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site le 29/09/2002
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-----Comme
la Casba
et la Marine, Bab-el-Oued a son odeur, - odeur complexe où se mêlent
des émanations hybrides, celles des bas négoces méditerranéens
et celles de la vie indigène : relents de saumure, de piments, de
poivre rouge, de toutes sortes de salaisons et de charcuteries effrayantes
sous les arcades étroites de la rue européenne. Effluves de
charbons de bois odoriférants, de girofle, de cannelle et d'encens
dans les venelles mauresques. Et, par-dessus tout, la puanteur épique
des déjections humaines -----Dans ces ruelles où s'entassait toute une plèbe maltaise et mahonnaise, le caractère barbaresque subsistait encore, il y a quarante ans. La maison, désertée par ses anciens habitants, avait conservé son caractère original et, au moins, son aspect extérieur : les petites portes hérissées de clous et percées de judas, les linteaux où se détachaient en relief le croissant de Tanit ou les cinq doigts contre le mauvais oeil, les étages en surplomb avec leurs poutrelles en troncs de palmiers. Et, partout, cette saleté magnifique, ces odeurs véhémentes qui montaient des caniveaux, ces troupeaux de chats qui se battaient sur des vidanges de poissons, parmi des effluves d'encens et de petits réchauds à charbons. -----Là encore, les seuls noms des rues m'enchantaient rue du Locdor, rue Soggemâh, rue Lalahoum, rue Sidi Hellel, cette dernière déjà très défigurée par une foule de boutiques européennes. Il y avait là, dans cette rue Sidi Hellel, un dépôt de vins espagnols, un magasin profond et obscur comme une cave, où s'entassaient des rangées de tonneaux. La plupart de ces tonneaux, me disait-on, avaient été apportés clandestinement par des balancelles de contrebandiers. Et, déjà, l'image romantique du contrebandier bravant les balles des gabelous et l'image de la balancelle dansant au milieu des écueils me poétisaient ce sombre repaire. Je m'y arrêtais chaque fois que j'avais l'occasion de traverser la rue Sidi Hellel. Un grand garçon brun, qui sentait encore la rudesse de la huerta valencienne, prenait un petit verre épais posé sur un tonneau. Après l'avoir rempli, il s'avançait sur le seuil de la taverne et, silencieusement, il élevait, dans le soleil éblouissant de la rue, le verre d'Alicante, qui resplendissait, onctueux et chaud comme une topaze, et il me le donnait à boire. Ce breuvage merveilleux coûtait deux sous. -----Ce qui m'attirait surtout dans ces parages, c'était, à l'extrémité de la rue Bruce, dans une venelle qui s'appelait, en ce temps-là, la rue de l'État-major, la célèbre maison de Mustapha Pacha devenue Bibliothèque nationale. ----- |
------Elle
a été cent fois décrite. Tous les touristes de passage
à Alger
l'ont visitée. Cette visite est une corvée rituelle et obligatoire.
Mais, malgré cette banalité qui s'attache à elle et
qu'dn lui impose, elle m'a toujours charmé. J'ai été
son hôte assidu pendant des années et je lui en garde une reconnaissance.
Ce qui m'y plaisait, ce n'était pas tant le décor mauresque
de son patio et de ses galeries aux balustrades en bois de cèdre,
ni les faïences, ni les colonnettes de son vestibule : j'étais
blasé depuis longtemps sur ce genre de beautés. C'était
la solitude et la fraîcheur que je goûtais, en été,
dans les petites salles blanches du second étage, où je passais
des matinées entières au milieu des livres. De la terrasse,
j'avais une jolie vue sur les minarets des mosquées voisines et sur
la mer. J'entendais la rumeur de la foule qui montait de la place du Gouvernement
et qui se confondait avec le murmure lointain des vagues, le long des môles.
Et quand je redescendais après des heures d'exaltation solitaire,
je m'arrêtais sous la galerie du premier étage, pour saluer
le vieux bibliothécaire coulougli, Si Omar Ben Hafiz, que je trouvais
assis à la turque sur ses coussins, entre sa tabatière et
une gerbe de roses, le nez dans un vieux bouquin arabe somptueusement relié,
ou bien occupé à épousseter des manuscrits anciens, merveilles de calligraphie et d'enluminure... ------A deux pas de ce lieu charmant, il y avait un bain maure, - le plus important, je crois, de tout Alger, en tout cas celui qui m'a donné l'idée la plus complète de ce que pouvaient être des thermes antiques. Et puis, on s'enfonçait dans la pénombre bleue de la ruelle montante, ------On atteignait un passage voûté où il faisait presque noir, le passage se coudait brusquement entre des murs nus et tout blancs, aux rares ouvertures. On longeait de beaux portails barbaresques, mais strictement clos. Un silence, un désert impressionnants.. Les ruelles montantes qui s'entrecroisaient prenaient des 'airs un peu inquiétants de labyrinthe. Et, certains soirs; j'avais l'illusion d'entrer dans un monde mystérieux où tout dormait d'un sommeil enchanté. |