Social en Algérie
Dans l'histoire de l'Islam algérien
une page se tourne

Révolution dans la famille
si le problème apparait insoluble, il est essentiel de développer le sens de la responsabilité collective

par Ahmed Sefta, bachadel à la Mahakma d'Alger-sud

L A FAMILLE MUSULMANE ALGÉRIENNE SUBIT EN CE MOMENT UNE TRANSFORMATION RAPIDE ET PRÉMATURÉE. POUSSÉE PAR LES ÉVÉNEMENTS TRAGIQUES, ABANDONNÉE AU GRÉ DE SES CAPRICES ET DES CIRCONSTANCES, UNE NOUVELLE JEUNESSE APPARAÎT AU GRAND JOUR AVEC SON ÉLAN IMMODÉRÉ, SON ENGOUEMENT POUR UNE LIBERTÉ INCONTRÔLÉE, AU GRAND AHURISSEMENT DES PARENTS SCANDALISÉS ET IMPUISSANTS A LA FOIS.

Alger-revue, automne-hiver 1960 - revue municipale- nouvel hôtel de ville- Alger
mise sur site le 18-9-2007

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Les difficultés matérielles, la recrudescence des naissances, l'augmentation des moyens d'agrément, le désir constant d'élévation du standard de vie ont poussé les parents dès la fin de la guerre de 1939, à assurer une situation à leurs filles. L'école, la culture française ont préparé la jeunesse, et les enfants de 1939, en passant par les événements de 1944 puis ceux de 1934, sont devenus adultes. Nés dans la guerre et continuant à la subir, ce sont des êtres qui n'ont jamais connu une vie normale et paisible basée sur les bonnes traditions et les principes modérateurs de la famille religieuse.

La femme d'aujourd'hui n'a connu durant son enfance que les soucis et les difficultés. Devant l'exubérance des moyens modernes, face aux problèmes sociaux, aidée par son instruction, le travail et l'appât du gain, elle a rejeté non seulement le voile (cache-misère) mais, désirant se débarrasser de ses complexes séculaires et se dégager des entraves sociales elle affronte hardiment la vie sociale algérienne, décidée à vaincre et réussir quels que soient les moyens à employer.

Une rupture définitive avec le passé vient de se produire. La femme d'aujourd'hui, avant ou pendant le mariage se considère comme un être tout à fait libre.

La promotion sociale musulmane lui ayant ouvert les portes du travail lui a permis de gagner sa vie et de se dégager de l'emprise séculaire des parents et du mari.

Ce que l'Europe et l'Amérique ont subi au cours du XlX` siècle lorsque la femme a pris en mains les rênes de sa destinée, l'Algérie par une évolution circonstancielle est en train de le subir.

Cette évolution ou plus exactement cette révolution est à son point de départ. Rien ne pourra l'arrêter.

Ni les vieux parents, ni les autorités administratives ne pourront endiguer cet élan, car, il est naturel et il
répond aux besoins logiques des nécessités vitales.

D'après le Coran et la tradition du Prophète toute la sociale est essentiellement basée sur la famille.

Le mariage n'est toléré que dans la mesure où les conjoints ont la possibilité de procréer, sinon la polygamie devient un droit religieux afin d'agrandir la famille. La femme vit avec l'homme en régime de séparation de biens. Conservant sa fortune personnelle, elle est en droit d'exiger de son époux toutes les garanties vitales sans quelle soit obligée de l'assister en cas de difficultés. Elle a tous les droits sur lui. L'époux ne possède que le droit de la répudier s'il ne peut subvenir à tous ses besoins légaux.

Toutefois, l'homme détient au sein de la famille un droit de puissance paternelle. S'il est responsable de ses enfants jusqu'à leur émancipation, il conserve néanmoins le droit de djeb (obligation) sur ses filles. Il peut s'opposer à leur mariage s'il juge que le futur époux est de condition inférieure à la sienne.

Le Coran permet ainsi une liberté surveillée par laquelle la personnalité a le droit de se développer sans dépasser les principes moraux et sociaux édictés par les lois religieuses.

Seulement, en Algérie où la foi islamique n'est suivie que d'une façon foute superficielle, où les principes fondamentaux sont appliqués suivant les nécessités de l'heure et pour faire plaisir au voisin et non être agréable à Dieu, la famille musulmane a évolué dans un cercle restreint appliquant des principes souvent contraires au Coran et au Hadith.

La femme qui constitue la base de la famille, le ciment de cohésion entre ses membres, le soutien moral des grands et des petits était cloîtrée et réduite au rang de gardienne domestique, de souffre-douleur dont les avis n'étaient jamais pris en considération par les mâles.

C'était l'être inférieur, bonne à tout faire, éduquée et formée dès son plus jeune âge à être l'esclave du mâle.

De nos jours même le principe du Ouali (mâle protecteur) est de rigueur.

Nantie par le Coran de nombreuses libertés, elle n'a encore pas le droit de sortir seule et en l'absence du mari, pour faire ses commissions, aller au bain ou accompagner ses entants à la visite du médecin. Sinon, l'époux pourrait invoquer ce motif pour la répudier et prendre une autre femme avant même que le divorce soit définitif puisque la polygamie est toujours permise en Algérie.

Bien plus, en pays kabyle, la femme, en cas de divorce est dépouillée de ses bijoux personnels qu' elle avait obtenus en dot à la suite d'un mariage, où, très jeune, elle n'avait jamais été consultée. Les mariages à la " Fatiha " continuent à être consacrés par des talebs qui attendent cette occasion bénéfique et lucrative avec impatience.

Les parents mêmes s'ingénient, par des actes ou suivant des coutumes qui n'ont rien à voir avec l'Islam pour déshériter la fille. En cas de divorce elle a bien le droit de retourner vivre sous le toit paternel, mais elle ne peut bénéficier que de l'usufruit. Quant au patrimoine ancestral elle ne peut ni le céder, ni en user à sa guise. De plus la mère, en cas de décès de l'époux demeure sous la tutelle affective de ses fils et en cas de remariage, c'est son propre fils qui est son " ouali ".

Dans une famille où la femme vit constamment sous la botte des mâles, dans la crainte d'une répudiation ou de se voir supplantée par une autre épouse, si la cohésion n'est pas imposée par un chef énergique et compréhensif, la formation religieuse ne peut se faire véritablement au sein même de cette famille. C'est pourquoi, en dehors des applications des rites extérieurs, les enfants ne recevaient de la part des parents qu'une formation toute superficielle basée bien plus sur la crainte que sur l'amour, davantage sur la peur des critiques que sur la conscience individuelle ou l'amour de Dieu.

L'homme, laissant les femmes se débrouiller dans son harem, peu soucieux d'une vie de foyer bien conditionnée, se préoccupait du gagne-pain quotidien et en cas de fatigue allait se distraire à l'extérieur. Les femmes vivaient seules, les hommes également. Le contact entre les éléments pouvait nuire à l'harmonie du ménage et l'homme, peu soucieux du cœur de la femme n'entendait pas courir le risque qu'on bafouât le sien.

La femme, jusqu'au début de la deuxième grande guerre a supporté son état. Croyant sincèrement que son rôle consistait à être l'esclave de l'homme, elle acceptait sa condition tout en la haïssant, ne comprenant pas que Dieu puisse tolérer de tels abus. Il est vrai qu'elle ignorait ce que Dieu voulait d'elle et ce qu'il lui permettait. Ignorante, enfermée, elle se contentait de ce que lui conseillaient ses parents, puis son mari et en fin de compte, ses fils.

L'école a ouvert les yeux de la jeune fille musulmane. Lisant dans le texte coranique, elle a appris à connaître quels sont ses droits.

Les aînées avaient tenté de briser les chaînes pour former des familles modernes et religieuses à la fois. Une certaine suspicion de la part des fanatiques a voulu contrecarrer cette tentative de libération. Les talebs, les vieux, les cheikhs ont poussé des cris d'alarme. Seulement c'était la guerre. Les hommes valides, les époux et les fils étaient partis au combat.

Devant la pénurie des matières alimentaires contingentées, la misère, les épidémies de typhus, la famine, la femme était acculée à faire face souvent seule, à des obligations nouvelles auxquelles elle n'était pas préparée. Elle s'est vite adaptée. Seulement la nécessité qui l'a poussée à vaincre des difficultés matérielles lui a permis de voir clair dans la vie et de se rendre compte de sa situation, de ses capacités, de ses dons et de ses possibilités.

Dès la fin de la guerre et au retour de la vie normale, elle avait déjà acquis une certaine expérience, une liberté d'action dont elle ne voulait plus se dessaisir.

Ayant pris l'habitude de mener la famille à sa guise, elle ne tenait plus à être réduite de nouveau au rang inférieur où elle était confinée jusqu'à présent. D'où des heurts inévitables ; mais le mouvement d'émancipation était commencé.

Une bataille sourde s'engage entre l'ancien et le moderne : tendance des femmes à former une existence libre, tentative des hommes de reprendre en mains des rênes qui leur échappent.

Placée devant un dilemme, la femme va à l'avenir baser tous ses espoirs sur ses enfants, notamment ses filles. Elle va les former à son image. Elle les attire à elle, les éduque, les envoie à l'école et les prépare à une vie future nouvelle basée sur la logique des événements.

Beaucoup de femmes ayant pris goût au travail extérieur se dégagent du mari qui ne veut pas se démettre de ses prérogatives ancestrales. Elles vont à l'avenir choisir leur mari et au besoin former une famille à part, rompant avec les coutumes traditionnelles. C'est le modernisme et avec lui le voile qui tombe.

La jeunesse se modèle sur une époque de tension et de renouveau à la fois. Les exemples vivants des talebs imbus de tradition ne sont plus courants. La période 1939-45, en réduisant toutes les couches sociales aux mêmes nécessités, a bouleversé les classes. Les maîtres coraniques cessant d'être protégés et pourvus par les riches fellahs, furent obligés de quitter, peut-être sans regret, leurs djamas, leurs retraites respectives, pour aller en ville se mettre au travail de l'usine ou du négoce afin de conserver leur dignité bafouée, piétinée ingratement par les parvenus et les nouveaux riches du marché noir. Ils se mêlent à la classe ignorante, se laissant gagner par un matérialisme impitoyable, ils oublient et le Coran et son application.

Dès lors, et aussitôt la paix retrouvée, nous assistons à un afflux de matières premières et d'objets nouveaux qui offrent à I individu toute possibilité de lucre, de bien-être et finalement de facilités dans les mœurs.

La retenue n'est plus de mise. La pudeur devient une faiblesse ou un défaut. Une course aux plaisirs marque nettement une tendance à l'éloignement de Dieu.

D'ailleurs les religieux eux-mêmes sont gagnés par une atmosphère d'insouciance et de tolérance bienveillante.

Certains, pour obtenir de la considération, se montrent complaisants à peu de frais. Nous avons même assisté à des Fétouas écrites (sentences juridiques) données comme garanties à une tapageuse société de boisson américaine par des muphtis en quête d'honneurs et d'intérêts matériels.

Les enfants d'après-guerre n'ont donc rien vu de véritablement solide une fois qu'ils ont commencé à grandir. Parents insouciants et en lutte intestine, ambiance de futilité, relâchement des moeurs, ils n'ont vécu que sur des exemples concrets niais dénués d'élévation spirituelle et morale.

De plus les mères de famille, peu préoccupées par l'éducation de la future génération cherchaient davantage à acquérir leur propre liberté qu'à régler celle de leurs enfants. La famille était devenue branlante prête à chavirer au moindre coup de vent.

Ce coup fatal fut donné par les événements de novembre 1954.

L'esprit d'aventure cultivé par les films, les récits des soldats revenus des quatre coins du monde, la fertilité d'imagination et le manque de formation vraiment familiale, ont, dès l'éclatement des premières bombes donné à la jeunesse de 13 ans l'occasion de se déployer et de mettre en pratique les idées maléfiques qu'elle ne pouvait appliquer auparavant que par des actes de délinquance mineure.

C'est alors la grande aventure. Nous assistons, pour la première fois dans l'histoire de l'Algérie, au démantèlement catégorique de la famille.

Des jeunes filles, de jeunes mineurs se sauvent par des fugues scandaleuses et partent entraînés sans le savoir, vers la grande chevauchée " héroïque" qu' ils considèrent comme un "jeu". C'est la Révolution, disent-ils, telle qu'ils l'ont étudiée à travers l'histoire de France, ou le Djihad tel qui ils l'ont lu à travers les livres d'arabe pour ceux qui ont étudié l'histoire Sainte

Mais ni les uns ni les autres n'ont compris qu'ils sapaient lu structure de la famille.

Progressivement des déchirements, des tueries, des guerres intestines se pratiquaient au sein même de la famille. Des tendances opposées s'affrontaient, des frères ennemis se tiraient les uns sur les autres. Les parents restaient bouche bée devant la flambée qui brûlait leurs entrailles.

Ce charmant mannequin de haute couture, d'une élégance incontestable, est une jeune zéraldaise. Mlle Zorah bent Rabah; elle présente un modèle de Michel Tellin. le grand couturier algérois,. toujours à l'avant. garde de la mode et du progrès.
Ce charmant mannequin de haute couture, d'une élégance incontestable, est une jeune zéraldaise. Mlle Zorah bent Rabah; elle présente un modèle de Michel Tellin. le grand couturier algérois,. toujours à l'avant. garde de la mode et du progrès.
Note de Aline SEVA, du 20-9-2007: «Michel Tellin avait sa boutique sur le haut de la rue Michelet. Ses collections étaient présentées à l'Alleti et au St Georges. Toutes les élégantes d'Alger s'habillaient chez lui. Une de ses meilleures clientes était Mme Argoult la femme du colonel.C'était de la haute couture. Chaque cliente avait son corps moulé dans une toile. Les vedettes de passage à Alger venaient le voir. En plus de couturier, il était sculpteur et peintre.»

Et c'est le désastre. Des disparitions, des emprisonnements, des revirements complets font que, dans une même famille longtemps unie par les liens du sang, les uns se méfient des autres. Le bonheur et la joie de vivre disparaissent. L'énervement, le désespoir, la crainte, la hantise d un lendemain incertain font que la vie familiale n a plus sa raison d'être.

Pendant ce laps de temps et à travers tous les malheurs, la jeunesse poussée malgré elle par la nature de l'instinct pense à son destin. Elle veut bâtir, ruais ne sachant quoi, elle s'arrête un moment, désorientée et comme hébétée par ce qu' elle avait entrepris.

Dans ce tumulte inextricable chaque membre de la cellule vitale de la société algérienne prend sort vol. Déracinés, désaxés, sans base religieuse ou morale, hommes et femmes abandonnent même les signes extérieurs de l'honneur, de la dignité humaine, de la patience et des qualités nécessaires à une famille vivante.

Chacun essaie de se confondre dans l'anonymat général. L'habit change, les noms sont modifiés ou prononcés suivant la manière occidentale. Les chéchias, les fez, les voiles se font rares. On veut se camoufler, se faire " passer " pour des européens afin d échapper à la personnalité algérienne.

Les paysans de la campagne, les montagnards ne sachant que faire continuent à s habiller selon la coutume ancestrale. Mais chez eux aussi la base s'est effondrée. Les unions ne sont plus durables. Les mariages sont fragiles. Les lemmes changent de mari à peu près tous les ans. Chaque enfant qui nait est laissé au bon gré des grands-parents. Les jeunes époux refont une autre vie, encore moins solide.

Une conscience d'abandon se fait jour. Cette grande masse flottante de jeunes musulmans ne sait à qui se reporter. La prétendue bourgeoisie algérienne les dénigre, l'élément européen les ignore et eux-mêmes ils ne savent pas faire l'effort nécessaire pour sauvegarder leur propre estime et le respect de leurs concitoyens. Suivre strictement l'Islam et s'y rattacher comporte une multitude de conditions de dévouement, de propreté physique et morale, d'honnêteté, de travail bien accompli, de cohésion et de responsabilité mutuelle impossibles à remplir par des êtres faibles, ignorants ou peu instruits et incapables de supporter la charge trop lourde de donner l'exemple de sacrifices et d'abnégation.

Un genre de faillite a déjà grevé le patrimoine honorifique de la famille. Et nul ne possède le courage nécessaire pour le reformer, le rebâtir sur ses anciennes formes. Sous prétexte de " modernisme " chaque famille, faisant fi des bonnes traditions, tente d'échapper au milieu ambiant. C'est un effort surhumain et soutenu tendant à renier même l'origine de la race, des institutions, des coutumes et des mœurs. Pour sortir de la famille algérienne on n' hésite plus à prendre des pseudonymes, des prénoms chrétiens, à fuir les quartiers " indigènes" où la promiscuité devient presque un déshonneur et une dégradation dans le rang social. Devant un tel complexe, la jeunesse d'origine musulmane se tourne alors définitivement vers l' Occident. Elle adopte résolument toutes les tendances occidentales : habits, coutumes, mœurs, habitudes. Reniant
absolument tout ce qui peut lui rappeler l'Orient, cette jeunesse répudie l'Islam (qu'elle ignore).

Au sein de la famille, la langue française est le moyen d'expression le plus en usage. Dans la rue jeunes gens, jeunes filles éprouvent de la gêne à parler arabe. Ils ne tiennent pas à être reconnus malgré les traits physiques qui les caractérisent. Bien mieux, cette aversion de la race les pousse à se renier. Devenant très susceptibles, rien ne les contente. Blessés dans leur amour-propre, refoulés, ils apparaissent alors sous les traits les plus extravagants. Voulant être Européens coûte que coûte pour échapper à leur origine, ils rompent avec les leurs restés encore attachés à ce qui reste de la tradition. Voulant le prouver ils surpassent la jeunesse occidentale dans l'abus de la mode, des excentricités, afin d'apparaître au-devant et au-delà du modernisme.

A cet aspect traditionnel de la famille, tel que l'imaginent la plupart des étrangers à ]'Algérie
A cet aspect traditionnel de la famille, tel que l'imaginent la plupart des étrangers à l'Algérie...
...tend de plus en plus â se substituer cette image d'une famille musulmane moderne.
...tend de plus en plus â se substituer cette image d'une famille musulmane moderne.

Déracinée, en rupture avec l'ancienne tradition, la nouvelle génération, libre de toute entrave, est partie à la recherche du temps perdu. N'écoutant ni conseils, devenus rares, ni vieux parents, devenus impuissants, de jeunes ménages se forment au gré des rencontres fortuites. Unions libres ou à peine consacrées par un parchemin fragile de cadi ou de mairie (mariage moderne), les familles de formation récente ne sont guère basées que sur le caprice d'un amour passager.

Une fois le désir assouvi et la flamme éteinte, le recours au divorce devient une nécessité vitale plus pressante que l'union de deux cœurs brisés. Les enfants issus de ces unions précaires - si les enfants sont laissés dans le sein jusqu'à terme - sont, dès leur naissance, confiés aux grands-parents ou à l'assistance publique.

Les " nouveaux jeunes gens ", devant l'abondance de filles " libres " pour la énième fois, recommencent l'expérience, jamais finie, d'une autre union plus ou moins durable. D'ailleurs une union est à peine consommée qu'une autre est déjà en préparation. Nous assistons en ce moment à une recrudescence de divorces jamais connue jusqu'à ce jour dans les annales judiciaires.

Devant la multitude des abandons de famille, l'assistance publique et l'organisation judiciaire et administrative n'en peuvent plus.

L'ancienne génération prétend que les jeunes ménages qui forment la famille d'aujourd'hui se dirigent par leur déséquilibre vers une faillite de la société algérienne. Les jeunes, de leur côté, veulent tenter leur propre expérience, sans recourir aux bases traditionnelles qui leur semblent périmées et non conformes à la vie nouvelle.

La jeune génération - à part quelques exceptions - ignore le respect dû aux vieux et aux sages raisonnables. La pudeur qui était la règle essentielle d'une famille musulmane, est non seulement hors d'usage, mais l'impudicité est devenue une marque de virilité chez le jeune homme et une manière élégante et convenable chez la jeune femme qui se dit vraiment moderne.

De plus, il est à constater que la Femme prend nettement le pas sur l'homme depuis qu'elle a appris à gagner sa vie.

La femme faisant fi de l'obéissance due au mari, tient à diriger le foyer. Elle impose ses points de vue, ne donne pas l'occasion à son époux de la contrôler. Elle sort comme elle veut, où elle veut et si son époux est mécontent elle prend ses effets personnels et ses enfants et quitte le domicile conjugal sous prétexte que la tyrannie de son mari ne répond pas à ses aspirations légitimes aux droits de la femme.

Car, n'oublions pas que la femme a appris que la loi lui a octroyé le droit d'élever la voix, de se plaindre, le demander le divorce, d'être la gardienne naturelle le ses enfants, d'être l'égale de l'homme. Tous les recours lui sont ouverts devant les autorités administratives contre un mari incompréhensif, encore attaché aux vieilles coutumes que le temps moderne vient de bannir.

Bien entendu l'homme se plie ou se démet, car le sexe faible doit avoir le plus souvent raison. Les événements actuels que nous traversons ne permettent pas à l'homme de défendre ses anciens " droits", pas toujours logiques, mais que l'habitude de plusieurs siècles lui paraissait avoir transformés en droits naturels. Il se croit lésé, dépouillé de sa virilité, de son droit d'homme.

Il ne comprend pas que les autorités puissent légalement intervenir dans son ménage où il croyait être le maître absolu. Devant la force il recule hébété et, comme l'instinct naturel le domine, il accepte non sans
rancune d'être le chevalier servant d'une femme qui a su conquérir sa liberté.

Seulement les ménages dirigés par l'épouse ne sont durables que le temps pendant lequel l'époux cherche une autre compagne peut-être plus docile ou plus malléable. Le plus navrant c'est de voir une multitude de femmes à la recherche de nouveaux époux, récalcitrants malgré les larges facilités qui leur sont offertes. Les hommes partent en France où ils prennent des européennes comme épouses ; devant la carence des musulmans, les jeunes musulmanes, rompant avec la tradition, décident de changer de camp et commencent à épouser des européens.

Et alors une voie nouvelle s'ouvre : l'amalgame des races, l'interpénétration par le mariage, l'échange des idées, des coutumes. La fusion dans un creuset unique : la famille, première cellule d'une société, sûr garant d'une entente réelle entre les différents éléments ethniques de ce pays.

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Quelques interviews recueillies par Ahmed Sefta

Nota(je n'ai fait de correction poussée..)
Nom de l'interviewé ADEM Ali. Profession : libérale.
Age : 60 ans. Tendance : (Laïque ? religieuse ?) religieuse.

1° Comment vous représentez-vous la formation d'une famille algérienne ?
R. - La famille algérienne se compose des membres directs de la famille (père, mère, enfants) mais dans la plupart des cas, les membres plus ou moins éloignés en font partie. Chez les musulmans. tous ceux qui portent le même nom de famille sont considérés comme appartenant a cette famille, ce qui montre l'esprit de solidarité entre eux.
2° Quelles sont vos impressions sur la famille actuelle ?
R. - La famille actuelle semble entraînée par le courant du progrès, ne veut pas s'écarter des principes coutumiers et religieux. Avec le temps il se peut que certains principes soient délaissés, sans pour cela modifier l'esprit strictement familial. Pour cela, le devoir de chef de famille est de veiller à ce que les enfants ne se détournent pas des principes religieux.
3° Quelles sont les causes qui l'ont amenée à cet état ?
R. D'abord : le progrès et surtout la disparition de l'analphabétisme qui ont fait que la tradition perd un peu de sa valeur. Mais il ne semble pas recommandable de haler cette évolution si l'on veut que la jeunesse ne se dégrade.
4° Y a-t-il une solution dans le dénouement de sa crise?
R. - Le dénouement consisterait surtout à améliorer la situation matérielle du chef de famille, ce qui permettrait l'éducation des enfants dans le sens du respect familial tout en suivant la voie du progrès.
La poussée brutale de l'émancipation de la femme dont un a tant parlé eus temps derniers ne full que précipiter la jeunesse dans la dégradation morale. ce qui est contraire à l'esprit de famille et concourt ainsi à la dislocation de cette dernière.
5° Son évolution actuelle répond-elle aux temps modernes ?
Non. L'évolution actuelle semble désolidariser la famille. Le progrès ne doit pas entraîner la disparition des principes édictés par le Coran sur la formation de la famille.
Aussi, le Coran n'est pas un obstacle à l'évolution, à condition que celle-ci n'en-traîne pas la corruption. Nombreux sont les versets du Coran et les Hadiths qui recommandent cette évolution.
6 Voudriez-vous que la famille conserve son ancienne forme traditionnelle ou bien qu'elle s'en éloigne
définitivement ?

R. II faut d'abord distinguer entre la tradition édictée par le "Hadith" et les coutumes.
La pure tradition consiste en la formation morale, sociale et intellectuelle quant aux coutumes elles sont surtout prechées par les ignorants qui les confondent le plus souvent arec la pure tradition. Ce qui revient à dire que la famille doit conserver sa forme purement traditionnelle et abandonner les coutumes jugées préjudiciables à l'évolution et à l'esprit de famille.
7° Comment vous imagines-vous une famille future ? Quels seraient les moyens préconisés pour lui insuffler l'âme du progrès et de la civilisation?
R. - Sans s'écarter de la tradition, la famille future devra se tourner progressivement vers le progrès. II ne faut pas perdre de vue que nos ancêtres ont légué à l'humanité une brillante civilisation que beaucoup feignent d'ignorer ou qu'ils ont mal interprétée.
L'Occident qui doit cependant beaucoup à l'Orient. n'a jamais par égoïsme aidé à ce dernier à sortir de sa léthargie.
Les moyens pour insuffler l'âme du progrès et de la civilisation consisteraient simplement à intensifier l'instruction et à pratiquer une vraie démocratie.

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Nom de la personne interviewée :
D]EBBOUR Merouane.

Profession : étudiant en physique. Age : 20 ans. Tendance : laïque.
1° Comment vous représentez-vous la formation d'une famille algérienne?
R. - Souvent patriarcale. II y a trois genres de famille: la riche qui se forme en grande famille patriarcale la petite bourgeoisie qui forme la plus grande partie de la société - et dans laquelle l'individu a une plus grande liberté malgré la cohésion de ses membres et enfin les familles qui se disloquent au fur et à mesure de la croissance des enfants. A partir de 11 ans l'enfant quitte la famille et s'en va vivre seul.
2° Quelles sont vos impressions sur la famille actuelle?
R. A l'heure actuelle la famille se démantèle, se disloque de plus en plus et s'éloigne de l'épicentre de la famille traditionnelle. Elle tend vers le modernisme sans en saisir le sens véritable et, d'une façon dangereuse elle n'en applique que les côtés néfastes. nuisibles à la formation d'une société soudée.
3° Quelles sont les causes qui l'ont amenée àcet état ?
H. L'évolution actuelle des pays sous-développés a entraîné en partie cette dislocation.
Le désir d'imiter l'Occident sous son aspect extérieur. II y a ensuite un désir d'éliminer un complexe et cela par tous les moyens. L'éma ncipation a été provoquée par des facteurs extérieurs sans qu'il y ait prise de conscience des véritables données d'émancipation.
4°/Y a-t-il une solution dans le dénouement de sa crise
R. 1l y aurait solution dans la mesure où un dirigisme impose une éducation calculée et poussée.
II faut arriver à freiner cette imitation idiote de mœurs. Seule l'éducation est capable de faire prendre conscience à chaque individu; du milieu qui l'entoure, de lui faire conserver ses valeurs naturelles héritées de la bonne tradition. On doit l'émanciper en le plaçant devant ses responsabilités sociales.
Malgré cette crise il y a quand même une évolution qui sera bienfaisante à la société. Le démantélement de la famille créera d'autres forces plus libres et dont la somme sera supérieure à celle de la famille traditionnelle.
5" Son évolution actuelle répond-elle aux temps modernes ?
R. - Oui, elle répond aux temps modernes parce que. ayant plus de liberté elle est capable d'agir selon les principes modernes. Les membres de la famille traditionnelle (patriarcale) ne peuvent pas prendre conscience du complexe dams lequel ils vivent parce qu'ils sont coiffés et démunis de tout désir d'action non commandée. Or dans les temps modernes la famille est basée sur la décentralisation et la possibilité d'initiative des individus.
6" Voudriez-Vous que la famille conserve son ancienne forme traditionnelle ou bien qu'elle s'en éloigne définitivement ?
R. - Elle doit s'en éloigner, mais elle doit conserver une certaine cohésion basée sur l'affectivité. Tout en gardant des liens d'amour avec ses parents, il sera permis à l'individu d'avoir des rapports amicaux avec ses compatriotes. L'écartèlement est nécessaire afin de permettre à toutes les forces de se manifester. Il faut éviter tout frein d'action positive.
7" Comment vous imaginez-vous une famille future ?
H. - La famille dans sa forme traditionnelle disparaitra complètement. Mais elle conservera un certain lien l'entr'aide réciproque dû au sentiment d'hospitalité très développé en Algérie.
En outre la famille selon les principes coraniques est déjà en voie de disparition. D'ailleurs la religion qui demeure pour les parents synonyme de morale n'a plus sa raison d'être chez les jeunes qui préfèrent recourir à la morale laique.

Pour parvenir au progrès il y a lieu de développer l'instruction sous sa forme matérielle et technique afin d'augmenter le standard de vie et de donner àl'individu la faculté de raisonner sans faire appel à ses parents ou ses proches.

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Nom de la personne interviewée : Mlle MALLEM.
Profession : Service Social.
Age : 26 ans. Tendance : religieuse.
1° Comment vous représentez-vous la formation d'une famille Algérienne?
R. Cette question ne me parait pas posée de façon assez explicite pour que je puisse y répondre de façon satisfaisante.
2° Quelles sont vos impressions sur la famille actuelle ?
R. L'autorité souvent sans limite du chef de famille parait excessive et même insupportable à la jeune génération que l'éducation, le contact avec les européens, les événements, ont émancipée.
3° Quelles sont les causes qui l'ont amenée ù cet état ?
B. - Le conflit entre la vieille conception musulmane de la famille et le rythme moderne imprimé à la Société algérienne depuis quelques années (prise de conscience politique, propagandes opposées, instruction, voyages, etc...)
4° Y a-t-il une solution pour le dénouement de sa crise
R. - L'opposition se résorbera à longue échéance. Si les contacts inter-raciuux se multiplient (mariage) ;
S'il est mis en vigueur un code civil algérien. résolument laïc, mais, qui n'entre pas en opposition avec les préceptes les plus essentiels du Coran et de la Tradition (Sunna).
5° Son éducation actuelle répond-elle enta temps modernes ?
R. - Non : l'ancienne génération n'a pas bénéficié du développement massif de l'instruction qui est le fait de ces dernières années.
6° Voudriez-vous que le famille conserve son ancienne forme traditionnelle on bien qu'elle s'en éloigne définitivemenl ?
R. -- La révolution économique et culturelle de la société algérienne aménera de graves perturbations dans le cadre de la cellule familiale actuelle qui semble donc condamnée dans un proche avenir. Mais inversement il ne faut pas, sous prétexte de modernisme, balayer d'un coup tous les fondements d'une civilisation millénaire.
7° Comment vous imaginez-vous une famille future ? Quels seraient le.s moyens préconisés pour lui insuffler l'âme du progrès et de la civilisation
R. On ne peut préjuger de l'aboutissement familial futur. le destin de l'Algérie n'étant pas arrété. Mais pour insuffler à cette famille l'esprit du progrès de la civilisation :une formation technique professionnelle, l'adhésion de la jeune population à un mouvement dynamique (tel que le récent Mouvement de Solidarité Féminine en a été une simple ébauche), l'intéressement des Algériens à la chose publique, (le droit de la femme musulmane à faire entendre sa voix est le grand fait nouveau), sont quelques-uns des moyens que nous préconisons.

Sur cet important sujet, qui touche soit directement soit indirectement à la vie courante de tous les Algériens, nous avons tenu à recueillir le témoignage impartial d'un européen particulièrement bien placé. M. HUG. auteur de pièces d'inspiration purement arabe et écrites en langue arabe, est en effet non seulement un arabisant distingué. mais il a toujours vécu dans les milieux musulmans. Voici son témoignage: déclaré M. Hug en réponse à notre questionnaire.

Il me parait délicat pour un européen d'aborder un domaine aussi privé que la famille musulmane. Aussi ne traiterai-je pas tous les chapitres de votre questionnaire sur lesquels d'autres plus autorisés que moi vous ont donné leur avis.

Cependant ma longue et amicale fréquentation de familles citadines et rurales me permet de vous livrer quelques réflexions dans le cadre, sinon dans l'ordre de ce questionnaire.

Ce qui dans la famille musulmane traditionnelle, frappe le plus l'européen c'est sans conteste. l'autorité du chef de famille et le respect filial.

Les signes cxlérieurs de ce dernier sentiment sont habituellement considérés pur les européens comme des manifestations exagérées de respect, où comme du puritanisme sinon de l'hypocrisie.

Ainsi on admet plus ou moins qu'un fils s'abstienne de fumer devant son pére, amis qu'il s'abstienne de paraître devant lui en présence de sa femme. ou qu'une jeune fille n'écoute pas avec ses parents une scène de radio contenant la moindre allusion à une liaison, cela parait exagéré et peu sincère.

Pourtant que l'on ne s'y trompe pas, tout n'est pas qu'apparence et un amour réel qui conduit au respect anime les enfants.

Même si ceux-ci ont l'intention de se libérer de ces manifestations, ils ne le font pas de craintede peiner leurs parents.

Combien de jeunes émancipés ou qui se croient tels parce qu'ils n'observent plus le jeûne - - ne le rompront pas au foyer paternel ; combien de jeunes femmes dévoilées avec l'assentiment de leur mari, reprennent leur ruile pour rendre visite à telle ou telle parente.

Une telle altitude est infiniment plus réconfortante que celle de nos jeunes "zazous " qui ne savent que se moquer de leurs "croulants" ou de nos jeunes "vamps" qui se montrent sans pudeur en "bikini " indécent devant leur père.

Quant aux jeunes enfants musulmans en âge d'obéir, leur conduite mérite d'être citée en exemple aux familles européennes. En effet il est plus agréable et moins dangereux de recevoir avec leurs parents ces petits prix de sagesse qui ne toucheront rien et ne répondront que si on leur parle, que d'accueillir certains enfants européens qui saccageront votre intérieur et vous casseront les oreilles sous l'ail attendri ou émerveillé de leurs parents.

Un autre aspect de la famille musulmane surprend également l'européen : c'est la solidarité et le sentiment de responsabilité du chef à l'égard de tous les membres.

On s'étonne parfois de voir des familles pléthoriques s'accumuler dans des apparlements exigus. Mais si l'on y regarde de près on s'aperçoit que le chef de famille a pris spontanément à sa charge, non seulement ses parents et ses beaux-parents indigents mais encore ses soeurs ou belles-soeurs, répudiées ou veuves, avec leurs enfants.

En est-il ainsi chez nous ? Je ne le pense pas. Au contraire trop souvent les parents doivent avoir recours aux tribunaux pour obtenir l'assistance qui leur est due par leurs enfants.

Mais la famille musulmane évolue et les parents, dans les nouvelles générations, n'éduqueront pas leurs enfants comme ils ont été eux-mêmes élevés.

C'est exact. cette évolution se manifeste dans les villes et. bien plus lentement, dams les campagnes. Vous avez noté dans un précédent article que le contact avec les familles européennes et le désir de les imiter en est une des causes principales.

Alors il serait souhaitable que le choix de l'exemple soit bien fait. Toutes les familles européennes ne sont pas à imiter. Dans beaucoup trop ce sont les enfanls qui font la loi. Ne voit-on pas certains parents abandonner leur appartement à leurs jeunes gens lorsque ceux-ci y o rgani se nl des " surprises-parties a.

On sait où conduisent ces pratiques.

Que les musulmans se gardent d'imiter de pareilles familles.

Quel choix donc conseiller?

A mon avis celui d'une famille européenne qui s'apparente le plus à la famille musulmane, qui, en fait et par définition est croyante. Or plus que tout autre, une famille européenne croyante, et, bien mieux, pratiquante se rapprochera de la famille musulmane. La religion bien comprise est un pont entre les deux communautés, les sources sont les 'liernes et les principes moraux aussi. J'ai d'ailleurs remarqué l'estime et le respect particuliers que témoignaient les musulmans aux européens qui ne cachent pas leurs croyances.

Je ne veux pas dire par là que les familles pratiquantes détiennent le monopole de la vertu et ne conteste nullement la valeur morale, et par conséquent exemplaire, des familles laïques; mais je pense que l'exemple des premières serait plus facile et donc plus profitable en raison de leur affinité avec les familles musulmanes.