
LE PÉTROLE VA-T-IL TRANSFORMER
LE SAHARA?
La première liaison aérienne Alger - Oued-Rharbi vient
d'être inaugurée par la S.N. Repal
En plein désert, à 175 km. d'Aïn-Séfra un
forage atteindra 5.000 mètres
Vendredi à 6 h.
28, un « DC-3 » de la compagnie « Air France
» a décollé de Maison-Blanche. Avec MM. Tenaille,
directeur de la S.N. Repal ; Coudant, directeur régional dAir
France ; Fogues, directeur de lAéronautique civile, et
dautres personnalités, sept journalistes étaient
du voyage. Sept Journalistes pour qui lopération «
Pétrole » aurait pu au départ sintituler «
Mystère ».
La S.N. Repal (Société nationale de recherche et dexploitation
des pétroles en Algérie) avait convié les représentants
de la presse algéroise à un voyage inaugural : la première
liaison aérienne entre Alger et son chantier dOued-Rharbl.
Oued-Rharbl était justement linconnue : un point X perdu
dans les sables du désert. Quelque part au Sahara. Oued Rharbi
Loued Rharbi ne figure pas sur les cartes. Son aride vallée
qui se trouve sensiblement sur le parallèle de Colomb-Béchar
et le méridien dEl-Abiod-Sidi-Cheick à la limite
nord du Grand Erg occidental, ne présentait aucun intérêt.
Jusqu'à ce que les photos aériennes de géologues
et les sondages sismlques y parlent le langage implacable des graphiques
: depuis quatre mois loued Rharbi, situé à vol doiseau
à plus de 250 km. de Colomb-Béchar et près de 175
km. dAïn-Sefra, est autre chose qu'une tranchée caillouteuse.
Il porte désormais lespoir des pétroliers français.
Un aérodrome et
rien d'autre...
Toute trace de civilisation depuis deux heures avait disparu. Entre
ciel et terre uniformes, lappareil fonçait. Pas plus au-dessous
quau-dessus la vie ne se manifestait. Et je me demandais ce qui
pouvait bien distinguer Oued-Rharbl de ces plaines désespérément
stériles quand apparut « laérodrome »
: une piste rudimentaire, quelques balises et la chaussette traditionnelle
posées sur limmensité ocreuse.
Quatre minutes plus tard nous « inaugurions » le, piste.
Après trois heures de vol la liaison était établie.
Désormais seffectueraient hebdomadairement par voie aérienne
la relève et le ravitaillement du personnel ainsi que le transport
du matériel de rechange léger.
Les pistes sahariennes
La première partie de notre périple était terminée.
Certains accidents géographiques ayant empêché linstallation
du terrain denvol plus près du chantier, quatre véhicules
et 60 km. dune autre piste nous attendaient.
Ce voyage, qui sannonçait sans histoire, se transforma
brusquement en une véritable expédition !
Je garde un cuisant souvenir de mes premiers contacts avec les pistes
du désert. Pour avoir une idée de cette expédition,
imaginez la sinusoïde dune perturbation atmosphérique
extrêmement grave. Parsemez la de rocailles, de sable, de touffes
sèches et lâchez sur ce toboggan un Dodge 4x4 dans lequel
vous avez pris place. Les chauffeurs du désert
Quil me soit permis douvrir une parenthèse sur la
pratique de lautomobile au Sahara. Les chauffeurs ont ici une
conception particulière du volant. Chacun deux a sa piste
quil baptise de son nom. Ce qui leur confère le droit de
se livrer à toutes sortes dexercices périlleux dont
le plus dangereux nest pas lexcès de vitesse sur
un dos dâne. Évidemment, toutes les pistes senchevêtrent,
les troupeaux de chameaux ajoutent à la confusion. Il en résulte
dinvraisemblables « Targas » qui soulèvent
plusieurs tonnes de poussière et, de plusieurs mètres,
les passagers peu habitués.
A ce sport, je ne rencontrerai probablement jamais plus fort que notre
chauffeur. York Yessuron. Un austro-anglais chasseur de gazelles et
polyglotte par surcroît. Cet homme ferait fortune aux stock-cars.
Le derrick
Contraste africain. Au milieu de limmense solitude se dresse soudain
la silhouette métallique du derrick.
Dans un enfoncement de terrain, à labri des vents, les
prospecteurs miniers, nouveaux pionniers du désert, ont planté
leurs tentes. Sur cette carte du Sahara, où il ny a rien
ou presque. Ils ont mission de bâtir un nouvel empire industriel.
Pour eux, le calendrier na pas de signification. Ces hommes comptent
par mètre de forage. Le derrick travaille 24 heures sur 24. Au
17e jour (vendredi) son trépan atteignait 526 mètres.
Le troisième forage
Actuellement, trois forages ont déjà été
réalisés au Sahara par la S.N.R.E.P.A.L., lun à
Taoudrara- Kahia. lautre au Sud de Laghouat, dans le périmètre
Ghardaïa-Berriane.
Le troisième est celui d'Oued-Rharbi. Le plus profond du mondé,
hors Amérique, puisquil atteindra 5.000 mètres environ.
Il sagit en effet d'un forage de grande reconnaissance, destiné
à déterminer la coupe géologique du terrain.
Ingénieurs et géologues se penchent chaque jour sur les
fameuses carottes de terre, dont certaines peuvent atteindre 6 mètres,
afin dy déceler les indices du pétrole. Dans les
meilleures conditions, puisquun système de climatisation
permettra le travail en été. Ces hommes poursuivront leurs
travaux jusquau début de lhiver. La liaison aérienne
permettra un roulement facile du personnel qui passe une semaine de
récupération tous les mois dans le Nord. Le bassin à
boue
Au cours de la visite du camp, un bassin rempli de boue attira notre
attention. Il ne sagissait pas de déchets. mais dune
boue précieuse. Artificielle, elle est importée de métropole
et fait partie du matériel nécessaire au sondage. Cette
boue évacue les « cuttings », menus fragments de
terre, refroidit et lubrifie le trépan.
Malgré cette sorte de graisse, les trépans susent
vite : ils ne durent jamais plus de 48 heures. Ce qui explique en partie
le coût élevé des forages dessai : plus dun
million par jour.
Monsieur ILTIS
45 hommes travaillent en célibataires à Oued-Rharbi, sous
la direction de MM. Coppin, ingénieur en chef ; Lefeuvre, directeur
en chef géologue ; Iltis, ingénieur des forages du chantier,
et Leroy, ingénieur.
Le plus étonnant de ces pionniers est sans conteste M. Iltis.
Cet Alsacien a travaillé aux quatre coins du monde. Pendant 41
ans, il a recherché le pétrole dans le Kansas, au Vénézuela.
dans les marais de Maracaïbo. Il a foré en Irak, au Texas
et dans tous les bleds où gît lor noir. Mais il na
jamais mis les pieds dans les chantiers de Pechelbronn. Son village
natal. La dernière étape
Sur la piste de retour, le dernier sujet détonnement dun
voyage historique : deux indigènes déambulant paisiblement
à des milles de toute civilisation, sans chapeau, ni chameau...
A 17 h. 30, notre DC-3 quittait Oued-Rharbl. Cette tranchée ravinée.
oubliée des géographes et qui sera peut-être un
jour l'un des centres principaux dun nouveau monde industriel
: le Sahara.