Tourisme et Industrie Hôtelière
Le mouvement touristique
qui, depuis quelques années, se précise en France, bien
qu'il ait j pris de suite une grande extension n'a encore pu atteindre
le développement qu'Anglais, Allemands, Suisses, Italiens, Scandinaves,
lui ont donné, tant ils ont, sur nous, l'avance d'innombrables
années.
On a compris, très tard chez nous, les ressources qui se pourraient
tirer des richesses touristiques, qu'une nature prodigue a entassées
un peu partout, si elles étaient mises pratiquement en valeur
et rendues accessibles à ceux que le besoin de voir constamment
du nouveau, lance à travers mers et continents. Peu enclins nous-mêmes
à voyager, peuple essentiellement sédentaire, pour qui
le moindre déplacement est une véritable expédition,
nous avons longtemps vécu sans éprouver cette impérieuse
obligation d'excursion que, toujours prompts à la raillerie,
nous avons accoutumé d'appeler " la bougeotte " de
nos voisins.
Il s'en est suivi, tout naturellement, une stagnation apathique, ne
comprenant pas la nécessité de faire pour les autres ce
que nous n'estimions pas indispensable de faire pour nous. Plus pratiques,
mieux renseignés par l'utilité de satisfaire leurs propres
besoins, nos voisins se sont organisés et c'est la raison pour
laquelle nous restons surpris à considérer leurs efforts
par rapport aux nôtres. Ne vous est-il pas arrivé en parcourant
les Alpes suisses de voir, à l'endroit même d'où
l'on peut découvrir un joli panorama, un banc installé
là par un syndicat d'initiative ? Vous dirai-je la surprise éprouvée,
au cours d'une randonnée dans la Forêt Noire, en constatant
l'entretien impeccable des mille routes qui sillonnent celte admirable
contrée : le nombre incalculable d'hôtels tous dotés
du dernier confort, établis dans tous les coins agréables
; des bancs placés à tous les endroits pittoresques de
la forêt et, suprême raffinement. le lit de l'Oos, petite
rivière qui traverse Baden-Baden de part en part, pavé
pour que le touriste ne voit jamais d'eau souillée.
Voilà ce que nous n'avons pas eu l'idée de réaliser
en France et voilà ce qu'il faudra que nous arrivions à
obtenir si nous voulons retenir l'étranger qui, actuellement
encore, ne fait que traverser notre pays.
Nous disions au début de cet article que les pays limitrophes
avaient sur nous l'avance de plusieurs années : c'est un sérieux
handicap difficile à remonter puisque nos ressources sont modestes.
Et les Pouvoirs publics, s'ils ont montré leur volonté
d'aider au développement du tourisme, doivent surtout s'en remettre
actuellement à l'entreprise privée qui, elle, heureusement,
marche à pas de géant. Cette entreprise se divise en deux
organismes que l'on serait heureux de voir unis par des liens indéfectibles:
ce sont les syndicats d'initiative et l'industrie hôtelière.
Nous plaçant du point de vue nord-africain et, plus particulièrement
algérois, délaissant momentanément l'action des
syndicats d'initiative dont nous parlerons dans un prochain article,
nous n'envisagerons aujourd'hui que l'industrie hôtelière.
Nous serions mal venu à dire que rien n'a été fait
en Algérie ; déjà de grands établissements
fonctionnent qui renferment de quoi satisfaire aux plus complexes exigences
: mais combien sont-ils ? Le dénombrement en serait rapide. Aussi
est-ce avec un certain orgueil que nous inscrivons à ce compte,
trop restreint à notre sens, une nouvelle unité, quand
cette unité réalise tout ce que l'on peut imaginer d'heureuse
conception, d'intelligente organisation, d'utile création. Telle
l'Hôtel Oriental, quee notre concitoyen M. Fournier, architecte
avisé, entrepreneur précautionné, réalisateur
qu'une longue expérience a averti des moindres exigences d'une
clientèle raffinée et difficile, vient de construire sur
l'un des coteaux de Mustapha, au pied de l'Hôtel Continental.
Habitués au luxe et à la magnificence des palaces des
grandes stations climatiques anglo-saxonnes ou du Mitteleuropa. les
étrangers qui viennent hiverner chez nous doivent y retrouver
le même confort, la même majestueuse décoration,
la même puissance d'attrait, de charme, agrémentée
de paysages inconnus, de moyens nouveaux, de spectacles rares et recherchés.
C'est le but que se traça M. Fournier quand il conçut
l'Hôtel Oriental. Les clichés que nous reproduisons ne
donneront à nos lecteurs qu'une bien petite idée de la
réalité : aussi bien faudrait-il un objectif à
angulaire démesuré et des plaques d'un format géant
pour fixer toutes les merveilles entassées dans ce coin paradisiaque.
Pour suppléer à cette carence de la science, nous essayerons
de compléter par la description, le détail de l'admirable
organisation de l'Hôtel Oriental : tâche ardue, nous ne
nous le dissimulons pas, que nous allons accomplir du mieux que nous
pourrons.
...Aladin. fils du tailleur Mustafa. frotta pour la énième
fois la Lampe qu'il avait en sa possession depuis les manuvres
coupables du Magicien africain. Le hideux génie parut et, d'une
voix tonnante, lui dit :
" Que veux-tu '? Me voici prêt à f obéir comme
ton esclave et celui de tous ceux qui ont la lampe à la main,
moi avec les autres esclaves de la lampe ! "
Et Aladin, fils du tailleur Mustafa, demanda que lui fut construit dans
l'instant, un palais comme onques on n'en avait vu. Peu de temps après,
sur la colline aride et dénudée, s'élevait une
demeure admirable garnie des plus riches parures
Ainsi, sur la colline de Mustapha, le génie qu'est M. Fournier.
a édifié un immeuble digne des contes que la sultane Shéhérazade
raconta pendant mille nuits et une nuit au sultan Schahriàr.
Il s'est attaché à reproduire le plus fidèlement
possible une maison mauresque, et il y a pleinement réussi, l'architecture
en est si bien copiée qu'en réalité on croirait
que c'est là la demeure de quelque calife orgueilleux plutôt
qu'un hôtel à l'usage des hiverneurs.
Quelle idée géniale ! Quelle fine psychologie ! En somme,
ces gens qui ont fait plusieurs milliers de kilomètres, attirés
par la douceur de notre climat, l'enchantement de nos paysages, l'éblouissement
de nos vives couleurs, on va, en outre, leur donner l'impression d'habiter
la maison d'un arabe richissime avec tout ce qu'elle petit contenir
de cet art architectural dont Alexandre Dumas père a dit : "
qu'il présente un caractère d'étrangeté
individuelle qui le ferait regarder, ainsi que certaines plantes indigènes
poussées sur le sol. comme appartenant essentiellement à
la terre, et sans analogie au delà d'un certain rayon oriental.
"
Et. tout en respectant cette architecture, M. Fournier, utilisant ses
études, ses observations, ses recherches, son expérience,
a su diviser son hôtel de façon à ce que ses habitants
aient le maximum de confort, d'aise, de facilité ; à gauche,
ce sont les chambres de repos : chambres à coucher, salon de
lecture, salle d'écriture ; à droite, les lieux bruyants,
salle à manger, salle de fêtes, bar, billard, office.
Dès l'entrée, après être passé devant
la loge du portier, on se trouve dans un hall spacieux dont la destination
principale est de séparer le bruit de la tranquillité
car c'est de chaque côté que se répartissent les
chambres et les salles. Ce hall est dominé par la galerie classique
en bois ouvré à laquelle on accède par un escalier
tournant. Suivant un couloir aux arcs lancéolés, on arrive
dans la salle à manger, éclairée de larges baies
vitrées qui donnent sur un jardin où ne poussent que des
arbres du pays : cocos, phénix, lataniers. phormiums. pomelos,
papyrus, chamedorea, quineia. bambous, cactus, strélilzia. ficus,
orangers, etc, etc., et au delà duquel dévale la colline
dont les pieds s'en vont se baigner dans la baie d'Alger. Spectacle
enchanteur ! panorama grandiose ! décor prestigieux !
Avec les faïences anciennes qui tapissent ses murs, sa grande coupole
médiale toute ornementée de découpures de plâtre,
véritables dentelles que barrent quatre claustras desquelles
tomberont des torrents de lumière, et ses colonnes finement ouvragées,
on peut dire que tous les caprices de la fantaisie, toute l'originalité
de cet art incomparable fait de patience et d'ingéniosité,
se manifestent victorieusement dans ce lieu féerique.
Cette minutie, dans la recherche du beau. M. Fournier l'a reportée
dans la recherche du confort pour les chambres. Files sont réparties
sur trois étages. Chaque étage donne sur une terrasse
et sur chaque terrasse se trouve un jardin suspendu, où ne poussent
que des plantes indigènes. Salle de bains, lavabos, w.-c. sont
dans toutes les chambres dotées par ailleurs de lits spacieux,
de sièges accueillants et pratiques de tapis moelleux. Il n'est
pas jusqu'aux portes d'entrée qui n'aient reçu une forme
spéciale, en quinconce pourrait-on dire, de façon à
ce que rien de l'intimité de la chambre puisse être vu
du couloir d'accès.
Il faudrait plus de place que nous n'en avons ici pour énumérer
les commodités ingénieuses amoncelées, pour dire
le ravissement dans lequel on vit, l'émerveillement quelque peu
ahuri où l'on se trouve devant cette réalité que
l'on ne croyait possible qu'en un rêve fantastique.
Et, dominant cet ensemble prodigieux, un minaret, fidèle reproduction
de la mosquée de Mansouriah. à Tlemcen. s'élève
majestueux, au haut duquel sera le café maure...
Voilà ce qu'est l'uvre de M. Fournier. voilà le
palais enchanté dont il a doté Alger et l'on comprendra
facilement que nous ayons tenu à le signaler à nos lecteurs,
pour ce qu'il représente d'utilité, d'embellissement,
pour notre ville dont il sera incontestablement le premier établissement.