Alger
: SAINT - EUGENE
|
17 Ko |
--------------Aux lourdeurs protocolaires, Micheline Spoerri préfère la convivialité. La ministre libérale ne reçoit pas installée derrière son bureau, mais au bout dune longue table en chêne massif qui lui tient lieu de place de travail. Des piles de dossiers, des livres, trois téléphones, des litres de tisane et un cendrier toujours plein complètent le décor de son univers professionnel. Limage de femme froide et distante qui lui colle à la peau passe demblée à la trappe. -------Quatorze heures de travail quotidien, parfois plus, jamais moins. Depuis des mois, Micheline Spoerri planche sur le dossier brûlant du G8. Un défi qui nest toutefois pas de taille à effrayer la responsable de la sécurité du territoire genevois et de ses résidents durant tout le sommet. Exigeante, perfectionniste, elle se veut lucide mais pas alarmiste. «Tous les scénarios possibles ont été répertoriés et tout ce qui est prévisible est sous contrôle, mais on ne peut pas prétendre tout dominer. La guerre en Irak a rendu le climat international explosif. Notre travail sera de maîtriser, si né-cessaire, la violence pour que le droit de manifester puisse sexprimer. Nos moyens dintervention doivent être efficaces, sans comporter de danger pour les manifes-tants.» Visiblement, les leçons de la balle colorante ont été tirées. En mars dernier, ce projectile avait blessé une manifestante anti-OMC à Genève. Lincident avait fait grand bruit et la perspective des manifestations anti-G8 a précipité la conseillère dEtat dans la ligne de mire de ses détracteurs. Depuis lors, elle est attendue au tournant. Elle le sait et ne se démonte pas. -------Par nature, Micheline Spoerri privilégie la réflexion et laction plutôt que les effets dannonce. Ainsi, ce nest que quelques jours après la bavure de la balle colorante et après un long silence qui a semé le trouble quelle a annoncé sa décision de retirer définitivement larme incriminée de son arsenal. Par ailleurs, elle na pas retenu le chef de la police genevoise quand il a présenté sa démission. Diplômée en biologie médicale et docteure en chimie analytique, cette scientifique aime vérifier et décorti-quer les preuves avant dagir. Les années algériennes -------Le chaos et la violence, Micheline Spoerri a dû y faire face très tôt. De mère pied-noire et de père zurichois, elle voit le jour le 11 janvier 1946 à Alger, à la veille du conflit qui ravagera le pays. En évoquant son enfance, la magistrate ne cache pas une pointe de nostalgie. «Jaimais lAlgérie et je my sentais bien. A lépoque, javais deux passions: le tennis, jen jouais tous les jours, et le piano, je rêvais dêtre chef dorchestre!» Ses débuts sportifs et artistiques très prometteurs seront brutalement interrompus par la guerre. En 1961, la situation dégénère. LAlgérie vit au rythme dattentats sanglants. «Le matin, on se disait au revoir ne sachant pas si on se reverrait le soir.» Au lendemain dun terrible attentat, ses parents prennent la décision de lenvoyer en France chez des amis. «Jai quitté lAlgérie à 16 ans, seule et la mort dans lâme. Ma sur est venue me rejoindre quelques mois plus tard dans une pension près de Bordeaux avant que nos parents ne nous installent toutes les deux à Genève. Mon père, à qui je ressemble beaucoup, était un créateur et un entrepreneur dynamique. Il avait monté sa propre société de transport et de déménagement à Alger et il nétait pas question pour lui de tout abandonner. Avec ma mère, ils sont restés le plus longtemps possible avant de fuir en catastrophe et de venir nous retrouver en Suisse.» -------Cette expérience de la guerre et de lexil, qui apprend à la jeune Micheline à distinguer lessentiel de laccessoire, influencera tout son parcours personnel et professionnel. «Sortir indemne avec toute ma famille de ce chaos, cétait extraordinaire! On navait plus rien, mais on était en vie. Ma passion pour la médecine sest déclarée à ce moment-là. Jai eu envie daider et de créer des structures qui rassemblent les gens. Dailleurs jen suis toujours là, cest la même flamme qui manime aujourdhui dans mon travail à la tête du département.» Du flair et de lintuition -------Bardée
de diplômes, Micheline Spoerri sort de lUniversité
de Genève avec la ferme intention de travailler pour Médecins
sans frontières. Une fois encore, le destin en décidera
autrement. À 30 ans, elle est sollicitée par le milieu hospitalier
pour créer et diriger un laboratoire danalyses médicales.
Elle enchaînera ensuite les initiatives en créant quatre
autres laboratoires à Genève avant de fonder, en 1999, le
premier centre suisse spécialisé dans les troubles de la
ménopause et de landropause. Convaincue que son engagement
doit se poursuivre au-delà de la sphère médicale,
elle rejoint les rangs libéraux en 1991. «Je
suis une femme de droite, mais ça ne mempêche pas de
partager le point de vue des socialistes sur certains sujets, notamment
en ce qui concerne la sécurité sociale. Par ailleurs, lattitude
des chefs dentreprises privées ou publiques qui utilisent
la société pour servir leurs intérêts personnels
me révolte. Dans le libéralisme qui manime, lindividu
est au service de la société et pas linverse.»
-------Dabord conseillère municipale, Micheline Spoerri accède en 1993 au Grand Conseil. Son travail de députée la passionne mais le manque daction lui pèse. Portée par sa volonté dentreprendre et ses talents de gestionnaire, elle prend la présidence du Parti libéral genevois de 1996 à 1998. En faisant aboutir une initiative qui abaisse les impôts de 12%, elle devient au passage la coqueluche des contribuables. Et elle nen reste pas là. En 2001, elle décide de briguer les plus hautes responsabilités politiques du canton. «Jai toujours été effrayée par lécart qui existe entre les citoyens et le politique et je lai vécu de près en présidant des associations professionnelles dans le domaine de la santé. Le seul moyen de faire avancer les choses, cétait de mengager davantage. Javais aussi envie de changer de registre.» Elle se lance dans la course au Conseil dEtat et, à sa grande surprise, elle est élue le 11 novembre de la même année. -------Alors que tout le monde lattend à la Santé, elle choisit le Département de justice, police et sécurité Autrement dit linstitution politique la moins populaire et la plus délabrée en raison des déficiences de son prédécesseur. «Cétait le département qui mintéressait le plus. Il est difficile mais passionnant. Ce qui est extraordinaire, cest dêtre en lien direct avec les citoyennes et les citoyens.» Méfiants au début, ses collaborateurs lui sont aujourdhui dune fidélité à toute épreuve. «Cest une femme rigoureuse, mais elle sait écouter et elle est toujours ouverte au dialogue», confie-t-on dans les couloirs de Justice et police. A peine installée dans ses nouvelles fonctions, elle visite tous les services, se rend dans tous les commissariats. Elle est proche de ses hommes quelle ne laisse jamais tomber. «Quand il y a une merde, je suis là!» Les femmes à la rescousse -------«La sécurité nest pas une affaire de droite ou de gauche. Nous devons tous lutter contre la violence, la criminalité et la drogue. Je ne souhaite pas un Etat policier, mais une société qui napplique pas certaines règles ne peut pas fonctionner.» Une des missions les plus urgentes, selon Micheline Spoerri, consiste à rapprocher linstitution policière de la population. «Je veux que la police ait des missions très claires en ce qui concerne la violence dans les quartiers, dans les établissements scolaires et dans la sphère familiale.» -------Le développement du partenariat, la revalorisation du métier de policier et laugmentation des effectifs, par le biais notamment de lintégration des personnes titulaires dun permis C, figurent en bonne place à son programme. Parmi ses objectifs prioritaires, la magistrate mentionne encore le recru-tement de femmes. «Pour moi elles sont les gardiennes de la paix. Elles ont pour vocation de préserver la vie et elles disposent de toutes les qualités requises pour apporter beaucoup à linstitution policière.» -------Sur sa vie privée, Micheline Spoerri reste discrète. Immergée dans une vie professionnelle trépidante, cette célibataire saccorde peu dextras. «Je mimpose daller me coucher, de manger. Par contre, je prends le temps daller voir ma mère qui a 88 ans. En ce moment, je ne vais ni au cinéma ni au théâtre, mais je maccorde tout de même des soirées entre amis. Quand je rentre chez moi dans la campagne gene-voise, je retrouve le calme, la simplicité. Jadore cuisiner, ça me détend, et puis, cest clair, jaime la bonne bouffe et les bons vins!» Pour se libérer lesprit, cette épicurienne dévore les magazines people et rêve aux vacances quelle soffrira après le sommet du G8. Elle se dit prête à aller nimporte où, sauf en cure thermale à... Evian-les-Bains! |