Sidi-Bel-Abbes, maison mère de la Légion Étrangère
Pieds-noirs d'hier et d'aujourd'hui, n°27, juin 1992
sur site le 26/12/2001...déplacé ici :mai 2012

9 Ko
retour
 
Dépôt du 1er étranger, "réserve intarissable où puisent tous les corps", écrit Jean des VALLIERES, Sidi - Bel - Abbès, au coeur de l'Oranie, est la mère nourricière et la plaque tournante de la Légion.

Fondée en 1843 par celle -ci, en un lieu marécageux où un marabout perpétuait le souvenir de Sidi-Bel-Abbés, pieux ermite, cette petite ville sans caractère est l'usine qui, depuis cent dix neuf ans, s'emploie à faire d'hommes venus de tous les pays et de toutes les couches sociales, des forçats de la gloire. C'est là et dans les centres qui y sont rattachés (Saïda, Bedeau, Mascara) que, durant les premiers mois, les aboiements des sous-officiers, chevilles ouvrières et mainteneurs de la Légion, les marches forcées, les durs exercices de combat, la pelle et la pioche, la "pelote" (course au pas gymnastique avec vingt à trente kilos de pierres sur le dos), la discipline implacable, refoulent au second plan les "problèmes" et la personnalité du nouveau légionnaire, mettent au gabarit ces hommes venus souvent sous le coup d'une crise, d'un échec ou d'une illusion. Là, ils apprennent à tout supporter, à tout surmonter, en premier lieu la déception des premiers jours et, parfois, la révolte qui gronde en eux. Là, le dur est brisé, le romantique touche terre, les légendes meurent. MAC ORLAN, "Le Grand Jeu, Il sentait bon le sable chaud" : du carton-pâte !

Mais l'instruction et le broyage n'ont qu'un temps. Le terrain est déblayé pour former l'esprit légionnaire. Le nouveau "képi blanc" est initié aux mystères. Il acquiert une nouvelle fierté - presque un snobisme - celle d'appartenir à une tribu, à une phalange, que tout rend différente et on ne cesse de l'en persuader - supérieure : le recrutement, les rites, les traditions, la tenue, le passé, le règlement,la sévérité de l'instruction. Fierté d'être une armée dans l'armée . Fierté, amère peut-être,d'être de ce corps qui si souvent depuis cent cinquante ans est le premier et le dernier recours des généraux : "Faites donner la Légion !".

Tous les légionnaires, même les déserteurs, restent marqués. Ils gardent l'orgueil d'en avoir fait partie et, s'ils la quittent, ils savent que la solidarité demeure. Ils pourront toujours crier : "A moi la Légion !", il y aura quelqu'un de la "dispora" pour les entendre.

Comme de coutume, les légionnaires transitaires ou en cours d'incorporation séjournent au vénérable quartier Viénot, grande caserne en rectangle ouvert tenant de l'hôpital et du lycée, bâtiment banal où bat le coeur de la légion, où sont entretenus le culte des morts et le respect des traditions.

Au fond de la grande cour, l'imposant monument aux morts, énorme globe terrestre sur socle en onyx, gardé aux points cardinaux par quatre légionnaires sculptés. Sur le globe, des taches d,'or indiquent les pays que la Légion a contribué à ouvrir a l'expansion française. Une étoile signale le Mexique, "capitale": Camerone. Le nouveau légionnaire se rend tout près de là, au musée du souvenir, le saint des saints, ruisselant de reliques sacrées : main de bois du capitaine DANJOU, armes des régiments étrangers de l'ancien régime, sabre du président JUAREZ, drapeaux chargés de médailles, etc. On y remarque le grand drapeau de soie pris aux Pavillons- Noirs à Tuyen Ouang (Tonkin), en 1885 : "Le trophée ne devra jamais quitter Bel-Abbès avait spécifié le donateur, le capitaine BORELLI. Si la Légion en part définitivement, il faudra le brûler". Ce sera fait en 1962.

"La cour du quartier Viénot demeurait ce qu'elle avait toujours été, un enfer des marques extérieures du respect ; officiers et sous-officiers salués quatre cents fois par jour, talons claqués, garde-à-vous à dix pas, tout officier ou gradé rendant le salut". Par petits groupes les légionnaires se répandent dans Sidi-Bel-Abbès. Parfois, machinalement, ils déambulent au "pas de la légion" (80/85 pas/minute, contre 110 pour le reste de l'armée), survivance des armées de l'Ancien Régime, qui défilaient sur des airs de musique solennels. Une fois les emplettes terminées, ils se ruent vers les cafés et le "village nègre".

Les 20.000 légionnaires qui étaient présents en Algérie se fractionneront. Ils seront partout où l'incendie éclata ou menaça.
Impavides, fatalistes, ils continueront jusqu'à la fin, et parfois au delà, d'affronter le feu et la de livrer tous les combats et de faire toutes les besognes qui leur seront ordonnées.

Et, comme par le passé, leur obéissance et leur fidélité s'adresseront moins à la France ou à une idée qu'à la Légion et surtout à leurs officiers.
Aujourd'hui, Aubagne est devenu la Maison-Mère.

François DELATOUR
(Extraits d' Historia)