
Place Soult-Berg, rue d'Orléans
et rue Bisson.
Extrait de plan de 1865.
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les Béas-Fonds d'Alger
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ALGER dhier
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ALGER daujourdhui
Le quartier de la Marine
Quelques maisons subsistent encore
à la démolition, derniers témoins de ce que fut
autrefois le berceau de la ville européenne : le quartier de
la Marine qui abrita lécole des Beaux-Arts, la préfecture
et son pittoresque marché, tapi à lombre des palmiers
de la petite place Soult-Berg.
Cette place était traversée par la rue dOrléans.
A langle formé par cette dernière et limpasse
du Soleil, on pouvait voir les « Caves Sainte-Philomène
» où se donnaient rendez-vous les nouveaux débarqués
dEspagne.
On y buvait du vin dAlicante, du Jerez, du Benichama que le patron
tirait à même de petits tonneaux de chêne et quil
lui est arrivé, parfois, de servir à sa clientèle
dans des verres rincés et essuyés par... Louis Bertrand
!
Taillé en colosse, lair bourru, mais bon comme du bon pain,
Louis Bertrand professait au lycée dAlger, tout proche
de là.
Cétait lépoque du « Sang des Races
», de « Répète le bien-aimé »
et pour mieux connaître ses modèles, lillustre écrivain
prenait, à loccasion, la place du plongeur de létablissement.
Manches retroussées, lil inquisiteur, oreilles aux
aguets, tout en rinçant distraitement les verres, il observait
et notait.
Il y avait aussi, dans le quartier, une fameuse « boite »
dont la réputation, portée au delà des mers par
les navigateurs et les touristes de passage, avait fait une attraction
mondiale.
Cétaient les « Bas-Fonds dAlger ».
Un café unique au monde situé à lextrémité
dune étroite ruelle où deux hommes ne passaient
pas de front.
Dextraordinaires trophées : baïonnettes, masques à
gaz, coupe-coupe nègres, pistolets darçon, casse-tête
et que sais-je encore ? voisinaient sur les murs avec un squelette dune
allure un peu spéciale.
Des carapaces danimaux étranges, des crabes géants,
de formidables mâchoires de mérots, des tibias de chameaux,
des peaux de bêtes, des crânes, des maxillaires et toutes
sortes encore dinvraisemblables objets dotaient cet établissement
dune atmosphère étrange quéclairait
lineffable sourire du nain Coco dont Jean Launais traça
un si émouvant portrait.
Derrière le comptoir, tout encombré (cest bien le
mot) damuse-gueule et de « kémias » trônaient
les patrons de la boîte : Georgeot, Antoine le fou (qui ne létait
pas du tout), Ptit Zouave et Ptit Louis, le seul survivant
de lépoque qui puisse se vanter davoir versé
à boire à tout ce quAlger comptait de bien à
ce moment-là.
Avocats célèbres, docteurs réputés, romanciers
et romancières en vogue, belles madames, mauvais garçons
accompagnant leurs « protégées » se frayaient
péniblement un passage vers le comptoir occupé déjà
par des étudiants en goguette et des groupes faméliques
de militaires experts en lart de racler les « kémias
« en deux coups de cuillère à pot.
Bien malin aujourdhui serait celui qui pourrait situer lendroit
exact où se trouvaient lhôtel de Versailles, limprimerie
Villeneuve, la rue dHéliopolis, la fabrique de pâtes
italiennes, la rue Bisson reproduite ci-contre. A leur place sélèvent
aujourdhui dimposantes constructions qui nont plus
rien à voir avec les veilles demeures du quartier de la Marine.
- Cest autre chose, dirait mon ami lurbaniste Tony Soccard...
qui « pense » les cités de demain en contemplant,
des baies vitrées de son cabinet de travail, un des plus beaux
panoramas du monde !