La Poste au Sahara
de 1900 à 1920
d'après la correspondance du père Charles de Foucauld
(Extraits choisis par Michel Latsague).
Le Sahara est une zone désertique,
mosaïque de reliefs allant des dunes immenses, à la platitude
du sable s'étendant jusqu'à l'infini, ou à la forteresse
montagneuse percée de rares canyons vertigineux. Il est ponctué
d'oasis entre lesquelles transite une population nomade de faible densité,
dont la sédentarité se limite aux séjours dans les
pâturages, à l'exception d'agriculteurs noirs affranchis
ou d'esclaves chargés d'entretenir les palmeraies et les jardins
à l'entour des points d'eau importants.
Par tradition, la communication s'établit au hasard des rencontres
de transhumance, des croisements entre caravanes. Les nouvelles
s'échangent au campement, pendant la cérémonie du
thé ou le soir au cours de la réunion organisée par
les femmes. C'est l'occasion de faire de la musique. Un chanteur, accompagné
par l'amzad et la derbouka, raconte les amours, les faits de bravoure,
les deuils, afin de fixer l'essentiel dans les mémoires. Le targui
n'écrit pas, seuls les grands dignitaires usent de ce privilège,
à moins qu'ils n'entretiennent un secrétaire cumulant parfois
les talents du taleb et ceux du khodja. Les choses importantes de la vie
du peuple targui se décident en assemblées plénières.
Quand il est nécessaire, elles sont placées sous l'autorité
de l'Aménokal, puis chaque chef de tribu informe les siens dès
son retour parmi eux.
La correspondance écrite régulière est une habitude
des Européens. Pénétrant les régions sahariennes,
militaires en général, cantonnés dans des forts,
présence relais sur les voies traditionnelles de circulation, ils
usent du même véhicule que les autochtones, le " vaisseau
du désert ": le dromadaire. Lent, rustique, adapté
aux rigueurs excessives, il reste le seul animal à pouvoir se déplacer
longtemps, sans eau ni nourriture et supporter le terrible sirocco chargé
de sable.
L'implantation d'unités régulières, se fait à
partir du littoral, vers le sud, sur deux axes principaux. L'un part du
Sud oranais en direction de Gao sur le Niger, l'autre, des premières
oasis du Sahel vers le Hoggar, puis le Ténéré. Elle
se poursuit en tache d'huile, sur la traversière d'ouest en est,
de la Saoura au Touat, puis le Gouara, le Tademaït, le Tidikelt,
buttant au pied du Hoggar à Tamanrasset où quelques points
de passage permettent de franchir l'Ahaggar vers Agadès et au-delà.
Cette fragile toile d'araignée, semée d'obstacles, est renforcée
par le télégraphe, mais à l'usage réservé.
Les caravanes inadaptées au trafic postal, de nouveaux emplois
se créent, selon les possibilités locales, ainsi apparaissent
les rekkas, les porteurs de sacs postaux, des employés sous contrat,
des " entrepreneurs de la Poste ", à défaut, des
soldats du Makhzen. Ils sont rétribués par les bureaux arabes
de la subdivision ou l'administration de la Poste.
Selon la région, le relief, la distance, ils vont à pied,
à dos de mulet, dromadaire ou cheval, courageux, fidèles,
ponctuels, ils sont souvent cités en exemple. Attaqués,
pillés, assassinés parfois, ils trouvent auprès des
leurs, la relève, fiers du respect que les officiers leur manifestent.
Sur les distances importantes, des relais sont instaurés, le courrier
y est trié, distribué, réorienté, réexpédié,
afin de limiter les délais imposés par les déplacements
et la fragilité du système.
Les rails atteignant les premiers grands centres du sud, puis le développement
très rapide de l'automobile et de l'avion, rendent obsolètes
ces grandes missions qui perdurent pour des raisons de police, des tournées
de santé, d'instruction des tribus du Sahara. Le projet de transsaharien
" Mer-Niger " ne résiste pas à l'ensablement permanent
des itinéraires, le déplacement des dunes, l'agression du
sable sur les matériels ferroviaires, ces handicaps ont raison
du rêve pharaonique. Touggourt à l'est, Abadla à l'ouest
marquent le terminus des lignes rejoignant la côte.
Quelques dates
1902:
de Colomb-Béchar à Adrar par Béni-Abbès, deux
convois par mois, dans chaque sens. Il faut en moyenne quinze jours pour
relier ces deux centres, à raison de parcours quotidiens de 35
à 40 km. La distance de 630 km, peut évoluer en fonction
de l'insécurité liée à l'activité des
rezzou Beracher.
Vers l'est, d'Adrar à In Salah, on emprunte
la traversière multiséculaire et sur 1 800 km jusqu'à
Tamanrasset il faut soixante jours, parfois seulement quarante-quatre.
1905 : de l'extrême sud Oranais,
Béni-Ounif à El-Goléa, il faut en moyenne quinze
jours selon le découpage suivant : Béni-Ounif - Taghit,
deux jours; Taghit - BéniAbbès, deux jours; Béni-Abbès
- Timimoun, quatre jours; Timimoun - Fort Mac-Mahon, trois jours; Fort
Mac-Mahon - El Goléa, trois jours. Dans cette oasis, le courrier
destiné à Fort Miribel, In Salah et au-delà est réorienté.
D'In Salah à Adrar, par Alouef, il faut quinze jours, la Poste
remonte sur Colomb-Béchar et Oran. Tamanrasset, point d'extrême,
le plus important du Hoggar, avant la construction du Fort Motylinski
à Tarhaouhaout est à quinze jours d'In Salah, centre militaire
et administratif du Tidikelt. De là, pour rejoindre Alger, les
étapes sont les suivantes : In Salah - Fort Miribel, six jours;
Fort Miribel - El Goléa, quatre jours; El- Goléa - Ghardaïa,
sept jours; à ce point du parcours, la diligence monte à
Laghouat, puis à Djelfa, terminus du chemin de fer. En temps moyen,
Tamanrasset - Alger se fait en trente-cinq/quarante jours.
1908 : Le colonel Laperrine, ami du
révérend père de Foucauld, spécialiste du
Sahara, est conscient de la nécessité d'établir de
nouvelles relations avec les territoires français mitoyens du sud
de l'Algérie. Il s'accorde avec les responsables du Soudan pour
établir des convois réguliers qui
montent de Gao (ou Goga) sur le fleuve Niger vers Tessalit (Adrar des
Iforas) évitant la barrière montagneuse, entre Kidal et
Tin Zaouaten. Ils longent le désert du Tanezrouft pour s'arrêter
à Timiouin, aux confins du Hoggar et rencontrer celui venu d'In
Salah par Tamanrasset. Après l'échange des courriers, chaque
mission rejoint sa base de départ. De Gao à Tombouctou et
Bomako, la navette des pirogues ou le bateau à vapeur, prennent
le relais et circulent sur le Niger.
Malgré tous ces efforts, il arrive que la Poste soit bloquée
plusieurs mois, les lettres de septembre touchent leur destinataire avec
celles de Noël, en février.
Le système lunaire, hérité des Arabes est abandonné
au profit du calendrier grégorien. Ainsi le convoi quitte In Salah
pour Tamanrasset (Tamanghasset) le 14, en repart le 1er.
1919 : Le général Laperrine,
ayant suivi en France, au cours de la guerre 1914-1918, la formidable
évolution des transports automobiles et aériens, fait mécaniser
systématiquement les relations afin de réduire les délais
de transmission. Un industriel toulousain, Pierre Georges Latécoère,
reconverti en avionneur, réalise l'impensable, mettant le Capitole
à 72 heures de Casablanca. Puis longeant les côtes avant
de survoler mer et océan, il joindra Alger, Dakar, l'Amérique
du Sud, grâce à des pionniers audacieux.
Quelques notes
- Amzad : sorte de violon monocorde,
fait d'une coque ronde d'un fruit évidé, ou d'une calebasse
en bois et d'un archer de longs poils, tendus sur une branche flexible,
cintrée à la limite de la rupture. Instrument réservé
aux femmes.
- Derbouka: tambourin en peau de chèvre ou d'âne,
avec lequel on rythme les chants et les danses au cours des fêtes.
- Taleb: étudiant en écriture sainte (les sourates
du Coran et les textes de réflexion des grands philosophes arabes).
Par extension, écrivain des rues qui se met au service des autres
et se fait rétribuer à la ligne en général,
ou toute autre convention acceptée de gré à gré,
(fréquemment le troc).
- Khodja : interprète, lettré, qui cumule les fonctions
de secrétaire.
- Sokhctr : chamelier targui, guide caravanier.
- Sirocco: vent brûlant soufflant du sud. Il dessèche
tout.
- Vent de sable: vent chargé de sable éolien très
fin, qui pénètre partout, érode jusqu'au décapage
les surfaces non protégées. Dans la majorité des
cas, il oblige à l'arrêt en attendant qu'il cesse de souffler.
Sa fréquence varie d'un jour à trois jours, six jours, neufs
jours, d'après les observations météorologiques relevées.
Le dromadaire s'en protège en fermant ses narines, l'homme enroule
son chèche autour du visage, tourne le dos au vent et à
l'arrêt, respire souvent face au sol.
- Rekkas : courrier à pied.
- Méhara: dromadaires.
- Aménokal : chef militaire et religieux, élu par
le collège des nobles régnant sur le Hoggar. Quand sa santé
défaille, remplacé, il devient amarad. Avec les vieux nobles,
il siège au conseil mais n'exprime plus qu'un avis.
- Makhzen, maghzen: peloton de cavaliers supplétifs armés.
- Mokhazni, moghazni : cavalier supplétif.
- Méhariste: cavalier circulant à dromadaire et propriétaire
de sa monture. Militaire, il est armé et fait équipe avec
un compagnon de la même province que lui. Parle souvent plusieurs
dialectes. À ne pas confondre avec le Maure des tribus pillardes
et insoumises, opérant en Mauritanie, le Rio de Oro et l'extrême
sud marocain (tribus Reiguibat, Beracher... regroupées aujourd'hui
sous le vocable de saharaoui).
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