Pieds-Noirs d'hier et d'aujourd'hui sept 99 n°104
La guerre d'Algérie et les Juifs
: Diversités des engagements
En 1958, les attentats dirigés spécialement contre les Juifs
diminuent. En février, deux shelihim (" émissaires
") israéliens, Raphaél Bengherra et Yaacov Hassan,
qui dirige le département de l'émigration à Alger,
venus en Algérie pour préparer l'aliyah (la montée
en Israël), sont enlevés entre Tiaret et Aflou par le FLN.
Me Ahmed Boumendjel parlant au nom du FLN affirme que les Israéliens,
étrangers au conflit, seront bientôt libérés.
En mai, leurs corps sont identifiés dans un charnier FLN près
d'Aflou. En septembre, une grenade est lancée dans la synagogue
de Boghari lors de l'office de la fête de Soukkot (Cabanes), faisant
un mort et onze blessés. Un responsable de la communauté
déclare : " Il est, tout au moins pour le moment, difficile
sinon impossible de situer le caractère de cet inqualifiable attentat
d'autant que sur le plan local il ne paraît pas être le signe
tangible d'un mauvais climat entre groupements ethniques ou confessionnels
". L'année 1959 est paisible quand, à la veille de
Yom Kippour, une grenade lancée dans la synagogue de Bou Saada
tue la petite fille du rabbin âgée de six ans et demi et
blesse plusieurs personnes. C'est le début spectaculaire de la
reprise des attentats. En décembre 1960, la grande synagogue d'Alger
dans la haute Casbah est saccagée au cours d'émeutes : le
mobilier est brisé, tous les rouleaux de la Loi sont profanés,
déchirés, piétinés. Parmi eux, un Sefer Torah
qui aurait été rapporté par des Juifs d'Espagne lors
de leur établissement en 1391 ou au cours du XVè siècle.
Les grilles sont arrachées, le drapeau vert et blanc du nationalisme
algérien est hissé sur l'édifice et les murs sont
maculés d'inscriptions dont l'une dit : "Mort auxJ uifs ",
surmontée d'une croix gammée. Pourtant, lors de cette émeute,
les musulmans manifestent leur sympathie à leurs voisins juifs,
les assurant de leur protection.
En 1961, les "ultras" du GPRA s'attaquent à la conquête
du pouvoir. Ils veulent vider l'Algérie de tout ce qui n'est pas
"arabe". Des ordres venus du Caire ou de Tripoli incitent à
"frapper les Européens, frapper les Juifs, qu'ils prennent
peur et s'enfuient". À partir de juin, les attentats s'intensifient.
Ferhat Abbas, chassé de la direction du GPRA en août, et
de retour en Algérie, en 1962, après six ans d'absence,
tombera dans les bras d'lie Stora, adjoint au maire de Khenchala, qui
lui dira:
" Maintenant, Ferhat, tu vas nous construire notre belle Algérie
". En mai 1961,un groupe de "patriotes algériens juifs"
publie dans la revue du MRAP, Droit et Liberté, un article sur
l'épanouissement que promet aux Juifs l'Algérie future :
" Regardez combien sont estimés ceux d'entre vous qui ont
enrichi le patrimoine culturel algérien. Le chanteur et musicien
constantinois Raymond n' est-il pas cher aux yeux des musulmans ? Ils
l'aiment parce qu'il a contribué à conserver et enrichir
le folklore algérien que les colonialistes ont voulu étouffer".
Le 22 juin, Raymond (Raymond Leyris), beau-père d'Enrico Macias,
est abattu place Négrier, au cur du quartier juif constantinois,
d'une balle de neuf millimètres tirée dans la nuque.
Le 11 septembre, le matin de Rosh Hashanah (le nouvel an hébraïque),
le coiffeur ambulant Henri Choukroun est tué d'un coup de poignard
alors qu'il se rend à la synagogue, portant le plus jeune de ses
enfants âgé de neuf mois et tenant par la main une fillette
de quatre ans. Cet assassinat provoque un affrontement au cours duquel
deux musulmans trouvent la mort. En novembre, les attentats sont nombreux.
Adolphe Lévy président des Anciens prisonniers de la Seconde
Guerre mondiale à Alger, est assassiné, ainsi qu'à
Sétif, le bâtonnier David Zermati, président de la
communauté de Sétif, et ami de Boumendjel et de Ferhat Abbas.
La personnalité de David Zermati rayonnait sur l'ensemble des communautés
algériennes et était le symbole de l'entente et de l'amitié
dont rêvaient certains dans l'Algérie nouvelle. Après
son assassinat, les Juifs quittent la ville. De 2 400 Juifs en 1954, il
n'en reste que 700.
Richard Ayoun, Archives Juives, chez Liana Levi
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