Une Visite à l'École
Montalembert
Dans un pays neuf comme l'Algérie, pays où se heurtent
toutes les races et toutes les traditions, il importe de réserver
à l'instruction et à l'éducation européennes
une place de faveur. La raison d'être des Français dans
la plus belle de leurs colonies ne tient pas seulement dans la nécessité
de se maintenir sur leurs positions, mais aussi de servir d'exemple
aux populations indigènes, et avant tout, de former des hommes
puissamment armés pour la lutte sociale chaque jour plus âpre
et plus compliquée.
Pour atteindre ce double but, il a fallu briser les cadres trop étroits
qui limitent l'action insuffisante de nos éducateurs officiels,
il a fallu trouver la véritable formule méconnue par l'État
qui ne peut que tracer les grandes lignes du programme dont l'application
préoccupe tous les citoyens épris du progrès.
Cette formule, dérivée du mens sana in copore sano élue
par les anciens, reçoit un développement pratique, très
voisin de l'absolue perfection qui n'est pas de notre époque,
à l'Institution Montalembert d'Alger.
Excellemment définis par le distingué Directeur de l'École,
M. M. Chabalier, les résultats que l'on se propose d'atteindre
participent des raisons morales, scientifiques, hygiéniques les
plus impérieuses. Et les efforts des maîtres concourent
à former le cur, l'intelligence et le corps de l'élève
en vue de le cuirasser contre toutes les épreuves de l'existence
et de le mettre à même de conquérir un rang honorable
dans la société.
" La préoccupation principale d'un père de famille,
expose M. M. Chabalier, d'une mère de famille, dont l'enfant
a atteint l'âge de raison, le problème qui s'impose immédiatement
à leur esprit, le devoir qui s'impose à leur responsabilité,
c'est celui de l'éducation.
" Jamais on n'a ressenti avec plus de force la nécessité
de former des hommes vigoureusement trempés.
". Plus que jamais, d'autre part, ceux qui pensent, qui regardent
l'avenir et qui s'intéressent à la grandeur de leur pays.
déplorent l'affaiblissement des caractères, et réclament
à grands cris des hommes d'énergie, des hommes de devoir.
". Devant le prodigieux mouvement scientifique de noire siècle,
on a cru un moment que la science pourrait tout : on a développé
l'instruction, on l'a développée jusqu'au surmenage dont
tous se plaignent aujourd'hui. On a cultivé l'esprit et on a
négligé le développement de la plus haute faculté
de l'âme, celle qui doit régir toutes les autres, la volonté,
tel un armateur qui livrerait aux caprices de la mer un navire admirablement
armé, admirablement gréé, mais sans pilote. "
Après avoir signalé les déplorables lacunes que
présente l'enseignement officiel et l'enseignement privé
el constaté que ce dernier enseignement a produit peu d'hommes
d'initiative et d'action, M. Chabalier poursuit :
" A quoi tient cet insuccès ? Tout simplement à ce
que ces établissements, au lieu de se borner au rôle d'éducateurs,
auquel ils étaient éminemment propres, ont voulu être
en même temps des instructeurs et rivaliser sur ce terrain avec
l'Université, dont l'enseignement était la plupart du
temps supérieur au leur.
" Il v a déjà plusieurs années que des hommes
intelligents ont compris quel avantage il y aurait à utiliser
l'instruction supérieure que donne l'Université pour la
compléter par une éducation de choix donnée par
des hommes dévoués, livrés tout entiers à
cette tâche, et la considérant non comme un métier,
mais comme une uvre de bien.
" C'est d'après ce principe que se sont établis en
France, à Paris et à Lyon en particulier, des établissements
d'éducation tels que les Écoles Bossuet, Fénelon,
Gerson. Ozanam, conduisant leurs élèves aux cours du lycée,
puis complétant leur instruction en les aidant à comprendre
et à s'assimiler les matières enseignées, cherchant,
en un mot, à former des hommes d'intelligence, des hommes de
cur et des hommes de devoir. "
Ce magnifique programme reçoit de tout point son exécution
à l'École Montalembert. L'institution, située dans
un des quartiers les plus favorisés d'Alger au point de vue de
l'hygiène, est aménagée matériellement de
façon à permettre en même temps que l'éducation
de l'esprit, celle du corps.
Avec un à propos que nous ne saurions trop louer, la Direction
s'est efforcée d'emprunter aux coutumes de l'éducation
anglaise ce qu'elles ont de plus pratique.
L'élève vit de la vie de famille à l'École.
Chaque soir.il se retrouve au salon, où il cultive, s'il les
possède, les dons naturels d'aisance, si nécessaires dans
la vie, où il les acquiert si sa nature timide le porte à
observer une réserve exagérée.
Rien ne rappelle le triste réfectoire où prennent leurs
repas les pensionnaires des autres établissements. C'est dans
une salle à manger confortable, aux tables égayées
par des nappes blanches, que l'élève se retrouve chaque
jour en compagnie de ses professeurs.
Les dortoirs, bien aérés, sont élégants
: des couvre-pieds aux couleurs claires recouvrent les lits et des lavabos
particuliers, des cabines de douches permettent aux enfants de se livrer,
sans contrainte, à tous les soins de propreté que l'hygiène
réclame.
Le contact est permanent entre les élevés et leur famille
et ce contact est rendu plus agréable par l'organisation de kermesses
dans le genre de celle que l'Afrique du Nord à décrites.
Enfin, et nous insistons sur ce point, l'enfant cesse d'être une
machine à apprendre, un petit automate inconscient dont le son
de la cloche ou celui du tambour règle tous les actes. La plus
grande initiative lui est laissée en dehors des minutes occupées
pour son instruction proprement dite.
Avec ses camarades, il organise des soirées où les mieux
doués sous le rapport de l'originalité, de la diction,
du sentiment musical se produisent. La surveillance des maîtres,
toujours amicale, ne se relâche jamais, elle s'exerce pendant
les récréations sportives, les promenades, aussi étroitement
et avec la même bienveillance efficace que pendant les cours.
Ainsi se réalise, avec un rare bonheur el une intelligence qui
ont porté leurs fruit:, le problème si ardu de l'éducation,
problème que l'École Montalembert a résolu en menant
de front le développement de l'intelligence et la formation de
la volonté saine et droite qui seules peuvent doter la société
d'hommes conscients, honnêtes, robustes et utiles à leur
pays.