Nécessité
d'une éducation de base
--------L'ALGERIE,
comme beaucoup de pays en voie de développement, souffre d'une
rupture d'équilibre qui a affecté l'ancienne société
traditionnelle par suite de l'irruption d'une civilisation occidentale.
--------L'augmentation
des ressources n'arrive pas à suivre le rythme de l'accroissement
démographique et, pour vaincre les difficultés nées
du surpeuplement et du sous-développement économique, certaines
collectivités, placées dans des conditions particulièrement
défavorables, se révèlent inadaptées et incapables
de franchir les obstacles qui se trouvent sur le chemin de l'évolution.
--------Ainsi, à
côté d'un secteur économique de type moderne et d'influence
occidentale, il subsiste un important secteur traditionnel qui demeure
stationnaire ou qui se dégrade. Les populations de ce secteur restent
alois ignorantes et sous-développées dans un pays qui se
transforme sous l'influence du secteur moderne instruit et dynamique ;
la plupart du temps, elles ne bénéficient pas des richesses
et des possibilités de développement ainsi créées
eu offertes, parce qu'elles sont ignorantes et imprégnées
de conceptions relatives à un état social et économique
ancien, qu'elles n'ont pas conscience des problèmes qui se posent
à elles, qu'elles sont incapables d'entreprendre l'effort nécessaire.
Leur manière de vivre correspond de moins en moins au cadre que
forge l'économie moderne, et le secteur traditionnel s'appauvrit
de plus en plus par rapport à l'autre secteur.
--------L'Algérie
se trouve ainsi dans la nécessité impérieuse et urgente
d'amener rapidement dans le courant de la civilisation contemporaine les
deux tiers environ de sa population qui souffrent encore de l'ignorance
et de la misère, de les faire progresser et de les hisser le plus
tôt possible au niveau économique et culturel d'une société
évoluée.
--------Certes,
multiplier rapidement les institutions officielles spécialisées
(écoles, dispensaires, centres d'apprentissage, etc...) ainsi que
les interventions économiques constituerait la solution idéale
au problème de la promotion des masses, mais elle suppose des investissements
énormes, des cadres nombreux et beaucoup de temps. Un réalité,
malgré l'effort accompli, cette solution correspond en fait à
donner beaucoup mais à peu de personnes, eu égard aux masses
qui ne sont pas encore touchées par les services spécialisés.
--------Parallèlementà
l'effort croissant de ces services, il
convenait donc de fournir tout de suite à la population de secteurs
géographiques préalablement définis, l'ensemble des
modestes moyens de progrès nécessaires pour accéder
à un degré supérieur en rassemblant au niveau le
plus humble des collectivités sous-développées, des
activités éducatives et sociales dispersées, en s'efforçant
de susciter et d'entretenir une volonté d'évolution, en
donnant un peu à chacun mais en en faisant profiter beaucoup.
--------Par
la même occasion, compte tenu de la présence de certains
moyens normaux d'évolution, il fallait aussi préparer les
esprits à l'action des services spécialisés parfois
ignorés ou incompris des populations pour lesquelles ils sont instaurés,
et rapprocher les masses d'un contexte évolutif dont elles demeurent
éloignées par méfiance ou surtout ignorance.
Le Service des Centres
Sociaux Éducatifs
--------LE Service
des Centres Sociaux Educatifs a été créé par
arrêté du 27-10-1955 IJ.O.A. du 4-11-19551 et une organisation
nouvelle lui a été conférée par le décret
du 30-7-1959 (J.O. du 31-7-19591. Le texte fondamental fait du Centre
Social Educatif un organisme d'éducation
de base destiné à oeuvrer en vue du progrès économique,
social et culturel de la collectivité sous-développée
dans laquelle il se trouve inséré.
--------Cependant,
aux tâches d'éducation de base qui lui sont dévolues
s'est ajoutée une participation particulière au Plan de
Scolarisation. L'ordonnance du 20 août 1958 (J.O. des 25 et 26 août),
"en vue d'étendre l'éducation
de base et de préparer la jeunesse à la scolarisation primaire
élémentaire ", trace un pro-gramme de construction
qui doit porter en 1966 à plus de 700 le nombre des Centres Sociaux
Educatifs en Algérie.
Au sein de l'Académie d'Alger, le Centre Social Educatif est placé
sous l'autorité directe de l'Inspecteur d'Académie, assisté
d'Inspecteurs des Centres Sociaux Educatifs. Intégré dans
la structure académique de l'Education Nationale, le Centre Social
Educatif est cependant une institution propre à l'Algérie
et qui relève de M. le Recteur de l'Académie d'Alger, Directeur
général de l'Education nationale en Algérie, assisté
d'un chef de service.
--------Il
est construit à l'aide des crédits de la Caisse d'équipement,
sur des terrains mis à la disposition de l'Algérie par les
communes. Le budget de l'Algérie alloue également des crédits
de fonctionnement.
--------La
liste des implantations nouvelles est arrêtée par le Préfet
Inspecteur Général Régional sur proposition de l'Inspecteur
d'Académie.
--------Un
Centre (le Formation pour l'Education de Base (C.F.E.B.) fonctionne à
Tixéraïne, dans la banlieue d'Alger. II a pour mission de
former le personnel et de le préparer aux tâches d'éducateur.
Il est également chargé d'élaborer les directives
pédagogiques et les divers documents mis à la dis-position
des éducateurs (films fixes, brochures, affiches, etc...).
Buts généraux
du Centre Social Educatif
--------LE Centre
Social Educatif s'adresse à une collectivité sous-développée
de plusieurs milliers de personnes et la considère dans son ensemble
en vue de la promouvoir globalement et sur tous les plans. Il s'efforce
d'atteindre toutes les couches de la population (enfants, adolescents
et adultes des deux sexes) et s'intéresse à tous les aspects
de l'activité humaine.
--------Il enseigne de modestes notions de base
aux analphabètes : lire, écrire, compter, se mieux soigner,
se mieux vêtir. Il donne un peu à chacun et s'efforce de
faire progresser l'ensemble de la collectivité.
--------Il s'efforce d'augmenter le niveau de vie
de cette collectivité par l'amélioration des conditions
matérielles de vie (habitations, agriculture, ressources nouvelles,
accès au salaire, etc...
--------Il
essaie d'amener ses auditeurs à sentir la nécessité
d'évoluer, d'opérer un effort personnel, d'essayer de sortir
de la résignation ou de l'accable-ment. Il ne cherche pas tellement
à travailler pour qu'à travailler avec la collectivité
dont il voudrait être le levain en s'efforçant de susciter
une auto-évolution.
--------Il
suit de très près la mouvance des besoins et, de ce fait,
chaque Centre Social Educatif offre un aspect souvent particulier, en
s'adaptant aux conditions locales.
--------Il
a également pour raison d'être :
- d'amener les intéressés à bénéficier
de l'aide apportée par les institutions existantes et dont ils
ignorent souvent l'existence ou les possibilités IS.A.P,, S.A.R.,
Santé, Allocations familiales, Main-d'oeuvre, etc... 1 ;
---------
d'aider ces institutions à élargir leur action en éduquant
les collectivités, en préparant les esprits à l'action
des techniciens de façon à créer un climat d'accueil
et de progrès (reboisement, opératives, campagnes sanitaires,
etc...) ;
---------
de couvrir des secteurs non atteints par les instutions régulières
(enfants non scolarisés, adultes
ou adolescents analphabètes, éducation en milieu
féminin, etc...". Le Centre Social Educatif précède
l'institution officielle lorsqu'elle n'existe pas et s'efface lorsqu'elle
intervient, tout en continuant à diriger vers elle le public.
--------En
résumé, le Centre Social Educatif est moins une institution
en soi qu'un moyen d'amener les populations au niveau des institutions
normales. II e crce, par tous les moyens, d'élever le niveau
vie, d'éduquer et de faire évoluer la collectivité
ut entière dans les domaines économique, social
culturel.
Le Centre Social Educatif
--------LE Centre
Social Educatif est animé par une équipe d'éducateurs
de spécialités différentes (6 ou 7 personnes) dirigée
par un Chef de centre. Il comporte en général des pavillons
consacrés au logement du personnel (3), des bâtiments educatifs
(3) , un local à usage d'atelier. Il est doté de movens
éducatifs variés consistant essentiellement en matériel
audio-visuel (un appareil de cinéma 16 m/m, un magnétophone,
un appareil à projection fixe) et en documents édités
spécialement à son intention (brochures, films fixes, livres
de lecture, journal pour récents alphabètes, etc...).
--------Il assure à des degrés divers
et dans des proportions variables, selon les conditions locales, les activités
suivantes :
--------ACTIVITÉS
SANITAIRES. - Une salle de soins, modestement équipée,
tenue par une infirmière ou
aide soignante, permet de distribuer les petits soins courants. La salle
de soins du Centre Social educatif n'est pas le dispensaire au sens habituel
du terme, elle a pour objectif fondamental de donner une éducation
sanitaire collective et préserver de la maladie par la leçon
ou l'action (hygiène, puériculture, soins élémentaires
que l'on peut assurer soi-même). La salle peut être prêtée
certains jours et à certaines heures à l'Assistance Médicale
gratuite si elle ne dispose d'aucun local approprié. Son activité
peut être plus importante si aucune institution officielle ne prend
la population à charge, mais son rôle demeure surtout éducatif.
------ACTIVITÉS
DU SECRÉTARIAT SOCIAL. - Le Secrétariat
Social a pour mission de conseiller, de guider, d'informer et d'éduquer
les usagers. Le public, désarmé devant certaines institutions
très spécialisées, est conseillé et guidé
pratiquement, pour les choses les plus humbles (lettres) comme pour les
problèmes administratifs les plus compliqués (assurances
sociales, allocations familiales, prêts, recherche de l'emploi,
etc...). Le Secrétariat Social informe aussi les auditeurs sur
les possibilités offertes par les institutions officielles et les
dirige vers elles. Il permet, par l'intermédiaire de la salle d'attente,
d'assurer une action éducative indirecte (affiches, gravures) ou
directe (conversations) et de sensibiliser le public à certaines
actions possibles en vue de s'élever.-
--------ALPHABETISATION DES ADOLESCENTS
ET ADOLESCENTES. - Ce public est prioritaire, car
il s'agit d'individus pouvant s'intégrer immédiatement dans
le cycle de production, alors qu'ils n'ont revu aucune formation. Le cycle
d'enseignement, prévu pour une durée d'une dizaine de mois,
permet d'assurer des connaissances de base (langage, lecture, écriture,
calcul) aux différentes catégories de publics. Cette alphabétisation
s'accompagne d'une action éducative dans les autres domaines (préformation
professionnelle, éducation familiale, etc...). Des cours pour adultes
sont également ouverts.
--------PRÉFORMATION
PROFESSIONNELLE DES ADOLESCENTS- Les jeunes de 14
à 17 ans reçoivent pendant neuf mois une préformation
à caractère polyvalent, visant à l'utilisation d'outils
usuels et à l'apprentissage de techniques simples. Ce " dégrossissage
" manuel leur facilite soit l'accès au métier non spécialisé,
soit le passage à la Formation Professionnelle des Adultes F.P.A.
n. L'enseignement est essentiellement pratique et se base sur la réalisation
d'objets réels. Dans la campagne, l'atelier rural vise à
apprendre aux jeunes tout ce qu'un fellah peut réaliser lui-même
pour sa maison ou son exploitation. Partout, les actisités d'atelier
sont adaptées aux conditions offertes par les débouchés
et le genre de vie.
--------FORMATION
FAMILIALE ET MENAGERE POUR LES ADOLESCENTES. - Elle
vise à apprendre aux jeunes filles de 10 à 15 ans tout ce
qu'une mère de famille et une femme d'intérieur doit savoir
(coupe et confection de vêtements simples et layette, tricot, lavage
et repassage, alimentation, hygiène, puériculture, etc...".
Le cycle d'enseignement dure également 9 à 10 mois.
--------PRÉSCOLARISATION
POUR LES ENFANTS DE 8 A 10 ANS - En 1966, au terme
du plan de scolarisation de 1958, 50% des enfants environ seront normalement
pris en charge par l'école primaire. Le Centre Social Educatif
assure à ceux qui n'ont pas pu entrer à l'école primaire,
une scolarité plus réduite (12 à 15 heures par semaine
pendant un an ou deux ans ). L'enseignement y est plus succinct (lire,
écrire, calculer, parler et plus utilitaire (problèmes de
la vie pratique n qu'à l'école primaire ; il vise à
déceler les meilleurs élèves pour les replacer ensuite
dans le cycle primaire normal et à leur permettre ainsi d'avoir
leur chance. Une liaison étroite dot être assurée,
sur le plan local, entre ces deux formes de scolarité qui ne sauraient
en aucun cas être opposées. Pour atteindre les objectifs
du plan, chaque centre doit toucher chaque année un peu plus de
200 nouveaux élèves, ce qui suppose une présence
simultanée d'enfants plus importante compte tenu de la durée
du cycle et aussi des départs ou des passages à l'école
primaire (au moins 300 élèves). Le Centre Social Educatif
ne concurrence pas l'école qui demeure l'instrument d'évolution
et d'instruction le plus souhaitable auprès des jeunes ; il la
précède cu il s'occupe de ceux que l'école, faute
de place, laisse à la rue ; il s'efforce, par la rotation des effectifs,
de donner un minimum de connaissances au plus grand nombre. --------Cette
action est peut-être insuffisante par rapport à une scolarité
normale, mais elle constitue un apport appréciable à la
désanalphabétisation d'un grand nombre d'enfants qui, sans
elle, ne bénéficieraient d'aucune aide.
--------ATELIERS
LIBRES POUR HOMMES ADULTES - FOYERS FÉMININS. -
Les hommes apprennent eux-mêmes à l'atelier à fabriquer
l'objet qui les intéresse (fenêtre, grillage moustiquaire,
ruche, etc...) ; des séances sont organisées à leur
intention à leurs moments de liberté.
--------De
même, au Foyer féminin, plusieurs fois par semaine, les femmes
peuvent venir confectionner ou apprendre à confectionner un vêtement
ou une layette, à tricoter...
--------Ces
séances sont l'occasion, selon la nature du public, d'activités
éducatives (puériculture, hygiène, etc...).
--------Le
but de ces activités est de montrer aux pères et aux mères
de fa-mille qu'ils peuvent eux-mêmes améliorer leur sort
par un travail simple en utilisant plus rationnellement ce dont ils disposent
ou moyennant des dépenses relativement peu importantes et souvent
possibles.
--------EDUCATION
AGRICOLE. - Elle peut
être théorique, mais elle est surtout pratique et s'adresse
principalement aux adolescents et aux adultes. Elle s'appuie sur la mise
en valeur d'un petit terrain d'application ou d'un petit élevage
et une collaboration étroite avec les services spécialisés
de la Direction de l'Agriculture et des Forêts. Elle utilise largement
le pro-cédé des " campagnes n auprès de la masse
des fellahs pour les inciter à adopter les améliorations
possibles de leurs procédés culturaux, compte tenu des moyens
dont ils disposent. Elle imprègne l'enseignement de tous les groupes
d'auditeurs du centre rural masculin ou féminin.
--------ACTION
ÉCONOMIQUE ET COMMUNAUTAIRE. -
--------L'amélioration
du niveau de vie est un objectif essentiel ; elle peut se réaliser
inditiduellement (accès à l'emploi, formation aux petits
métiers, amélioration des techniques agricoles). Le Centre
Social Educatif s'efforce aussi de la réaliser collectivement en
encourageant, dans le cadre des institutions existantes, toutes les tentatives
d'union pour un progrès économique et culturel. Des coopératives
d'éducation de base, greffées sur les activités du
centre et à l'usage des adolescents (ruches ou iardins coopératifs,
fabrication de petits meubles, averies coopératives, etc...(, préparent
pratique-ment les jeunes à des techniques et aussi à un
tra-o. ail en commun. Elles constituent des exemples pour les adultes
en vue de la création de communautés de travail ou de coopératives
de production.
CONCLUSION
--------P OUR couvrir
les besoins du pays, rien ne vaut évidemment les institutions normales
prévues à cet effet (écoles primaires, dispensaires,
centres d'apprentissage, centres de formation professionnelle, etc...)
et le Centre Social Educatif ne saurait, à lui seul, faire aussi
bien que tous les organismes spécialisés qui disposent d'installations,
de credits et de techniciens spécialement formés.
--------Mais
dans certaines régions, ou bien des institutions n'existent pas
du tout, ou bien elles sont en nombre insuffisant, ou bien elles ne touchent
pas vraiment le public et ne sont pas comprises.
--------Le
Centre Social Educatif intervient alors, selon
des modalités d'action en rapport avec les conditions
locales. Cette action est, certes, modeste techniquement, très
utilitaire et à caractère intermédiaire et transitoire.
Mais le Centre Social Educatif constitue un puissant instrument d'évolution
des masses, car il met au niveau des populations demeurées à
l'écart de la vie moderne un système éducatif polyvalent
qui les élève globalement et sur tous plans, évitant
ainsi les ruptures internes d'équilibre et préparant l'action
des services spécialisés. La mission des Centres Sociaux
Educatifs est d'autant plus importante que les administrations étant
assez cloisonnées, l'iIlettré ne connaît ni ses droits
ni ses devoirs, et ignore tout de ses possibilités ou de celles
qui lui sont offertes pour sortir Je sa misère.
--------Aussi,
le Centre Social Educatif doit-il être installé
collectivités fortement démunies d'institutions normales
(écoles, dispensaires, formation professionnelle, etc...) de façon
à ce que son action globale puisse s'exercer sur l'ensemble de
cette collectivité pour la faire évoluer sur les plans économique,
social et culturel.
--------Juger
le Centre Social Educatif sous l'angle des institutions normales spécialisées
constitue une erreur profonde, car il ne fait que précéder
des institutions,
ss'occuper des secteurs non touchés par elles, préparer
leur venue, les aider, les faire comprendre et les faire utiliser. Le
Centre Social Educatif accomplit, implante au sein même des collectivités
sous-évoluées, les tâches les plus humbles et les
plus élémentaires, dans une perspective d'amélioration
du niveau de vie ; ii joue un rôle de défricheur et de médiateur.
L'action du Centre Social Educatif est une action de masse, faite pour
agir de l'intérieur sur les esprits et sur les coeurs. Elle espère
ainsi ramener les collectivités attardées dans le courant
du progrès en les éduquant, en les aidant à sortir
de l'accablement et de la misère, en leur apprenant à trouver
en elles-mêmes et à l'exercer - la volonté de progresser.
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