-D'abord inclus
dans la zone de défense du Sahel d'Alger, Birkadem et Saoula furent
créés en 1843 sur 3 380 ha. Ce n'est qu'à partir
du 1er juillet 1894 que ce dernier village situé à 15 km
d'Alger, accéda au statut de commune de plein exercice avec un
territoire de 1952 hectares en coteaux.
Un climat salubre, avec des températures minimales de 7 °C
en hiver et des maximales atteignant 38 °C en été, ainsi
que de l'eau abondante et de bonne qualité attirèrent des
viticulteurs et des artisans du Sud de la France. Les terres rouges et
légères du sidérolithique de Birkadem-Saoula, étaient
propices aux cultures fruitières et maraîchères.
En raison de ses modestes dimensions, Saoula c'était, en 1900,
quelques maisons groupées de part et d'autre du chemin de grande
communication n° 13 qui reliait Baba
Hassen à Birkadem. C'était surtout et aussi des
hommes travailleurs. Beaucoup d'entre eux reposaient aux côtés
de leurs épouses dans le petit cimetière de Birkadem, dont
les tombes creusées à même le sol étaient surmontées
d'une croix blanchie par le soleil où le nom de l'humble défunt
était peu lisible ou complètement effacé. Sur l'entourage
de fer forgé quelques restes de couronnes de verroterie témoignaient
encore de l'affection de la famille.
Saoula, c'était avant tout ces hommes, ces femmes et leurs enfants
d'une école mixte et d'un groupe scolaire qui animaient la rue
principale. Avec 1 250 habitants en 1900, dont 696 fellahs producteurs
de bétail, le village était doté depuis le 17 octobre
1899 d'un bureau de poste et d'une agence télégraphique.
Les corricolos de 1 société Bonifay assuraient plusieurs
services par jour entre Alger-Douera,
et Saoula et aussi depuis Alger jusqu'à Saoula par Birkadem.
Le village avait, dans un premier temps, été peuplé
par de Languedociens. Ils arrivaient avec des boutures de leurs cépages
familiers, carignan, cinsaut, alicante-bouschet ; car pour eux, planter
des arbres fruitiers, de la vigne, cela faisait partie de leur vie, de
leurs traditions. C'était des bâtisseurs et pour eux une
maison s'achève par la pose d'une poutre faîtière,
d'où la mise en terre dans leur lot de jardin de trois cyprès,
l'un pour la poutre, l'autre pour son remplacement et le troisième
pour suppléer à la perte éventuelle d'un arbre déraciné
par le vent des Cévennes, calciné par le feu ou détruit
par la sécheresse.
Saoula, c'était aussi un village de petits agriculteurs où
le vannier découpait ses roseaux sur le trottoir pour en tresser
des corbeilles. Sur de petites parcelles, des ouvriers durant une longue
journée, courbés sur leur sape à large lame, binaient
ou buttaient pommes de terre et tomates. Parmi eux des Minorquins venus
de la région de Ciutadella*, n'avaient pas leur pareil pour niveler
une terrasse et y faire circuler l'eau qu'un mulet, dont le chanfrein
couvert d'un chapeau de paille percé, tirait d'un puits surmonté
d'une noria.(*Le webmaster: mes ancêtres, arrière-arrière
GP étaient natifs de Ciutadella)
Saoula, c'était la mélopée qu'un berger obtenait
de sa flûte de roseau. C'était aussi le cahotement d'un tombereau
ou le braiment d'un âne circulant au milieu des petites maisons
blanchies à la chaux. En 1900, la vie de la commune était
ponctuée par le déroulement des travaux agricoles, le maraîchage,
la viticulture, l'arboriculture, la culture des artichauts, melons et
pastèques se substituant progressivement à l'élevage.
Avec d'anciennes familles musulmanes depuis toujours installées,
Saoula était en 1900 un village paisible et déjà
bien organisé autour d'activités agricoles telles que la
culture maraîchère et la viticulture.
Malgré des surfaces agricoles réduites, le maraîchage
représenta pour ces petits centres du Sahel d'Alger, une part importante
des revenus de leurs agriculteurs.
Un microclimat permettait de faire plusieurs récoltes par an sur
une même parcelle. D'autre part, les besoins en eau des cultures
étaient comblés par la construction de bassins d'irrigation
alimentés par des norias. Composées d'une armature et d'une
roue métallique supportant une chaîne à godets, les
norias de fabrication artisanale étaient actionnées par
un mulet. En faisant entendre la claire musique de leurs cliquets d'acier
retombant sur la roue dentée, ces petites norias entretenaient
la vie et faisaient remonter des couches profondes du sol tuffeux une
eau que des hommes venus d'Alayor, d'Es Mercadal ou de San Luis conduisaient
avec leur sape, jusqu'au pied des plants d'artichauts, courgettes, poivrons,
tomates.
Ces " Mahonnais " commençaient leur journée très
tôt, les reins entourés d'une grosse ceinture de flanelle,
pliés sur leurs genoux tenant dans leurs mains calleuses leur sape
à large lame de fer. Ils travaillaient jusqu'au soir. Pour eux,
il n'y avait, ni dimanche, ni jour férié, à une exception
près cependant pour la fête de l'Ascension où selon
une coutume inconnue à Ciutadella, mais respectée à
Birkadem, Koubba, Saoula, Fort de l'Eau, et Aïn Taya " Ce
jour-là, même les oiseaux s'arrêtent de faire leur
nid ".
La viticulture en 1900
Par la régularité de ses rendements et par
les débouchés offerts dans l'agglomération d'Alger,
la culture de la vigne à raisins de table ou de cuve intéressait
tous les propriétaires de cette région du Sahel. Les plantations
de " greffés soudés " au printemps avant le débourrement
ou de plants américains greffés en " plancha c'est-à-dire
sur place en septembre permettaient dans les deux cas d'obtenir des ceps
vigoureux de raisins de cuve : carignan, cinsaut, alicante-bouschet, grenache,
ugni blanc et merséguerra auxquels s'ajoutèrent par la suite
cabernet, syrah et autres cépages nobles.
En raisin de table le choix portait sur le chasselas de Guyotville précoce,l
'Ameur-bou-Ameur, le muscat d'Alexandrie et le dattier de Beyrouth apprécié
pour la fermeté de ses grains. En 1900, ces viticulteurs cultivaient
déjà 380 ha qui produisaient un vin très estimé.
Conduites en gobelet ou palissées sur fils de fer, les vignes des
petites par-. celles à flanc de coteaux de Saoula recevaient en
interlignes, après le vendanges, 200 à 260 kg de plants
de pommes de terre à l'hectare, donnant une récolte de tubercules
avant le débourrement de la vigne au printemps. Des hommes travailleurs,
habiles jardiniers, savaient obtenir de ces sols légers, se réchauffant
facile ment, une récolte supplémentaire de précieuses
ressources alimentaires.
Conseil
municipal en 1900:
Le conseil municipal composé
de MM. Deschamps, Mohamed Djezzar, Marius Bence, Lardet, Lescure,
Lubet, Boisson, Thévenet, Bonnet, Gueddar, était présidé
par M. Henri Gras maire du village, avec pour adjoint M. Guibbaud.
Saoula comptait également dans l'organisation municipale
une institutrice, M", Piart, un facteur-receveur, M. Schmidt,
et un curé M. Sailly de Houdère.
Artisans
et commerçants en 1900:
MM. Marius Bence, M. Lescure (bouchers);
Chabas, Guibbaud, Long, Mercadal (cafetiers); Bonet, Camps (charrons-forgerons);
Béranger (distillateur); Chabas, Jean Jover, Jover frères,
Mme Vve Long (épicier); Gras, (marchand de moutons); Mohring
(minotier). Ce dernier artisan avait en 1900 un moulin à
meules qu'il remplacera plus tard par un moderne moulin à
cylindres.
Viticulteurs
en 1900:
En cette année 1900, Saoula
était doté d'ateliers de réparation et d'entretien
du matériel agricole ainsi que d'expéditeurs et industriels
de la transformation des produits du sol. Situé dans une
zone dense d'habitat dispersé autour de petites agglomérations
comme Birkadem, Baba-Hassen, El-Achour, Draria, Crescia; Marius
Bence, boucher et Jean Jover épicier à Saoula, allaient
de village en village ainsi que dans les fermes avec un fourgon
hippomobile. Chaque arrêt entraînait le rassemblement
des ménagères autour des étalages ambulants,
de viande découpée sur une planche, de légumes
secs et de pâtes avant d'être déposés
sur un des plateaux d'une balance. MM. de Belle-Roche, Bordet-Chéronnet,
Bossion, Mme Veuve Bonifay, MM. Devèze, Gras, Guibbaud, Pons,
Lavagne, Lescure, Joseph Pons, Ruitort, Rousé, Séguin
et Troncy.
Viticulteurs
en 1950:
Ces viticulteurs étaient:
MM. Florent Ambrosino, François April, d'Aubigny-Castillon,
Audouy-Gueltif, Audouy-Hafid, Belhadj Mohamed, Belkacem Boualem,
Jean Bénéjean, Raphaël Bénéjean,
Sébastien Bénéjean. Louis Berhier, Mme Veuve
S. Bonet, MM. Saïd Boualem, Mohamed Boukert, Ahmed Boumedfa,
René Bour, Louis Boyer-Banse, Brouard, M'ne Brette, MM. Roger
Callas, Cazal-Cathala, Cazayous, Albert Cellier, Cheylard et Castanet,
Michel Cortès, Louis Cruvellier, Angélo Dell Isola,
Baptiste Deschamps, Dupuy frères, Miche ! Esbert, Antoine
Estelrich, Joseph Femenias, Joseph Gomila, Léon Groussac,
F. et A. Guibbaud, Mme Vve G. Journeau, MM. Maurice Jover, Mohamed
Kesraoui, Amédée Laffont, Mohamed Layani, Édouard
Lardet, Lebrun-Laussinot, Pierre Lubet, Émile Marchand, Pierre
Masson, Médina et Olivès, Simon Médina, Mengual,
Ali Mokdadj, Mohamed Mokdad, Mokdad Mohamed ben Ahmed, Mora frères,
Louis Moulin, Mohamed Moussa, M"" Veuve Jean Pons, MM.
Gabriel Portella, Rieupoulh, Émile Roux, Georges Schaeffer,
Joseph Sintès, Salvador Sintès, Société
civile du Sahel, S.I.A.M.N.A, Société Ruetsch, MM.
François Torrès, Robert Troncy, Charles Vassalo, Dominique
Vidal, Virtson, Vinson-Germain.
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Saoula dans les années
cinquante.
En raison de la qualité des produits
obtenus et de la proximité de débouchés très
demandeurs, Saoula disposait des pépinières de M. Pierre
Florit ainsi que des prestations d'un oenologue, M. Maurice Jover ingénieur
IAA. Le village avait plusieurs entreprises de construction de caves,
dont celles de MM. Jean-Raphaël Ségui et Valdès. Enfin
plusieurs expéditeurs de raisin de table dont MM. Étienne
Azzopardy, Mohamed Brahimi, Guibbaud frères, conditionnaient de
belles grappes de muscat ou de dattier dans des cagettes fournies par
les établissements Ben Ouenniche à Hussein-Dey avant d'en
assurer le transport jusqu'à l'embarquement sur les quais d'Alger
à destination de Port-Vendres ou de Marseille.
Alors qu'en 1900, quinze propriétaires se partageaient 380 ha de
vigne soit en moyenne 25 ha par viticulteur, cinquante ans plus tard ils
étaient 70 à cultiver un vignoble d'une superficie moyenne
de 20 ha.
Les petits vignobles du
Sahel d'Alger
Mais contrairement à une idée
reçue, il n'y avait pas de monoculture viticole exclusivement européenne.
Sur 1 445 ha de vigne, une majorité de vignobles, soit 48 sur 70
couvraient moins de 6 ha et leurs propriétaires commercialisaient
plus de 13 300 quintaux de vendanges, soit en raisin de table par l'intermédiaire
d'expéditeurs ou plus souvent auprès d'autres viticulteurs
qui vinifiaient dans des caves particulières
ou en coopérative. Les ressources de ces petits vignobles venaient
en appoint d'autres productions notamment vivrières ou fruitières.
Il y avait prédominance du maraîchage, artichauts de la variété
" violet d'Alger " et surtout pommes de terre de saison et "
grenadine " parce que cette dernière récolte arrivait
en septembre en même temps que les grenades.
1962 : la fin d'une
aventure humaine.
Depuis sa création, Saoula s'était
agrandi tout en conservant son charme paisible avec ses médecins
: les docteurs Jean Georges, rue Parmentier, Laffont au Clos des Roches,
Paul Lavergne au Clos du Palmier et Laffargue-Ribas. La pharmacie de Mme
Huguette Turjeman fournissait les médicaments prescrits par les
médecins aux patients du village, tous couverts par la Sécurité
sociale.
En 1962, M. Raoul Huss, successeur de M. Nicolas Huss, organisateur de
spectacles en 1900, mettait à la disposition de ses clients de
Saoula et de ses environs, des appareils de sonorisation pour fêtes
et banquets. Tandis que M. Weinich avec un matériel de projection
ambulant organisait des circuits cinématographiques dans les villages
de la région.
La boulangerie du centre était tenue par MM. Ould Brahim frères
et l'épicerie portait l'enseigne de M. Hadj Brahim ben Hamou.
Le café-restaurant de la Prospérité était
tenu par Mme Marie-Françoise Gendre, tandis que celui de la Place
appartenait à Mme Vincent Garcia. Tous les produits de la charcuterie
minorquine se trouvaient chez Médina et Olives avec les "
format- jades ", les soubressades piquantes et douces, la longanisse,
le " ciuxot ou couchot " sans oublier les savoureux " boutifars
". La boucherie ambulante de M. Marius Bence n'existait plus et ses
fils Louis et Robert étaient à la tête d'une SARL
de matériel pour bouchers ayant son siège social au 81,
rue de Lyon à Alger, dans la côte de Mustapha.
Enfin M. Germain Mercadal, garagiste, assurait l'entretien du matériel
agricole et des véhicules du village. Les fellahs producteurs laitiers
avec une ou deux vaches, les faisaient inséminer par les techniciens
de l'Institut agricole de Maison-Carrée où le professeur
Jore d'Arces avait créé un service destiné à
améliorer la production des bovins laitiers dont dépendait
à cette époque la couverture des besoins en lait frais de
l'agglomération algéroise.
* *
En cet été 1962, la population
de Saoula, soumise à la pression des événements sanglants
qui endeuillaient toute cette région du Sahel commença à
regarder de l'autre côté de la Méditerranée.
D'humbles ouvriers réunissaient une petite somme pour payer leur
passage sur un paquebot équipé en transport de troupe. Encore
fallait-il rejoindre le port d'Alger et ses quais, à travers d'inquiétants
et d'humiliants barrages dressés le long du ravin de " la
Femme sauvage ". Après le carrefour Polignac, un nuage fétide
s'élevait de centaines de voitures en feu abandonnées sur
les rochers au bord de la route moutonnière. Puis c'était
la longue et anxieuse attente devant les bâtiments des compagnies
de navigation pour embarquer. Il fallait ouvrir ailleurs d'autres sillons
et toujours, planter de la vigne, des pommes de terre ou lancer des projets
d'entreprises, mais surtout enraciner quelque chose. Ces hommes de Saoula
n'ont rien pris à l'Algérie. Ils y ont laissé en
parfait état des terrains maraîchers qui donnaient deux récoltes
par an, des ateliers de conditionnement et d'expédition de primeurs.
Images criantes du passé qui s'opposent à la vacuité
du silence.
Images du souvenir des hommes, nécessaires pour imaginer le présent.
Qui n'a pas la mémoire du passé, ne peut imaginer l'avenir.
Remerciements:
Cette note succincte sur la mémoire des hommes et des femmes de
Saoula n'a été rédigée que grâce aux
encouragements du professeur Francis Curtès, aux documents du Dr
Georges Duboucher, de MM. Louis Dulac et Jacques Piollenc. Les documents
photographiques ont été aimablement fournis par M. Raphaël
Pastor. Nous prions toutes ces personnes de bien vouloir accepter l'expression
de notre profonde gratitude.
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