----------Au lendemain
de l'arrivée des Français, les cigales imprévoyantes
devaient être bien nombreuses dans la Régence d'Alger. Et
les fourmis, dont nous, parlent les historiens de l'Algérie, n'étaient
sans doute pas plus prêteuse, que celle de la fable du grand La
Fontaine.
----------Aussi,
le prince Louis-Napoléon, alors président de la Seconde
République, suspendit-il un instant ses affaires en cours pour
se pencher avec sérieux sur le problème. Et le 8 septembre
1852, quelques semaines seulement avant l'avénement du Second Empire,
il signait un décret qui devait, un an plus tard, donner naissance
au premier mont-de-piété d'Algérie.
----------Depuis,
l'enfant a grandi. Comme ses frères métropolitains, il porte
maintenant le nom de Caisse de Crédit municipal. Tout de suite
après Paris, il est devenu le deuxième mont-de-piété
de France. Mieux encore, ayant l'avantage d'être implanté
dans un pays neuf et en pleine expansion, il fait maintenant figure d'institution
" pilote ", et sert de test pour toutes les nouvelles branches
d'activité rendues nécessaires par la généralisation
des achats à crédit.
Semper usuram oppugno
----------Semper
usuram oppugno... Monts-de-piété ou Caisses de Crédit
municipal n'ont qu'un seul but, une seule devise : lutter contre l'usure,
sous toutes ses formes.
----------Et
cette guerre dure depuis plusieurs siècles, depuis les XVI' et
XVII" paraît-il, lorsque s'établirent en France les
premières institutions calquées sur les " Mons piétatis
" eu les " Monte di pieta " d'Italie.
----------Théophraste
Renaudot est présenté aujourd'hui comme le fondateur français
des monts-de-piété. On n'est pas dans l'obligation de souscrire
à cette affirmation. D'autant que Renaudot fut, et demeure encore
dans l'esprit de certains, le père du premier journal imprimé
en France, ce qui s'est révélé absolument faux. Larousse
met d'ailleurs les choses au point à son sujet et affirme : il
fonda l'un des premiers monts-de-piété.
----------II est
certain que Renaudot, médecin ordinaire du roi, conseiller extraordinaire
avec pension de 800 livres annuelles, marqua profondément ses contemporains
et impressionna sans doute les historiens de l'époque. Le père
de la Gazette, puis de La Gazette de France
qui fut un peu à sa manière le premier Journal Officiel,
avait toutes les facilités pour éclipser, face à
l'histoire, les éphémères Nouvelles Ordinaires
publiées par les libraires Vendôme et Martin, et les véritables
pères de " ma tante ".
----------Cette
paternité occulte n'empêcha pas les " banques de la
charité " de disparaître.., à la Révolution.
Elles ne furent rétablies en province que par décret du
24 messidor, an XII, et à Paris, par arrêté du 8 thermidor,
an XIII.
----------Depuis,
ma foi, " ma tante " se porte bien. En 1918, par un décret
du 24 octobre, la dénomination un peu archaïque de "
mont-de-piété " disparut pour être remplacée
par le nom de Caisse de Crédit municipal. L'établissement
d'Alger, bien entendu, suivit le mouvement.
Des " Isolés
" à la place d'Isly
----------Un an
après la publication de la loi paraphée par le prince Louis-Napoléon,
le " mont-de-piété " algérois entrait donc
dans ses murs. Les autorités logèrent provisoirement l'institution
nouvelle dans les locaux de l'ancien Dépôt des isolés,
qui était implanté aux environs de l'actuelle rue Waïsse.
Et les malheureux purent s'affranchir des usuriers du faubourg Bab-Azoun
pour confier leurs gages à un organisme public qui leur laissait
une chance au moins de se tirer d'affaire.
----------Le provisoire du Dépôt des
isolés devait durer sept longues années. Après réorganisation
par décret impérial (Louis-Napoléon s'appelait maintenant
Napoléon III), le 28 avril 1860, le mont-de-piété
d'Alger pouvait installer ses services place d'Isly, à l'endroit
même où il se trouve aujourd'hui.
-
----------Cette place - notre place d'Isly actuelle
- était à cette époque un marché et se trouvait
pour ainsi dire hors des murs de la ville. Un caravansérail et
un fondouk occupaient le terrain et c'est là que tous les Algérois
de l'époque venaient faire leurs provisions de charbon.
----------Avec Alger-la-Blanche, l'institution de
la place d'Isly devait croître en âge et en sagesse. Les fourmis
considérees comme mortes, restaient les cigales, toujours plus
nombreuses dans un pays où l'été est plus long et
le soleil plus chaud. Et la Méditerranée invitant à
la joie, aux chants, !es imprévoyantes n'entendaient pas pour autant
danser tout l'hiver devant leurs braseros éteints.
Tout à crédit
---------Les
temps ont bien changé, depuis le Dépôt des isolés.
----------Finie
l'époque de la comptabilité des petites boîtes. Le
crédit est devenu dans cette seconde moitié du XX"
siècle un véritable phénomène avec lequel
il faut obligatoirement compter.
----------Plus
de petites boîtes " ménage ", " vacances ",
" maladies ". Avec une feuille de paie et une signature virtuellement
honorable, le jeune marié possède une voiture, un frigidaire
e'r une télévision avant même la naissance d'un premier
bébé.
----------Le
jeune ménage paie ses traites, son loyer, son eau, son gaz et son
électricité et s'arrange pour vivre avec le reste de son
budget.
----------La
Sécurité Sociale est devenue un organisme tel, que le salarié
arrive à souhaiter une attestation du médecin lui ordonnant
huit jours de repos, pour avoir l'impression de se rembourser un peu.
Quant aux vacances, c'est un comble, elles vont finir par être payables
par mensualités.N'est-ce pas déjà le cas avec certaines
compagniesgnies aériennes ?
----------Les
cigales imprévoyantes ne sont donc plus les seules auxquelles s'intéressent
les combattants de l'usure. Qui dit crédit, dit intérêts.
La voiture, le frigidaire et le poste de télévislou peuvent
coûter 15, 20 ou 25 pour cent plus cher lorsqu'ils sont payés
en douze ou vingt-quatre mois!
----------Ici,
dans leur politique d'action, les crédits municipaux entrent dans
le jeu. Et le terrain de lutte est incontestablement très dangereux.
Pour lutter efficacement contre quelques honorables usuriers des temps
modernes, on ne voit qu'une seule solution : prêter de l'argent
à un taux relativement bas, de façon à ce que le
salarié puisse payer comptant son fournisseur.
C'est l'opération " Capital-Travail ".
----------Dans
cette voie, le Crédit municipal d'Alger est un précurseur.
Le premier, il a tracé le chemin d'une nouvelle activité
aux monts-de-piété de jadis: le prêt aux salariés.
Les prêts sur
salaires
----------C'est
ainsi qu'en août 1952, la Caisse de Crédit municipal d'Alger
fut amenée à lancer la formule du crédit salarial.
L'expérience fut tout d'abord limitée aux fonctionnaires
des départements algériens. Ce fut un succès éclatant
dépassant toutes les espérances de ses créateurs.
----------Cette
nouveauté révolutionna quelque peu la conception que l'on
se faisait des vieux " monts-de-piété ", L'appréciateur
de bijoux. dont la forme désuète avait essentiellement pour
base le prêt réel, c'est-à-dire le prêt sur
gages.
----------Moins
d'un an plus tard, à la suite d'un Congrès national des
responsables de crédits municipaux, la formule fut mise en application
dans deux caisses de la métropole, à Toulon et à
Lille. C'était une confirmation du succès de l'expérience
algéroise.
----------Le
prêt aux fonctionnaires est donc bien rapidement entré dans
la vie courante. L'an dernier, la Caisse d'Alger et ses annexes des grandes
villes d'Algérie ont consenti 22 089 prêts, pour plus de
3 milliards d'anciens francs.
--------Mais
cette création n'a pas manqué de soulever quelques objections.
Pourquoi en effet, seul le secteur public pouvait-il bénéficier
de tels avantages ? Pour mener une lutte efficace contre l'usure, cette
action ne devrait-elle pas se trouver étendue au secteur privé?
----------Les
critiques portèrent leur fruit. En octobre 1959, la Délégation
générale en Algérie autorisait la C.C.M.A. à
tenter une autre expérience auprès des salariés en
général. L'opération étant extrêmement
délicate, le nouveau service de la place d'Isly fit donc progresser
la formule avec une extrême prudence.
----------Aujourd'hui,
vingt-trois sociétés privées ont été
agréées et leurs salariés peuvent obtenir, dans des
conditions quasi analogues à celles des fonctionnaires, les prêts
leur permettant de faire face à une grosse dépense ou à
un imprévu.
----------Les
douloureux événements que traverse actuellement l'Algérie
ne favorisent guère une généralisation de ces formules
de crédit salarial. Aujourd'hui, les risques, même pour les
fonctionnaires, sont relativement importants. Mais une centaine de prêts
seulement, sur 25 000 environ, sont entre les mains du service contentieux
de la C.C.M.A.Une administration
moderne
----------La
situation n'a pas pour autant stoppé ces deux formules nouvelles
suivies avec intérêt dans leur lente progression par les
Crédits municipaux de métropole. Le " mont-de-piété
" d'Alger, qui emploie 133 agents, étend maintenant, grâce
au prêt salarial, son activité à toute l'Algérie.
Demain, peut-être, verrons-nous la création du Crédit
municipal d'Algérie, sous forme de Syndicat mixte.
----------Cette
idée de fusionner les crédits municipaux d'Alger, d'Oran
et de Constantine fait doucement son chemin. L'établissement commun
de demain permettra un développement des services sociaux par la
création
d'agences et de succursales, afin d'assurer une lutte plus efficace contre
l'usure.
----------Dans
cette perspective, les installations de la place d'Isly s'agrandissent
et se modernisent d'année en année. M. Louis Boutigny, qui
dirige la C.C.M.A. depuis janvier 1950, a apporté un sang nouveau
et vivifiant à l'établissement qui est aujourd'hui le deuxième
de France.
Le Crédit municipal d'Alger, certes, présente un volume
d'activité trois fois moins important que celui de son rival parisien.
Mais il est tout de même sept à huit fois plus fort que son
suivant immédiat : le Crédit municipal de Toulouse.
----------Cette
situation géographique situe bien la place prépondérante
que la Caisse d'Alger occupe actuellement. Elle a dû, pour cette
raison, repenser entièrement sa politique comptable qui a été
modernisée dans les moindres détails, en bouleversant, pour
la rajeunir et la simplifier, toutes les vieilles conceptions démodées.
----------Tous les services, du prêt sur gages
aux prêts aux salariés, ont été organisés
de manière productive.
" Le clou",
"ma tante", le mont-de-piété
----------Bien
entendu, le principe du prêt sur gages, qui est la base de tous
les crédits municipaux, n'a pas changé. Pour de multiples
raisons, il existe toujours des cigales qui ne sont pas forcément
imprévoyantes et qui ont recours au " clou " à
" ma tante ".
----------On
apprend ainsi, avec stupéfaction, que l'an passé plus de
125 000 objets des plus divers ont fait l'objet de prêts.
----------Si
les locaux ont été agréablement transformés,
la petite entrée dérobée et discrète de la
rue Mogador existe toujours. L'agence centrale de ville reçoit
uniquement les bijoux, les objets d'art, les tableaux de valeur. Le linge,
les batteries de cuisine et tous les objets lourds (voilures, frigidaires,
machines à laver, etc...) sont reçus dans une annexe du
quartier du Ruisseau, inaugurée en 1956.
----------Le
classement et le stockage des objets de toutes sortes ainsi confiés
au Crédit municipal d'Alger a conduit la direction à procéder
peu à peu à une réorganisation complète. Dlepuis
1954, les chambres fortes possèdent les dispositifs les plus modernes
assurant la sécurité des objets de valeur. Les portes blindées,
les combinaisons de toutes sortes, les cellules photoélectriques
, rendent ces locaux souterrains de la
place d'Isly absolument inviolables.
----------Au
Ruisseau, où tout un personnel spécialisé surveille
les gages entreposés, c'est un peu une organisation circulaire.
Un objet engagé en janvier fait une promenade sur les étagères
qui le conduit, en janvier de l'année suivante, à l'autre
bout de la même étagère en fer à cheval. Les
ballots de linge sont entreposés dans des salles où l'insecticide
rend l'atmoshère insupportable. Les voitures automobiles, aux plaques
d'immatriculation voilées, font objet des soins vigilants de mécaniciens.
----------Rien,
on le voit, n'est laissé à l'écart.
La banque de la charité
"
----------Mais
le Crédit municipal a toujours gardé un petit côté
" banque de la charité ". Le gage qui en un an a fait
son tour complet sans être " dégagé " est
vendu aux enchères publiques. Maître Mira, commissaire-priseur,
mène la danse. On lance des chiffres. L'enchère monte. Si
elle dépasse le prêt du malheureux qui est dépossédé
de son bien de cette sorte, la différence lui est remise.
----------Mieux
encore, c'est une tradition : au début de l'hiver, tous les nantissements
composés de couvertures, de vêtements, de lainages divers
jusqu'à concurrence de 10 NF sont remis, non seulement sans intérêt,
mais en faisant abandon du capital.
----------Malgré
cela, la Caisse de Crédit municipal est un organisme financièrement
sain, qui tourne en circuit fermé. En 1960, son chiffre d'affaires
atteignait 5 milliards et demi d'anciens francs. Bénéficiaire,
il investit pour s'agrandir encore.
----------Prêts
sur gages, prêts aux fonctionnaires, prêts aux salariés...
à ces activités que nous venons d'évoquer rapidement
il convient d'ajouter le service des prêts sur valeurs mobilières
institué en 1919, relancé en 1952, après de longues
années de mise en sommeil. Ce secteur ne présente pas à
Alger une grande activité. Le portefeuille du particulier est peu
important en Algérie où la terre, valeur réelle,
intéresse davantage les épargnants. Le Crédit municipal
est cependant amené à prêter sur les emprunts d'Etat
et certains autres titres, des valeurs bancaires principalement. Sur ce
plan, en comparaison avec Paris où il existe de gros porteurs,
le Crédit municipal d'Alger, avec ses 132 millions de prêts
de 1960, n'est pas très favorisé.
----------Enfin,
la section bancaire de la C.C.M.A., qui prendrait volontiers une extension,
sert à constituer une trésorerie. Sa banque se différencie
des autres banques par le fait que l'escompte et le découvert n'y
sont pas pratiqués. Elle est principalement alimentée par
des comptes de dépôt et sert au placement des obligations
émises par le Crédit municipal à date fixe.
----------Voilà
dressé le tableau de cet organisme public d'Alger qui montre la
voie nouvelle à ses homologues métropolitains; malgré
la situation difficile que connaissent les départements algériens.
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