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SAOULA
Historiquement Saoula
est un village du plan Guyot, dont Guyot ne dit presque rien dans l'exposé
de son plan adressé à son Ministre. Je ne recopie pas ce
texte. Par contre, dans son rapport destiné au Gouverneur Général
Bugeaud, il est si prolixe que je me permets quelques coupures pour ne
retenir que l'essentiel.
Le territoire comprend une superficie de
470ha. Il est traversé dans sa plus grande longueur
par l'oued Kerma qui, grossi en cet endroit des petits affluents
qu'il a rencontrés dans sa course, présente
en tout temps un volume d'eau assez considérable. Il
sera donc possible aux colons, de pratiquer dans les terres
qui leur seront concédées, des irrigations toujours
fructueuses et même d'établir quelques usines
La bonne qualité d'une partie des
terres, de celles surtout qui sont contiguës aux environs
de Drariah, compensent amplement l'aridité que l'on
remarque dans la partie du territoire qui s'étend au
sud du village, dans la direction de la plaine. Cette partie,
couverte de broussailles, nous paraît très propre
à l'élevage des bestiaux
Toutes les familles pour lesquelles j'ai
à soumettre des propositions, ont visité les
lieux et attendent avec impatience la délivrance de
leurs lots. Les travaux d'enceinte et de défense ont
été concertés avec le Génie militaire,
ainsi que le veut l'arrêté du 18 avril
Ces
travaux sont considérables ; ils s'élèvent
à 50 000francs, c'est-à-dire à un cinquième
de plus que pour les autres villages
Ce village est
le plus avancé et le plus éloigné des
grandes routes de communication : rien ne devait être
négligé pour placer la sécurité
hors de toute question
|
|
Dans ce texte le Comte Eugène Guyot, Directeur
de l'Intérieur, souligne la prégnance des préoccupations
sécuritaires dans l'esprit des responsables de la colonisation
à Alger, et aussi le fait qu'à moins de 4km du grand camp
militaire de Birkhadem la sécurité est encore précaire.
Il a vu juste en opposant la fertilité du nord de la commune et
la médiocrité des terres du côté de la plaine.
Mais il surestime le débit d'étiage de l'oued Kerma qui
n'a permis ni d'irriguer, ni d'installer des usines. Cet oued ne traverse
pas, mais longe la commune à l'est.
Le résumé du texte de l'arrêté du 18 avril
1841 se trouve dans la monographie sur Draria.
Le souci sécuritaire est confirmé par la
lettre que l'architecte de la Province, Monsieur Guiauchain, a adressée
au Comte Guyot le 9 février 1843. Les deux points à retenir
sont le creusement d'un fossé de 1350m de long, et la construction
de 4 corps de garde aux 4 coins du périmètre protégé,
dont une tour à un étage.
Ce projet n'est pas resté lettre morte. Il a même
été réalisé si complètement et si solidement
que son tracé apparaît sur la carte du Sahel de 1873. C'est
le seul village du Sahel représenté sur cette carte qui,
à cette date, a gardé son glacis de protection. Il faut
croire que la contrée avait été plus longtemps hostile
aux implantations de colons qu'ailleurs.
La superficie de 470ha ne concerne que les terres concédées
aux colons, qui ont dû recevoir des lots d'une dizaine d'hectares.
Au village les 44 lots prévus initialement avaient chacun 600m².
Chaque concessionnaire avait alors l'obligation de bâtir une maison
sur son lot et de l'entourer d'une clôture solide et continue de
telle sorte qu'il n'y ait pas d'espace non protégé entre
les lots voisins.
Sur le plan extrait de la carte de 1873, il semble que
l'architecte ait vu grand quand il a fixé les limites du village.
En 1873 il reste encore beaucoup de places vides à l'intérieur
de l'enceinte.
J'ai rajouté les limites d'une toute petite propriété
dont il sera question dans le supplément.
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lettre que
l'architecte de la Province, Monsieur Guiauchain, a adressée
au Comte Guyot le 9 février 1843
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plan extrait de la carte de 1873
|
Sur cette carte le " haut " n'indique pas la
direction du nord, mais approximativement celle du N.N.E.
Les ouvrages de défense encore présents ne sont plus nécessaires.
Une ferme isolée est déjà construite à un
kilomètre du village. Il y en aura bientôt bien d'autres,
notamment autour des routes de Draria et de Crescia.
Et le nouveau cimetière a été lui aussi déplacé
à un kilomètre sur la route de Crescia, et hors de la vue
du village.
Quelques dates
1843 - |
Fondation d'un centre de peuplement européen
rattaché à la commune de Birkhadem |
1859 - |
Premier mariage enregistré, entre
Vidal Jorge et Bonet Francesca, deux Mahonnais peut-être.
Le registre ne précise pas l'église du sacrement ; Sainte
Philomène à Birkhadem (village le plus
proche) ou Saint-François-Régis de Saoula dont j'ignore
la date de construction. Le projet Guyot
avait rattaché Saoula à la paroisse de Douéra
trop éloignée (9km). |
1860 - |
Ouverture de la voie ferrée d'Alger
à Blida avec un arrêt dans la commune, à Baba
Ali.
Cet arrêt desservait en fait plutôt Birkhadem, grâce
à une grande route directe ouverte en 1845,
qui était parcourue par des services de corricolos. |
1884 - |
Saoula devient Commune
de Plein Exercice |
1920 - |
Inauguration du monument aux morts de
la Grande Guerre |
1930 - |
Inauguration de la cave coopérative
de Saoula-Crescia |
1954 - |
Nuit du 31/10 au 1/11 : un attentat du
FLN provoque des dégâts à l'usine Cellunaf de
Baba Ali |
1956 - |
6 mai Trois conseillers municipaux musulmans
sont enlevés et assassinés par le FLN |
1961 - |
Assassinat du Maire Baptiste Deschamps,
74 ans.
Il était Maire depuis 1947 et avait succédé à
Nicolas Huss. |
Le territoire communal
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Territoire communal de Saoula
|
Comme toutes les communes de la bordure sud du Sahel,
le territoire dépendant de Saoula empiète sur la Mitidja.
C'est même le seul dont la limite sud est repoussée jusqu'à
la rive gauche de l'oued el Harrach. Il est donc triple.
Le nord est un plateau
vallonné limité à l'est par la vallée un peu
encaissée de l'oued Kerma (branche occidentale). C'est d'ailleurs
un peu en aval de Saoula que se rejoignent les deux branches, dites orientale
et occidentale, de cet oued qui fut un lieu d'embuscade dans les années
1830.
C'est là qu'il y a le plus de fermes, le plus de routes et le plus
de vignes. C'est le Saoula des petits colons qui fait partie intégrante
du Sahel viticole.
L'oued Kerma est à 100m d'altitude, et les collines culminent à
200m en bordure du talus sur la Mitidja.
Le talus, comme dans
la commune voisine de Crescia domine de façon assez abrupte la
plaine. Il est entrecoupé de ravins sans écoulement pérenne,
et largement recouvert de broussailles. C'est le Saoula laissé
aux indigènes par la colonisation. Il y a très peu de fermes
et, du moins en 1930, il n'y avait aucune route directe vers la plaine.
En 1950 il y en avait une qui prenait, au village, derrière la
poste, continuait à travers les terres des Ouled bou Zoa et rejoignait
le chemin de ferme qui aboutissait dans la plaine à une auberge
signalée par la carte.
C'est la partie la moins européenne de la commune.
La plaine de l'Harrach
est très basse : 20 mètres à peine. Elle était
marécageuse avant les travaux de drainage du XIXè siècle.
Dans les zones bien drainées on avait planté de la vigne.
Bien que située dans la commune de Saoula, les gens résidant
ici se sentaient plus proches de Birkhadem ou de Kouba que de Saoula,
car les routes étaient bien meilleures.
Dans cette bordure nord de la Mitidja passent et la voie ferrée
de Blida-Oran, et la RN1, celle de Blida et du grand sud par Djelfa et
Laghouat. La station de Baba Ali est située à l'endroit
où route et voie ferrée divergent : la route continue à
suivre la limite basse du talus tandis que la voie ferrée coupe
au plus court à travers la Mitidja pour atteindre Boufarik.
Il sortait
de ses ballastières 600m3 par jour de graviers de toutes
tailles
|
Baba Ali a longtemps été un simple arrêt,
puis une gare somnolente. Elle n'a pris d'importance qu'avec l'installation
d'ateliers industriels, avec en particulier une usine de travail de l'alfa,
celle de la cellunaf, comme cellu
pour cellulose et af pour alfa. On y fabriquait toutes sortes de papier,
et notamment des papiers à écrire de qualité. Le
papier sortait de l'usine par camion et les déchets étaient
déversés dans l'oued sans traitement : l'odeur était
ainsi acheminée jusqu'à Maison-Carrée où elle
constituait un élément de reconnaissance olfactive de la
ville. On savait qu'on s'approchait de la ville grâce à ce
parfum, surtout en périodes de basses eaux, les plus durables.
Après 1945 on a mis en exploitation une gravière en bordure
de l'oued. Les besoins de construction liés à la croissance
du Grand- Alger et les chantiers de route lui offraient une clientèle
assurée. Il sortait de ses ballastières 600m3 par jour de
graviers de toutes tailles. La photo représente l'une d'elles.
C'est la partie industrielle de la commune de Saoula. Elle est extérieure
au Sahel des géographes, même si elle y était administrativement
rattachée. C'est un bout de Mitidja.
Le village centre
Il a un plan en damier classique, mais perturbé par le relief car
il a été bâti sur les deux pentes d'un vallon : à
l'est la pente est faible, mais à l'ouest, du côté
de la mechta, elle est beaucoup plus forte. La route de Birkhadem à
Douéra le traverse au prix de deux tournants à angle droit.
La rue la plus basse est séparée de l'oued
Maktar par une zone inondable plantée d'eucalyptus. Cet arbre originaire
d'Australie s'est si bien adapté à L'Algérie, qu'il
en paraît originaire, tout comme le figuier de Barbarie.
L'eucalyptus est venu d'Australie. Il aurait été essayé
à Bordj Menaïel, en Kabylie, vers 1860. Il connut ensuite
un succès très rapide car le climat lui convient et parce
qu'on lui prêtait la capacité d'éloigner les moustiques.
Quand la pluviométrie le permettait, on en a planté à
proximité de tous les villages de colonisation.
L'église consacrée à Saint François-Régis
était en bas du village, dans la même rue que les deux cafés,
mais à l'autre bout. Les deux cafés se trouvaient en bordure
d'un grand espace non bâti : c'était commode pour les joueurs
de boules qui avaient soif. L'école était proche de l'église.
La rue la plus pentue conduisait au village arabe( la
mechta de la carte) et desservait au passage un stade au sol de tuf (pas
de gazon en Algérie) et sans tribunes. Il existait avant 1939.
Deux photos prises à 30 ou 40
ans d'intervalle ; celle en couleurs est de 1963.
Sur les deux on voit le clocher de l'église. |
La photo en
noir et blanc a le mérite de montrer quelques fermes des
environs.
|
Sur celle
en couleurs les 3 maisons de gauche donnent sur la rue qui montait
vers le stade et la mechta. La route est celle de Crescia-Douéra.
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Sur l'autre agglomération de la commune
Baba Ali, je ne possède et n'ai trouvé ni photo,
ni carte, ni texte : seulement les allusions aux deux usines déjà
citées. Je ne possède que la grille horaire des trains d'Oran
pour 1871. Je ne les mets pas ici car les horaires ont sûrement
changé, et il y a peu de commentaires à faire, sinon que
les trains ne faisaient pas tous halte à Baba Ali, et, qu'à
cette époque il n'y avait pas de train de nuit.
La desserte de Baba
Ali était donc assurée par quelques trains omnibus, et celle
de Saoula par les autocars de la société Seygfried, jusqu'au
rachat de cette dernière par les Auto-Cars Blidéens. Saoula
était le terminus d'une ligne qui montait d'Alger par Belcourt,
le ravin de la femme sauvage et
Birkhadem.
Supplément sur un minuscule
colon
Il fut un temps où les journalistes paresseux ou malveillants associaient
systématiquement l'adjectif gros au mot colon. Qu'il y ait eu des
colons obèses (financièrement) c'est exact : mais pas plus
que de gros exploitants agricoles beaucerons, picards ou artésiens.
Je ne peux pas rédiger un paragraphe sur les gros colons : il n'y
en avait pas dans ma famille. Dommage pour moi. Mais je puis parler, en
connaissance de cause, non pas d'un petit, mais d'un minuscule colon que
j'appellerai Ferdinand. Dommage pour lui.
Ce colon avait acquis en 1939, en copropriété
avec deux de ses surs, et grâce à un prêt consenti
à des conditions très favorables par l'ancien patron de
son père décédé à Kaddous, une propriété
de 4,75ha. L'inflation du temps de guerre avait heureusement allégé
la dette qui fut remboursée sans peine. Mais les 4,75ha, dont les
¾ plantés en vigne, n'ont pas grandi. La vigne, elle, a
vieilli ; elle rapportait de moins en moins et des ceps commencèrent
à mourir.
Sans verser dans un misérabilisme excessif je tiens à souligner
ce que fut le destin d'un colon des plus modestes et d'un Français
d'Algérie né en 1903.
Sa date de naissance lui a épargné et la
mobilisation en 1914-1918, et sa montée au front en 1939-1945.
Mais elle lui a tout de même valu quelques années sous l'uniforme.
Je rédige le paragraphe ci-dessous tout particulièrement
aux lecteurs trop jeunes pour voir été " appelés
sous les drapeaux ".
· Le
cursus militaire, banal, d'un Français d'Algérie né
en 1903
Il a eu la chance de bénéficier, de justesse, de la loi
du premier avril 1923 qui annulait la loi du 7 août 1913 et ramenait
la durée du service de 3 ans à 18 mois. Pour suivre le parcours
militaire des gens de son âge en Algérie (pas en métropole
après 1940) le mieux est que je dresse le tableau récapitulatif
de ses rappels sous les drapeaux.
1923 -1924 |
Service militaire dans le 39è
régiment de tirailleurs algériens |
1929 |
Rappel pour une période
de 21 jours |
1939 |
Rappel pour une période
de durée non précisée. Restant dans les
environs
d'Alger il obtint 3 permissions agricoles de 10 jours chacune. |
1940 |
en juin, il est muté au
29è régiment de zouaves ; mais en août la
défaite
et l'armistice signé le 22 juin à Rethondes ont
mis Ferdinand en congé
pour une durée illimitée |
1943 |
Rappel le 7 juin dans la brigade
mobile des sapeurs pompiers
Envoi en juillet en Tunisie après la capitulation des
forces de l'axe à Tunis
le 13 mai.
De juillet à décembre il est à Sousse.
Il faut savoir qu'à la suite du débarquement anglo-américain
du 8 novembre
1942, il y eut en Algérie mobilisation générale
des Français d'origine
européenne. Il n'y eut rien de semblable en métropole
après le débarquement
du 6 juin 1944 |
1944 |
, en septembre il est mis en "
affectation spéciale agricole " grâce au soutien
du
maire de Saoula et renvoyé dans ses foyers, sans être
démobilisé |
1945
|
il est officiellement démobilisé
le 30 juin, à 42 ans |
1951 |
,il est libéré de
toute obligation militaire, à 48 ans |
|
En 1943 et 1944 il était donc dans l'incapacité
de s'occuper de sa ferme où vivaient alors ses surs et sa
mère. La guerre qui l'avait éloigné, fournit à
ses surs une main d'uvre gratuite en mettant à leur
disposition des prisonniers de guerre allemands de l'Afrika Korps ramenés
de Libye et internés au camp de Paul Cazelles (Aïn Oussera).
Il suffisait de les loger et de les nourrir. La ferme de Saoula obtint
3 prisonniers dont 2 nés dans la partie autrichienne du troisième
Reich. Ces deux Autrichiens se sont révélés les plus
utiles.
Dans cette affaire tout le monde y a trouvé son compte : la Direction
du camp avait 3 soldats de moins à nourrir et surveiller, la ferme
eut 3 ouvriers désireux de n'être pas renvoyés à
Paul Cazelles et donc dociles, et les soldats se trouvaient mieux à
la ferme qu'au camp de prisonniers.
L'allemand fut renvoyé à Paul Cazelles début 1945,
à la demande de Ferdnand, et les deux autres à l'automne,
en octobre ou novembre, à la demande du camp.
· Les
Travaux et les Jours d'un minuscule colon
Ferdinand ne pouvait payer un ouvrier permanent : il assurait donc seul
l'essentiel des travaux de la ferme, à l'exception du piochage
de la vigne, au crochet, et des vendanges. Que le colon soit gros ou minuscule
il devait respecter les salaires minima journaliers souvent réajustés
en cette période de forte inflation : voir le tableau officiel
reproduit ci-dessous. Les communes du Sahel étaient en zone I.
En réalité les ouvriers préféraient
être payés à la tâche plutôt qu'à
la journée. Et pour les vendanges les porteurs étaient mieux
payés que les coupeurs.
Les ouvriers étaient le plus souvent des " guiblis "
(gens du sud) de la région de Tablat ; mais s'ils avaient le choix
les colons préféraient les Marocains.
Pour transporter son raisin à la cave coopérative Ferdinand
utilisait un vieux char à bancs reconverti et un mulet de location.
La cave était à environ un kilomètre de le ferme.
La photo montre l'opération du déchargement du raisin à
la cave, après que le char a été pesé.
Ferdinand accomplissait seul toutes les autres tâches
: la plus délicate étant la taille de la vigne dont dépendait
la récolte. Les sarments coupés étaient apportés
à la ferme pour être utilisés dans la cuisinière
à bois.
Il y avait aussi, au printemps, les traitements chimiques contre les maladies
et les parasites de la vigne : oïdium, mildiou et eudémis
notamment. Il fallait surveiller l'apparition des vers de l'eudémis
et les taches des maladies. L'oïdium se signale par un feutrage blanc
et la boursouflure des feuilles. Il faut traiter avant que l'atteinte
ne dépasse 15%. On saupoudre ou pulvérise du soufre en solution.
Le champignon responsable du mildiou est américain ; il aurait
débarqué en Europe en 1878. C'est à Bordeaux qu'on
a trouvé la parade dès lors appelée " bouillie
bordelaise ". Il s'agit d'une solution bleuâtre de sulfate
de cuivre additionné de chaux et dilué dans l'eau. Ce produit
devait être légèrement toxique : en général
ceux qui l'utilisaient régulièrement avaient des mains très
calleuses. Cette mixture était répandue, aussi souvent que
nécessaire, grâce à une " sulfateuse " accrochée
sur les épaules et portée sur le dos.
Lui seul attachait les rameaux et effeuillait partiellement quelques ceps
pour aider à la maturation des grappes. A l'automne il s'efforçait,
par marcottage, de remplacer les pieds manquants.
La vigne était l'occupation principale de Ferdinand
et le seul revenu monétaire de la ferme qui devint bientôt
insuffisant à cause du vieillissement des ceps. Heureusement la
compétence nologique de Ferdinand lui valut d'être
chargé de la vinification et de la surveillance des vins à
la cave coopérative de Saoula-Crescia. Ce complément de
revenu fut le bienvenu sans assurer l'aisance.
Les autres récoltes n'étaient destinées
qu'à la consommation familiale : pommes de terre, fèves,
pois chiches et, près de la maison, des légumes poussant
sans irrigation : des artichauts, mais pas de tomates. Une polyculture
vivrière des plus modestes. A l'automne s'ajoutait la cueillette
des poireaux sauvages qui poussaient dans les vignes après les
vendanges.
Comme il était normal dans toutes les petites fermes on trouvait
dans celle-ci élevage de volailles, de lapins et d'un porc. Ce
sont les dames qui allaient ramasser l'herbe pour les lapins.
Bien sûr le travail n'était pas harassant
tous les jours : il y avait des semaines chargées et d'autres non
où Ferdinand descendait au village faire sa belote le soir ou sa
partie de pétanque le dimanche. Mais jamais de vacances, jamais
de voyage. S'il a pris le train pour Tunis c'est comme militaire. Il n'a
jamais pris le bateau ; et comme il est mort en avril 1962, avant l'exode,
il n'a jamais mis les pieds en France métropolitaine.
· Confort
et inconfort des bâtiments de la ferme
Il ne faudrait pas que ces trois bâtiments fassent
illusion. Ils sont tous les trois modestes. Le plus vieux est à
gauche. C'est une maison classique de colon au XIXè siècle
: une entrée par la cuisine et une pièce de chaque côté.
Dans le prolongement une grande pièce où ranger l'outillage
et le char à bancs. Après 1939 cette vieille maison a servi
de débarras, et de chambre lors de grandes réunions familiales.
De 1943 à 1945 c'est là que dormaient les prisonniers allemands.
La maison de droite est des années 1920 : c'est la maison d'habitation
de Ferdinand et de ses surs. Il y a 4 pièces : 2 chambres,
une salle à manger et une petite cuisine. La véranda protège
l'entrée dans la cuisine.
Le bâtiment du fond a été rajouté en 1939 pour
offrir un espace où installer une écurie et un WC. Derrière
ce bâtiment il y avait une chambre pour héberger les ouvriers
de passage.
· Enumérer
les éléments de confort
sera vite fait : il y avait les murs, le toit et l'électricité.
Les murs et le toit ont rempli leur rôle sans défaillir
en protégeant les personnes et leurs biens contre les intempéries.
L'électricité servait à l'éclairage et pour
un poste de radio posé sur une étagère et qu'on ne
déplaçait jamais. Et c'est tout.
Le café était moulu à la main ; et l'eau bouillante
était versée sur la poudre retirée du petit tiroir
dans un entonnoir recouvert d'un linge de réforme à la texture
appropriée.
· J'appelle
éléments d'inconfort tout
ce qui manquait et qui nous paraît aujourd'hui indispensable.
Il n'y avait pas l'eau courante. L'eau était fourni par une citerne
alimentée par les eaux de pluie ruisselant sur la toiture. La ferme
n'a jamais manqué d'eau pour les besoins quotidiens des gens et
des animaux. Mais on ne pouvait pas irriguer. L'eau était pompée
par une pompe manuelle fixée au-dessus de la citerne, et qu'il
fallait réamorcer de temps à autre.
Il n'y avait donc pas de robinet dans la maison, ni de salle de bains,
ni de WC.
|
Il n'y avait pas de chauffage. Pas de cheminée,
pas de poêle, pas de radiateur.
Il n'y avait que la cuisinière à bois qui réchauffait
un peu la cuisine où l'on mangeait. En cas de grand froid restait
à se réchauffer les mains, le jour, au-dessus des braises
d'un kanoun (voir photo), et la nuit, avec des bouillottes au fond du
lit. Le gel et la neige étaient rares, mais pas inconnus.
Il n'y avait aucun appareil électrique autre que
la radio. Le lavage se faisait dans une bassine pour le petit linge, et
dans une lessiveuse pour les draps et les serviettes. La grande lessive
était une opération rare qui s'étalait sur deux jours,
rinçage et étendage compris.
Il n'y avait pas le téléphone.
Trois progrès
sont tout de même apparus entre 1939 et 1962.
Un WC a été aménagé dans le bâtiment
au fond de la cour, avec porte , mais sans chasse d'eau.
Un réchaud à gaz butane a été acheté
et remplacé la cuisinière à bois, sauf en hiver.
Un petit frigidaire à pétrole a permis vers 1950 de boire
frais et de conserver les aliments les plus périssables. Sa flamme
avait une très jolie couleur bleue. Auparavant on mettait des chiffons
humides autour d'une gargoulette (cruche poreuse) pour que l'eau se rafraîchisse
par évaporation de l'humidité.
Pour mettre fin à ces banalités d'un autre
âge je voudrais évoquer le cas d'un animal très familier
et injustement persécuté :il ne pique pas, il ne mord, mais
il bourdonne, ajoutant ainsi du son au spectacle des lumières de
l'été. Il s'agit de la mouche dont la présence n'était
pas souhaitée, surtout dans la cuisine. Au-dessus de la table pendaient
un ou deux rubans tue-mouches où les mouches venaient se coller
et longuement agoniser. Le ruban était contenu dans un petit cylindre
de carton, avec une boucle de fil au-dessus. On tirait sur la boucle pour
dérouler le ruban que l'on accrochait où l'on voulait. Le
spectacle était poignant ! On n'imagine mal pire maltraitance :
comme la glu n'était pas toxique, la mouche ne mourait que de faim
:ça prenait du temps.
Il est surprenant que de nos jours, si portés sur la repentance
collective tous azimuts, aucun responsable de haut niveau n'ait songé
à ajouter au calendrier des commémorations une journée
de la mouche engluée, voire de pénaliser la négation
de ce cruel supplice.
Contre les mouches et les guêpes il y avait aussi le globe en verre
avec bain de vinaigre. Les insectes savaient entrer mais s'efforçant
de sortir a travers le verre, s'épuisaient et se noyaient dans
le vinaigre. Les mouches avaient une chance de s'en sortir, mais seules
les surdouées avaient l'idée de faire demi-tour et de prendre
le chemin d'arrivée à l'envers.
Quant à nous, descendons au village, là
en-bas, pour prendre le car Seygfried
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