Les difficultés matérielles,
la recrudescence des naissances, l'augmentation des moyens d'agrément,
le désir constant d'élévation du standard de vie
ont poussé les parents dès la fin de la guerre de 1939,
à assurer une situation à leurs filles. L'école,
la culture française ont préparé la jeunesse, et
les enfants de 1939, en passant par les événements de 1944
puis ceux de 1934, sont devenus adultes. Nés dans la guerre et
continuant à la subir, ce sont des êtres qui n'ont jamais
connu une vie normale et paisible basée sur les bonnes traditions
et les principes modérateurs de la famille religieuse.
La femme d'aujourd'hui n'a connu durant son enfance que les soucis et
les difficultés. Devant l'exubérance des moyens modernes,
face aux problèmes sociaux, aidée par son instruction, le
travail et l'appât du gain, elle a rejeté non seulement le
voile (cache-misère) mais, désirant se débarrasser
de ses complexes séculaires et se dégager des entraves sociales
elle affronte hardiment la vie sociale algérienne, décidée
à vaincre et réussir quels que soient les moyens à
employer.
Une rupture définitive avec le passé
vient de se produire. La femme d'aujourd'hui, avant ou pendant le mariage
se considère comme un être tout à fait libre.
La promotion sociale musulmane lui ayant
ouvert les portes du travail lui a permis de gagner sa vie et de se dégager
de l'emprise séculaire des parents et du mari.
Ce que l'Europe et l'Amérique ont
subi au cours du XlX` siècle lorsque la femme a pris en mains les
rênes de sa destinée, l'Algérie par une évolution
circonstancielle est en train de le subir.
Cette évolution ou plus exactement cette révolution est
à son point de départ. Rien ne pourra l'arrêter.
Ni les vieux parents, ni les autorités administratives ne pourront
endiguer cet élan, car, il est naturel et il
répond aux besoins logiques des nécessités vitales.
D'après le Coran et la tradition du Prophète toute la sociale
est essentiellement basée sur la famille.
Le mariage n'est toléré que dans la mesure où les
conjoints ont la possibilité de procréer, sinon la polygamie
devient un droit religieux afin d'agrandir la famille. La femme vit avec
l'homme en régime de séparation de biens. Conservant sa
fortune personnelle, elle est en droit d'exiger de son époux toutes
les garanties vitales sans quelle soit obligée de l'assister en
cas de difficultés. Elle a tous les droits sur lui. L'époux
ne possède que le droit de la répudier s'il ne peut subvenir
à tous ses besoins légaux.
Toutefois, l'homme détient au sein de la famille un droit de puissance
paternelle. S'il est responsable de ses enfants jusqu'à leur émancipation,
il conserve néanmoins le droit de djeb (obligation) sur ses filles.
Il peut s'opposer à leur mariage s'il juge que le futur époux
est de condition inférieure à la sienne.
Le Coran permet ainsi une liberté surveillée par laquelle
la personnalité a le droit de se développer sans dépasser
les principes moraux et sociaux édictés par les lois religieuses.
Seulement, en Algérie où la foi islamique n'est suivie que
d'une façon foute superficielle, où les principes fondamentaux
sont appliqués suivant les nécessités de l'heure
et pour faire plaisir au voisin et non être agréable à
Dieu, la famille musulmane a évolué dans un cercle restreint
appliquant des principes souvent contraires au Coran et au Hadith.
La femme qui constitue la base de la famille, le ciment de cohésion
entre ses membres, le soutien moral des grands et des petits était
cloîtrée et réduite au rang de gardienne domestique,
de souffre-douleur dont les avis n'étaient jamais pris en considération
par les mâles.
C'était l'être inférieur, bonne à tout faire,
éduquée et formée dès son plus jeune âge
à être l'esclave du mâle.
De nos jours même le principe du Ouali (mâle protecteur) est
de rigueur.
Nantie par le Coran de nombreuses libertés, elle n'a encore pas
le droit de sortir seule et en l'absence du mari, pour faire ses commissions,
aller au bain ou accompagner ses entants à la visite du médecin.
Sinon, l'époux pourrait invoquer ce motif pour la répudier
et prendre une autre femme avant même que le divorce soit définitif
puisque la polygamie est toujours permise en Algérie.
Bien plus, en pays kabyle, la femme, en cas de divorce est dépouillée
de ses bijoux personnels qu' elle avait obtenus en dot à la suite
d'un mariage, où, très jeune, elle n'avait jamais été
consultée. Les mariages à la " Fatiha " continuent
à être consacrés par des talebs qui attendent cette
occasion bénéfique et lucrative avec impatience.
Les parents mêmes s'ingénient, par des actes ou suivant des
coutumes qui n'ont rien à voir avec l'Islam pour déshériter
la fille. En cas de divorce elle a bien le droit de retourner vivre sous
le toit paternel, mais elle ne peut bénéficier que de l'usufruit.
Quant au patrimoine ancestral elle ne peut ni le céder, ni en user
à sa guise. De plus la mère, en cas de décès
de l'époux demeure sous la tutelle affective de ses fils et en
cas de remariage, c'est son propre fils qui est son " ouali ".
Dans une famille où la femme vit constamment sous la botte des
mâles, dans la crainte d'une répudiation ou de se voir supplantée
par une autre épouse, si la cohésion n'est pas imposée
par un chef énergique et compréhensif, la formation religieuse
ne peut se faire véritablement au sein même de cette famille.
C'est pourquoi, en dehors des applications des rites extérieurs,
les enfants ne recevaient de la part des parents qu'une formation toute
superficielle basée bien plus sur la crainte que sur l'amour, davantage
sur la peur des critiques que sur la conscience individuelle ou l'amour
de Dieu.
L'homme, laissant les femmes se débrouiller
dans son harem, peu soucieux d'une vie de foyer bien conditionnée,
se préoccupait du gagne-pain quotidien et en cas de fatigue allait
se distraire à l'extérieur. Les femmes vivaient seules,
les hommes également. Le contact entre les éléments
pouvait nuire à l'harmonie du ménage et l'homme, peu soucieux
du cur de la femme n'entendait pas courir le risque qu'on bafouât
le sien.
La femme, jusqu'au début de la deuxième
grande guerre a supporté son état. Croyant sincèrement
que son rôle consistait à être l'esclave de l'homme,
elle acceptait sa condition tout en la haïssant, ne comprenant pas
que Dieu puisse tolérer de tels abus. Il est vrai qu'elle ignorait
ce que Dieu voulait d'elle et ce qu'il lui permettait. Ignorante, enfermée,
elle se contentait de ce que lui conseillaient ses parents, puis son mari
et en fin de compte, ses fils.
L'école a ouvert les yeux de la jeune fille musulmane. Lisant dans
le texte coranique, elle a appris à connaître quels sont
ses droits.
Les aînées avaient tenté de briser les chaînes
pour former des familles modernes et religieuses à la fois. Une
certaine suspicion de la part des fanatiques a voulu contrecarrer cette
tentative de libération. Les talebs, les vieux, les cheikhs ont
poussé des cris d'alarme. Seulement c'était la guerre. Les
hommes valides, les époux et les fils étaient partis au
combat.
Devant la pénurie des matières alimentaires contingentées,
la misère, les épidémies de typhus, la famine, la
femme était acculée à faire face souvent seule, à
des obligations nouvelles auxquelles elle n'était pas préparée.
Elle s'est vite adaptée. Seulement la nécessité qui
l'a poussée à vaincre des difficultés matérielles
lui a permis de voir clair dans la vie et de se rendre compte de sa situation,
de ses capacités, de ses dons et de ses possibilités.
Dès la fin de la guerre et au retour de la vie normale, elle avait
déjà acquis une certaine expérience, une liberté
d'action dont elle ne voulait plus se dessaisir.
Ayant pris l'habitude de mener la famille à sa guise, elle ne tenait
plus à être réduite de nouveau au rang inférieur
où elle était confinée jusqu'à présent.
D'où des heurts inévitables ; mais le mouvement d'émancipation
était commencé.
Une bataille sourde s'engage entre l'ancien et le moderne : tendance des
femmes à former une existence libre, tentative des hommes de reprendre
en mains des rênes qui leur échappent.
Placée devant un dilemme, la femme va à l'avenir baser tous
ses espoirs sur ses enfants, notamment ses filles. Elle va les former
à son image. Elle les attire à elle, les éduque,
les envoie à l'école et les prépare à une
vie future nouvelle basée sur la logique des événements.
Beaucoup de femmes ayant pris goût au travail extérieur se
dégagent du mari qui ne veut pas se démettre de ses prérogatives
ancestrales. Elles vont à l'avenir choisir leur mari et au besoin
former une famille à part, rompant avec les coutumes traditionnelles.
C'est le modernisme et avec lui le voile qui tombe.
La jeunesse se modèle sur une époque de tension et de renouveau
à la fois. Les exemples vivants des talebs imbus de tradition ne
sont plus courants. La période 1939-45, en réduisant toutes
les couches sociales aux mêmes nécessités, a bouleversé
les classes. Les maîtres coraniques cessant d'être protégés
et pourvus par les riches fellahs, furent obligés de quitter, peut-être
sans regret, leurs djamas, leurs retraites respectives, pour aller en
ville se mettre au travail de l'usine ou du négoce afin de conserver
leur dignité bafouée, piétinée ingratement
par les parvenus et les nouveaux riches du marché noir. Ils se
mêlent à la classe ignorante, se laissant gagner par un matérialisme
impitoyable, ils oublient et le Coran et son application.
Dès lors, et aussitôt la paix retrouvée, nous assistons
à un afflux de matières premières et d'objets nouveaux
qui offrent à I individu toute possibilité de lucre, de
bien-être et finalement de facilités dans les murs.
La retenue n'est plus de mise. La pudeur devient une faiblesse ou un défaut.
Une course aux plaisirs marque nettement une tendance à l'éloignement
de Dieu.
D'ailleurs les religieux eux-mêmes sont gagnés par une atmosphère
d'insouciance et de tolérance bienveillante.
Certains, pour obtenir de la considération, se montrent complaisants
à peu de frais. Nous avons même assisté à des
Fétouas écrites (sentences juridiques) données comme
garanties à une tapageuse société de boisson américaine
par des muphtis en quête d'honneurs et d'intérêts matériels.
Les enfants d'après-guerre n'ont donc rien vu de véritablement
solide une fois qu'ils ont commencé à grandir. Parents insouciants
et en lutte intestine, ambiance de futilité, relâchement
des moeurs, ils n'ont vécu que sur des exemples concrets niais
dénués d'élévation spirituelle et morale.
De plus les mères de famille, peu préoccupées par
l'éducation de la future génération cherchaient davantage
à acquérir leur propre liberté qu'à régler
celle de leurs enfants. La famille était devenue branlante prête
à chavirer au moindre coup de vent.
Ce coup fatal fut donné par les événements de novembre
1954.
L'esprit d'aventure cultivé par les films, les récits des
soldats revenus des quatre coins du monde, la fertilité d'imagination
et le manque de formation vraiment familiale, ont, dès l'éclatement
des premières bombes donné à la jeunesse de 13 ans
l'occasion de se déployer et de mettre en pratique les idées
maléfiques qu'elle ne pouvait appliquer auparavant que par des
actes de délinquance mineure.
C'est alors la grande aventure. Nous assistons, pour la première
fois dans l'histoire de l'Algérie, au démantèlement
catégorique de la famille.
Des jeunes filles, de jeunes mineurs se sauvent par des fugues scandaleuses
et partent entraînés sans le savoir, vers la grande chevauchée
" héroïque" qu' ils considèrent comme un
"jeu". C'est la Révolution, disent-ils, telle qu'ils
l'ont étudiée à travers l'histoire de France, ou
le Djihad tel qui ils l'ont lu à travers les livres d'arabe pour
ceux qui ont étudié l'histoire Sainte
Mais ni les uns ni les autres n'ont compris qu'ils sapaient lu structure
de la famille.
Progressivement des déchirements, des tueries, des guerres intestines
se pratiquaient au sein même de la famille. Des tendances opposées
s'affrontaient, des frères ennemis se tiraient les uns sur les
autres. Les parents restaient bouche bée devant la flambée
qui brûlait leurs entrailles.
Ce
charmant mannequin de haute couture, d'une élégance
incontestable, est une jeune zéraldaise. Mlle Zorah bent
Rabah; elle présente un modèle de Michel Tellin. le
grand couturier algérois,. toujours à l'avant. garde
de la mode et du progrès.
Note de Aline SEVA, du 20-9-2007: «Michel Tellin avait
sa boutique sur le haut de la rue Michelet. Ses collections étaient
présentées à l'Alleti et au St Georges. Toutes
les élégantes d'Alger s'habillaient chez lui. Une
de ses meilleures clientes était Mme Argoult la femme du
colonel.C'était de la haute couture. Chaque cliente avait
son corps moulé dans une toile. Les vedettes de passage à
Alger venaient le voir. En plus de couturier, il était sculpteur
et peintre.»
|
Et c'est le désastre. Des disparitions,
des emprisonnements, des revirements complets font que, dans une même
famille longtemps unie par les liens du sang, les uns se méfient
des autres. Le bonheur et la joie de vivre disparaissent. L'énervement,
le désespoir, la crainte, la hantise d un lendemain incertain font
que la vie familiale n a plus sa raison d'être.
Pendant ce laps de temps et à travers tous les malheurs, la jeunesse
poussée malgré elle par la nature de l'instinct pense à
son destin. Elle veut bâtir, ruais ne sachant quoi, elle s'arrête
un moment, désorientée et comme hébétée
par ce qu' elle avait entrepris.
Dans ce tumulte inextricable chaque membre de la cellule vitale de la
société algérienne prend sort vol. Déracinés,
désaxés, sans base religieuse ou morale, hommes et femmes
abandonnent même les signes extérieurs de l'honneur, de la
dignité humaine, de la patience et des qualités nécessaires
à une famille vivante.
Chacun essaie de se confondre dans l'anonymat général. L'habit
change, les noms sont modifiés ou prononcés suivant la manière
occidentale. Les chéchias, les fez, les voiles se font rares. On
veut se camoufler, se faire " passer " pour des européens
afin d échapper à la personnalité algérienne.
Les paysans de la campagne, les montagnards ne sachant que faire continuent
à s habiller selon la coutume ancestrale. Mais chez eux aussi la
base s'est effondrée. Les unions ne sont plus durables. Les mariages
sont fragiles. Les lemmes changent de mari à peu près tous
les ans. Chaque enfant qui nait est laissé au bon gré des
grands-parents. Les jeunes époux refont une autre vie, encore moins
solide.
Une conscience d'abandon se fait jour. Cette grande masse flottante de
jeunes musulmans ne sait à qui se reporter. La prétendue
bourgeoisie algérienne les dénigre, l'élément
européen les ignore et eux-mêmes ils ne savent pas faire
l'effort nécessaire pour sauvegarder leur propre estime et le respect
de leurs concitoyens. Suivre strictement l'Islam et s'y rattacher comporte
une multitude de conditions de dévouement, de propreté physique
et morale, d'honnêteté, de travail bien accompli, de cohésion
et de responsabilité mutuelle impossibles à remplir par
des êtres faibles, ignorants ou peu instruits et incapables de supporter
la charge trop lourde de donner l'exemple de sacrifices et d'abnégation.
Un genre de faillite a déjà grevé le patrimoine honorifique
de la famille. Et nul ne possède le courage nécessaire pour
le reformer, le rebâtir sur ses anciennes formes. Sous prétexte
de " modernisme " chaque famille, faisant fi des bonnes traditions,
tente d'échapper au milieu ambiant. C'est un effort surhumain et
soutenu tendant à renier même l'origine de la race, des institutions,
des coutumes et des murs. Pour sortir de la famille algérienne
on n' hésite plus à prendre des pseudonymes, des prénoms
chrétiens, à fuir les quartiers " indigènes"
où la promiscuité devient presque un déshonneur et
une dégradation dans le rang social. Devant un tel complexe, la
jeunesse d'origine musulmane se tourne alors définitivement vers
l' Occident. Elle adopte résolument toutes les tendances occidentales
: habits, coutumes, murs, habitudes. Reniant absolument
tout ce qui peut lui rappeler l'Orient, cette jeunesse répudie
l'Islam (qu'elle ignore).
Au sein de la famille, la langue française est le moyen d'expression
le plus en usage. Dans la rue jeunes gens, jeunes filles éprouvent
de la gêne à parler arabe. Ils ne tiennent pas à être
reconnus malgré les traits physiques qui les caractérisent.
Bien mieux, cette aversion de la race les pousse à se renier. Devenant
très susceptibles, rien ne les contente. Blessés dans leur
amour-propre, refoulés, ils apparaissent alors sous les traits
les plus extravagants. Voulant être Européens coûte
que coûte pour échapper à leur origine, ils rompent
avec les leurs restés encore attachés à ce qui reste
de la tradition. Voulant le prouver ils surpassent la jeunesse occidentale
dans l'abus de la mode, des excentricités, afin d'apparaître
au-devant et au-delà du modernisme.
A
cet aspect traditionnel de la famille, tel que l'imaginent la plupart
des étrangers à l'Algérie...
|
...tend
de plus en plus â se substituer cette image d'une famille
musulmane moderne.
|
Déracinée, en rupture avec
l'ancienne tradition, la nouvelle génération, libre de toute
entrave, est partie à la recherche du temps perdu. N'écoutant
ni conseils, devenus rares, ni vieux parents, devenus impuissants, de
jeunes ménages se forment au gré des rencontres fortuites.
Unions libres ou à peine consacrées par un parchemin fragile
de cadi ou de mairie (mariage moderne), les familles de formation récente
ne sont guère basées que sur le caprice d'un amour passager.
Une fois le désir assouvi et la flamme éteinte, le recours
au divorce devient une nécessité vitale plus pressante que
l'union de deux curs brisés. Les enfants issus de ces unions
précaires - si les enfants sont laissés dans le sein jusqu'à
terme - sont, dès leur naissance, confiés aux grands-parents
ou à l'assistance publique.
Les " nouveaux jeunes gens ", devant l'abondance de filles "
libres " pour la énième fois, recommencent l'expérience,
jamais finie, d'une autre union plus ou moins durable. D'ailleurs une
union est à peine consommée qu'une autre est déjà
en préparation. Nous assistons en ce moment à une recrudescence
de divorces jamais connue jusqu'à ce jour dans les annales judiciaires.
Devant la multitude des abandons de famille, l'assistance publique
et l'organisation judiciaire et administrative n'en peuvent plus.
L'ancienne génération prétend que les jeunes ménages
qui forment la famille d'aujourd'hui se dirigent par leur déséquilibre
vers une faillite de la société algérienne. Les jeunes,
de leur côté, veulent tenter leur propre expérience,
sans recourir aux bases traditionnelles qui leur semblent périmées
et non conformes à la vie nouvelle.
La jeune génération - à part quelques exceptions
- ignore le respect dû aux vieux et aux sages raisonnables. La pudeur
qui était la règle essentielle d'une famille musulmane,
est non seulement hors d'usage, mais l'impudicité est devenue une
marque de virilité chez le jeune homme et une manière élégante
et convenable chez la jeune femme qui se dit vraiment moderne.
De plus, il est à constater que la Femme prend nettement le pas
sur l'homme depuis qu'elle a appris à gagner sa vie.
La femme faisant fi de l'obéissance due au mari, tient à
diriger le foyer. Elle impose ses points de vue, ne donne pas l'occasion
à son époux de la contrôler. Elle sort comme elle
veut, où elle veut et si son époux est mécontent
elle prend ses effets personnels et ses enfants et quitte le domicile
conjugal sous prétexte que la tyrannie de son mari ne répond
pas à ses aspirations légitimes aux droits de la femme.
Car, n'oublions pas que la femme a appris que la loi lui a octroyé
le droit d'élever la voix, de se plaindre, le demander le divorce,
d'être la gardienne naturelle le ses enfants, d'être l'égale
de l'homme. Tous les recours lui sont ouverts devant les autorités
administratives contre un mari incompréhensif, encore attaché
aux vieilles coutumes que le temps moderne vient de bannir.
Bien entendu l'homme se plie ou se démet, car le sexe faible doit
avoir le plus souvent raison. Les événements actuels que
nous traversons ne permettent pas à l'homme de défendre
ses anciens " droits", pas toujours logiques, mais que l'habitude
de plusieurs siècles lui paraissait avoir transformés en
droits naturels. Il se croit lésé, dépouillé
de sa virilité, de son droit d'homme.
Il ne comprend pas que les autorités puissent légalement
intervenir dans son ménage où il croyait être le maître
absolu. Devant la force il recule hébété et, comme
l'instinct naturel le domine, il accepte non sans
rancune d'être le chevalier servant d'une femme qui a su conquérir
sa liberté.
Seulement les ménages dirigés par l'épouse ne sont
durables que le temps pendant lequel l'époux cherche une autre
compagne peut-être plus docile ou plus malléable. Le plus
navrant c'est de voir une multitude de femmes à la recherche de
nouveaux époux, récalcitrants malgré les larges facilités
qui leur sont offertes. Les hommes partent en France où ils prennent
des européennes comme épouses ; devant la carence des musulmans,
les jeunes musulmanes, rompant avec la tradition, décident de changer
de camp et commencent à épouser des européens.
Et alors une voie nouvelle s'ouvre : l'amalgame des races, l'interpénétration
par le mariage, l'échange des idées, des coutumes. La fusion
dans un creuset unique : la famille, première cellule d'une société,
sûr garant d'une entente réelle entre les différents
éléments ethniques de ce pays.
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Quelques interviews
recueillies par Ahmed Sefta
Nota(je n'ai fait de correction poussée..)
Nom de l'interviewé ADEM Ali. Profession
: libérale.
Age : 60 ans. Tendance : (Laïque ? religieuse ?) religieuse.
1° Comment vous représentez-vous la formation
d'une famille algérienne ?
R. - La famille algérienne se compose des membres directs de la
famille (père, mère, enfants) mais dans la plupart des cas,
les membres plus ou moins éloignés en font partie. Chez
les musulmans. tous ceux qui portent le même nom de famille sont
considérés comme appartenant a cette famille, ce qui montre
l'esprit de solidarité entre eux.
2° Quelles sont vos impressions sur la famille actuelle ?
R. - La famille actuelle semble entraînée par le courant
du progrès, ne veut pas s'écarter des principes coutumiers
et religieux. Avec le temps il se peut que certains principes soient délaissés,
sans pour cela modifier l'esprit strictement familial. Pour cela, le devoir
de chef de famille est de veiller à ce que les enfants ne se détournent
pas des principes religieux.
3° Quelles sont les causes qui l'ont amenée à cet
état ?
R. D'abord : le progrès et surtout la disparition de l'analphabétisme
qui ont fait que la tradition perd un peu de sa valeur. Mais il ne semble
pas recommandable de haler cette évolution si l'on veut que la
jeunesse ne se dégrade.
4° Y a-t-il une solution dans le dénouement de sa crise?
R. - Le dénouement consisterait surtout à améliorer
la situation matérielle du chef de famille, ce qui permettrait
l'éducation des enfants dans le sens du respect familial tout en
suivant la voie du progrès.
La poussée brutale de l'émancipation de la femme dont un
a tant parlé eus temps derniers ne full que précipiter la
jeunesse dans la dégradation morale. ce qui est contraire à
l'esprit de famille et concourt ainsi à la dislocation de cette
dernière.
5° Son évolution actuelle répond-elle aux temps modernes
?
Non. L'évolution actuelle semble désolidariser la famille.
Le progrès ne doit pas entraîner la disparition des principes
édictés par le Coran sur la formation de la famille.
Aussi, le Coran n'est pas un obstacle à l'évolution, à
condition que celle-ci n'en-traîne pas la corruption. Nombreux sont
les versets du Coran et les Hadiths qui recommandent cette évolution.
6 Voudriez-vous que la famille conserve son ancienne forme traditionnelle
ou bien qu'elle s'en éloigne
définitivement ?
R. II faut d'abord distinguer entre la tradition édictée
par le "Hadith" et les coutumes.
La pure tradition consiste en la formation morale, sociale et intellectuelle
quant aux coutumes elles sont surtout prechées par les ignorants
qui les confondent le plus souvent arec la pure tradition. Ce qui revient
à dire que la famille doit conserver sa forme purement traditionnelle
et abandonner les coutumes jugées préjudiciables à
l'évolution et à l'esprit de famille.
7° Comment vous imagines-vous une famille future ? Quels seraient
les moyens préconisés pour lui insuffler l'âme du
progrès et de la civilisation?
R. - Sans s'écarter de la tradition, la famille future devra se
tourner progressivement vers le progrès. II ne faut pas perdre
de vue que nos ancêtres ont légué à l'humanité
une brillante civilisation que beaucoup feignent d'ignorer ou qu'ils ont
mal interprétée.
L'Occident qui doit cependant beaucoup à l'Orient. n'a jamais par
égoïsme aidé à ce dernier à sortir de
sa léthargie.
Les moyens pour insuffler l'âme du progrès et de la civilisation
consisteraient simplement à intensifier l'instruction et à
pratiquer une vraie démocratie.
************
Nom de la personne interviewée :
D]EBBOUR Merouane.
Profession : étudiant en physique. Age : 20 ans.
Tendance : laïque.
1° Comment vous représentez-vous la formation d'une famille
algérienne?
R. - Souvent patriarcale. II y a trois genres de famille: la riche qui
se forme en grande famille patriarcale la petite bourgeoisie qui forme
la plus grande partie de la société - et dans laquelle l'individu
a une plus grande liberté malgré la cohésion de ses
membres et enfin les familles qui se disloquent au fur et à mesure
de la croissance des enfants. A partir de 11 ans l'enfant quitte la famille
et s'en va vivre seul.
2° Quelles sont vos impressions sur la famille actuelle?
R. A l'heure actuelle la famille se démantèle, se disloque
de plus en plus et s'éloigne de l'épicentre de la famille
traditionnelle. Elle tend vers le modernisme sans en saisir le sens véritable
et, d'une façon dangereuse elle n'en applique que les côtés
néfastes. nuisibles à la formation d'une société
soudée.
3° Quelles sont les causes qui l'ont amenée àcet
état ?
H. L'évolution actuelle des pays sous-développés
a entraîné en partie cette dislocation.
Le désir d'imiter l'Occident sous son aspect extérieur.
II y a ensuite un désir d'éliminer un complexe et cela par
tous les moyens. L'éma ncipation a été provoquée
par des facteurs extérieurs sans qu'il y ait prise de conscience
des véritables données d'émancipation.
4°/Y a-t-il une solution dans le dénouement de sa crise
R. 1l y aurait solution dans la mesure où un dirigisme impose une
éducation calculée et poussée.
II faut arriver à freiner cette imitation idiote de murs.
Seule l'éducation est capable de faire prendre conscience à
chaque individu; du milieu qui l'entoure, de lui faire conserver ses valeurs
naturelles héritées de la bonne tradition. On doit l'émanciper
en le plaçant devant ses responsabilités sociales.
Malgré cette crise il y a quand même une évolution
qui sera bienfaisante à la société. Le démantélement
de la famille créera d'autres forces plus libres et dont la somme
sera supérieure à celle de la famille traditionnelle.
5" Son évolution actuelle répond-elle aux temps
modernes ?
R. - Oui, elle répond aux temps modernes parce que. ayant plus
de liberté elle est capable d'agir selon les principes modernes.
Les membres de la famille traditionnelle (patriarcale) ne peuvent pas
prendre conscience du complexe dams lequel ils vivent parce qu'ils sont
coiffés et démunis de tout désir d'action non commandée.
Or dans les temps modernes la famille est basée sur la décentralisation
et la possibilité d'initiative des individus.
6" Voudriez-Vous que la famille conserve son ancienne forme traditionnelle
ou bien qu'elle s'en éloigne définitivement ?
R. - Elle doit s'en éloigner, mais elle doit conserver une certaine
cohésion basée sur l'affectivité. Tout en gardant
des liens d'amour avec ses parents, il sera permis à l'individu
d'avoir des rapports amicaux avec ses compatriotes. L'écartèlement
est nécessaire afin de permettre à toutes les forces de
se manifester. Il faut éviter tout frein d'action positive.
7" Comment vous imaginez-vous une famille future ?
H. - La famille dans sa forme traditionnelle disparaitra complètement.
Mais elle conservera un certain lien l'entr'aide réciproque dû
au sentiment d'hospitalité très développé
en Algérie.
En outre la famille selon les principes coraniques est déjà
en voie de disparition. D'ailleurs la religion qui demeure pour les parents
synonyme de morale n'a plus sa raison d'être chez les jeunes qui
préfèrent recourir à la morale laique.
Pour parvenir au progrès il y a lieu de développer l'instruction
sous sa forme matérielle et technique afin d'augmenter le standard
de vie et de donner àl'individu la faculté de raisonner
sans faire appel à ses parents ou ses proches.
******
Nom de la personne interviewée : Mlle
MALLEM.
Profession : Service Social.
Age : 26 ans. Tendance : religieuse.
1° Comment vous représentez-vous la formation d'une famille
Algérienne?
R. Cette question ne me parait pas posée de façon assez
explicite pour que je puisse y répondre de façon satisfaisante.
2° Quelles sont vos impressions sur la famille actuelle ?
R. L'autorité souvent sans limite du chef de famille parait excessive
et même insupportable à la jeune génération
que l'éducation, le contact avec les européens, les événements,
ont émancipée.
3° Quelles sont les causes qui l'ont amenée ù cet
état ?
B. - Le conflit entre la vieille conception musulmane de la famille et
le rythme moderne imprimé à la Société algérienne
depuis quelques années (prise de conscience politique, propagandes
opposées, instruction, voyages, etc...)
4° Y a-t-il une solution pour le dénouement de sa crise
R. - L'opposition se résorbera à longue échéance.
Si les contacts inter-raciuux se multiplient (mariage) ;
S'il est mis en vigueur un code civil algérien. résolument
laïc, mais, qui n'entre pas en opposition avec les préceptes
les plus essentiels du Coran et de la Tradition (Sunna).
5° Son éducation actuelle répond-elle enta temps
modernes ?
R. - Non : l'ancienne génération n'a pas bénéficié
du développement massif de l'instruction qui est le fait de ces
dernières années.
6° Voudriez-vous que le famille conserve son ancienne forme traditionnelle
on bien qu'elle s'en éloigne définitivemenl ?
R. -- La révolution économique et culturelle de la société
algérienne aménera de graves perturbations dans le cadre
de la cellule familiale actuelle qui semble donc condamnée dans
un proche avenir. Mais inversement il ne faut pas, sous prétexte
de modernisme, balayer d'un coup tous les fondements d'une civilisation
millénaire.
7° Comment vous imaginez-vous une famille future ? Quels seraient
le.s moyens préconisés pour lui insuffler l'âme du
progrès et de la civilisation
R. On ne peut préjuger de l'aboutissement familial futur. le destin
de l'Algérie n'étant pas arrété. Mais pour
insuffler à cette famille l'esprit du progrès de la civilisation
:une formation technique professionnelle, l'adhésion de la jeune
population à un mouvement dynamique (tel que le récent Mouvement
de Solidarité Féminine en a été une simple
ébauche), l'intéressement des Algériens à
la chose publique, (le droit de la femme musulmane à faire entendre
sa voix est le grand fait nouveau), sont quelques-uns des moyens que nous
préconisons.
Sur cet important sujet, qui touche soit directement soit indirectement
à la vie courante de tous les Algériens, nous avons tenu
à recueillir le témoignage impartial d'un européen
particulièrement bien placé. M. HUG. auteur de pièces
d'inspiration purement arabe et écrites en langue arabe, est en
effet non seulement un arabisant distingué. mais il a toujours
vécu dans les milieux musulmans. Voici son témoignage: déclaré
M. Hug en réponse à notre questionnaire.
Il me parait délicat pour un européen d'aborder un domaine
aussi privé que la famille musulmane. Aussi ne traiterai-je pas
tous les chapitres de votre questionnaire sur lesquels d'autres plus autorisés
que moi vous ont donné leur avis.
Cependant ma longue et amicale fréquentation de familles citadines
et rurales me permet de vous livrer quelques réflexions dans le
cadre, sinon dans l'ordre de ce questionnaire.
Ce qui dans la famille musulmane traditionnelle, frappe le plus l'européen
c'est sans conteste. l'autorité du chef de famille et le respect
filial.
Les signes cxlérieurs de ce dernier sentiment sont habituellement
considérés pur les européens comme des manifestations
exagérées de respect, où comme du puritanisme sinon
de l'hypocrisie.
Ainsi on admet plus ou moins qu'un fils s'abstienne de fumer devant son
pére, amis qu'il s'abstienne de paraître devant lui en présence
de sa femme. ou qu'une jeune fille n'écoute pas avec ses parents
une scène de radio contenant la moindre allusion à une liaison,
cela parait exagéré et peu sincère.
Pourtant que l'on ne s'y trompe pas, tout
n'est pas qu'apparence et un amour réel qui conduit au respect
anime les enfants.
Même si ceux-ci ont l'intention de se libérer de ces manifestations,
ils ne le font pas de craintede peiner leurs parents.
Combien de jeunes émancipés ou qui se croient tels parce
qu'ils n'observent plus le jeûne - - ne le rompront pas au foyer
paternel ; combien de jeunes femmes dévoilées avec l'assentiment
de leur mari, reprennent leur ruile pour rendre visite à telle
ou telle parente.
Une telle altitude est infiniment plus réconfortante que celle
de nos jeunes "zazous " qui ne savent que se moquer de leurs
"croulants" ou de nos jeunes "vamps" qui se montrent
sans pudeur en "bikini " indécent devant leur père.
Quant aux jeunes enfants musulmans en âge d'obéir, leur conduite
mérite d'être citée en exemple aux familles européennes.
En effet il est plus agréable et moins dangereux de recevoir avec
leurs parents ces petits prix de sagesse qui ne toucheront rien et ne
répondront que si on leur parle, que d'accueillir certains enfants
européens qui saccageront votre intérieur et vous casseront
les oreilles sous l'ail attendri ou émerveillé de leurs
parents.
Un autre aspect de la famille musulmane surprend également l'européen
: c'est la solidarité et le sentiment de responsabilité
du chef à l'égard de tous les membres.
On s'étonne parfois de voir des familles pléthoriques s'accumuler
dans des apparlements exigus. Mais si l'on y regarde de près on
s'aperçoit que le chef de famille a pris spontanément à
sa charge, non seulement ses parents et ses beaux-parents indigents mais
encore ses soeurs ou belles-soeurs, répudiées ou veuves,
avec leurs enfants.
En est-il ainsi chez nous ? Je ne le pense pas. Au contraire trop souvent
les parents doivent avoir recours aux tribunaux pour obtenir l'assistance
qui leur est due par leurs enfants.
Mais la famille musulmane évolue et les parents, dans les nouvelles
générations, n'éduqueront pas leurs enfants comme
ils ont été eux-mêmes élevés.
C'est exact. cette évolution se manifeste dans les villes et. bien
plus lentement, dams les campagnes. Vous avez noté dans un précédent
article que le contact avec les familles européennes et le désir
de les imiter en est une des causes principales.
Alors il serait souhaitable que le choix de l'exemple soit bien fait.
Toutes les familles européennes ne sont pas à imiter. Dans
beaucoup trop ce sont les enfanls qui font la loi. Ne voit-on pas certains
parents abandonner leur appartement à leurs jeunes gens lorsque
ceux-ci y o rgani se nl des " surprises-parties a.
On sait où conduisent ces pratiques.
Que les musulmans se gardent d'imiter de pareilles familles.
Quel choix donc conseiller?
A mon avis celui d'une famille européenne qui s'apparente le plus
à la famille musulmane, qui, en fait et par définition est
croyante. Or plus que tout autre, une famille européenne croyante,
et, bien mieux, pratiquante se rapprochera de la famille musulmane. La
religion bien comprise est un pont entre les deux communautés,
les sources sont les 'liernes et les principes moraux aussi. J'ai d'ailleurs
remarqué l'estime et le respect particuliers que témoignaient
les musulmans aux européens qui ne cachent pas leurs croyances.
Je ne veux pas dire par là que les familles pratiquantes détiennent
le monopole de la vertu et ne conteste nullement la valeur morale, et
par conséquent exemplaire, des familles laïques; mais je pense
que l'exemple des premières serait plus facile et donc plus profitable
en raison de leur affinité avec les familles musulmanes.
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