Alger, la rue d'Isly, place d'Isly et environs.
Du mont-de-piété d'hier au moderne crédit municipal
"Nuit et jour à tout venant je chantais, ne vous déplaise.."
Algeria et l'Afrique du nord illustrée, revue mensuelle, automne 1961, n°60 Édition de l'Office Algérien d'Action Économique et Touristique (OFALAC), 26 bd Carnot ou 40-42, rue d'Isly, Alger
sur site le 10-12-2005

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dessin place Bugeaud
Dessin qui m'a été adressé par ????
1 : Crédit municipal - 2 : rue Mogador - 3 : escaliers menant rue Dupuch

----------Au lendemain de l'arrivée des Français, les cigales imprévoyantes devaient être bien nombreuses dans la Régence d'Alger. Et les fourmis, dont nous, parlent les historiens de l'Algérie, n'étaient sans doute pas plus prêteuse, que celle de la fable du grand La Fontaine.

----------Aussi, le prince Louis-Napoléon, alors président de la Seconde République, suspendit-il un instant ses affaires en cours pour se pencher avec sérieux sur le problème. Et le 8 septembre 1852, quelques semaines seulement avant l'avénement du Second Empire, il signait un décret qui devait, un an plus tard, donner naissance au premier mont-de-piété d'Algérie.

----------Depuis, l'enfant a grandi. Comme ses frères métropolitains, il porte maintenant le nom de Caisse de Crédit municipal. Tout de suite après Paris, il est devenu le deuxième mont-de-piété de France. Mieux encore, ayant l'avantage d'être implanté dans un pays neuf et en pleine expansion, il fait maintenant figure d'institution " pilote ", et sert de test pour toutes les nouvelles branches d'activité rendues nécessaires par la généralisation des achats à crédit.

Semper usuram oppugno

----------Semper usuram oppugno... Monts-de-piété ou Caisses de Crédit municipal n'ont qu'un seul but, une seule devise : lutter contre l'usure, sous toutes ses formes.
----------Et cette guerre dure depuis plusieurs siècles, depuis les XVI' et XVII" paraît-il, lorsque s'établirent en France les premières institutions calquées sur les " Mons piétatis " eu les " Monte di pieta " d'Italie.

----------Théophraste Renaudot est présenté aujourd'hui comme le fondateur français des monts-de-piété. On n'est pas dans l'obligation de souscrire à cette affirmation. D'autant que Renaudot fut, et demeure encore dans l'esprit de certains, le père du premier journal imprimé en France, ce qui s'est révélé absolument faux. Larousse met d'ailleurs les choses au point à son sujet et affirme : il fonda l'un des premiers monts-de-piété.

----------II est certain que Renaudot, médecin ordinaire du roi, conseiller extraordinaire avec pension de 800 livres annuelles, marqua profondément ses contemporains et impressionna sans doute les historiens de l'époque. Le père de la Gazette, puis de La Gazette de France qui fut un peu à sa manière le premier Journal Officiel, avait toutes les facilités pour éclipser, face à l'histoire, les éphémères Nouvelles Ordinaires publiées par les libraires Vendôme et Martin, et les véritables pères de " ma tante ".

----------Cette paternité occulte n'empêcha pas les " banques de la charité " de disparaître.., à la Révolution. Elles ne furent rétablies en province que par décret du 24 messidor, an XII, et à Paris, par arrêté du 8 thermidor, an XIII.

----------Depuis, ma foi, " ma tante " se porte bien. En 1918, par un décret du 24 octobre, la dénomination un peu archaïque de " mont-de-piété " disparut pour être remplacée par le nom de Caisse de Crédit municipal. L'établissement d'Alger, bien entendu, suivit le mouvement.

Des " Isolés " à la place d'Isly

----------Un an après la publication de la loi paraphée par le prince Louis-Napoléon, le " mont-de-piété " algérois entrait donc dans ses murs. Les autorités logèrent provisoirement l'institution nouvelle dans les locaux de l'ancien Dépôt des isolés, qui était implanté aux environs de l'actuelle rue Waïsse. Et les malheureux purent s'affranchir des usuriers du faubourg Bab-Azoun pour confier leurs gages à un organisme public qui leur laissait une chance au moins de se tirer d'affaire.

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Le provisoire du Dépôt des isolés devait durer sept longues années. Après réorganisation par décret impérial (Louis-Napoléon s'appelait maintenant Napoléon III), le 28 avril 1860, le mont-de-piété d'Alger pouvait installer ses services place d'Isly, à l'endroit même où il se trouve aujourd'hui.
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Cette place - notre place d'Isly actuelle - était à cette époque un marché et se trouvait pour ainsi dire hors des murs de la ville. Un caravansérail et un fondouk occupaient le terrain et c'est là que tous les Algérois de l'époque venaient faire leurs provisions de charbon.

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Avec Alger-la-Blanche, l'institution de la place d'Isly devait croître en âge et en sagesse. Les fourmis considérees comme mortes, restaient les cigales, toujours plus nombreuses dans un pays où l'été est plus long et le soleil plus chaud. Et la Méditerranée invitant à la joie, aux chants, !es imprévoyantes n'entendaient pas pour autant danser tout l'hiver devant leurs braseros éteints.

Tout à crédit

---------Les temps ont bien changé, depuis le Dépôt des isolés.
----------Finie l'époque de la comptabilité des petites boîtes. Le crédit est devenu dans cette seconde moitié du XX" siècle un véritable phénomène avec lequel il faut obligatoirement compter.

----------Plus de petites boîtes " ménage ", " vacances ", " maladies ". Avec une feuille de paie et une signature virtuellement honorable, le jeune marié possède une voiture, un frigidaire e'r une télévision avant même la naissance d'un premier bébé.

----------Le jeune ménage paie ses traites, son loyer, son eau, son gaz et son électricité et s'arrange pour vivre avec le reste de son budget.

----------La Sécurité Sociale est devenue un organisme tel, que le salarié arrive à souhaiter une attestation du médecin lui ordonnant huit jours de repos, pour avoir l'impression de se rembourser un peu. Quant aux vacances, c'est un comble, elles vont finir par être payables par mensualités.N'est-ce pas déjà le cas avec certaines compagniesgnies aériennes ?

----------Les cigales imprévoyantes ne sont donc plus les seules auxquelles s'intéressent les combattants de l'usure. Qui dit crédit, dit intérêts. La voiture, le frigidaire et le poste de télévislou peuvent coûter 15, 20 ou 25 pour cent plus cher lorsqu'ils sont payés en douze ou vingt-quatre mois!

----------Ici, dans leur politique d'action, les crédits municipaux entrent dans le jeu. Et le terrain de lutte est incontestablement très dangereux. Pour lutter efficacement contre quelques honorables usuriers des temps modernes, on ne voit qu'une seule solution : prêter de l'argent à un taux relativement bas, de façon à ce que le salarié puisse payer comptant son fournisseur.
C'est l'opération " Capital-Travail ".

----------Dans cette voie, le Crédit municipal d'Alger est un précurseur. Le premier, il a tracé le chemin d'une nouvelle activité aux monts-de-piété de jadis: le prêt aux salariés.

Les prêts sur salaires

----------C'est ainsi qu'en août 1952, la Caisse de Crédit municipal d'Alger fut amenée à lancer la formule du crédit salarial. L'expérience fut tout d'abord limitée aux fonctionnaires des départements algériens. Ce fut un succès éclatant dépassant toutes les espérances de ses créateurs.

----------Cette nouveauté révolutionna quelque peu la conception que l'on se faisait des vieux " monts-de-piété ", L'appréciateur de bijoux. dont la forme désuète avait essentiellement pour base le prêt réel, c'est-à-dire le prêt sur gages.

----------Moins d'un an plus tard, à la suite d'un Congrès national des responsables de crédits municipaux, la formule fut mise en application dans deux caisses de la métropole, à Toulon et à Lille. C'était une confirmation du succès de l'expérience algéroise.

----------Le prêt aux fonctionnaires est donc bien rapidement entré dans la vie courante. L'an dernier, la Caisse d'Alger et ses annexes des grandes villes d'Algérie ont consenti 22 089 prêts, pour plus de 3 milliards d'anciens francs.

--------Mais cette création n'a pas manqué de soulever quelques objections. Pourquoi en effet, seul le secteur public pouvait-il bénéficier de tels avantages ? Pour mener une lutte efficace contre l'usure, cette action ne devrait-elle pas se trouver étendue au secteur privé?

----------Les critiques portèrent leur fruit. En octobre 1959, la Délégation générale en Algérie autorisait la C.C.M.A. à tenter une autre expérience auprès des salariés en général. L'opération étant extrêmement délicate, le nouveau service de la place d'Isly fit donc progresser la formule avec une extrême prudence.

----------Aujourd'hui, vingt-trois sociétés privées ont été agréées et leurs salariés peuvent obtenir, dans des conditions quasi analogues à celles des fonctionnaires, les prêts leur permettant de faire face à une grosse dépense ou à un imprévu.

----------Les douloureux événements que traverse actuellement l'Algérie ne favorisent guère une généralisation de ces formules de crédit salarial. Aujourd'hui, les risques, même pour les fonctionnaires, sont relativement importants. Mais une centaine de prêts seulement, sur 25 000 environ, sont entre les mains du service contentieux de la C.C.M.A.Une administration moderne

----------La situation n'a pas pour autant stoppé ces deux formules nouvelles suivies avec intérêt dans leur lente progression par les Crédits municipaux de métropole. Le " mont-de-piété " d'Alger, qui emploie 133 agents, étend maintenant, grâce au prêt salarial, son activité à toute l'Algérie. Demain, peut-être, verrons-nous la création du Crédit municipal d'Algérie, sous forme de Syndicat mixte.

----------Cette idée de fusionner les crédits municipaux d'Alger, d'Oran et de Constantine fait doucement son chemin. L'établissement commun de demain permettra un développement des services sociaux par la création
d'agences et de succursales, afin d'assurer une lutte plus efficace contre l'usure.

----------Dans cette perspective, les installations de la place d'Isly s'agrandissent et se modernisent d'année en année. M. Louis Boutigny, qui dirige la C.C.M.A. depuis janvier 1950, a apporté un sang nouveau et vivifiant à l'établissement qui est aujourd'hui le deuxième de France.
Le Crédit municipal d'Alger, certes, présente un volume d'activité trois fois moins important que celui de son rival parisien. Mais il est tout de même sept à huit fois plus fort que son suivant immédiat : le Crédit municipal de Toulouse.

----------Cette situation géographique situe bien la place prépondérante que la Caisse d'Alger occupe actuellement. Elle a dû, pour cette raison, repenser entièrement sa politique comptable qui a été modernisée dans les moindres détails, en bouleversant, pour la rajeunir et la simplifier, toutes les vieilles conceptions démodées.

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Tous les services, du prêt sur gages aux prêts aux salariés, ont été organisés de manière productive.

" Le clou", "ma tante", le mont-de-piété

----------Bien entendu, le principe du prêt sur gages, qui est la base de tous les crédits municipaux, n'a pas changé. Pour de multiples raisons, il existe toujours des cigales qui ne sont pas forcément imprévoyantes et qui ont recours au " clou " à " ma tante ".

----------On apprend ainsi, avec stupéfaction, que l'an passé plus de 125 000 objets des plus divers ont fait l'objet de prêts.

----------Si les locaux ont été agréablement transformés, la petite entrée dérobée et discrète de la rue Mogador existe toujours. L'agence centrale de ville reçoit uniquement les bijoux, les objets d'art, les tableaux de valeur. Le linge, les batteries de cuisine et tous les objets lourds (voilures, frigidaires, machines à laver, etc...) sont reçus dans une annexe du quartier du Ruisseau, inaugurée en 1956.

----------Le classement et le stockage des objets de toutes sortes ainsi confiés au Crédit municipal d'Alger a conduit la direction à procéder peu à peu à une réorganisation complète. Dlepuis 1954, les chambres fortes possèdent les dispositifs les plus modernes assurant la sécurité des objets de valeur. Les portes blindées, les combinaisons de toutes sortes, les cellules photoélectriques , rendent ces locaux souterrains de la
place d'Isly absolument inviolables.

----------Au Ruisseau, où tout un personnel spécialisé surveille les gages entreposés, c'est un peu une organisation circulaire. Un objet engagé en janvier fait une promenade sur les étagères qui le conduit, en janvier de l'année suivante, à l'autre bout de la même étagère en fer à cheval. Les ballots de linge sont entreposés dans des salles où l'insecticide rend l'atmoshère insupportable. Les voitures automobiles, aux plaques d'immatriculation voilées, font objet des soins vigilants de mécaniciens.
----------Rien, on le voit, n'est laissé à l'écart.

La banque de la charité "

----------Mais le Crédit municipal a toujours gardé un petit côté " banque de la charité ". Le gage qui en un an a fait son tour complet sans être " dégagé " est vendu aux enchères publiques. Maître Mira, commissaire-priseur, mène la danse. On lance des chiffres. L'enchère monte. Si elle dépasse le prêt du malheureux qui est dépossédé de son bien de cette sorte, la différence lui est remise.

----------Mieux encore, c'est une tradition : au début de l'hiver, tous les nantissements composés de couvertures, de vêtements, de lainages divers jusqu'à concurrence de 10 NF sont remis, non seulement sans intérêt, mais en faisant abandon du capital.

----------Malgré cela, la Caisse de Crédit municipal est un organisme financièrement sain, qui tourne en circuit fermé. En 1960, son chiffre d'affaires atteignait 5 milliards et demi d'anciens francs. Bénéficiaire, il investit pour s'agrandir encore.

----------Prêts sur gages, prêts aux fonctionnaires, prêts aux salariés... à ces activités que nous venons d'évoquer rapidement il convient d'ajouter le service des prêts sur valeurs mobilières institué en 1919, relancé en 1952, après de longues années de mise en sommeil. Ce secteur ne présente pas à Alger une grande activité. Le portefeuille du particulier est peu important en Algérie où la terre, valeur réelle, intéresse davantage les épargnants. Le Crédit municipal est cependant amené à prêter sur les emprunts d'Etat et certains autres titres, des valeurs bancaires principalement. Sur ce plan, en comparaison avec Paris où il existe de gros porteurs, le Crédit municipal d'Alger, avec ses 132 millions de prêts de 1960, n'est pas très favorisé.

----------Enfin, la section bancaire de la C.C.M.A., qui prendrait volontiers une extension, sert à constituer une trésorerie. Sa banque se différencie des autres banques par le fait que l'escompte et le découvert n'y sont pas pratiqués. Elle est principalement alimentée par des comptes de dépôt et sert au placement des obligations émises par le Crédit municipal à date fixe.

----------Voilà dressé le tableau de cet organisme public d'Alger qui montre la voie nouvelle à ses homologues métropolitains; malgré la situation difficile que connaissent les départements algériens.