-----Sur la naissance et le pays d'origine
de ce saint règne la plus grande obscurité. Son biographe,
Eugypius, n'en dit rien, et il paraît que Séverin lui-même
par humilité, refusa constamment de répondre aux questions
qu'on lui adressait là-dessus. Les historiens modernes ont émis
à ce sujet diverses opinions; voici celle d'un auteur allemand,Th.
Sommerlad
Né en Afrique
du Nord
-----Séverin serait né en Afrique,
d'une famille distinguée; il aurait été élevé
à l'épiscopat dans sa patrie, mais aurait dû prendre
le chemin de l'exil, probablement en 437, pour échapper aux vexations
que les Vandales ariens faisaient subir aux catholiques. Il se serait
retiré en Asie Mineure et y aurait embrassé la vie monastique,
selon la règle de Saint-Basile. Ardent défenseur de l'orthodoxie
et du monachisme oriental, il serait arrivé dans le Norique, au
plus tôt en 434. Peut-être faudrait-il l'identifier avec l'évêque
Severianus dont parle Prosper d'Aquitaine (Epitome chronicon, ad an. 437).
Cependant, tout cela reste dans le domaine de l'hypothèse.
-----Donc en 454, arrive à Astura,
petite ville située au nord du Danube, sur les confins de la Pannonie
et du Norique, un inconnu ; Sans aucune lettre de recommandation, il se
présente chez le portier de l'église et sollicite une place
au foyer. On l'accueille, et sans attirer l'attention, il gagne l'affection
de son hôte par sa piété, la pureté de ses
moeurs, son zèle charitable. Soudain cet homme obscur sort un jour
de son modeste logement ; il parcourt les rues de la ville, appelle à
l'église prêtres clercs et laïcs ; là avec un
accent d'humilité et de conviction, il avertit ses auditeurs qu'un
péril imminent les menace : "Les
barbares sont tout près, dit-il, fermez les portes de la ville,
mettez-vous en état de défense et, surtout, priez, faites
pénitence".
-----Mais c'est en vain, un peuple incrédule
méprise ses paroles. Les prêtres eux-mêmes ne veulent
pas ajouter foi aux propos de cet étranger qui semble se mêler
de prophétiser. Sous le coup d'une juste indignation ; Séverin
quitte l'église, rentre chez son hôte, lui prédit
le jour et l'heure du désastre : "Pour
moi, ajoute-t-il, je quitte cette ville opiniâtre et vouée
à une destruction prochaine".
-----Il se rend alors à Comagène,
bourg fortifié, situé non loin d'Astura, également
au bord du Danube. Une garnison romaine s'était retirée
de cette place et les habitants, incapables de se défendre eux-mêmes,
avaient traité avec des barbares qui, tyrans autant que protecteurs,
s'étaient rendus insupportables.
-----Ils exerçaient une garde sévère
sur les portes de la ville. Cependant, sans prendre garde au fugitif d'Astura,
ils le laissent passer. Celui-ci va droit à l'église où
le peuple est assemblé, et il fait entendre son avertissement sans
plus de succès.
-----Dans le même moment, un vieillard,
à l'entrée de la ville, demande à y pénétrer
; il raconte qu'Astura vient d'être mise au pillage, comme cela
avait été prédit par un homme de Dieu. La curiosité
s'éveille à ce récit, on laisse passer le vieillard,
qui court à l'église et y reconnaît son hôte
dans le prédicateur improvisé. Devant tout le peuple assemblé,
il se jette à ses pieds et le proclame son sauveur.
Sauvés des Barbares
-----La
foule alors se déclare prête à suivre les conseils
de Séverin ; dans tout Comagène, ce sont des jeûnes,
des prières, des gémissements. Le troisième jour
de ces exercices de pénitence, un tremblement de terre se produit,
les barbares demandent à quitter la place. Ils se précipitent
au dehors ; trompés par l'obscurité, ils croient avoir l'ennemi
devant eux, se jettent les uns sur les autres et s'entre-tuent. Le peuple
de Comagène est ainsi débarrassé de ses encombrants
protecteurs ; on interroge le vieillard d'Astura pour connaître
celui qu'il a appelé protecteur. La réponse est que cet
homme s'appelle Séverin et vient des régions de l'Orient.
-----A partir de ce moment, la curiosité
des habitants de Comagène est excitée au plus haut point
; ils n'osent pourtant pas interroger directement Séverin. Mais
après la chute de Romulus Augustule, des Italiens arrivent dans
le Norique ; c'est une occasion, semble-t-il de faire parler Séverin
qui vient de recevoir comme hôte un prêtre italien nommé
Primenius ; on essaie d'employer cet intermédiaire pour en savoir
davantage sur les antécédents de Séverin : "Sache
seulement, répond-il, à Primenius, que le Dieu qui t'a fait
la grâce d'être prêtre m'a ordonné de venir au
secours de ces infortunés".
-----Après Comagène, c'est
Favianes qui doit à ce saint homme d'être délivré
du fléau de la famine et des menaces des Barbares ; il annonce
aux habitants auxquels il a prêché la pénitence que
Dieu combattra pour eux et, quand cette promesse s'est réalisée,
il donne ce dernier avis : "Votre ville
n'aura plus à souffrir des déprédations mais à
une condition, c'est que, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune,
vous serez fidèles observateurs du devoir et de la piété".
Séverin conçut ensuite le dessein de former une milice spirituelle,
et, vers 455, il établit un monastère à quelque distance
de Favianes. Homme d'action, il forma ses disciples par ses exemples plus
encore que par ses paroles ; en fait de science, il les établit
dans un commerce habituel avec les anciens pères ; pour la piété
et les moeurs, il les exhorta à ne plus regarder en arrière
après avoir quitté le monde et à vivre dans la crainte
de Dieu. dans les larmes, les privations et les jeûnes.
-----ll voulut avoir une église dans
laquelle il fit placer des autels consacrés aux saints dont il
avait pu se procurer des reliques. Sa pratique d'exercer la charité
en rachetant des captifs lui valut d'avoir des reliques des saints Gervais
et Protais. Il avait entrevu dans une vision un moine porteur de ces reliques,
il fit rechercher sur le marché ce moine et réussit à
opérer son rachat. Le moine par reconnaissance, céda volontiers
les reliques dont il était porteur. Parmi les autres monastères
que fonda Séverin dans la région, on ne connaît la
situation que d'un seul, celui de Boitro, au confluent de l'Inn et du
Danube en face de Passau. Chose étonnante, cet homme d'une activité
prodigieuse avait l'amour de la solitude ; il aurait voulu mener au désert
la vie contemplative. Jamais il ne voulut accepter la charge de l'épiscopat
par humilié et aussi par le désir de garder sa liberté
d'allures.
-----Son austérité est à
peine concevable ; il avait pour lit un cilice étendu sur le pavé
de son oratoire, pour vêtement, en toute saison, une seule tunique
; il ne rompait son jeûne de tous les jours qu'au coucher du soleil
; en carême il ne mangeait qu'une fois par semaine ; en toute saison
il marchait pieds nus.
-----Avec une telle austérité
pour lui-même, il témoignait aux autres la plus grande bonté
soit pour les âmes, soit pour les corps. Il opéra plusieurs
miracles et même résurrection d'un mort, mais celle-ci ne
fut connue qu'après la mort de Séverin.
Une réputation
grandissante
-----L'action
de Séverin s'est étendue à toute une province pour
l'amélioration morale de ses habitants, pour la répression
des Barbares et leur évangélisation. Trente années
d'efforts et d'austérité pour arriver à ce résultat
finirent par épuiser ses forces ; il sentait venir son dernier
jour et il l'annonça au prêtre Lucillus. Celui-ci était
venu le trouver le jour de l'Epiphanie pour lui annoncer que le lendemain
il célébrerait l'anniversaire de son ancien évêque,
qui avait exercé ses fonctions épiscopales en Réthie.
Alors Séverin lui dit : "Si le saint
évêque Valentin t'a désigné pour cet anniversaire,
je te délègue à mon tour pour me rendre les derniers
devoirs et ce sera le même jour". A partir de cet
instant, Séverin ne songea plus qu'à se préparer
à la mort.
-----Annonçant à ses disciples
qu'ils devraient un jour quitter le pays, il leur fit une obligation d'emporter
avec eux les ossements de leur père. Le 8 janvier il leur adressa
ses dernières recommandations, reçut la sainte communion
étendit sa main pour les bénir, entonna le chant du psaume
Laudate Dominum in sanctis ejus, ordonnant aux assistants de le continuer
et, au dernier verset : "que toute âme
loue le Seigneur", il expira (482).
-----Les moines placèrent son corps
dans un cercueil, de façon à pouvoir remplir les volontés
du défunt quand viendrait l'heure de l'exode, car ils ne doutaient
pas que sa prophétie ne se réalisât. Durant les années
qui suivirent le monastère fut mis plusieurs fois au pillage.
-----En 486, une invasion de Barbares, les
obligea à partir ; on découvrit le corps et, à la
grande surprise de tous les témoins, il fut trouvé sans
corruption comme au jour du trépas, on changea pieusement les linges
et on referma le cercueil.
-----Celui-ci fut placé dans une sorte
de chapelle portative et mis sur un charriot traîné par plusieurs
chevaux. Le cortège, escorté par des soldats, s'engagea
dans les Alpes, descendit vers les côtes de l'Adriatique; sur le
parcours, les populations venaient vénérer les saintes reliques,
et beaucoup de malades furent guéris.
-----On arriva ainsi à Lucullanum,
près de Naples, où une riche dame donna sa villa pour que
les moines en fissent leur monastère. Le corps de Séverin
demeura dans cet endroit jusqu'en 910. Il fut alors transféré
à Naples, dans l'abbaye bénédictine à laquelle
on donna le nom de Saint-Séverin. Le martyrologue romain mentionne
ce saint au 8 janvier, que l'on croit avoir été l'anniversaire
de sa mort.
Abbé Vincent Serralda
Vincent Serralda le 22 septembre
1998, à Paris, a rejoint la maison du père. Prêtre
magnifique, il s'était consacré aux Saints d'Afrique du
Nord, "ses Berbères" comme il aimait à les appeler.
Il nous a toujours montré de l'affection et a beaucoup écrit.
Sa mémoire et son oeuvre demeure
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