Rivet : le sanatorium
extrait de " aux échos d'Alger, mars 2000, n°68 "
6-3-2010

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Rivet : le sanatorium
Rivet : le sanatorium

-----Toujours à cause de ces films à tendance pernicieuse développant constamment le côté " Colonial ", j'ai envie de crier au monde entier l'œuvre constructive de la France sur cette terre qui n'était que ruines, anarchie et piraterie.

-----Grâce à des hommes intelligents et dévoués venus des quatre coins de la Planète, l'ALGÉRIE était sortie du Moyen Âge pour devenir un des plus beaux pays du MAGHREB. Au fil des années ces hommes (Italiens, Mahonnais, Espagnols, Français, Suisses, etc.) ont su apporter leur savoir-faire dans l'architecture, les communications, l'agriculture et l'hygiène.

-----Il ne fait pas accepter d'être toujours sali, il faut leur rendre hommage. Nous ne devons pas refouler le passé, au contraire, montrer toutes les vérités et ne pas sans cesse se laisser dire que le gâchis actuel de l'ALGÉRIE d'aujourd'hui est de notre faute. Il est à noter que dès 1930 les responsables de la santé se sont inquiétés des populations touchées par la tuberculose. Il fallait traiter rapidement avant la propagation de la maladie. Français et Indigènes venaient dans les quelques rares sanatoriums de France pour se faire soigner. Le coût demandait un effort financier considérable et il fallait envisager de traiter les malades en ALGÉRIE.

-----Monsieur Alexandre VANONI de RIVET, personnalité importante très dévouée, altruiste et philanthrope né, fréquentait le monde médical, politique et agricole. C'était un généreux donateur et après étude avec les médecins et responsables de la santé, le premier sanatorium de l'ALGÉRIE voit le jour à RIVET sur un terrain offert justement par lui. Il a donc été le Président Fondateur de ce " sana " situé dans la montagne ou plutôt " montagnette " qui s'appelait le " DJEBEL ZEROULEZ " à 450 mètres d'altitude, au-dessus de RIVET. L'accès était facile. C'est l'entreprise MASQUIDA Frères (Jean et Antoine) qui a fait la route pour y accéder. Mon père Jean MASQUIDA se rendait à cheval pour poser les charges de dynamite afin de percer les rochers. Il fallait défricher, enlever les palmiers nains ou " margaillons ". Souvent en fin d'après-midi, avec ma mère, nous allions à sa rencontre. C'était un régal de gambader dans la nature.

-----D'en haut, la vue était magnifique; nous aimions voir la mosaïque des cultures de la plaine de la MITIDJA avec en toile de fond la baie d'ALGER. Le climat était idéal, sain et très supportable à cause de la faible altitude et à l'abri du sirocco. Monsieur BIENVENU fut l'architecte d'avant-garde. Tout était bien pensé et étudié: 100 lits pour les hommes et 80 pour les femmes. Le confort moderne était partout et les chambres s'ouvraient sur des galeries de cures. Il y avait un dispositif d'écrans pour le soleil. Cette construction dura 2 ans et le sana inauguré en 1940 fonctionna jusqu'en 1962.

-----Les malades étaient tous indigènes et avec les thérapies nouvelles la tuberculose régressait à pas de géant. Les bâtiments existent toujours certes, mais dans quel état ? Il y a recrudescence de la maladie et les jeunes médecins Algériens venus faire leurs études en FRANCE ou en EUROPE ne retournent pas chez eux soigner leurs compatriotes alors qu'il est de leur devoir de se propulser dans leur pays débarrassé du " Joug " français
Nous avons laissé un pays magnifique et j'estime que depuis bientôt 38 ans, c'est-à-dire une bonne génération, le paupérisme ne devrait pas sévir et surtout les Algériens devraient rester chez eux et être heureux de ne plus avoir sur le dos la souveraineté française, puisque, d'après Mohamedi SAID, officier de l'armée de libération nationale (ALN et FLN) : "C'était l'enfer et insupportable, il fallait combattre l'étranger! "

-----Quant à l'œuvre bienfaitrice de Monsieur Alexandre VANONI, elle est immense. Il avait financé entièrement la clinique de la Croix Rouge d'ALGER et en était également trésorier. Sur les 130 hectares de " NOTRE DAME DU MONT " où se trouvait le " sana ", il a donné le terrain pour faire construire par ses cousins Italiens le Monastère des PÈRES BLANCS, une abbaye pour les religieuses qu'on appelait " Les Sœurs Blanches " ainsi que deux dispensaires (1 chez les Sœurs et 1 près du Monastère). Le troisième dispensaire était implanté à l'entrée de RIVET à la distillerie. Ces trois centres très connus dispensaient les soins journellement et gratuitement. C'est à la distillerie qu'étaient fabriqués le fameux " MALIK ", et la non moins fameuse liqueur " MALIKA " qui vous enchantaient le palais. Cette dernière était mise dans une bouteille venant de TCHÉCOSLOVAQUIE et, ayant la forme de l'Abbaye du Mont surmontée de la statue de la Vierge tenant l'enfant Jésus dans ses bras.

-----Les trois frères Alexandre, Emile et Marcel de RIVET et Pierre d'AMEUR EL SAIN ont tous les quatre laissé de fortes empreintes. Ils ont fait venir un sculpteur Italien pour réaliser la statue du père CHARLES DE FOUCAULD. J'étais très petite et avec ma soeur, mon cousin Hubert MASQUIDA et mes cousines nous allions le voir oeuvrer, installé avec son bloc de pierre ou de marbre dans le poulailler désaffecté de chez mon oncle Antoine. Nous étions fascinés de le voir travailler avec le ciseau et la massette. Nous savions quel était l'homme qu'il sculptait.

-----Nos parents nous en parlaient avec tellement de foi et d'admiration qu'il faisait partie de notre patrimoine culturel. C'était un missionnaire qui a diffusé la civilisation française autant que la prédiction évangélique. Il faisait le bien, soignait les TOUAREG. Les Pieds-Noirs le portaient dans leur cœur, surtout parce qu'il a été lâchement assassiné sur leur terre le Y décembre 1916. La statue grandeur nature a été placée à NOTRE DAME DU MONT. Les Sœurs Blanches de NOTRE DAME DU MONT étaient connues pour leur soins qu'elles prodiguaient à la communauté musulmane. Elles avaient créé un ouvroir pour toutes les filles musulmanes. Elles leur apprenaient divers travaux ménagers et notamment la broderie méditerranéenne.

-----Les frères VANONI avaient une propriété à AMEUR EL AÏN où ils avaient aussi fondé un dispensaire. A MICHELET, ils avaient participé à la construction de l'hôpital des Pères Blancs. La liste est sûrement plus longue. J'ai d'autres souvenirs. Quand " Monsieur Alexandre " est décédé (j'avais 6 ans) tous les élèves des classes de RIVET, bien en rangs, ont assisté sur la place de l'église à son enterrement et écouté le bon Curé de RIVET faire son panégyrique. Il y avait foule, autant d'Arabes en burnous, si ce n'est plus, que d'Européens. Ces flashes sont très présents dans ma mémoire, je revois tout sous les palmiers.

-----" Monsieur Alexandre " était très connu, même extra-muros, pour sa bonté et son humanisme. C'était un saint homme. Tous les matins, il soignait gratuitement les indigènes. Un fait de guérison est très connu. Un Arabe était venu de BOUGIE monté sur un âne. Cet homme paralysé des deux jambes lui dit: " on m'a dit que tu es "Marabout" et que toi seul peux me guérir! " C'est ce qu'il fit en employant l'électricité. C'est un cas parmi tant d'autres. Il y avait Emile qui soignait et accouchait les femmes musulmanes. C'est dire la confiance et les liens qui existaient entre les deux communautés.

-----Je veux citer aussi d'autres " sages " tels que Monsieur BORGEAUD (Sénateur) qui bien avant les lois sociales, au DOMAINE DE LA TRAPPE, allouait à tous les ouvriers, après 35 ans de services, une petite maison et un lopin de terre. A EL AFFROUN, Jack AVERSENG, le Maire, a financé presque entièrement l'hôpital de la commune et le dispensaire.

-----La liste de ces colons " blâmés par les ignorants est longue. Faisons, chacun à notre niveau, l'information qui s'impose.

-----D'autres anecdotes vécues pourront faire suite à ce petit récit.

-----Je remercie infiniment Paul VANONI, le fils aîné d'Emile, qui a bien voulu vérifier mes dires (que je tiens de mon père, celui-ci a beaucoup travaillé pour les frères VANONI) et rajouter quelques précisions.
Il est bon d'éclairer ceux qui ne voient pas, mais il est bon et doux aussi, malgré les blessures, de faire revivre notre monde disparu. L'oublier serait une insulte à tous ces hommes courageux.


Lucette MASQUIDE-SASTRE
Dimanche 13 février 2000