sur site le 23-3-2003
-Du sport, des sportifs à Alger et en Algérie
Tout le sable du désert n'a pu arrêter leurs roues!
pnha, n°93, sept 1998.
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------Aujourd'hui, quelques heures d'avion suffisent à traverser le désert.
------Rallyes en tous genres le feraient presque considérer comme un grand terrain de jeu pour voitures de course et motos tous terrains : vu d'Europe, le Sahara ne fait plus vraiment peur : il faut le pimenter d'un peu d'exploit sportif pour ne pas le trouver fade.
------Il y a près de quatre-vingts ans, seules les caravanes le traversaient plus ou moins régulièrement au péril de la soif. Aussi, lorsqu'en 1922, André Citroën annonce qu'un convoi d'automobiles va s'attaquer aux immensités sahariennes, la presse crie au défi impossible, à l'aventure surhumaine, à la mission suicide, et rend presque un hommage prématurément posthume à ceux dont le grain de folie se mêlera bientôt aux grains de sable du désert.
------Rien d'épique ni de romantique, en revanche, dans le livre de bord de Georges Marie Haardt et Louis Audouin-Dubreuil, les chefs de la mission : on roule, les jours succèdent aux jours, départ tous les matins avant l'aube, arrêt le soir au déclin du soleil après avoir avalé quelques centaines de kilomètres et des tonnes de poussière : les moteurs tournent rond : la soupe pourrait être meilleure... N'étaient quelques rencontres de touareg, on s'ennuierait presque.
------ Haardt et Audouin-Dubreuil s'extasient plus devant "l'exploit " de leur petite Flossie, la première chienne à traverser le Sahara en voiture, que devant celui qu'ils sont en passe d'accomplir. ------Pourquoi s'enthousiasmer puisque tout se passe exactement comme prévu ? Le triomphe de la Transsaharienne, c'est celui de la méthode sur le chaos des éléments : on sait exactement où l'on va, quelle orientation suivre, quelle quantité d'essence emporter et où se trouvent les postes de ravitaillement. La "glorieuse incertitude du sport" n'a pas sa place ici. D'ailleurs, Haardt et Audouin-Dubreuil ne sont pas des sportifs, des "conquérants de l'inutile". Tout au contraire, ils croient à la profonde utilité de ce qu'ils font. Ils veulent ouvrir une route régulière ; ils doivent donc démontrer que le Sahara est non seulement possible, mais même pas si difficile que cela. Et pour bien mettre en évidence l'intérêt économique et administratif de l'entreprise, on embarque dans les bagages un gros sac de courrier. Des plis que l'on qualifierait bien à tort de "philatéliques" : Ils sont là pour permettre de comparer les mérites des voies continentale et maritime.
Et pour bien enfoncer le clou, après cette première traversée du désert dans le sens nord-sud, l'équipe Citroën redouble son exploit en le retraversant dans le sens inverse pour regagner l'Algérie.

Route stratégique

------Tant pis pour la modestie d'Haardt et d'Audoin-Dubrcuil, il faut saluer leur expédition pour ce qu'elle fut : une fantastique aventure humaine, une véritable oeuvre de défricheurs d'infini ! Et quelle performance technique : elle mettait en évidence la qualité d'un nouveau type de véhicule spécialement conçu pour le désert par Citroën et l'ingénieur Adolphe Kégresse l'autochenille.
------Par la suite, les deux hommes seront encore associés aux autres grands raids Citroën : la Croisière noire, à travers toute l'Afrique en 1924-25, et la Croisière jaune, de Beyrouth à Pékin en 1931-32, au cours le laquelle Haardt mourra. Jusqu'au début des années cinquante, les camions transportant les marchandises sur les pistes reconnues par les missions transsahariennes assurèrent également un service postal.

D'Alger au Tchad en droite ligne

------En 1924, Gaston Gradis, officier de réserve et ancien polytechnicien, tente l'aventure par une autre route : celle de l'Ouest, en partant de Colomb-Béchar. Sa deuxième expédition (novembre-décembre 1924) ne se contente pas de traverser le désert, mais pousse jusqu'au golfe du Bénin, ouvrant la route entre Méditerranée et Afrique occidentale. "Sur cet itinéraire, écrit-il, passeront les troupes noires dont nous aurons un jour besoin peut-être, soit pour qu'elles viennent combattre en France, soit plutôt pour qu'elles occupent l'Afrique du Nord, dont les hommes viendraient défendre la Métropole".

 

------Et, comme pour mieux démontrer que l'entreprise ne nécessite pas de qualités athlétiques hors du commun, Gradis emmène avec lui... une jeune femme et un vieux maréchal de France !
------------Haardt et Audoin-Dubreuil, c'était Citroën et ses voitures à chenilles ; avec Gradis, le désert paraît encore plus accessible : Renault lui a fourni des véhicules à trois essieux munis de simples roues à pneumatiques. Dans les oasis et les villages étapes de la brousse, Henri de Kérillis "l'historien" de la mission Gradis, note avec une admiration mêlée d'ironie la présence de ceux qu'il nomme les "Citroënosaures" : mécaniciens, anciens officiers ou fonctionnaires coloniaux, vivant à la manière de potentats locaux, chargés de mettre en place sur presque la moitié du continent noir un réseau de "concessionnaires" Citroën avant la lettre. Restait à tenter une troisième route : celle qui, à travers l'Est algérien, piquerait directement par Tamanrasset et Agadès en direction du Nigéria anglais. Prolongée plus loin, elle pourrait conduire presque en droite ligne au Congo et à l'Afrique équatoriale. Le prince Sixte de Bourbon, qui choisit de tenter l'aventure en 1929, voyait même bien au-delà: raccordant piste saharienne française, chemins de fer du Congo belge et lignes aériennes anglaises, c'est une route commerciale Alger-Le Cap qu'il imaginait.

Le Sahara en Solex

------Sixte de Bourbon poussa un peu plus loin
la démythification de l'exploit : il s'attaqua au désert puis à la brousse avec trois camionnettes Delahaye à carburateurs Solex quasiment identiques à celles qui roulaient en France. Là encore, succès sur toute la ligne d'une entreprise menée tambour battant, avec une rigueur toute militaire : en à peine deux semaines, le désert est avalé. La mission explore alors les bords du lac Tchad et la boucle du Niger... puis revient sur Alger en bravant de nouveau les immensités de sable et de pierre par Gao, Ouallen, Colomb-Béchar : en sens inverse, l'itinéraire de Gradis, cinq ans plus tôt. Soit un périple de 10.000 km avec des véhicules ordinaires... sur les routes qui ne l'étaient pas. Et toujours avec cette volonté de présenter cette fantastique équipée comme une simple reconnaissance d'un parcours que bientôt des milliers de véhicules accompliront routinièrement. Or ce ne fut pas le cas. En une dizaine d'années, l'aviation allait faire des progrès que les aventuriers du Sahara n'imaginaient peutêtre pas. Dès lors, pourquoi aménager des milliers de kilomètres de route là où quelques pistes d'attérissage suffisent ? Et puis, surtout, la modestie avec laquelle ils ont relaté leurs périples - cette modestie qui nous semble tellement étonnante à l'heure de la médiatisation forcenée et la sponsorisation de l'exploit - cachait des caractères hors du commun et des performances qui n'étaient pas à la portée du premier venu. Bien sûr, ces expéditions ne furent pas inutiles, mais leur principal intérêt fut d'ordre géographique. Si elles permirent de jeter les bases d'un transport de
courrier par camion qui fonctionna jusque dans les années cinquante, jamais les routes transsahariennes ne devinrent les grands axes économiques et stratégiques que leurs défricheurs croyaient ouvrir.

DM