Alger, la rue d'Isly, place d'Isly et environs.
L'attentat du Milk-bar, 30 septembre 1956
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sur site le 15-1-2007

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L'attentat du Milk Bar à Alger " À 18h30, c'est l'explosion "

Le 30 septembre, éclataient à Alger deux bombes posées par le F.L.N. Marc Desaphy fut une des victimes...

" J'étais en Algérie depuis le 11 mars 1956. Je servais en qualité de sergent à la 60e CTAP sous les ordres du capitaine Egé. Cette unité était stationnée à Hydra, sur les hauteurs d'Alger, au siège de la 10ème division parachutistes aux ordres du général Massu.

Le 26 juillet, éclate la nouvelle de la nationalisation par Nasser du canal de Suez.

Très rapidement, nous sommes informés que trois régiments parachutistes sont en alerte. La compagnie de quartier général, la compagnie de transmission, les services médicaux et les autres vont désigner les détachements concernés qui doivent se préparer en vue du départ. Nous allons recevoir des renforts en matériels, notamment des véhicules. Désigné pour partir avec la fonction de trésorier du détachement, je reçois une Jeep en charge. La préparation en août et en septembre est intensive. Entraînements d'embarquement et de débarquement sur les barges LCT, sauts en parachute, en mer ou au sol, exercices de conduite en convoi : plus de cent véhicules à la queue leu leu. Le dimanche matin 30 septembre, a lieu l'un de ces exercices de conduite en convoi qui nous mène à Blida - environ quarante kilomètres - et retour sur Hydra. A midi, le commandement fait savoir qu'il y aura des autorisations de sortie pour l'après-midi. Je décide d'aller à la piscine du Rua à Alger, en compagnie d'une jeune fille d'Hydra. Pour accéder à cette piscine en pleine mer, il faut emprunter un bateau navette. Après la baignade, vers 17h30, nous sortons arpenter la rue d'Isly. Nous entrons au Milk Bar et nous nous installons debout au comptoir. En entrant, j'aperçois un camarade de ma compagnie, le sergent Paul M., attablé seul. Il rentre de la plage et déguste une glace.

18h30, c'est l'explosion !

Je réagis immédiatement et réussis à me traîner, en rampant vers l'extérieur sur le trottoir... mon pied gauche dans la main droite ! Je le reconnais à la couleur de la chaussette... J'essaie de me confectionner un garrot, mais les morceaux de tissu de ma chemise en lambeaux n'y résistent pas. J'exerce une forte pression avec les deux mains pour tenter d'arrêter le sang qui gicle. Je vois alors arriver vers moi, un capitaine de la Légion étrangère, qui retire sa cravate verte pour m'en faire un garrot au-dessus du genou de la jambe gauche. Instantanément, le sang s'arrête de gicler. J'explique que je suis militaire, ce qui ne se voit plus : mes vêtements sont en lambeaux.

Immédiatement, des véhicules militaires convergent vers le lieu de l'explosion, des véhicules civils sont réquisitionnés. Je retrouverai plus tard le capitaine Vitasse. Il commandait la compagnie de QG de la 10ème DP Il était de service ce jour-là au commandement de la Xe région militaire, place Bugeaud. Ce 30 septembre, en fin d'après-midi, il s'active à organiser l'évacuation des blessés vers les hôpitaux et cliniques de la ville. Pour l'heure, on m'installe sur le siège avant d'une jeep, tenant toujours mon pied gauche à la main. Une femme est couchée sur le siège arrière du véhicule. Elle gémira tout au long du transport vers l'hôpital militaire Maillot d'Alger.
Le chauffeur se trompe d'itinéraire. Deux fois, je dois lui indiquer la route. Nous entrons dans la cour de l'hôpital. Enfin, nous allons être soignés. Mais non, je dois attendre : la femme qui est dans la Jeep est plus atteinte que moi, son état nécessite une prise en charge immédiate. Je m'entends encore dire : " Galanterie française : les femmes d'abord, les hommes ensuite ! Mais dépêchez-vous... " Nous étions dimanche soir, il n'y avait qu'un chirurgien de garde. Il fallait laisser le temps aux renforts d'arriver.

Dans ma douleur, je m'étais pris à croire au miracle. Je me dis : " J'ai été transporté rapidement à l'hôpital, mon pied gauche est là, près de moi. Le garrot a produit son effet, le chirurgien va pouvoir greffer artère, veine, nerfs, tendons ". Le surlendemain, quand je refais surface, mon premier geste est de passer les mains sur ma jambe gauche : un grand vide après le genou et, sur le mollet de la jambe droite, un énorme pansement. Je suis quasiment sourd : la violence du souffle de la déflagration a fait éclater les deux tympans. Je ne récupérerai jamais totalement mon audition.

Je partage ma chambre avec deux camarades, qui ne se relèvent pas de blessures de guerre, et le sergent Paul M., qui était au Milk Bar en même temps que moi. Lui aussi a dû être amputé d'une jambe. Tout comme la jeune fille qui était avec moi, transportée dans une clinique privée.

Quelques jours après la tragédie, nous recevons la visite de Mme Massu : " Je viens vous apporter, de la part du général, des souhaits de réconfort et de prompt rétablissement. Qu'est-ce qui vous ferait plaisir ? - Du champagne, madame, pour fêter ce moment : nous sommes encore en vie ! " " Tu es gonflé ! " me dit mon camarade. J'étais encore sous le choc des blessures, morales et physiques, et de l'anesthésie. Un moment après, Mme Massu revient avec du champagne et cinq verres. Elle débouche la bouteille et en offre un verre aux quatre blessés. Nous trinquons à notre guérison, à notre remise sur pied. Un seul pied, pour Paul et pour moi.

Quelques jours plus tard, c'est le général Massu qui nous rend visite. II venait voir ses soldats blessés, comme tout grand patron qui aime ses hommes. Prévenu au dernier moment, j'avais eu, cependant, le temps de penser à une question. Après ses souhaits de prompt rétablisse-ment, je lui demande s'il nous remet une décoration, à mon camarade et à moi-même. Devant sa stupéfaction, je reprends : " Dès lors que vous ne nous décorez pas, c'est que nous allons nous en sortir ! ". Qui ne se souvient avoir vu, dans de telles circonstances, des remises de décorations et, hélas, le lendemain ou les jours suivants, l'annonce du décès du décoré ! Ne pas être décorés était pour nous la garantie que nos vies n'étaient plus en danger ! Après avoir exprimé mes regrets de ne pouvoir partir pour Suez, après toute la préparation effectuée, je précise : " Si je peux encore servir après mon rétablissement dans un emploi en rapport avec mon handicap, sachez que je serai volontaire ! ".

Les attentats du Milk Bar et de la Cafétéria, perpétrés le même jour par le FLN, firent trois morts et des dizaines de blessés, dont plusieurs durent être amputés.

Le sergent Marc Desaphy, 24 ans, en 1956, perdra une jambe dans l'attentat perpétré par les poseuses de bombes du FLN. En 1957, il est mis à la disposition de la Maison des Jeunes une oeuvre sociale créée par Mme Massu à Bab-el-Oued.

Témoignage : Marc Desaphy