sur site le 28/12/2002
-Le chemin de croix des Chrétiens d’Algérie
Article extrait du "Quotidien d'Oran".
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Le chemin de croix des Chrétiens d’Algérie

-----La messe de Noël à Alger est comme une ultime prière. Chaque année, les Chrétiens d’Algérie célèbrent la naissance du Christ dans une sorte de délivrance, après l’avoir longtemps fêtée dans la clandestinité.

-----A la basilique Notre-Dame d’Afrique qui provoque fièrement la baie d’Alger, les Chrétiens d’Algérie se sont réunis dans la soirée de ce mardi pour une messe de Noël pas comme les autres. Selon les statistiques, ils sont juste 1% de la population algérienne, mais les bancs à demi vides donne à la célébration de la naissance de Jésus, dans ce pays musulman, une dimension de vide absolu.

-----Depuis 1962, la présence chrétienne en Algérie ne cesse de fondre. Elle a certes subi les contrecoups d’un exode massif des Chrétiens, essentiellement pieds-noirs, après l’indépendance, mais son véritable coup d’arrêt a été l’arrêt de l’enseignement privé en 1975, qui a poussé nombre de Pères Blancs à abandonner l’enseignement au profit de la mission strictement religieuse: «Tant que le gouvernement algérien a besoin de maintenir une certaine présence de façade de la chrétienté en Algérie, nous serons là. D’ailleurs, la pluralité religieuse consacrée par les lois algériennes fait qu’on existe officiellement», souligne le père Henry Maurier, un évangéliste octogénaire qui gère la basilique Notre-Dame d’Afrique avec le Père Georges.

-----D’un pas timide et intimidé, des enfants algériens accompagnés par une enseignante en foulard viennent admirer la crèche au fond de la basilique qu’on appelle affectueusement «Madame l’Afrique». Des Algériens viennent en ce lieu qui symbolise la chrétienté pour diverses raisons. Certains viennent «goutter au silence et au calme» qu’offrent les grandes colonnes de marbre. D’autres, comme des couples, viennent se retrouver sur les bancs après avoir allumé un cierge à 10 dinars. Rares sont ceux qui viennent pour prier ou, du moins, se montrent très discrets quant à leur confession. Tous peuvent regarder l’inscription «Notre-Dame d’Afrique pour nous et les Musulmans».

-----Cette pesanteur sur la religion chrétienne en Algérie a pris une dimension dramatique ces dix dernières années. Cinq pères blancs de différents ordres, 6 soeurs - dont des Françaises et des Espagnoles -, 7 moines trappistes de Tibherine et Mgr Pierre Claverie, évêque d’Oran, sont morts sous les balles et les couteaux du GIA lors de cette terrible année 1994. Une hécatombe qui, si elle n’a pas découragé les tenants de l’Eglise d’Algérie, a tout de même poussé les Pères Blancs à un isolement fataliste. Les policiers constamment en faction sur l’esplanade de la basilique indiquent que quelque chose a changé.

-----«Tuer des Musulmans algériens ou des Chrétiens d’Algérie a le même sens pour nous. Il n’y a pas de séparation dans la souffrance. Mais on n’allait tout de même pas abdiquer et s’enfuir par la petite porte», confesse Père Bernard Lefebvre, recteur de la basilique depuis 2 ans, qui a fait retaper l’orgue de la basilique pour des concerts religieux. Adepte de la fraternité entre communautés, il promet un concert du grand organiste français Michel Chapuis pour mai prochain.

-----Les portes de la basilique Notre-Dame d’Afrique demeurent ouvertes en ces jours de fêtes. Les Pères Blancs organisent même une messe du nouvel an «pour la paix», où ils seraient aux anges si les Algériens y participaient.

-----Si évoquer Dieu atténue, un peu, du traumatisme des Pères Blancs, la survie de l’église dépend également des donateurs. Ainsi, les ambassades telles que celles de la France, d’Italie, d’Espagne, du Brésil, de Hongrie ou de Pologne. Des banques telles Aventis, Paribas ou Natexis font parfois des donations à la basilique qui vivote à peine.

-----Des crucifix en bois, des photos souvenirs et des chapelets sont vendus pour des sommes modiques à l’entrée. Certaines démunis viennent même frapper à la grande porte en bois pour demander de l’aide. Une femme a même laissé devant l’autel une poupée en chiffon pour que ses voeux de maternité soient exhaussés. La tolérance possède différents visages, mais ceux qui pénètrent dans l’enceinte ignorent souvent tout de ceux qui ont fait la popularité de l’église d’Algérie dans les moments chauds de l’histoire du pays.

-----Les Chrétiens d’Algérie se sentent orphelins de Mgr Duval, l’ancien cardinal d’Alger qui, dès 1956, s’est prononcé en faveur de «l’autodétermination algérienne contre l’injustice du régime colonial». Des générations qui ignorent que des papes tels Pie XII et Paul VI ont soutenu l’indépendance algérienne et qu’ils en furent remerciés lors de la visite du Président Bouteflika au Vatican en 2000.

-----«Il était comme un guide et un partisan de l’indépendance. Dommage que les générations présentes ne connaissent pas son apport au rapprochement des religions et des peuples», nous déclare un Algérien croisé sur le parvis, mais dont le témoignage courageux s’arrête à l’anonymat.

-----Depuis deux années, les Chrétiens d’Algérie tentent de briser l’isolement. Avec l’arrivée d’étudiants africains des pays subsahariens, la communauté chrétienne s’est régénérée et se désenclave. Pour Noël, des messes sont prévues au Sacré-Coeur, à Notre-Dame et à l’Archevêché avec un goût renouvelé du contact: «Nous organisons un Noël dans le dépouillement mais en symbiose avec nos amis algériens. Les années terribles sont derrière nous», indique Mgr Tessier, figure iconique de cette communauté.

-----Les Chrétiens redonnent ainsi un sens à Noël après des années de souffrance. Tous les Pères Blancs sont décidés à rester en Algérie, surtout que les temps s’apaisent. A la basilique, on vous montre fiévreusement une citation des Evangiles qui a valeur de message: «Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime». Amen.

-----Mounir B.

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