Le sous-sol algérien et sa mise
en valeur
LE SAHARA : DÉSERT OU ELDORADO ?
La richesse saharienne n'est-elle aujourd'hui qu'un mirage ?
Riche surtout de pierres
et de sable, le Sahara va-t-il bientôt se transformer en un fabuleux
Eldorado. Le désert va-t-il, comme l'affirment certains optimistes,
révéler à profusion fer, charbon, pétrole,
zinc. étain et autres trésors ?
Nous avons posé la question à des spécialistes, des
techniciens qui connaissent particulièrement bien la question,
tels MM. de Beauregard, directeur, et Baldacci, secrétaire général
du Bureau de recherches minières de l'Algérie ; Schnell,
ingénieur en chef du Service des mines. et Tenaille, directeur
de la S.N R.E.P.A.L.
Leurs explications éclairent remarquablernent le problème
de l'exploitation du sous-sol saharien.
RECHERCHE MINIÈRE
AU SAHARA
Le Sahara algérien est extrêmement vaste : 2 millions de
km². Il doit y avoir sur une telle superficie des ressources minières.
On peut sans crainte l'affirmer. Mais quelles sont exactement ces ressources
?
A l'heure actuelle , à vrai dire, on ne connaît pas grand-chose
du Sahara. Quelques trouvailles ont été faites par hasard.
Des missions ont, d'autre part, été envoyées au sud
de Colomb-Béchar et au Hoggar. L'an dernier, une équipe
de géologues est allée reconnaître le massif des Eglads,
aux confins algéro-marocains-mauritaniens.
D'une façon générale les recherches s'avèrent
au Sahara extrêmement difficiles (éloignement, climat, dissémination
de la population).
Deux ou trois points émergent où il faut concentrer l'activité
des prospecteurs.
HOGGAR ET CONGO BELGE
Une première mission de reconnaissance a été envoyée.
au Hoggar en 1948-1949. Le Hoggar, par sa nature géologique rappelle
le Congo belge, dont on connaît la richesse minière. Le Hoggar
est le prolongement de certains terrains d'A.-O.F . et d'A.-E.F. ou l'on
a trouvé des gisements d'étain.
On a donc l'espoir, étant donnée la formation géologique
du Hoggar, d'y trouver des métaux intéressants.
Mais à cause de l'éloignement et du prix de revient très
élevé, il ne peut être question d'y exploiter que
des métaux rares. La main-d'uvre doit être amenée
sur place, il faut assurer le ravitaillement à partir de bases
éloignées et quand les véhicules reviennent, ils
sont pratiquement inutilisables. Seuls l'étain, le tungstène,
le platine, le chrome, le cobalt, tous métaux riches, pourraient
dans ces conditions être exploités.
La reconnaissance du Hoggar sera poursuivie à l'aide de crédits
spéciaux donnés par l'E.C.A.
Il y a déjà. au sud du Hoggar, dans les massifs de l'Aïn,
une exploitation d'étain. Les recherches minières sont poursuivies
en collaboration avec la Société de l'Aïr. Les camions
de la S.A.T.T., qui vont ravitailler les populations de ces régions,
pourraient transporter en fret de retour les minerais extraits. Mais les
problèmes de l'eau et de la main-d'uvre subsistent toujours.
Quoi qu'il en soit, en se plaçant à. un point de vue très
général, on peut dire qu'en raison de sa formation géologique
et de la similitude qu'il présente avec des régions où
l'on a trouvé des minerais précieux, le Hoggar suscite certaines
promesses. Mais il faut bien comprendre qu'on en est encore au stade de
la recherche. de l'information en quelque sorte. Les travaux, quel qu'en
soit le résultat, seront difficiles longs et coûteux.
INDUSTRIE LOURDE A COLOMB-BECHAR
De la région de Colomb-Béchar, nous avons une connaissance
géologique générale précisée par des
études de détail. On y a trouvé des indices de manganèse,
de cuivre, de plomb. Des prospecteurs ont également signalé
l'existence d'une minéralisation en fer : mais cette minéralisation
- qui évoque l'Atlas marocain - est très capricieux et n'obéit
à aucune loi générale. Dire qu'il n'y a rien est
inexact, puisqu'on connaît des affleurements intéressants.
Dire qu'il y a un gîte d'importance mondiale est une erreur. Ces
éléments doivent être considérés dans
l'ensemble d'une mise en valeur de la région
Or, cette région, affirment certains, est particulièrement
riche. Kenadza - et son charbon - sont à 20 km. de Colomb-Béchar.
Charbon, indices de métaux : il n'y a plus qu'à installer
à Béchar une industrie lourde, se sont dit
les enthousiastes.
Le projet est évidemment séduisant. Est-il seulement raisonnable
?
Toute industrie lourde suppose un support minier important. La Ruhr par
exemple vit sur un gisement de charbon facile à exploiter, très
riche. Les tout proches gisements de fer lorrains représentent
une réserve considérable.
Toute création d'industrie lourde nécessite donc fer et
charbon. Pour le fer, le moins que l'on puisse dire est que si des traces
en ont été relevées, on ignore encore le tonnage
éventuel de l'exploitation. Reste le charbon.
Les houillères de Kenadza qui appartenaient autrefois aux C.F.A.
et sont maintenant nationalisées, produisent 300.000 tonnes environ
par an. Ce charbon n'est ni aussi sale, ni aussi mauvais qu'on le dit
parfois, mais l'exploitation présente un inconvénient majeur
: les couches sont extrêmement minces. Des recherches sont activement
menées dans le but de repérer d'autres gisement exploitables.
Mais la double difficulté, demeure de trouver d'abord du charbon.,
de trouver parmi ces réserves celles que la distance, l'épaisseur
des couches, la profondeur permettent d'exploiter. Il faut donc considérer
non seulement l'importance des réserves mais leur exploitabilité
et rien ne permet encore de dire quel sera l'avenir de ces nouvelles exploitations,
.
Comment peut-on parler d'industrie lourde à Colomb-Béchar
alors qu'on a seulement relevé des traces de fer et qu'on ignore
encore la valeur des gisements de charbon.
NOUS EN SOMMES ENCORE AU
STADE DE LA RECHERCHE !
Au Hoggar donc, on peut espérer, en s'appuyant sur l'analogie géologique
des terrains avec le Congo belge, découvrir des métaux intéressants.
Dans la région de Colomb-Béchar, rien ne permet de prédire
dans un avenir imminent la création d'une industrie sidérurgique.
On peut évidemment, faire des hypothèses mais passer à
un commencement d'exécution serait prématuré. Il
faut laisser les techniciens travailler avant, de se prononcer sur l'éventualité
et l'opportunité de réalisations industrielles.
Il est tout à fait logique et louable de songer à cette
industrialisation. mais il faut se garder de tout
enthousiasme prématuré.
Nous en sommes encore - et pour de longues années sans doute -
au stade de la recherche, de l'expérience et de l'étude,
En raison de l'éloignement, du climat, de la pénurie locale
de moyens matériels et humains, les
difficultés se trouvent décuplées.
DU PÉTROLE AU SAHARA
?
Il y a un espoir, mais cet espoir peut ne pas se matérialiser,
tout au moins avant longtemps. Les recherches doivent naturellement être
poursuivies. Elles le seront d'autant plus favorablement que l'effort
de prospection pétrolière au Sahara va s'intensifier. Il
entraînera la création d'aérodromes de points d'eau,
d'abris, de pistes. Grâce à cet effort, le Sahara peut être
doté d'une infrastructure oui profitera aussi à la recherche
minière.
Le 9 août 1950, en effet, la S.N.R.E.P.A.L. et la Compagnie française
des pétroles ont déposé en
même temps un permis portant sur 150.000 kilomètres carrés
chacun (dans le Sahara du Nord).
C'est la première fois que l'on voit de grandes sociétés
pétrolières s'intéresser au Sahara. On peut à
bon droit supposer, étant donné l'importance des moyens
qu'il faudra. mettre en uvre sur des surfaces aussi grandes, dans
des conditions aussi difficiles que le Sahara présente pour elles,
un intérêt certain.
L'expérience saharienne sera-t-elle une nouvelle expérience
canadienne? Dans le Far-West canadien (la superficie du Canada est à
peu prés celle du Sahara), les recherches sont demeurées
vingt-cinq ans infructueuses avant d'aboutir à la découverte,
en 1947-1948, des champs maintenant célèbres de Leduc et
Redwater, qui peuvent faire du Canada un très important producteur
de pétrole.
RENDEZ-VOUS
DANS DIX
ANS
Tout espoir n'est donc pas interdit. Mais ne brusquons pas les choses.
Nous en sommes encore aux
tout premiers pas. Peut-être irons-nous loin ! Peut-être aussi
devrons-nous nous arrêter en chemin !...
Utopie dangereuse ou miracle imminent, demandions-nous au début
de cette enquête. Nous ne pouvons aujourd'hui répondre à
la question ainsi posée, mais dans dix ans peut-être...
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