Saint Denis du Sig

LES COLONS DE SAINT-DENIS DU SIG
Auteur : Gérard Ferrandis
Texte et illustrations : CDHA

Expansion de la France dans le monde.

À l'heure du " décolonialisme ", les faits passés sont jugés en fonction de la situation actuelle et non pas dans le contexte de l'époque. Le florilège des discours évoque une histoire " sur " la colonisation et non pas "de " la colonisation. Au 19ème siècle, les géographes et les Saint-Simoniens ont, à l'époque, la même conception de la disponibilité des terres du globe, soit 1 habitant pour 12 hectares alors, autorisent l'humanité à l'explorer très largement, à l'aménager, à la faire fructifier et à répartir ses richesses pour le bien-être de tous : l'ère qui s'ouvre est celle de l'organisation de la terre. Le credo colonial d'alors, l'argument d'ordre économique, le rayonnement de la civilisation judéo-chrétienne aboutissant à la grandeur et la puissance, seraient son aboutissement final, d'autant que si le travail est bien organisé et associé au capital, le bien-être de tous remplacera peu à peu la misère et la stérilité sur tous les points du globe.

Après la découverte du monde par les mers, les ambitions des Etats-nations européens sont tournées vers les terres, depuis toujours et particulièrement depuis la guerre de sept ans, les objectifs cachés étant la recherche de l'hégémonie planétaire. La France dans ces circonstances a dominé, perdu, changé de pied, toujours tiraillée entre des idéaux politiques opposés et par une opinion publique versatile, en ce qui concerne le concept et la mise en oeuvre de la colonisation et notamment vis-à-vis de l'Algérie.

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extraits du numéro 85, 1er trimestre 2023, de "Mémoire vive", magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec l'autorisation de son président.
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ici :mai 2023

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les colons de Saint Denis du Sig

Expansion de la France dans le monde.

À l'heure du " décolonialisme ", les faits passés sont jugés en fonction de la situation actuelle et non pas dans le contexte de l'époque. Le florilège des discours évoque une histoire " sur " la colonisation et non pas "de " la colonisation. Au 19ème siècle, les géographes et les Saint-Simoniens ont, à l'époque, la même conception de la disponibilité des terres du globe, soit 1 habitant pour 12 hectares alors, autorisent l'humanité à l'explorer très largement, à l'aménager, à la faire fructifier et à répartir ses richesses pour le bien-être de tous : l'ère qui s'ouvre est celle de l'organisation de la terre. Le credo colonial d'alors, l'argument d'ordre économique, le rayonnement de la civilisation judéo-chrétienne aboutissant à la grandeur et la puissance, seraient son aboutissement final, d'autant que si le travail est bien organisé et associé au capital, le bien-être de tous remplacera peu à peu la misère et la stérilité sur tous les points du globe.

Après la découverte du monde par les mers, les ambitions des Etats-nations européens sont tournées vers les terres, depuis toujours et particulièrement depuis la guerre de sept ans, les objectifs cachés étant la recherche de l'hégémonie planétaire. La France dans ces circonstances a dominé, perdu, changé de pied, toujours tiraillée entre des idéaux politiques opposés et par une opinion publique versatile, en ce qui concerne le concept et la mise en oeuvre de la colonisation et notamment vis-à-vis de l'Algérie.

Entre 1830 et 1962, trois groupes d'Européens vont administrer l'Algérie : les ministères parisiens, les militaires français et les civils venus d'origines très différentes.

De 1830 à 1880, les ministères parisiens voient une demi-douzaine de régimes politiques se succéder : deux royautés, deux révolutions, deux républiques, un empire et une commune : d'où des affrontements et donc une instabilité n'aidant pas à l'union politique.

Si les militaires français ont une approche différente, ceux qui servent en Algérie, aux premiers temps de la conquête, sont eux-mêmes issus de milieux différents, d'autres ont participé aux guerres napoléoniennes ou hérité de l'esprit de la révolution ou de la Commune, et parmi les officiers apparaissent aussi des scientifiques. Enfin les civils, dont les convictions, les motivations, de par leurs origines géographiques, religieuses et sociales, ont souvent fui la misère liée à la révolution industrielle et/ou à l'essor démographique.

La complexité des situations est augmentée par les relations avec les autochtones qui eux-mêmes ne sont pas tous d'accord, les chefs de tribus trouvant le moyen d'accroître leur autorité exercée sur la population en s'appropriant une grande partie des terres collectives.

L'exemple singulier de St Denis du Sig avec le collectivisme agraire.

Dans les années 1840, parmi les différents courants de pensée, nous choisissons de relater les thèses fouriéristes et particulièrement leurs appropriations par un " porte-parole " décidé, en l'occurrence Jules Duval, avec la création du centre de Saint Denis du Sig dans le sud Oranais.
Un des courants des fouriéristes est celui de l'école dite de l'Union harmonienne, lancée en 1839 et ayant son propre journal Le nouveau monde. Ses membres voulaient traiter, très vite, des essais variés de réalisations fouriéristes. Chaque école ayant sa solution, ils inspirèrent une vaste réalisation dont le nom et le souvenir ont survécu jusqu'en 1962 : l'Union Agricole d'Afrique à Saint Denis du Sig.

Créée en 1845 à Lyon pour exploiter un grand domaine concédé en Algérie, c'est une société civile par actions qui avait été examinée avec bienveillance par le ministère de la guerre. Le 8 novembre 1846, une ordonnance royale concède à la société 3.059 hectares de terres, dans la province d'Oran, sur la rive droite de la rivière du Sig, dans le voisinage du village de Saint Denis et du barrage récemment construit. Les obligations de l'Etat étaient : l'attribution de ces terres pour une durée de 99 ans et le versement d'une subvention de 150.000 F payables sur des travaux déjà effectués et les obligations du concessionnaire étaient : la création d'un centre de 300 familles (1.500 à 2.000 personnes) dont 1/3 de Français, l'édification de bâtiments d'exploitation (étables, bergeries...), la construction d'un moulin à farine, la construction d'une grande enceinte avec bastions, l'élevage de 1.000 bovins, de 3.000 ovins, 350 caprins et enfin le paiement d'une rente annuelle de 1F par hectare.

Ainsi que l'écrivait Jules Duval : " Dans les flancs d'un sol inerte, l'émigration a jeté les germes d'une société vivante qui, au soleil de la liberté ou de la discipline, suivant les temps, en travaillant grandit, qui en grandissant prospère, et qui à son tour multiplie et envoie ses essaims ; voilà la colonisation, un des plus nobles spectacles dont il soit donné à l'homme d'être à la fois l'agent et le témoin ".

Construit au pied du Djebel Touakès, Saint Denis du Sig formait un rectangle de 670 m d'est en ouest, de 600 m du nord au sud avec un système urbanistique axial par rapport à son boulevard principal long de 900 m et large de 33 m.

Différents épisodes de la mise en pratique du concept

L'Union naquit dans l'enthousiasme mais on s'aperçut vite que le Français n'a pas la fibre collectiviste, d'autant que la rigueur militaire du règlement dissuadait beaucoup de colons. Au lieu des 300 familles escomptées, 15 seulement se présentèrent. Les premiers habitants furent des Allemands, puis en 1845, 50 familles de Franche-Comté s'installèrent. Les travaux de défrichements et les marais voisins provoquèrent des fièvres et ce premier peuplement disparut sans laisser de traces. Au mois de juin 1846 il ne restait plus que 11 familles de Franc-Comtois. Ils retournèrent au pays, partis vers Oran, la maladie en décima certains. À partir de 1847/1849, avec l'arrivée d'Espagnols, la courbe démographique remonta. En 1847, 160 hectares étaient défrichés et en 1853 les travaux abandonnés et le cheptel vendu. Devant cet état de fait, un décret impérial du 18 août 1853 ramenait l'étendue de la concession à 1.792 hectares.

Le poids des grands travaux militaires et les opérations d'assainissement de cette plaine paludéenne n'avaient pas cessé d'écraser cette entreprise Dans l'intervalle pourtant, le Conseil de l'Union Agricole avait décidé d'investir, avant janvier 1848, une somme de 400.000 francs dans
l'établissement agricole, promettant notamment de rassembler un troupeau de 400 ou 500 moutons, 40 boeufs et vaches, 15 chevaux. En décembre 1846, la mise en culture était bien avancée, le parc de charrues comptait déjà 20 appareils, vingt ou trente salariés étaient journellement employés.

L'organisation interne séduisait les partisans des " armées industrielles " ou ceux d'une colonisation de type militaire. Le travailleur associé à l'Union signait un " contrat d'enrôlement " contraignant, mais les auteurs du projet avaient voulu éviter les défauts des deux sortes de colonisation, celle souhaitée par Bugeaud (militaire) et celle des grands concessionnaires privés (spéculateurs).
En Algérie, il ne fallait pas tenter le phalanstère mais quelque chose qui pût se transformer plus tard en commune sociétaire. J. Duval précisait : " On avait gratuitement ou à bas prix une terre fertile et étendue : l'application des idées sociétaires y serait plus facile et donnerait moins d'ombrage qu'ailleurs ; le succès fixerait davantage l'attention en résolvant le problème de la colonisation africaine ". Les
auteurs choisissaient l'Algérie donc pour des raisons d'efficacité aussi. L'Union réunirait les avantages de la grande
propriété : puissance, savoir, économie, unité d'action, et ceux de la petite propriété : zèle, activité et intelligence de la part des travailleurs qui seront tous copropriétaires peu ou prou. Il s'agissait de créer " une commune d'après le principe d'association et sur les bases que l'autorité compétente aura admise ", pour tendre vers une solidarité d'intérêt entre les capitalistes et les travailleurs.

En 1850, J. Duval en faisait ressortir la grande valeur sociale au nouvel évêque d'Alger, Monseigneur Pavy, en visite à St Denis du Sig. Il intervint encore en 1852, suite à un rapport fait par un inspecteur de la colonisation qui concluait à la rétrocession de 1152 hectares de terres irrigables au domaine public, au motif que l'Union n'aurait pas rempli, dans les cinq années de la création, les conditions imposées par l'acte de concession. Cette amputation était inévitable car le gouvernement cherchait le moyen d'agrandir le territoire insuffisant du village de St Denis du Sig, et le titre accordant la propriété de 1892 hectares en retranchant 1167 hectares fut accordé le 18 août 1853.

Tous les fouriéristes décidèrent de sauver l'Union dont la situation était meilleure au plan financier comme les résultats de la campagne de 1854. Le domaine avait pris une valeur singulière avec le triomphe de la culture du coton dans les plaines littorales, les projets de voie ferrée entre Alger et Oran ne pouvant qu'attirer l'attention sur ce domaine de plus de 1.000 hectares.

Etapes chronologiques suivantes

En 1860, dès que l'évolution libérale du régi me impérial permit la publication des idées fouriéristes, le désir de redonner vie à l'idée primitive, qui n'avait jamais été oubliée, reprit avec de nouveaux défrichements mais avec des salariés.

En 1865, les actionnaires de l'Union réitèrent que la société était fondée pour la création d'une commune agricole-industrielle, dans laquelle serait appliqué autant que possible le principe de l'association du capital et du travail, tant pour l'exploitation de l'établissement que pour la répartition des bénéfices. En 1885, l'auteur d'un guide de l'Algérie, Louis Piesse, signalait le domaine au nombre des " belles fermes qui rayonnent autour de Saint Denis du Sig ".

En 1869, l'Union délivrait des dividendes de 2 % du capital depuis 1863. Au total, sur l'avenir de la colonisation algérienne, Duval comprit la fragilité d'une production liée aux dispositions de l'Administration, perturbant le libre jeu des mécanismes commerciaux, le conduisant aux thèmes du libéralisme commercial, du déficit démographique, d'autres éléments conjoncturels (crise financière, fièvres, choléra...) s'y ajoutant. " Tout progrès annulé est toujours à recommencer : le triste métier de Pénélope s'applique à la colonisation ". Tout ne fut pas négatif dans cette entreprise car on note les innovations agronomiques et culturales, l'ensemencement jusqu'à 300 hectares en cultures européennes diverses, une pépinière, 14 hectares de vignes. Socialement, le ralliement, dès 1849, de " l'élément arabe dans son enceinte même, non à titre de travailleur célibataire et salarié, mais vivant en famille sous la tente. Nous avions réussi à recruter et à former un commencement de douar arabe, et prouver par une démonstration éclatante comme un fait, comment la bienveillance et la justice pouvaient amener le rapprochement d'abord et plus tard la fusion entre deux peuples qu'à cette époque on tenait pour éternellement réfractaires l'un à l'autre ".

En définitive :

L'Union agricole fut une expérience socialiste, liée au succès d'une analyse utopiste de la colonisation. Au contact des réalités, l'utopie s'écroule et il ne reste rien des beaux rêves d'expérimentation de la doctrine sociétaire. Il reste que J. Duval joua un rôle éminent dans ces combats et qu'il sut en être l'observateur attentif et l'interprète : " Le gouvernement nouveau proclame le rôle initiateur de l'Algérie et la désigne à la France comme la terre des nouveautés. En nos mains, il mettra le sol, les eaux, les richesses du climat, le concours des forces publiques, au seul prix d'un travail sérieux. La France entière sollicite de nous l'enseignement d'un succès. Ne tra-hissons pas son attente ".

Ainsi apparait l'originalité de l'oeuvre de Jules Duval, tournée vers la vulgarisation des questions économiques et leur application pratique, en comparaison avec l'espoir des immigrants, qui sont attirés par les possibilités d'un pays neuf, hors des routines et des sentiers battus, espérant une vie d'action plus intense ou la réalisation d'une idéologie.

Gérard Ferrandis

Bibliographie et sources :
Socialisme utopique et idée coloniale ; Jules Duval (1813/1870)
Thèse université Paris 1 1977 de Jacques Valette, 2è partie : L'Union agricole d'Afrique (1847/1852)
- L'idée coloniale en France de Raoul Girardet
- L'Algérianiste n° 72, décembre 1995
- Cercle.algérianiste.fr
- SIG(Mascara) Wikipédia
- Histoire de St Denis du Sig (généalogie.azuelos.free.fr)
- La revue française de généalogie. Hors-série, 2è édition
- Algérie L'oeuvre française p.96 de Pierre Goinard
- L'écho de l'Oranie n° 37-février 1968 (article Marc Bellier)
- L'écho de l'Oranie Nov-Décembre 1983
- L'écho de l'Oranie n° 295-Novembre 2004.