------Aujourd'hui,
quelques heures d'avion suffisent à traverser le désert.
------Rallyes
en tous genres le feraient presque considérer comme un grand terrain
de jeu pour voitures de course et motos tous terrains : vu d'Europe, le
Sahara ne fait plus vraiment peur : il faut le pimenter d'un peu d'exploit
sportif pour ne pas le trouver fade.
------Il y
a près de quatre-vingts ans, seules les caravanes le traversaient
plus ou moins régulièrement au péril de la soif.
Aussi, lorsqu'en 1922, André Citroën annonce qu'un convoi
d'automobiles va s'attaquer aux immensités sahariennes, la presse
crie au défi impossible, à l'aventure surhumaine, à
la mission suicide, et rend presque un hommage prématurément
posthume à ceux dont le grain de folie se mêlera bientôt
aux grains de sable du désert.
------Rien
d'épique ni de romantique, en revanche, dans le livre de bord de
Georges Marie Haardt et Louis Audouin-Dubreuil, les chefs de la mission
: on roule, les jours succèdent aux jours, départ tous les
matins avant l'aube, arrêt le soir au déclin du soleil après
avoir avalé quelques centaines de kilomètres et des tonnes
de poussière : les moteurs tournent rond : la soupe pourrait être
meilleure... N'étaient quelques rencontres de touareg, on s'ennuierait
presque.
------ Haardt
et Audouin-Dubreuil s'extasient plus devant "l'exploit " de
leur petite Flossie, la première chienne à traverser le
Sahara en voiture, que devant celui qu'ils sont en passe d'accomplir.
------Pourquoi
s'enthousiasmer puisque tout se passe exactement comme prévu ?
Le triomphe de la Transsaharienne, c'est celui de la méthode sur
le chaos des éléments : on sait exactement où l'on
va, quelle orientation suivre, quelle quantité d'essence emporter
et où se trouvent les postes de ravitaillement. La "glorieuse
incertitude du sport" n'a pas sa place ici. D'ailleurs, Haardt et
Audouin-Dubreuil ne sont pas des sportifs, des "conquérants
de l'inutile". Tout au contraire, ils croient à la profonde
utilité de ce qu'ils font. Ils veulent ouvrir une route régulière
; ils doivent donc démontrer que le Sahara est non seulement possible,
mais même pas si difficile que cela. Et pour bien mettre en évidence
l'intérêt économique et administratif de l'entreprise,
on embarque dans les bagages un gros sac de courrier. Des plis que l'on
qualifierait bien à tort de "philatéliques" :
Ils sont là pour permettre de comparer les mérites des voies
continentale et maritime.
Et pour bien enfoncer le clou, après cette première traversée
du désert dans le sens nord-sud, l'équipe Citroën redouble
son exploit en le retraversant dans le sens inverse pour regagner l'Algérie.
Route stratégique
------Tant pis pour
la modestie d'Haardt et d'Audoin-Dubrcuil, il faut saluer leur expédition
pour ce qu'elle fut : une fantastique aventure humaine, une véritable
oeuvre de défricheurs d'infini ! Et quelle performance technique
: elle mettait en évidence la qualité d'un nouveau type
de véhicule spécialement conçu pour le désert
par Citroën et l'ingénieur Adolphe Kégresse l'autochenille.
------Par
la suite, les deux hommes seront encore associés aux autres grands
raids Citroën : la Croisière noire, à travers toute
l'Afrique en 1924-25, et la Croisière jaune, de Beyrouth à
Pékin en 1931-32, au cours le laquelle Haardt mourra. Jusqu'au
début des années cinquante, les camions transportant les
marchandises sur les pistes reconnues par les missions transsahariennes
assurèrent également un service postal.
D'Alger au Tchad en
droite ligne
------En 1924, Gaston
Gradis, officier de réserve et ancien polytechnicien, tente l'aventure
par une autre route : celle de l'Ouest, en partant de Colomb-Béchar.
Sa deuxième expédition (novembre-décembre 1924) ne
se contente pas de traverser le désert, mais pousse jusqu'au golfe
du Bénin, ouvrant la route entre Méditerranée et
Afrique occidentale. "Sur cet itinéraire,
écrit-il, passeront les troupes noires dont nous aurons un jour
besoin peut-être, soit pour qu'elles viennent combattre en France,
soit plutôt pour qu'elles occupent l'Afrique du Nord, dont les hommes
viendraient défendre la Métropole".
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------Et, comme
pour mieux démontrer que l'entreprise ne nécessite pas de
qualités athlétiques hors du commun, Gradis emmène
avec lui... une jeune femme et un vieux maréchal de France !
------------Haardt
et Audoin-Dubreuil, c'était Citroën et ses voitures à
chenilles ; avec Gradis, le désert paraît encore plus accessible
: Renault lui a fourni des véhicules à trois essieux munis
de simples roues à pneumatiques. Dans les oasis et les villages
étapes de la brousse, Henri de Kérillis "l'historien"
de la mission Gradis, note avec une admiration mêlée d'ironie
la présence de ceux qu'il nomme les "Citroënosaures"
: mécaniciens, anciens officiers ou fonctionnaires coloniaux, vivant
à la manière de potentats locaux, chargés de mettre
en place sur presque la moitié du continent noir un réseau
de "concessionnaires" Citroën avant la lettre. Restait
à tenter une troisième route : celle qui, à travers
l'Est algérien, piquerait directement par Tamanrasset et Agadès
en direction du Nigéria anglais. Prolongée plus loin, elle
pourrait conduire presque en droite ligne au Congo et à l'Afrique
équatoriale. Le prince Sixte de Bourbon, qui choisit de tenter
l'aventure en 1929, voyait même bien au-delà: raccordant
piste saharienne française, chemins de fer du Congo belge et lignes
aériennes anglaises, c'est une route commerciale Alger-Le Cap qu'il
imaginait.
Le Sahara en Solex
------Sixte de Bourbon
poussa un peu plus loin
la démythification de l'exploit : il s'attaqua au désert
puis à la brousse avec trois camionnettes Delahaye à carburateurs
Solex quasiment identiques à celles qui roulaient en France. Là
encore, succès sur toute la ligne d'une entreprise menée
tambour battant, avec une rigueur toute militaire : en à peine
deux semaines, le désert est avalé. La mission explore alors
les bords du lac Tchad et la boucle du Niger... puis revient sur Alger
en bravant de nouveau les immensités de sable et de pierre par
Gao, Ouallen, Colomb-Béchar : en sens inverse, l'itinéraire
de Gradis, cinq ans plus tôt. Soit un périple de 10.000 km
avec des véhicules ordinaires... sur les routes qui ne l'étaient
pas. Et toujours avec cette volonté de présenter cette fantastique
équipée comme une simple reconnaissance d'un parcours que
bientôt des milliers de véhicules accompliront routinièrement.
Or ce ne fut pas le cas. En une dizaine d'années, l'aviation allait
faire des progrès que les aventuriers du Sahara n'imaginaient peutêtre
pas. Dès lors, pourquoi aménager des milliers de kilomètres
de route là où quelques pistes d'attérissage suffisent
? Et puis, surtout, la modestie avec laquelle ils ont relaté leurs
périples - cette modestie qui nous semble tellement étonnante
à l'heure de la médiatisation forcenée et la sponsorisation
de l'exploit - cachait des caractères hors du commun et des performances
qui n'étaient pas à la portée du premier venu. Bien
sûr, ces expéditions ne furent pas inutiles, mais leur principal
intérêt fut d'ordre géographique. Si elles permirent
de jeter les bases d'un transport de
courrier par camion qui fonctionna jusque dans les années cinquante,
jamais les routes transsahariennes ne devinrent les grands axes économiques
et stratégiques que leurs défricheurs croyaient ouvrir.
DM
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