rue Michelet à Alger,
Pensionnat Milly, institut de jeunes filles, 9 rue Edith Cavell
"Tante"
Bernadette Morin-Lahalle et Geneviève Bortolotti-Troncy
Octobre 2000
mise sur site le 22-1-2011

24 Ko
retour
 
Il existe le PDF ( 86 Kb) de ce texte : cliquer sur l'image tante , milly

M I L L Y : " TANTE "
____________________

Oui, MILLY, c'était aussi , personnalité supérieure par excellence, Mlle Gineste, qui dirigeait le Pensionnat avec maîtrise et brio, prénommée - ô merveille - VICTORIA, (elle était arrivée dans sa famille après quatre garçons), que Denise appelait avec respect, comme il se doit : "TANTE", et que nous désignions entre nous par son prénom, avec une pointe de malice, mais sans irrespect...et, au contraire, un sentiment de crainte mêlé d'admiration...

Au moment de son décès, Bernadette et moi l'évoquons en ces termes dans notre revue FEUX, nous adressant aux Anciens et Amis de la St-DO :


Mlle GINESTE a rejoint, le 6 mai dernier, la Maison du Père.
Née le 25 août 1900, nous devions, avec un petit groupe d'Anciennes, aller lui souhaiter son Centenaire. Ombre d'elle-même, dans le silence et la foi, elle est partie un peu avant cet évènement qu'elle attendait dans le détachement, avec, pourtant, une certaine pointe d'humour...

Originaire de Sainte-Affrique (Aveyron), arrivée en Algérie pour raison de santé autour de 1920, elle est hébergée chez un oncle, près du Jardin d'Essais, le soleil devant guérir son mal... Diagnostic médical pour une fois infaillible ! ...

Par cet oncle, elle prend en 1928 des fonctions de Jardinière en classe enfantine, au Pensionnat Milly, où Madame de Redon, chargée des inscriptions, lui apprend à recevoir les parents, et à gérer la maison. En 1933, avec Mlle Durand, elle entre à l'Institut des Dominicaines, à Orléans, suivie, en 1934, de Mlle Iñes Bonet, amie du Père Le Tilly. Mlle Paucton arrivera dans la Communauté en 1946. Puis suivra, peu après, Denis Gineste, sa nièce.

En 1935, succédant aux demoiselles Bruno, Victoria Gineste prend en mains la direction administrative de l'école. Elle y consacrera toute sa vie, jusqu'au départ douloureux, en 1965. Puis, retraite à Nice, Villa Montchoisy, où sa nièce Denise veille sur elle jusqu'à l'usure de ses forces, et, depuis 1994, chez les Petites Soeurs des Pauvres, jusqu'à la fin.

Physique sévère, longue et droite, cheveux noirs tirés et relevés en chignon, teint diaphane, voix voilée à la prononciation rocailleuse, qu'elle n'élevait jamais, elle suscitait, chez toutes les élèves, crainte et respect. Plus encore pour les Internes, elle était auréolée de mystère. Pilier de granit indéracinable, force morale sans fissure ni compromis. Prodigieux chef d'orchestre, elle savait toujours choisir avec justesse celles qui devaient la seconder.

tante

Le silence la précédait, l'accompagnait, fermait sa marche dans les couloirs et dans les classes. Nous nous taisions, soudain, sur son passage. Oh ! Ces cours de "Morale" où pas même les mouches n'osaient voler ! C'était, pour nous, la dignité incarnée...

Elle ne manquait toutefois pas d'humour !
Une année, une cage de canaris égayait la salle à manger du premier étage, réservée à ces Demoiselles. Mlle Bonet, (dite "Nénesse" pour les "initiées"), veillait assiduement sur la gente ailée, se désolant chaque jour de n'y voir point d'oeuf pondu... Jusqu'à un beau matin où, enfin, un oeuf superbe l'attendait délicatement dans le nid. Un oeuf énorme... mais... Oeuf de poule, déposé malicieusement par...

oui, oui, oui, authentique, "TANTE", "Tante Victoria", (ou encore "Victoria" pour les mêmes "Initiées")... en personne !

Très certainement, derrière cet aspect froid et revêche, dû à son origine paysanne et terrienne, se cachaient un amour immense pour "ses" filles, et une bonté profonde. Adolescentes écervelées, nous n'en avions pas toujours conscience. Elle était plus proche des Internes que des Externes, attentives à leur bien-être et leur bonheur malgré l'éloignement des parents.

Bernadette, interne de longue haleine, puisqu'elle ne rentrait chez elle que trois fois dans l'année, et ce durant de longues années, raconte :

" Elle descendait à son petit bureau avec un léger bruit de pas feutré et le cliquetis de son trousseau de clés. La porte souvent ouverte, elle nous attendait, prête à nous accueillir. Nous y recevions les appels téléphoniques de nos parents, amis, ou "petits amis". Elle restait présente confiante et discrète, ne faisant jamais de commentaires, et avait un petit sourire de connivence, quand nous la quittions..." "... Toujours prête, quand nous sortions, à nous faire l'avance d'un petit pécule pour nos achats, toujours à l'écoute de nos doléances... Elle acceptait le risque de nous laisser sortir, chaperonnées par la douce et adorable "Mlle Marie", lingère et soeur de Mlle Bonet, qui nous accompagnait même à l' Opéra... Prête aussi à défendre "les belles âmes" de ses filles, lorsque le Père Lefèvre sentait ses garçons en péril... Et, chaque soir, elle présidait nos repas..."

Bien sûr, Milly et les Pères dominicains ne faisaient qu'un. Union étroitement serrée, dans une merveilleuse symbiose.Organisation des cérémonies religieuses, recueillement des pèlerinages, communions et confirmations, messes fréquentes, où nous allions nous ressourcer dans l'harmonie. Rites sacrés où tout était joie pure et simple. Reviennent, avec ces images enfouies au plus profond de nous-mêmes, les senteurs d'encens, de bonne encaustique, perdues à jamais...

Et qui oubliera l'effervescence et la turbulence des Kermesses scoutes de la ST DO, si réussies, qui auraient fait piètre figure sans le concours des élèves et de leurs mamans si dévouées, sous la houlette de notre Frère Pierre si émouvant dans sa simplicité...
Pas de Milly sans les Dominicains, mais aussi pas de Dominicains à part entière sans Milly...

Dans cette bonté dont nous parlions plus haut, Mlle Gineste a su, également, avec discrétion et compréhension, accueillir certaines enfants de familles juives ou musulmanes, dont, entre autres, la fille du Grand Muphti de Paris.
Bonté et générosité : elle était prête, aussi, à tout arrangement financier pour aider certaines familles en difficultés...

Au moment de la maladie de Mlle Durand, l'"Eminence Grise" du Pensionnat, arrive alors Denise Gineste,sa nièce, qui prend la Direction des Etudes dès 1948. Avec une compétence très sûre et une maîtrise indiscutable, Denise assume tout de suite sa lourde charge, et apporte jeunesse, joie et fantaisie dans cette atmosphère plutôt sévère et "victorienne". Elle n'avait que 26 ans.

Et c'est en assumant à la perfection sa tâche de gestionnaire, que "TANTE" va permettre à sa nièce de se consacrer à nos études, bien sûr, mais aussi à notre épanouissement, dans la Joie Dominicaine. Consciente de la valeur de cette dernière, elle parlera souvent de sa chance de l'avoir comme soutien. Duo d'une unité remarquable, qui durera jusqu"en 1961, date à laquelle Denise doit partir à Cannes, pour raisons de santé.

Toutes deux, elles étaient fières de nos réussites, de nos exploits, de notre bonheur.
Elles nous aimaient. Nous étions devenues leur vie.
Merci à toutes deux de nous avoir forgées pour la vie.

MILLY... Deux syllabes de Lumière qui s'envolent dans le ciel, telles des pétales de printemps.
S'égrènent alors, nouvelles étoiles de la Fée Clochette, des cascades de rires, de fou-rires, de chahuts innocents, de jeux, de musique et de chants, de spectacles savamment préparés et réussis.. (" L'Enéïde, ou "La Folle de Chaillot", entre autres...)
S'égrènent aussi les peines et les chagrins, compris et consolés, où revenaient toujours réconfort et espoir...

MILLY où, pour beaucoup d'entre nous, l'amitié allait s'ancrer pour toute notre vie...

Depuis six ans, Mlle Paucton, "la Chère Ame" comme l'avait surnommée Denise, a veillé sur "TANTE" avec un dévouement et une abnégation admirables. C'est à elle que reviendra un jour l'honneur de fermer, sur cette terre, la dernière page de MILLY. Que le Seigneur l'aide et la protège dans cette nouvelle solitude, si difficile à vivre. Qu'elle sache ici notre profond attachement, et toute notre affection.


Bernadette Morin-Lahalle
et Geneviève Bortolotti-Troncy


Octobre 2000


Et c'est le 22 septembre 2010, à NICE. que Madeleine PAUCTON est rappelée à Dieu.

Elle était la dernière représentante des "Demoiselles de MILLY" et avait consacré toute sa vie, dans le sillage des Demoiselles GINESTE et BONET, aux élèves du Pensionnat, Institutrice en classes primaires, elle avait assumé, également auprès des Internes, un rôle de lingère particulièrement dévouée et attentionnée.
Et c'est avec beaucoup de tristesse et de nostalgie que nous voyons se fermer les dernières pages du Pensionnat Milly.