sur site le 17-3-2003
- Abd-el-Kader, ami de la France
pnha, n°85, décembre 1997
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-----Emir paradoxal, l'Algérie d'aujourd'hui en a fait sa grande figure nationaliste lui donnant même la place que naguère, du temps de la France, nous offrions à Bugeaud.
-----Le 5 juillet 1966, l'Algérie organisera en grandes pompes le retour des cendres de l'Émir et son inhumation au carré des Héros du cimetière d'ElAlia à Alger. L'aurait-il souhaité ? Rien n'est moins sûr. Retiré à Damas où il mourut en 1883, il conservait une grande fidélité à la France et la plus totale indifférence à l'Algérie. Protégeant les chrétiens lors de l'insurrection de Damas en 1860, l'Europe le couvrira d'honneurs.
-----Napoléon III, qui rêvait de constituer un Empire arabe souhaitait y mettre l'Emir à sa tête. Ce dernier refusera. En 1870, il désavoue son fils qui a rejoint la révolte en Algérie.
-----Abd-el-Kader rêvait d'une réconciliation des trois religions monothéistes. Il la verra se développer en Algérie et l'admirera. Voici ce qu'écrit sur lui, Nasser, descendant direct du grand Émir, ami de la France après la guerre d'Indochine.
-----"Tout enfant, à Damas, je jouais avec mes frères dans une belle cour à l'intérieur du palais syrien, qu'habitait ma famille. Je me rappelle bien cette cour, pavée de marbre blanc et rose, ornée au centre d'un bassin alimenté par un jet d'eau, avec, sur les côtés des massifs de jasmin et des plantes vertes.
-----Ah ! cette cour de mon enfance, pleine de fraîcheur et de soleil, d'odeurs et de couleurs, de clameurs d'enfants et de chants d'oiseaux. Parfois essouflés de nos jeux, nous marquions une pause. C'était l'occasion de solliciter un vieux serviteur, un merveilleux vieillard doué d'une mémoire remarquable et d'un incomparable talent de conteur.
-----"Raconte-nous une histoire,Abou Léhyé ! La plus belle de tes histoires.
------je ne connais pas, disait-il, de plus belle histoire que celle de mon maître l'Emir Hadj Abd-el-Kader Ben Mahi-ed-Din, votre aïeul, mes enfants, le grand Abd-el-Kader, que j'ai eu l'honneur de servir dans ce palais, il y a bien longtemps. Vous avez d'ailleurs le témoignage de ses hauts faits d'armes dans le musée, installé dans le grand salon avec ses armes, ses selles et ses portraits.
- ----- Il venait dans cette courAbou Lehyé et tu lui racontais des histoires ?
------ Oh non ! mes agneaux, j'étais tout jeune à l'époque et avec mon père je m'occupais de ses chevaux ;les plus beaux chevaux de Syrie et donc du monde appartenaient à l'Emir. Mon meilleur souvenir de cette époque, c'est de l'avoir aidé à secourir les Chrétiens lors du grand massacre de Damas. Hadj Abd-el-Kader est intervenu alors pour les sauver, car disait-il "L'homme de bien s'honore en protégeant le faible et le malheureux, surtout s'il s'expose au danger". Nous pressions de questions le brave homme : "C'était la guerre ? ------Tu as combattu, toi aussi, Abou Léhyé ?
------ Ça s'est passé dans cette cour ?
------ Il y a eu beaucoup de morts ?"
-----En souriant,Abou Lehyé élevait ses mains en signe d'apaisement. "Du calme ! Jeunes cabris. Vous le savez, je vous l'ai déjà raconté. Votre aïeul avait été un grand chef de guerre en Algérie, l'Emir au cheval noir, le Commandeur des Croyants. Pendant dix-sept ans, il avait lutté contre l'armée française, qui était la plus puissante du monde à ce moment. Puis il avait été vaincu par le nombre. Il avait demandé l'aman aux militaires français, qui l'avaient traité avec beaucoup d'égards parce qu'il avait été un adversaire loyal. Mais les politiciens l'avaient gardé prisonnier pendant cinq années. C'est alors que le nouvel empereur des français Napoléon III, l'a libéré. El Hadj Abd-el-Kader a été reconnaissant aux Français de lui avoir rendu sa dignité d'homme libre et il est devenu leur ami. C'est alors qu'il est venu vivre à Damas.
------ Raconte-nous la guerre de Damas, puisque tu y étais.
------A l'époque, il y avait beaucoup de haine chez certains Musulmans, les Druzes, contre les Chrétiens. Dans les rues des enfants accrochaient des croix aux queues des chiens pour qu'elles traînent dans la poussière et ils insultaient les Européens. Mon maître avait plusieurs fois mis en garde les consuls des pays d'Europe contre les agissements d'Ahmed pacha, le gouverneur turc de Damas, un chien, qui a été fusillé par la suite pour sa mauvaise conduite, mais on ne l'avait pas écouté. Un jour, en plein été, on apprend qu'il y avait eu de terribles massacres dans la plaine de la Bekaa au Liban, tout près de Damas. Du coup, la folie gagne notre ville. Partout on tue, on pille, on brûle. Partout du sang et des flammes, des gens terrorisés, qui appellent au secours. L'EmirAbd-elKader était à Doummar, sa résidence d'été. Il rameute tous ses hommes, fait seller les chevaux et galope jusqu'ici. J'étais avec lui et je n'avais pas peur, parce que je savais qu'avec lui j'avais la baraka !

 

-----A peine arrivé, il convoque tous les Algériens de Damas, un millier d'hommes. Il court au Consulat de France et interpelle le consul : "Tu m'as dit que partout où flotte le drapeau français, c'est la France ?
------ Oui, lui répond le consul
- -----Alors, prends ton drapeau et plante-le sur ma maison, pour qu'elle devienne la France".
-----Il ramène chez lui tous les diplomates : de France, de Russie, d'Autriche, de Grèce. Il envoie deux de ses fils, Mohammed et Hachemi, avec des cavaliers pour sauver les Chrétiens et disperser les égorgeurs à coups de crosses et de plats de sabre. Ces Algériens étaient des guerriers, les voyous fuyaient à leur vue.
-----J'ai accompagné l'Emir quand il a été, luimême, chercher les communautés religieuses : les prêtres, les moines, les religieuses et les enfants des écoles chrétiennes. Tout le monde venait ici, il y en avait partout.
-----Dans cette cour aussi,Abou Léhyé ?
-----Bien sûr, dans cette cour il y avait des soeurs avec des petites filles. Dans tout le palais, on organisait des cuisines, des dortoirs, des infirmeries.
-----L'Emir était toujours debout et actif. Il a obligé Ahmed pacha à ouvrir sa citadelle parce qu'à un moment on était trop nombreux ici. Il a sauvé quinze mille vies humaines, il en a hébergé et nourri quatre mille dans ce palais. Accompagné de ses fils, il s'asseyait devant la grande porte et payait cinquante piastres pour chaque Chrétien qu'on lui amenait et c'était son propre argent qu'il donnait. Chaque fois qu'il passait dans cette cour, tout le monde se précipitait pour lui baiser les mains, toucher son burnous. On le bénissait et on pleurait, mais alors c'était de joie et de reconnaissance. Lui, toujours souriant, montrait le ciel et le drapeau, qui flottait au vent et disait : -----"C'est Allah qui vous guide et c'est la France qui vous protège". Mais les gens répliquaient "Oui, Seigneur ! mais c'est toi, qui nous sauves". Plus tard, le calme est revenu. Les soldats turcs sont venus mettre de l'ordre et les Chrétiens sont repartis dans leurs maisons, ou du moins dans ce qu'il en restait. Personne n'a jamais oublié la noble conduite de votre aïeul. Tous les pays d'Europe lui ont adressé des messages de félicitations et des décorations, des poèmes et des cadeaux. L'empereur des Français lui a fait apporter une belle croix d'honneur avec un grand ruban de soie rouge.
-----Plus tard, quand il recevait des gens qui disaient du mal de la France, parce qu'elle avait perdu la guerre contre la Prusse, l'Emir Abd-el-Kader sortait quelques minutes puis il revenait avec sa belle écharpe sur son burnous et les gens se taisaient, conscients d'avoir été insolents et blessants.
-----Voilà, jeunes poulains, la belle histoire de votre arrière-grand-père. Allez jouer maintenant, mais rappelez-vous toujours ce magnifique exemple de courage, de fidélité et d'honneur".

-----Avec mes frères, nous avons retenu la leçon d'Abou Lehyé. Nous avons choisi de devenir fils de France à un moment difficile. Six descendants d'Abd-el-Kader, après avoir été élèves du Prytanée Militaire sont passés : quatre par Saint-Cyr, un par l'école de l'Air, un par Centrale de Lyon. L'un de nous, Ali, est tombé au combat en Indochine le 15 mars 1949, pour la France et pour maintenir l'honneur chevaleresque des Abd-el-Kader".

Nasser Abd-el-Kader