ASSUS
Salomon
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A S S U S Assus n'est plus. Cette nouvelle ira au cur de tous ceux qui l'ont connu. Combien sera regretté cet artiste qui vécut dans une humilité volontaire et, discrètement, avec un air de s'excuser, caricatura les uns et les autres. C'était un petit homme, toujours coiffé d'un chapeau mou, toujours enveloppé d'une pèlerine sous laquelle se dissimulait quelque grand carton à dessin. Il semblait retiré derrière ses sourcils épais et cette barbe qui envahissait, dévorait son visage. Il fallait franchir cette broussaille pour arriver, derrière les lunettes où son regard se glaçait un peu, jusqu'à ses yeux d'un gris bleu, si doux, si bons, éclairés souvent d'une lueur malicieuse, et inoubliable pour qui en avait reçu la généreuse lumière. Assus aurait pu laisser seulement le souvenir d'un artiste habile à saisir l'expression d'un visage, la vérité d'une attitude. A cette renommée qui eut, certes, servi à léguer son nom à l'avenir, il ajouta la réputation de l'homme de cur. Et il est difficile de ne point parler de cette bonté en analysant une uvre qui la reflète comme le plus fidèle des miroirs. Nous n'avons plus de moralistes. Où sont les Molière, les La Bruyère,les La Rochefoucauld, les Saint-Simon ? Sans doute, est-ce parce qu'elle s'en tient à une observation à fleur d'âme que notre littérature nous apparaît aussi superficielle. Les grandes uvres où, en marquant une époque, l'écrivain atteint le fond même de l'humanité, sont de plus en plus rares. N.B : CTRL + molette souris = page plus ou moins grande TEXTE COMPLET SOUS L'IMAGE. |
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A S S U S Assus n'est plus. Cette nouvelle ira au cur de tous ceux qui l'ont connu. Combien sera regretté cet artiste qui vécut dans une humilité volontaire et, discrètement, avec un air de s'excuser, caricatura les uns et les autres. C'était un petit homme, toujours coiffé d'un chapeau mou, toujours enveloppé d'une pèlerine sous laquelle se dissimulait quelque grand carton à dessin. Il semblait retiré derrière ses sourcils épais et cette barbe qui envahissait, dévorait son visage. Il fallait franchir cette broussaille pour arriver, derrière les lunettes où son regard se glaçait un peu, jusqu'à ses yeux d'un gris bleu, si doux, si bons, éclairés souvent d'une lueur malicieuse, et inoubliable pour qui en avait reçu la généreuse lumière. Assus aurait pu laisser seulement le souvenir d'un artiste habile à saisir l'expression d'un visage, la vérité d'une attitude. A cette renommée qui eut, certes, servi à léguer son nom à l'avenir, il ajouta la réputation de l'homme de cur. Et il est difficile de ne point parler de cette bonté en analysant une uvre qui la reflète comme le plus fidèle des miroirs. Nous n'avons plus de moralistes. Où sont les Molière, les La Bruyère,les La Rochefoucauld, les Saint-Simon ? Sans doute, est-ce parce qu'elle s'en tient à une observation à fleur d'âme que notre littérature nous apparaît aussi superficielle. Les grandes uvres où, en marquant une époque, l'écrivain atteint le fond même de l'humanité, sont de plus en plus rares. Pour un Abel Hermant, pour un Henri Barbusse, que de pseudo-romans de murs, que de prétendues études de caractères ! Le théâtre lui-même cette grande chaire des moralistes ! n'est que prétexte à pantalonnades. Je pense avec étonnement que pour avoir une idée assez exacte de notre temps et dee ses travers, c'est à l'album du caricaturiste qu'il faudra plus tard avoir recours.. La caricature... et M. Henry Bérenger, voilà la suprême défense de nos murs ! Quel document saisissant seront, dans deux ou trois siècles, un Forain, un Léandre, un Veber, un Guillaume. Castigant ridendoa mores... Ils critiquent en riant. Mais peu d'entre eux échappent à la tentation de pousser cee rire jusqu'au ricanement, jusqu'au sarcasme. On a pu dire - et Rémy de Gourmont le pensait - que les caricatures d'un Bouveyre sont de mauvaises actions. Forain, à l'esprit redoutable,souvent cynique, fait, par endroits, penser à Mirbeau. Huart nous a donné sur la province des pages incisives où se retrouve la verve amère de Balzac et de Maupassant. Les maintes légendes dont ces artistes soulignent leurs observations qont la forte substance et la vérité des maximes les plus célèbres. Mais, comme dit Musset... Mais il pend bonjours quelques gouttes de sang. Quelle aura été la signification de l'uvre qui nous occupe à une époque ou le porte-fusain cache des lames de bistouri. Assus répugnait à ces sortes d'opérations. Il fut un caricaturiste humain. Ce bon artiste me fit part souvent, de ses tribulations passées. Le journal le mandait aux grands soirs des luttes algériennes. On avait recours à lui comme à un magicien qui détient une arme dangereuse. Et on souhaitait secrètement, devant le fusain innocent, la lame cruelle et profonde. En vain, et lorsque le brave Assus reparaissait, sa planche sous le bras, on constatait, un peu déçu sans doute, que ce nain des bonnes légendes s'était contenté de transformer en bilboquet le personnage visé, de mettre une grosse tète sur un petit corps. Toute sa malice consistait en ceci : tirer des oreilles, allonger des nez ? Pour qui savait voir, c'était. déjà une assez pénible correction... Je souhaite qu'une main pieuse réunisse plus tard ces pages. Elles marquent un moment de notre petite histoire. On ne saurait les revoir sans évoquer toute une période mouvementée, fertile en incidents héroï-comiques, en anecdotes parfois sanglantes, de la vie algérienne. Elles illustrent nos dossiers, Ce sont de rares et précieux documents. Mais la politique n'attirait pas beaucoup cet artiste. C'est malgré lui qu'elle le mêlait à des luttees au milieu desquelles il se sentait dépaysé, sans goût pour une action dont sa bonté aurait eu à souffrir. Le véritable Assus, il faut le rechercher dans ces menus croquis relevés d'une légère couleur où il a saisi d'un trait prompt les singularités de la rue. Suivez le chez le barbier maure, à l'école arabe, dans la boutique mozabite, suivez-le dans cette kasbah où il croque si drôlement un donneur de sérénades, un ânier poussant de la trique et du poing ses ânes. Suivez-le au bain, chez le cafetier, dans la cour mauresque où se joue une haletante partie de dames. Assus n'a point hésité davantage devant le seuil patriarcal de ses ancêtres. Voici le vieux juif enturbanné, la lourde juive en serre-tête, en robe brochée d'or, en babouches. Il excelle dans l'évocation de ces ruelles turques, nids d'araignées et de cafards, et son crayon prestigieux sait entre-bailler la lourde porte sur une vieille au cou de tortue ou faire apparaître derrière le croissant doré d'un grillage, entre le pot de basilic et les cornes de bélier, le visage inconnu et mystérieux Là, est la véritable originalité de cetl artiste. Il lui suffi là d'un banc sur une de nos places pour nous offrir les types pittoresques d'Alger. Il assoit, le pécheur napolitain aux boucles d'oreilles à côté du voyou de la Marine en casquette et en maillot rayé, le tondeur de chien à la peau de cuivre et aux luisantes rouflaquettes à côté du juif en turban et la vieille au cabas bariolé auprès du bleu tirailleur. Il sait jeter, comme à pleines poignées, sur le bord d'un trottoir les biskris tapageurs, les cireurs tumultueux qui poursuivent, la brosse levée, les étrangers déconcertés. Ceux-ci n'ont point été omis, de la miss, sèche comme hareng, au herr professor à lunettes. Ces croquis enlevés d'une plume alerte, dénotent une observation approfondie, révèlent une patiente étude où le sens comique n'est jamais forcé, mais où perce une malicieuse el souriante bonhommie. Assus a mené sans pose et sans tapage une vie simple et belle, loin des tréteaux où d'autres se hissent avec une si impudente et si risible naïveté. Il fut un passant désireux de n'être point remarqué, dans celle ville qu'il aima et qui ne nous parait pas le lui avoir suffisamment rendu. Il laisse un fils dont il a guidé les premiers pss et qui a, d'une éclatante aurore, ébloui sa vieillesse heureuse. Et, sans doute, aux minutes suprêmes, fut-il consolé à la pensée que son nom serait perpétué et, porté plus haut encore, à une cime inespérée. |
-----Salomon
ASSUS est né le 31 Août 1850 à Alger dans l'ancien
"quartier de la Marine", rue Navarin. Premiers coups de crayon -----En 1868, Salomon
Assus, à dix-huit ans, fait paraître. en collaboration, un
album intitulé : "Coups de crayon et coups de plume"
charges et biographies des célébrités du moment. Scènes et types -----Là,
Salomon Assus fut en quelque sorte le témoin de son temps, aussi
bien par les personnalités qu'il dessina que par les scènes
de rue qu'il décrivit avec humour et vérité. II fit
en particulier un portrait de Salomon Zennati, célèbre rabbin
vénéré au XIXè siècle qui aurait porté
une lettre de l'Emir Abd-el-Kader au roi Louis-Philippe en 1839. Un fin lettré -----Salomon Assus
parlait couramment plusieurs langues, l'arabe, l'anglais, l'espagnol,... Docteur André
Assus |
Il existe le PDF avec les illustrations -600 ko - de l'article ci-après. Cliquer sur la petite image pour le visionner : | |
SALOMON ASSUS : TEMOIN
DE SON TEMPS S'il y a une époque qui fut prolifique en artistes
et caricaturistes, ce fut bien la fin du XIXe siècle et le tout
début du )0(e siècle. L'Algérie fut, à cette
époque, le lieu de ralliement de nombreux artistes en quête
d'un Orient rêvé et lointain. Il y en a un qui, par la qualité
et l'abondance de ses dessins domina cet aéropage. Le portrait
humoristique, la caricature, loin d'être un art mineur, exigent
un sens aigu de l'observation, l'aptitude à brosser un dessin rapide
mais ressemblant. Salomon Assus alliait à cette aptitude un humour,
une sensibilité, une humanité et une richesse de pensée
sans pareille. Le dessinateur talentueux
Claude BARNIER Bibliographie |