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ALGER, capitale de |a préhistoire
M. l'abbé Henri BREUIL a prononcé le discours inaugural
du II° congrès panafricain
L'Afrique du Nord est le
trait d'union entre l'Afrique noire et l'Europe
point d'aboutissement des civilisations passées a déclaré
le professeur LEAKEY
La séance inaugurale du II°
congrès panafricain de préhistoire s'est tenue hier matin
à 10 heures, dans la salle des actes de l'Université. Cette
cérémonie était placée sous le haut patronage
de MM. les Résidents de France an Maroc et à Tunis et de
M. Roger Léonard, gouverneur général de l'Algérie.
M. Roger Léonard, retenu à Paris, s'était fait représenter
par M. Rogues. secrétaire général adjoint. On reconnaissait
dans l'assistance, qui comptait quelque deux cents personnes, MM. Laquiére,
président de l'Assemblée algérienne ; Gau, recteur
; Ould Aoudia, délégué à l'Assimblée
algérienne ; Burckhardt, conseiller général ; Mgr
Pinier, évêque auxiliaire; Molbert, ingénieur
en chef de la ville d'Alger ; M. Trémeaud, préfet, d'Alger,
était représenté par M. Boyer, directeur du service
des archives de la préfecture ; M. Rols, sous-directeur des Beaux-Arts
au Gouvernement général.
M. Rogues. prenant la parole au nom du gouverneur, souhaita la bienvenue
aux congressistes et exprima la fierté d'Alger de voir se dérouler,
en ses murs, d'aussi importants travaux. Il termina en disant : "
Vos assises scientifiques nous apportent d'autres raisons de croire à
l'oeuvre humaine que nous accomplissons ici ".
PRÉHISTOIRE : CONTRIBUTION DE CHACUN
AU PROGRÈS DE L'HUMANITÉ
L'abbé Henri Breuil prononça ensuite le discours inaugural
empreint de la plus haute élévation.
" Voici quelques décades, au palais ci-devant impérial
de Pékin, je visitais l'hôtel de la Terre - de la terre de
Chine_simple plateforme circulaire en léger relief, faite de briques
émaillées de blanc, rouge, jaune, noire et bleu. Ces couleurs
symbolisent les diverses régions de ce vaste empire : le blanc
les hauts pays longuement enneigés. le rouge et le noir, les terres
fertiles de ces couleurs, le jaune, celle que couvre la grand loess et
le bleu, le littoral maritime.
Lorsque le docteur Leakley, le vrai initiateur du Congres panafricain
de préhistoire, eut l'idée d'y réunir tous les savants
passionnés des origines lointaines des races et des civilisations
de ce continent, parmi les plus compréhensifs de ses collaborateurs,
il rencontra le très regretté maréchal Joan Smuts,
séduit comme lui, à l'idée de rejoindre les représentants
des diverses races qui le peuplent. Ils élevèrent de concert,
à leur façon, cet autel à l'idéal commun dans
une recherche désintéressée, susceptible, pardessus
les divergences temporaires, d'être comme une plateforme où,
faisant abstraction de celles-ci on puisse se rencontrer, se mieux connaître,
et constater que dans le passé chacun a apporté sa contribution
à l'uvre réalisée et communier dans l'idéal
commun de recherches déjà destinées à éclairer
les origines des civilisations, humbles ou brillantes, qui s'y sont développées.
Rien n'était plus favorable à la promotion d'un esprit de
collaboration cordiale, où chacun reconnaîtrait le besoin
qu'il a des autres pour faire progresser notre science.
Cette seconde session devait se tenir au sud du continent, le point ou
la perspicacité d'un modeste fermier boer avait, èss le
temps de Boucher de Perthe, compris, de son côté, le langage
des pierres taillées.
Nous nous réjouissions tous de voir, ou de revoir, ce pays si riche
en gisements bien étudiés remontant aux origines mêmes
des types préhominiens, d'examiner ses terrasses et ses plages
soigneusement analysées, et d'admirer ses roches peintes et gravées
d'un si prodigieux intérêt. Malheureusement les circonstances
intérieures de ce pays font qu'il n'est même plus représenté
ici. ou une place d'honneur lui était réservée.
Nous regrettons aussi vivement l'absence de nos très éminents
collègues et amis d'Égypte, un autre pays dont la préhistoire
ancienne et récente a été remarquablement étudiée.
Son éveil précoce au début de l'histoire avait ouvert
aux peuples méditerranéens la voie même, matérielle
et spirituelle, où sont entrées toutes les autres civilisations.
En effet, si l'Égypte fut la mère de tous les arts, et combien
brillante, c'est elle qui, sous le fatras de ses symbolismes, a jeté
les bases de la philosophie religieuse et morale, d'où dans la
suite des âges, le judaïsme qui l'a épurée, le
christianisme qui l'a universalisée, et le mahométisme,
sont sortis et ont contribué à préparer le meilleur
de notre monde actuel occidental. Le Dieu unique, le décalogue,
la vie future ont été égyptiens avant d'être
par Moise, Jésus et Mahomet, israélites, chrétiens
ou musulmans. Espérons que par le grand effort actuel de réorganisation
de ce pays, si grand par son passé, il soit bientôt à
même de représenter parmi nous une si lointaine et glorieuse
tradition, et de collaborer à notre uvre humaine désintéressée,
éloignée de toute visée politique. Alors, sur cet
autel de la terre africaine reconstruit, pourra s'élever à
nouveau comme du brasier de l'autel chinois, la brillante flamme de nos
découvertes mises en commun.
Comme premier président de ce Congrès tenu à Nairobi
(Kenya) en 1947, il m'était permis d'exprimer ces regrets et de
formuler ces souhaits.
Cette haute compréhension du rôle pacifiquement unificateur
des esprits d'un tel congrès a été dès l'abord
compris par le gouvernement français. et nous devons à M.
le Gouverneur général d'Algérie, de tenir ici notre
seconde session, malgré les difficultés de l'heure, et de
nous avoir offert une cordiale et confortable hospitalité. que
nous expérimentons avec reconnaissance. Je suis honoré et
heureux d'avoir à la lui exprimer en votre nom à tous, en
même temps que le vu que l'uvre
conçue par le docteur Leakley, encouragée par le maréchal
Smuts, se poursuive féconde, ici et dans un prochain avenir, pour
le développement de notre science et des sympathies qui y naîtront
de notre cordiale collaboration ".
L'AFRIQUE BERCEAU DE L'HUMANITÉ
Le professeur Leakley, qui présida le congrés précédent
de Nairobi, prononça à son tour une allocution.
Il remercia. au nom des délégués étrangers,
le gouvernement français et les organisateurs qui permirent cette
réunion Internationale. Le choix d'Alger, déclara-t-il en
substance, se trouve justifié par de récentes découvertes
qui permettent de considérer le continent africain comme le berceau
de l'humanité. En outre, l'Afrique du Nord est le trait d'union
entre l'Afrique noire et l'Europe, point d'aboutissement des civilisations
passées. '
LES MANIFESTATIONS DE LA JOURNÉE
Après que l'abbé Breuil eut prononcé la phrase traditionnelle
marquant l'ouverture des travaux,
l'assistance observa une minute de silence à la mémoire
des préhistoriens morts depuis 1947. L'éloge funèbre
des disparus fut fait par l'abbé Breuil, ies professeurs Oakley
et Leakiey. Les regrettés savants étaient: miss Bate (Grande-Bretagne),
déléguée du British Museum ; les professeurs Robert
Broom (Atrique du Sud) vice-président du premier congrès
; A. Du Toit (Afrique du Sud), Président de la première
section, et Ruhlmann, inspecteur des antiquités au Maroc, et de
M. René Neuville, consul général de France à
Jerusalem.
L'assemblée entendit ensuite le rapport du professeur Balout. directeur
du laboratoire du musée
du Bardo à Alger, chargé de l'organisation du II°
Congrès. Le professeur Balout exposa les travaux qui ont présidé
à cette réunion et souligna l'aide qu'il a reçue
des services du Gouvernement général.
Puis, il souligna le détail des importants et nombreux travaux
qui vont se dérouler au cours de toute cette semaine.
Les congressistes se rendirent ensuite au nouvel hôtel de ville
où un vin d'honneur leur était offert par la municipalité.
Ce fut Me André, adjoint au maire, qui souhaita la bienvenue aux
savants. L'abbé Breuil et le professeur Leakley prirent à
nouveau la parole pour exprimer les remerciements des hôtes d'Alger.
L'après-midi M. Reygasse. directeur du Bardo. faisait aux congressistes
les honneurs du musée. Les visiteurs admirèrent les remarquables
collections, dont certaines sont absolument uniques, et purent controverser
à loisir sur les vestiges des premieres industries et réalisations
artistiques d'une humanité qui en était à ses premiers
pas.
Un lunch termina cette visite.
Quelques instants plus tard, les préhistoriens, réunis en
assemblée générale, procédèrent à
l'Université, à l'élection de leur bureau.
L'abbé Breuil, présentait dans la soirée, la première
communication du congrès consacrée aux peintures du Tassili
des Adjers.
De nombreux rapports sont prévus aujourd'hui. En particulier un
exposé du professeur Antoine (Casablanca) sur la préhistoire
marocaine.
LE RENOUVELLEMENT DU COMITÉ DIRECTEUR
L'abbé Breuil, membre de l'Institut, professeur au Collège
de France, a été réélu président aux
acclamations des membres présents.
Le docteur Leakley (Kenya), ancien secrétaire général.
a été élu vice-président, ainsi que le professeur
Van Riet Lowe (Afrique du Sud).
Le professeur Lionel Balout, directeur du laboratoire du musée
du Bardo (Algérie) a été élu secrétaire
général. Les secrétaires généraux adjoints
sont les professeurs R. Mauny (A.-O.F.) et Fogg (Nigeria)
Voici, en outre, la composition des bureaux des sections :
Premiere section (géologie, paléontologie et climatologie
générales) :
président : professeur C. Arrambouru (France) ; vice-présidents
: professeur Blanc (Italie), docteur Mortelmans (Congo belge).
Deuxième section (paléontologie humaine) :
président : docteur Vallois (France) ; vice-président :
professeur Movius (U.S.A.).
Troisième section (archéologie préhistorique) :
président : professeur Clarck (Rhodésie) ; vice-présidents
: professeur Péricot (Espagne), docteur Gobert (Tunisie).
Au cours de cette séance, le congrès a adopté de
nombreux vux parmi lesquels un vu relatif à la
protection des territoires de recherches au Maroc
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