sur site le 18/102002
-Monseigneur Augustin-Fernand Leynaud
s'est donné sans retour pour l'Algérie, sa seconde patrie.
«Vous savez, vous tous chrétiens, et nos frères musulmans et israëlites savent aussi, que je n'ai jamais eu et que je n'aurai jamais de plus douce joie que de voir régner parmi vous cette union sur cette terre, que j'aime comme une seconde patrie, et où je n'ai voulu être que l'apôtre de la charité, de la paix, de la réconciliation, en paroles et en oeuvres, en un mot, le père qui aime et qui aimera toujours ses enfants»(Mgr Leynaud,1953)
pnha n°66, mars 1996
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-----«Vous savez, vous tous chrétiens, et nos frères musulmans et israëlites savent aussi, que je n'ai jamais eu et que je n'aurai jamais de plus douce joie que de voir régner parmi vous cette union sur cette terre, que j'aime comme une seconde patrie, et où je n'ai voulu être que l'apôtre de la charité, de la paix, de la réconciliation, en paroles et en oeuvres, en un mot, le père qui aime et qui aimera toujours ses enfants»(Mgr Leynaud,1953)
-----Ce fut à Rabat, au cours de l'été 1946 que j'entendis pour la première fois, dans une cérémonie semblable, la voix douce et noble de S. Exc. Mgr l'Archevêque d'Alger. Il était venu prier et aider la prière de tous devant la dépouille mortelle d'un ami, le Vicaire Apostolique du Maroc. Le début de son allocution fut comme une plainte au Seigneur : "Mon Dieu, pourquoi demandez-vous à votre serviteur de vieillir si longuement ? Serait-ce pour qu'il voie s'en aller vers vous les uns après les autres, ses frères plus jeunes dans l'épiscopat ?"
-----Cette plainte qu'il devait répéter encore dans les années qui suivirent, avant-hier à Maison-Carrée, hier, à Tunis et Carthage, nous ne l'entendrons plus. L'ouvrier magnifique, après sa journée très chargée, a été appelé pour le repos du soir dans la Maison de la Paix. Et Dieu écoutera, ce matin, l'expression publique de notre deuil pour que la récompense que nous voudrions accorder à son serviteur, accompagne celle qu'il daignera lui accorder lui-même.
-----Un simple regard jeté sur une carrière aussi féconde nous autorise à déclarer que cet homme était remarquablement doué pour continuer ici une oeuvre difficile : incarner l'âme de l'Eglise catholique.
-----Né le 26 août 1865 aux Ollières, dans cette Ardèche où la pauvreté forge les caractères tandis que les paysages variés avivent le sens de l'équilibre et creusent le besoin de beauté, Augustin Leynaud appartient à une famille profondément chrétienne, et il lui doit, après Dieu, la vocation sacerdotale. Mais le voici attiré très tôt par des voix amies vers l'Algérie. Il fait ses études secondaires et supérieures à Kouba.
-----Ses professeurs ne tardent pas à discerner en lui des qualités exceptionnelles et transmettent, le moment venu, leur jugement au Cardinal Lavigerie. Il est ordonné prêtre le 24 juin 1888 et nommé vicaire à Mustapha. C'était un premier contact avec les hommes, à la faveur des obligations du ministère paroissial qui déborde, en la complétant, l'information des manuels scolaires. Là encore, nouveau jugement, celui d'un curé, qui fortifie le jugement antérieur.
Le Cardinal en savait assez maintenant pour prendre une grave décision.
-----Mais à sa manière. Le vénéré défunt aimait à raconter la scène.
Il fut invité à écrire, aussi vite que possible, quelques lignes, sous la dictée d'un chef impressionnant. Le jeune prêtre se contracta, réussit à maintenir sa main ferme : et la plume triompha. Après un temps de silence : " A partir d'aujourd'hui, mon cher ami, vous serez mon secrétaire particulier". Par delà des lettres bien moulées et harmonieuses, le Cardinal avait sous ses yeux comme un document indiscutable de toutes les qualités qu'on lui avait déjà signalées, et, de plus, cette maitrise des nerfs qui n'en gaspillerait aucune. Donc, au travail !
-----Secrétaire particulier du Cardinal Lavigerie en 1889, secrétaire général à Carthage en 1890, il sera l'auxiliaire précieux à qui l'on confiera les rôles délicats de transition et d'adaptation. En 1891, il est le premier curé français de la Goulette. Le Cardinal meurt en 1892. Mais l'élève a parfait sa formation.
-----Il reste dix ans à la Goulette, et c'est à Sousse qu'il ajoutait, comme en se jouant, toujours pour obéir à une consigne de son maître, le singulier labeur de révéler l'histoire de l'Eglise nord-africaine du premier siècle à l'Eglise nord-africaine du vingtième, pour qu'elle puisât, en même temps que des souvenirs émouvants, des leçons toujours opportunes.
-----Ainsi, le Curé devenait, dans toute la force du terme, un grand homme d'Eglise.
-----Tracée de main prophétique par le Cardinal Lavigerie, cette mission d'incarner l'âme de l'Eglise, il la connaissait, il l'aimait ; il ne pouvait plus en perdre de vue l'exigence fondamentale : il faut que les chrétiens, ici comme ailleurs, acceptent de se rencontrer librement pour accepter librement de vivre ensemble. Par le Christ, Dieu le leur demande. Par le Christ, Dieu le leur permet.
-----Heureux les hommes qui s'inclinent devant ce dessein de Dieu, témoignant de leur adhésion fraternelle à l'exercice de la charité !
Rappeler ces vérités élémentaires, les vivre et les faire vivre, voilà l'oeuvre grandiose qu'il fallait continuer, en s'appliquant à démolir parmi nous et autour de nous, les cloisons qui montent sans cesse des incompréhensions, des paresses et des égoïsmes réciproques. Tant que nous sommes volontairement séparés les uns des autres, nous trahissons notre mission et nos paroles mentent si nos actes les contredisent. Nous, chrétiens, nous ne pouvons vraiment savourer notre pain matériel que si nous communions auparavant dans la fraction du pain de l'esprit et du coeur.
-----Monsieur le Curé de Sousse était tout désigné pour proclamer, du haut d'une tribune retentissante, ce message d'Eglise. Le Saint-Siège le nomma Archevêque d'Alger, le 24 décembre 1916.
Je ne dirai rien de ses activités multiples. Il suffira de relire des faits et des chiffres en comparant des dates : la mission de l'Eglise, où en était-elle, le 24 décembre 1916 ? Où en est-elle le 11 août 1953 ?
 

-----L'homme providentiel a tout restauré, tout consolidé, tout développé. Héritier d'une volonté indomptable, celle du Cardinal Lavigerie, au masque énergique et parfois violent, il l'a portée avec une prudence qu'il n'était guère possible de surprendre et une séduction continue. Il se contentait de la soutenir par le désintéressement et le sacrifice. Il ne refusait à personne un conseil sollicité et s'il constatait, par la suite, que son intervention restait sans effet, il ne marquait ni déception, ni rancune. Il essayait simplement de mieux comprendre pour mieux servir. Tous en ont convenu et le lui ont prouvé en le nommant membre titulaire de l'Académie des Sciences Coloniales et Commandeur de la Légion d'Honneur. Ils ne pouvaient faire davantage !
-----Je ne crois pas qu'il me désavouera si, par seul souci de justice et de vérité, j'ai lié son destin à celui du Cardinal Lavigerie. Ils auront été, tous les deux, comme deux pierres vivantes de valeur considérable et complémentaires, dans cette cité spirituelle qu'est l'Eglise Catholique de l'Afrique du Nord. Et quelle joie légitime de saluer en la personne de ces deux Archevêques d'Alger l'Eglise du Christ et de la Sainte Vierge Marie, l'Eglise immortelle, l'Eglise de Rome ! Je ne pourrai pas oublier l'accent avec lequel, cher Monseigneur l'Archevêque, vous m'avez parlé de Rome à Rome, une certaine matinée de 1950, lors de notre pélerinage jubilaire ! Nous nous engagions dans l'avenue qui s'ouvre sur la place Saint-Pierre. Vous avez presque fermé les yeux et vous m'avez dit : "Nous sommes à Rome. Comme il nous est facile de croire en Dieu ! Que Dieu est bon !" Quelques instants après, l'Archevêque se trouvait en présence du Souverain Pontife, l'un à genoux, l'autre debout. Quelle humilité chez tous les deux ! Et cependant, quelle majesté ! Oui, nous étions à Rome. Comme il nous était facile de croire en Dieu. Oui, Dieu est bon !
Cher Monseigneur, nous savons ce que fut votre vie. Vous nous direz vous? même ce que fut votre mort. Vous nous avez quitté le 5 août 1953. Nous allons écouter votre testament spirituel comme votre dernier souhait. Nous le recevrons comme votre consigne suprême.
-----"Je ne sais comment remercier Notre Seigneur Jésus-Christ de m'avoir fait l'honneur de m'appeler, malgré mon indignité, au sacerdoce et au service de l'Eglise Africaine ; en Algérie et en Tunisie, j'ai aimé de tout mon coeur toutes les âmes qui m'ont été confiées et que j'espère retrouver au ciel.
-----Je pense aussi à la France, appelée par Dieu en Afrique pour y répandre la civilisation chrétienne, pour le plus grand bien de tous ses habitants. A-t-elle été toujours fidèle à cette noble mission ?... Chère France, si durement éprouvée, surtout pendant les deux dernières guerres ! Je prie Dieu et le prierai toujours pour son relèvement et pour l'union de tous ses enfants.
-----A tous mes prêtres sans exception je veux redire ma tendre affection paternelle et fraternelle, car je suis prêtre d'Alger. Je leur demande instamment de se dévouer de plus en plus aux âmes qui leur sont confiées, de rester toujours intimement unis à Notre Seigneur Jésus-Christ par la fidélité à leurs exercices de piété, et dans l'amitié la plus fraternelle entre eux et avec les Religieux, notamment les Pères Blancs du Cardinal Lavigerie que j'ai eu le bonheur d'aimer et de servir ; qu'ils s'appliquent ainsi de plus en plus à rapprocher de Dieu et de l'Eglise nos frères indigènes et à faire régner la pins grande charité, entre tous, chrétiens, musulmans, israëlites.
-----A tous ceux que j'aime plus que jamais, je veux encore dire, du fond de ma tombe : Vous tous, parents, amis, chers diocésains, pensez-y : pensez au Ciel ! C'est pour lui que Dieu nous a faits !...
Priez bien pour moi ; je ne vous oublierai jamais.
-----Ô Notre?Dame d'Afrique, Ô Marie conçue sans péché, qui avez été toujours pour votre pauvre enfant, la plus tendre des mères, adjuva me, adjuva nos ! présentez-moi à votre Jésus.

Augustin-Fernand Leynaud, Archevêque d'Alger

Merci, très vénéré et très regretté Monseigneur Leynaud, Archevêque d'Alger et Julio-Césarée.

Merci, et au revoir !
Mgr Bertrand Lacaste
(Allocution prononcée lors des funérailles de Mgr Leynaud, le 11 août 1953).