COMMUNICATION DE MONSIEUR LE MAIRE au sujet du Parc
des Sports des Tagarins.
M. Jacques CHEVALLIER, Député- Maire.
Mes chers Collègues,
Ces jours derniers, prenant prétexte de la lettre que j'adressais
le 3 octobre 1953 à M. le Gouverneur général pour
exprimer notre sentiment et nos suggestions quant au projet des Tagarins,
certains journalistes algérois trop complaisamment, voire tendancieusement
renseignés, ont cru devoir manifester une émotion extrême
et, la communiquant non sans quelque malice aux milieux sportifs, ont
tenté de les dresser contre la Municipalité.
C'est ainsi que la lecture du procès-verbal sténographié
de l'Assemblée générale du Comité des Sports
en date du 26 octobre 1953 nous a révélé qu'à
l'occasion de la mise en cause de la Municipalité, un certain
Rivet, Président de la Ligue de Football, se laissa entraîner
à exprimer à notre encontre - et ce disant je vais employer
des mots qui ne dépassent pas ma pensée - toute une série
d'insanités qui, en d'autres temps, eussent définitivement
déshonoré leur auteur.
Ce personnage et ses insinuations ne méritent rien d'autre que
notre commun mépris.
Mais puisque, avant même que le Gouverneur général
ait répondu à ma lettre, l'affaire est portée sur
le forum, il est de mon devoir d'éclairer la population et singulièrement
les milieux sportifs, tant sur la genèse de cette affaire que
sur notre position.
En fait, de quoi s'agit-il ?
Au mois de juillet de cette année, j'étais saisi par nos
services financiers d'une lettre émanant de M. le Gouverneur
général invitant la Ville à payer la somme de 18.168.000
francs à titre de participation dans la construction du Parc
des Sports des Tagarins.
L'étude des comptes faisait apparaître, d'une part, que
la Ville avait déjà déboursé 51.116.000
frs, ce qui, s'ajoutant à la somme réclamée, porte
'à plus de 80.000.000 le total des sommes dépensées
à ce jour, au titre de notre participation à ces travaux.
Soucieux de demeurer fidèle à la politique que nous avons
définie dès notre installation et que nous ne cessons
depuis de confirmer par les faits, politique qui, dans l'immédiat,
confère une priorité absolue au problème de l'habitation
et mobilise dans ce but la totalité de nos ressources, j'invitais
les services compétents à m'indiquer quel serait le montant
total de la dépense des Tagarins et, du même coup, à
combien s'élèverait la participation de la Ville.
Des renseignements, fort imprécis d'ailleurs, qui me furent communiqués,
il ressortait que la dépense totale, une fois le projet achevé,
dépasserait dans tous les cas le milliard et pourrait éventuellement
en atteindre deux.
La Ville s'étant engagée, par une délibération
du 26 juillet 1946, à participer pour 20 % à ces dépenses,
la part lui incombant pouvait donc s'élever en définitive
et suivant le cas à 200 ou 400 millions.
Peut-être eut-il été nécessaire que les journalistes,
avant tout autre commentaire, dévoilassent ces chiffres pour
demeurer dans la plus stricte objectivité.
On n'a pas le droit de les cacher au public car, en définitive,
c'est lui qui règle l'addition.
Par ailleurs, il nous est apparu que le développement considérable
de la Ville imposait que l'on reconsidérât des données
qui, certainement valables oen 1938, date de l'élaboration du
projet, pouvaient peut-être ne l'être plus au- j ourd'hui.
En effet, depuis cette époque, les problèmes de circulation
se sont compliqués un point tel que l'élargissement des
voies urbaines, les expropriations coûteuses qu'elles entraînent,
la construction de parkings, seuls moyens susceptibles de les résoudre,
imposeront des charges considérables à nos budgets futurs.
Il est d'une saine gestion de le prévoir et, dès maintenant,
d'éviter tout ce qui peut congestionner davantage des zones d'une
extrême densité, telles que le centre de la Ville.
En dernier lieu, les imprécisions et les contradictions dans
les renseignements que nous pouvions recueillir quant à l'ordonnance
définitive de ce parc ne manquaient pas de nous surprendre.
Alors que certains prétendent que l'amphithéâtre
n'est prévu que pour 30.000 spectateurs, la lettre n°2.563
de l'Education Nationale du 23 octobre 1953 indique que :
" Ce stade serait doté d'un amphithéâtre à
gradins pouvant recevoir dans l'immédiat 40.000 personnes environ
et, dans l'avenir, 40.000 autres personnes ", soit 80.000.
D'autre part, les architectes nous laissent entrevoir qu'on pourrait
y tenir les jeux olympiques avec 100.000 spectateurs.
Ces différences, dans l'évaluation des spectateurs et,
partant, des travaux nécessaires pour les contenir, méritent
précision et clarté. Méritait également
précision et clarté l'évaluation de la dépense.
Des exemples récents et coûteux nous prouvent que toute
construction dont la réalisation n'est pas dès l'abord
limitée dans le temps, finit par coûter horriblement cher.
Si on connaît le prix au départ, on ne sait jamais ce qu'il
sera à l'arrivée.
La construction de notre Hôtel de Ville le prouve malheureusement.
Prévu, il y a quelque quinze ans, pour 40 millions, cet édifice
nous coûte à ce jour un milliard 300 millions... et il
reste encore quelque 600 millions de dépenses pour le finir.
On est loin des évaluations de départ.
Aussi. pour parler net, il m'est apparu que si le Conseil municipal
de 1946 avait estimé que le rôle de la Ville d'Alger devait
se borner à être simplement celui de payeur sans contrôle
ni des plans, ni des travaux, notre Conseil municipal ne pouvait accepter
des vues aussi simplistes.
Je le déclare formellement : tant que je serai Maire de cette
Ville, je n'accepterais pas qu'il soit procédé à
une seule inscription budgétaire sans que son utilité
ait été préalablement démontrée,
sans que nous sachions l'étendue exacte des engagements qu'elle
implique, leurs conséquences et les dépenses connexes
qu'ils peuvent entraîner.
C'est dans cet esprit que le 3 octobre 1953, tout en me gardant de prendre
une position définitive sans vous en avoir préalablement
référé, j'ai suggéré à M.
le Gouverneur général de réunir une commission
où serait examiné le problème dans son ensemble,
après quoi le Conseil municipal pourrait juger sur pièces
et décider.
Pour éviter toute équivoque, le Conseil et la population
ont le droit de connaître le contenu de ma lettre ; le voici :
" Par délibération du 26 juillet 1946, le Conseil
municipal a fixé à 20 % la quote-part de la Ville dans
les travaux à réaliser au Parc des Sports d'Alger et de
la piscine de Bab-el-Oued.
Cet engagement a été, par la suite, consacré par
une décision n° 396 du 27 janvier 1947 de votre direction
générale de l'Education Nationale, fixant à 80
% le taux de subvention à appliquer pour tous les travaux à
entreprendre sur les esplanades des Tagarins et de la Consolation.
Conformément à cette décision, la Ville a, depuis
les dates prémentionnées, versé, au fur et à
mesure de l'exécution des tra vaux, des contributions dont le
total s'élève à ce jour à 7.800.000 francs
pour l'esplanade de la Consolation et à 51.116.000 frs (situation
arrêtée dans votre lettre à M. le Préfet
d'Alger n" 83.595/1.317 du 28 mai 1953) pour l'esplanade des Tagarins.
Dans le cadre de votre décision n" 396 du 27 janvier 1947,
la Ville a, par ailleurs, été récemment invitée
à acquitter des participations de 1.400.000 francs pour la remise
en état de la digue Ouest de l'anse de la Consolation (votre
lettre à M. le Préfet n" 84.218/1.384 du 3 juin 1953)
et de 18.168.000 francs pour le Parc des Sports des Tagarins (vos lettres
à M. le Préfet 83.595/1.317 du 28 mai 1953 et 89.572/2.026
du 31 juillet 1953).
J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'en ce qui concerne notamment
la participation fi nancière de la Ville aux travaux du Parc
des Sports des Tagarins, la Municipalité actuelle a, en raison
des lourdes charges qui vienvent obérer le budget communal du
fait de ces travaux, décidé de réviser la position
prise par les Municipalités antérieures.
Il lui est apparu, en effet, qu'il était inopportun, eu égard
à l'augmentation sans cesse croissante de la population d'Alger
et aux problèmes du logement et de la circulation que pose cet
accroissement, d'édifier en pleine ville un stade de 100.000
person nes .
Elle a donc exprimé le sentiment qu'il serait préférable
de poursuivre extra muros la réalisation d'un tel projet et de
réserver les terrains précédemment affectés
au Parc des Sports des Tagarins à l'édification d'un quartier
résidentiel.
Enfin, elle a une fois de plus affirmé sa volonté de réserver
les ressources du budget communal. en dehors de l'exécution des
tra vaux édilitaires indispensables et dont la masse est déjà
annuellement assez importante, pour la réalisation du programme
de l'habitat qu'elle s'est engagée à mener à bien
dans les plus courts délais possibles.
Il ne peut, en effet, exister aucun doute sur la priorité dont
doit être bénéficiaire cette question primordiale
qui doit prendre le pas sur tout autre projet.
Dans cet esprit, je vous serais infiniment obligé, pour répondre
au désir exprimé par la Municipalité, des instructions
que vous voudrez bien donner pour la réunion d'une commission
à laquelle seraient conviés tous les services de l'Algérie
engagés dans cette opération ou intéressés
par elle, les architectes et les délégués de la
Municipalité et qui, en commun, étudieraient le problème
et fixeraient pour l'avenir la position de chacune de nos administrations
".
Quelle doit être aujourd'hui notre position ?
C'est. je crois, celle-là même que j'ai clairement définie
sur le terrain des Tagarins au Ministre de la Reconstruction, lors de
son récent passage : « Nous ne sommes ni pour ni contre
la réalisation projetée, mais nous voulons voir et connaître
avant d'engager des dépenses considérables dont le montant
exact ne paraît pas arrété ".
Si j'ai parlé de quartier résidentiel, c'est eu égard
au fait que, quelle que soit la suite donnée au projet - qui
dans tous les cas devra réserver le maximum aux espaces libres
en jardins pour constituer une sorte de poumon de cette zone agglomérée
-, il n'est pas possible d'exclure l'idée d'édifier aux
alentours des constructions à usage d'habitat.
C'est d'ailleurs le sentiment de l'auteur même du projet, M. Tombarel,
qui, de sa propre initiative, nous a récemment soumis une étude
intéressante dans ce sens.
Quoi qu'il en soit, il y a lieu de préciser que ces terrains
n'appartiennent pas à la Ville, mais à l'Algérie
et à l'Education Nationale qui, en définitive, demeurent
seuls maîtres de la destination à leur donner.
Il est donc absurde ou malveillant de parler, comme il l'a été
fait, de spéculation sur ces terrains.
Pour conclure, je dirai que l'intérêt des sportifs est
une chose dont nous sommes parfaitement conscients et soucieux. La Municipalité
ne manquera jamais de le prouver par son aide, mais ce serait faire
une bien mauvaise besogne que de vouloir opposer l'intérêt
particulier du sport à l'intérêt général
tout court, et lui accorder une quelconque priorité.
Car tout sportif est aussi un citoyen dont nous défendons les
intérêts généraux parce que nous sommes ses
mandataires.
Nous lui devons donc des comptes à un double titre.
Qu'on ne nous reproche pas d'y veiller.