préfet d'Alger n" 83.595/1.317 du 28 mai 1953) pour l'esplanade des Tagarins.

Dans le cadre de votre décision n" 396 du 27 janvier 1947, la Ville a, par ailleurs, été récemment invitée à acquitter des participations de 1.400.000 francs pour la remise en état de la digue Ouest de l'anse de la Consolation (votre lettre à M. le Préfet n" 84.218/1.384 du 3 juin 1953) et de 18.168.000 francs pour le Parc des Sports des Tagarins (vos lettres à M. le Préfet 83.595/1.317 du 28 mai 1953 et 89.572/2.026 du 31 juillet 1953).

J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'en ce qui concerne notamment la participation fi nancière de la Ville aux travaux du Parc des Sports des Tagarins, la Municipalité actuelle a, en raison des lourdes charges qui vienvent obérer le budget communal du fait de ces travaux, décidé de réviser la position prise par les Municipalités antérieures.

Il lui est apparu, en effet, qu'il était inopportun, eu égard à l'augmentation sans cesse croissante de la population d'Alger et aux problèmes du logement et de la circulation que pose cet accroissement, d'édifier en pleine ville un stade de 100.000 person nes .

Elle a donc exprimé le sentiment qu'il serait préférable de poursuivre extra muros la réalisation d'un tel projet et de réserver les terrains précédemment affectés au Parc des Sports des Tagarins à l'édification d'un quartier résidentiel.

Enfin, elle a une fois de plus affirmé sa volonté de réserver les ressources du budget communal. en dehors de l'exécution des tra vaux édilitaires indispensables et dont la masse est déjà annuellement assez importante, pour la réalisation du programme de l'habitat qu'elle s'est engagée à mener à bien dans les plus courts délais possibles.

Il ne peut, en effet, exister aucun doute sur la priorité dont doit être bénéficiaire cette question primordiale qui doit prendre le pas sur tout autre projet.

Dans cet esprit, je vous serais infiniment obligé, pour répondre au désir exprimé par la Municipalité, des instructions que vous voudrez bien donner pour la réunion d'une commission à laquelle seraient conviés tous les services de l'Algérie engagés dans cette opération ou intéressés par elle, les architectes et les délégués de la Municipalité et qui, en commun, étudieraient le problème et fixeraient pour l'avenir la position de chacune de nos administrations ".

Quelle doit être aujourd'hui notre position ?
C'est. je crois, celle-là même que j'ai clairement définie sur le terrain des Tagarins au Ministre de la Reconstruction, lors de son récent passage : « Nous ne sommes ni pour ni contre la réalisation projetée, mais nous voulons voir et connaître avant d'engager des dépenses considérables dont le montant exact ne paraît pas arrété ".

Si j'ai parlé de quartier résidentiel, c'est eu égard au fait que, quelle que soit la suite donnée au projet - qui dans tous les cas devra réserver le maximum aux espaces libres en jardins pour constituer une sorte de poumon de cette zone agglomérée -, il n'est pas possible d'exclure l'idée d'édifier aux alentours des constructions à usage d'habitat.

C'est d'ailleurs le sentiment de l'auteur même du projet, M. Tombarel, qui, de sa propre initiative, nous a récemment soumis une étude intéressante dans ce sens.

Quoi qu'il en soit, il y a lieu de préciser que ces terrains n'appartiennent pas à la Ville, mais à l'Algérie et à l'Education Nationale qui, en définitive, demeurent seuls maîtres de la destination à leur donner.

Il est donc absurde ou malveillant de parler, comme il l'a été fait, de spéculation sur ces terrains.

Pour conclure, je dirai que l'intérêt des sportifs est une chose dont nous sommes parfaitement conscients et soucieux. La Municipalité ne manquera jamais de le prouver par son aide, mais ce serait faire une bien mauvaise besogne que de vouloir opposer l'intérêt particulier du sport à l'intérêt général tout court, et lui accorder une quelconque priorité.

Car tout sportif est aussi un citoyen dont nous défendons les intérêts généraux parce que nous sommes ses mandataires.

Nous lui devons donc des comptes à un double titre.

Qu'on ne nous reproche pas d'y veiller.