------Le Doyen René
Bourgeon nous a quittés le 4 novembre 1996. Chacun ici l'a connu
et en garde un vivant souvenir, souvenir au moins de ces dernières
années...
------Je dois d'être ici devant vous
à l'affection de Marie Laure et d'André Bourgeon. Etudiant
anonyme de 1è année de Médecine en 1950 à
Alger, la providence m'a placé sur la route du professeur Bourgeon
et celui-ci m'a accordé le privilège d'un parrainage dont
la sollicitude ne s'est jamais démentie. Près de cinquante
années ont passé. Vous comprendrez mon émotion et
je vous demande de me la pardonner.
------René Bourgeon est né
le 23 Août 1912, à Saint Arnaud, gros village agricole du
Constantinois proche de Sétif. Il doit à 11 ans quitter
le foyer familial pour poursuivre ses études comme interne au lycée
de Constantine puis à la Faculté
de Médecine d'Alger. Les succès universitaires
s'enchaînent sans heurt. Nommé à l'Internat des Hôpitaux
en 1933, René Bourgeon opte pour la chirurgie et commence sa formation
auprès de Maîtres dont les principaux resteront les Professeurs
Costantini et René-Marcel de Ribet.
La défense du
Pays
------En 1937, il est appelé
à accomplir ses obligations militaires. Il est encore sous les
drapeaux au moment de la déclaration de guerre de 1939 et se retrouve
affecté à la défense de la ligne Mareth en Tunisie
jusqu'à la démobilisation à l'automne 1940. Après
un bref retour à la vie civile, il est rappelé comme officier
de réserve du service de Santé et versé dans le Corps
Expéditionnaire qui va constituer le fer de lance de la première
armée française. Il se distingue au cours des campagnes
d'Italie, puis de France par son dévouement aux blessés
auxquels il consacre une impressionnante compétence servie par
une résistance, un courage et une générosité
qui font l'admiration de tous. Plus tard il sera en mesure de présenter
à l'Académie de Chirurgie son expérience personnelle
de 152 plaies abdominales de guerre opérées.
------Quand le Médecin-Capitaine René
Bourgeon est démobilisé, en 1946, porteur de la Croix de
la Légion d'Honneur, de la Croix de Guerre avec quatre citations
et de la Bronze Star Medal, il rejoint à Alger la famille qu'il
avait fondée pendant l'Armistice. Son épouse, Simone Vidal
lui a donné deux enfants, Marie Laure et André. René
Bourgeon retrouve la vie professionnelle civile avec la dure expérience
que lui a procurée la guerre, et le retard dans sa carrière,
par rapport à d'autres plus chanceux, que lui a imposé son
devoir militaire. C'est avec l'enthousiasme d'un jeune étudiant
qu'il reprend la préparation des concours hospitaliers et universitaires
encouragé par ses maîtres qui ont reconnu en lui un être
d'exception. Dans la même année 1949, il est nommé
à la fois à l'Agrégation d'Anatomie et au Chirurgicat
des Hôpitaux. L' année suivante, il prend la direction de
son premier service hospitalier à l'Hôpital Parnet Hussein-Dey.
------Sa réputation de diagnostiticien
et d'opérateur aussi efficace que brillant se répand rapidement
à Alger et au-delà. De plus en plus sollicité, il
fait face, avec une souriante gentillesse, à toutes les demandes
dont il est l'objet, réunissant, toujours sans effort apparent,
à concilier l'enseignement à des étudiants qu'il
séduit par sa simplicité, sa disponibilité et son
allant, la direction d'une équipe hospitalière composée
pour l'essentiel d'anciens compagnons d'armes dont le dévouement
amical procède d'une admiration sans limite pour leur jeune patron,
le travail quotidien de recherche au
Laboratoire d'Anatomie et le développement d'une clientèle
qui sera bientôt la première d'Algérie.
Nouvelles techniques
chirurgicales
------En 1951, il organise
à Alger avec son Maître Costantini le premier Congrès
Mondial du Kyste Hydatique qui connaîtra un grand retentissement
international. Parallèlement, il développe ses propres recherches
sur la pathologie du foie et des veines du système hépatique.
Pionnier de nouvelles techniques chirurgicales comme l'anastomose porto-cave,
il sera ainsi l'un des tout premiers chirurgiens dans le monde à
réaliser une hépatectomie réglée, c'est-à-dire
une amputation partielle du foie.
------Très rapidement, il est nommé
Professeur Titulaire de la Chaire d'Anatomie et de Chirurgie Expérimentale.
Peu après, il rejoint l'Hôpital de Mustapha pour prendre
la tête du service installé dans le Pavillon Lisfranc. A
la fin des années 50, il devient Professeur de Clinique Chirurgicale.
Mais l'histoire le rattrape : la violence qui s'installe en Algérie
le confronte à nouveau à la chirurgie de guerre. De plus
en plus engagé dans une résistance à un impensable
abandon, il accepte en 1961, la présidence du Conseil Départemental
de l'Ordre des Médecins, fonction dans laquelle il sera mieux à
même de contribuer à la défense de ses confrères
algérois et de ses collègues de l'Université d'Alger.
Une Université
à Nice
------Lorsqu'en 1962, il
devient évident qu'il faut partir, René Bourgeon, qui a
été rattaché par le Ministère de l'Education
Nationale à l'Ecole de Médecine de Poitiers, puis à
la Faculté de Médecine de Marseille, choisit d'installer
sa famille à Nice et d'ouvrir un cabinet de chirurgie dans cette
ville.
----- Au prix d'incessantes navettes entre
Nice, Marseille et Paris où il occupe pendant de longs mois les
fonctions de Conseiller Technique auprès du ministre des Rapatriés,
il forme l'ambitieux projet de créer à Nice, une Ecole de
Médecine.
----- Les intentions ministérielles
à ce sujet s'étaient heurtées jusqu'alors à
des conflits d'intérêts qui en avaient toujours empêché
la réalisation. Sa réussite est la condition que met René
Bourgeon à poursuivre une carrière hospitalière et
universitaire qu'il n'a pas souhaité situer à Marseille.
Et pour le cas où il n'atteindrait pas son but, il met également
en chantier la construction d'une clinique chirurgicale moderne qui, à
l'époque, fait défaut à Nice : il réussira
bien l'une des deux, dit-il alors à ses proches.
----- A la rentrée universitaire de
1967, l'Ecole de Médecine est solennellement ouverte. La même
année, la Clinique Chirurgicale Saint Georges est inaugurée.
----- René Bourgeon a gagné
ses deux paris. Naturellement, il opte pour l'Université. Elu premier
Doyen de cette jeune Ecole, il en obtient rapidement la transformation
en Faculté de plein exercice et, en 1969, parvient à l'installer
dans des murs dont il a conçu les plans et obtenu au prix d'énormes
efforts, la construction, à proximité de l'Hôpital
Pasteur.
----- Son service hospitalier lui a permis
de reprendre ses travaux de recherche et de regrouper autour de lui des
élèves. Si aujourd'hui deux équipes niçoises
réalisent des greffes de foie, elles sont toutes deux issues de
son service. L'une d'elles est dirigée par son fils, le Professeur
André Bourgeon.
-----Dix ans à peine ont passé
depuis l'inauguration des locaux de la Faculté de Médecine
de Nice lorsque René Bourgeon, atteint par la limite d'âge,
doit prendre une retraite que beaucoup appréhendent pour lui. Mais
une fois de plus, chacun sera admiratif devant la sérénité
avec laquelle il pose son bistouri et cesse, définitivement, d'opérer.
Il renonce, toujours sans effort apparent, à ce qui a été
l'intérêt de toute sa vie.
L'Algérianisme
----- Son dynamisme, pourtant,
est intact. Ses convictions, toujours aussi fortes. Il les met au service
de la défense et de l'illustration de la culture française
en Algérie. Il préside ainsi le Cercle Algérianiste
de Nice, organise des rencontres, choisit et recrute des conférenciers.
Il s'engage dans la création de documents audio-visuels, notamment
sur les Harkis et leur famille, ces oubliés de l'histoire, - mais
aussi sur l'Espace Méditerranéen Occidental, dont il s'attache
à illustrer les spécifcités en dépit et à
cause de l'indifférence à laquelle nous ont habitués
nos compatriotes métropolitains.
----- Lorsqu'en novembre 1994, René
Bourgeon organise à Nice le Congrès National des Cercles
Algérianistes, il a pensé à tout, a tout prévu
et tout supervisé. Son entourage confie qu'il a fallu constituer
deux équipes, l'une du matin, l'autre de l'après-midi, pour
pouvoir le suivre au long de ses journées toujours aussi longues
: il continue d'épuiser ses collaborateurs. Mais 1995 sera l'année
terrible. Après le décès subit de son gendre, le
Docteur Hugues Isman en juillet, c'est la santé de son épouse
qui s'altère très gravement. -----
Au terme d'un long et courageux combat, Simone Bourgeon s'éteint
en novembre 1995.
Pour la première fois René Bourgeon est comme foudroyé.
La maladie le ronge et un an seulement après son épouse
il disparaît à son tour. Non sans avoir tenu à prendre
congé en adressant à chacun un signe personnel affectueux.
----- Au terme de cet hommage trop solennel,
il reste à évoquer l'extraordinaire rayonnement de cet homme,
plus apte que quiconque à donner aux événements leur
signification la plus large et la plus profonde. Homme généreux,
toujours soucieux de l'autre, obtenant tout sans jamais rien exiger, tenace
jusqu'à l'opiniâtreté, courageux jusqu'à l'héroïsme,
souriant dans l'effort le plus difficile, n'élevant jamais la voix
et pourtant toujours écouté et obéi. L'exil niçois
lui a été une occasion de plus de montrer que le succès
récompense l'audace et le mérite.
----- Et comment ne pas évoquer enfin
sa réussite familiale fondée sur la beauté, le charme
et la vigilante efficacité de Simone Bourgeon, toujours présente
aux côtés de son mari dans les bons comme dans les mauvais
moments, dans les drames aussi qui n'ont pas manqué, toujours soucieuse
de faire fonctionner une logistique exigeante, et y parvenant toujours
dans la perfection. Sa famille a toujours été au centre
des préoccupations de René Bourgeon, même lorsqu'il
pouvait paraître le plus sollicité par son métier
ou par les événements extérieurs les plus contraignants.
----- Tous ceux qui ont eu le privilège
de voir vivre cet homme, comblé de tant de dons, ne peuvent que
lui être reconnaissants de nous avoir donné son exemple.
Bien audelà des motifs concrets de gratitude qui nous animent naturellement
à l'égard des Maîtres qui nous ont formés ou
des médecins qui nous ont guéris : cet homme si simple,
dont le sourire savait si bien nous faire oublier la supériorité,
cet homme était un grand seigneur.
Professeur J-C
Scotto
|