-----Énorme
surprise le 5 août 1928, quand un petit coureur à la foulée
régulière et trottinante pénètre en tête
le stade olympique d'Amsterdam, à l'issue des 42,195 km du marathon
des jeux. Personne ne connaît sous le dossard n°71, Boughera
El Ouafi découvert en Algérie (où il est né
le 15 octobre 1898, près de Sétif , alors qu'il effectue
son service militaire au 25e Régiment de Tirailleurs, et installé
depuis cinq ans en métropole.
La métropole
-----Son goût
pour les épreuves sportives et ses résultats en cross ont
amené son supérieur, le lieutenant Vaquier, à l'envoyer
à Paris en 1923 (il a vingt-quatre ans), pour y défendre
les couleurs de son bataillon dans une compétition militaire où
son excellent comportement, son bon caractère, sa gentillesse le
font rapidement apprécier de ses camarades. Ses résultats
lui permettent de participer aux épreuves de sélection pour
les jeux Olympiques de Paris.
-----Au Marathon, il réussit une brillante
course et termine 7è de l'épreuve en 2 h 54' 19" 1
à moins de 13 minutes du vainqueur, le Finlandais Stenroos.
-----Licencié au C.A.S.G., puis au
Club Olympique de Billancourt, il court pour son club, avec des fortunes
diverses, et se consacre à son métier de décolleteur
aux usines Renault.
-----D'une grande discrétion, El Ouafi
se prépare en 1928 pour les jeux d'Amsterdam. Sous la direction
de Louis Corlet, ancien crossman, il multiplie les séances d'entraînement
et les sorties en sous-bois.
-----Le 17 juin 1928, aligné au départ
de Paris-Corbeil, il arrive 6è.
-----Le 8 juillet, il dispute la classique
Paris-Melun et, avec son éternel sourire, s'impose haut la main.
Le voilà à nouveau sélectionné pour le marathon
olympique.
Amsterdam 1928
-----Le dimanche
5 août, l'ouvrier d'Algérie de chez Renault est au milieu
du peloton compact des soixante-sept concurrents. Personne ne prête
attention à sa fragile silhouette. Les Japonais, les Britanniques
et les Finlandais sont considérés comme les meilleurs spécialistes
d'une discipline où les défaillances provoquent souvent
des sélections impitoyables. -----Le
temps est doux, le ciel brumeux, conditions idéales pour une course
de fond. Le Japonais Yamada prend immédiatement la tête.
Le peloton s'étire.
-----Prudemment, El Ouafi court à
son train. Une vingtaine d'hommes le précèdent. Les écarts
se creusent. Il ne s'affole pas et contrôle à distance les
hommes de tête. Au 10è km, il est pointé en 20è
position avec près de 2'30'' de retard sur le premier. D'une allure
souple et sans chercher à aller plus vite, il revient peu à
peu sur des adversaires asphyxiés par un début de course
trop rapide.
-----Au 21e kilomètre, à mi-course,
six hommes, aux avant-postes, s'observent.
-----Yamada et Ishida, les deux lévriers
nippons, Joe Ray, l'Américain, Martellin et Laaksonen, les inévitables
Finlandais et l'étonnant Canadien Bricker. L'entente ne règne
pas.Yamada se méfie de son équipier Ishida.Au 25` kilomètre,
d'une petite foulée puissante et rasante, il démarre. Les
prétendants aux titres s'accrochent, tentent de conserverYamada
en point de mire puis s'essoufflent.Yamada lui-même commence à
accuser le coup. Alors, El Ouafi, serein, remonte, avec une belle régularité,
les coureurs épuisés, à l'agonie, incapables de réagir
---Au 32è kilomètre, continuant
sur sa lancée à la même cadence, El Ouafi, 3è
sait que, devant, Ray et Yamada faiblissent à leur tour.
-----A 5 500 m de l'arrivée, l'Américain
est à sa hauteur. Il le lâche. 300 m plus loin, il double
le japonais. Au stade olympique, Alfred Spitzer, l'entraîneur du
demi-fond français, demande au perchiste Robert Vintouski d'aller
aux nouvelles en rejoignant le dernier ravitaillement.
-----Il lui glisse cinq pastilles Vichy,
dont le nom a été rayé avec une lime à ongles
! A l'époque, la publicité est interdite.
Vintouski "emprunte" la première bicyclette abandonnée
par son propriétaire et file vers le dernier poste de rafraîchissements
offerts aux coureurs, à 5 km de l'arrivée. Dans le lointain
apparaît une frêle silhouette qui avance en souplesse.
-----Vintouski n'en croit pas ses yeux :
son ami El Ouafi est en tête ! S'approchant de la table où
sont disposés les verres, il serre rapidement la main du coureur
et lui transmet les pastilles qu'El Ouafi avale avec de l'eau !
-----Un clin d'oeil à son camarade
et il repart. "Vas-y et merde !" crie Robert Vintouski.A moins
de 3 km de l'arrivée, le Chilien Plaza rejoint le Français,
mais son effort est trop violent.
-----Il a présumé de ses forces.
En douceur, El Ouafi le dépasse à 1 500 m de la ligne.
-----Après 2 h 32' 57" de course,
il franchit la ligne d'arrivée, sourire aux lèvres, avec
26 secondes d'avance sur Plaza. Le Finnois Martellin, 3è, accuse
2'5" de retard.
Médaille d'or
et misère
-----El Ouafi est
champion olympique du marathon. Aux vestiaires, il appelle son ami Robert
Vintouski et, avec simplicité, lui offre sans un mot son maillot
frappé du coq
-----Après sa victoire, une tournée
de six mois aux Etats-Unis lui rapporte un peu d'argent.
-----Disqualifié pour faits de professionnalisme,
il s'achète ensuite un petit café près de la gare
d'Austerlitz à Paris, avant de sombrer dans l'oubli, jusqu'au triomphe
de Mimoun, autre fils d'Algérie, à Melbourne en 1956, vingt-huit
ans après son succès.
-----Il meurt le 18 octobre 1959, dans la
misère, à la suite d'une fusillade du FLN dans un café
de Saint-Denis. Fier d'être un ancien militaire français,
il n'avait pas voulu cotiser et participer à la propagande révolutionnaire
des fellaghas à Paris.
F. M.
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