BROUTY Charles...
ou la permanence du dessin

par Louis-Eugène Angéli
Revue "Algeria", n°31, printemps 1953, revue bimestrielle, édition de L'OFALAC, 40-42 rue d'Isly, Alger
Publicité "TAM-Publicité, 55 rue d'Isly

sur site le 13-11-2004...+ juin 2017

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-----------Depuis la disparition prématurée de Jean Launois, tous nos regards, nos espoirs, se sont portés sur Charles Brouty qui, de caricaturiste, est devenu un grand dessinateur, celui que toute époque exige en l'attendant.

-----------Brouty qui avait fait ses premières études à l'École des Beaux-arts de Nîmes, vint après la guerre 1914-1918 en Algérie avec le régiment de tirailleurs que commandait son père, le Chef de bataillon Brouty, et y fut démobilisé. Il ne devait plus en repartir. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. C'est qu'il trouvait dans notre pays un monde nouveau qui comblait sa jeune curiosité d'artiste. Il eut, sans trop tarder, deux amitiés électives que lui offrirent les pensionnaires de la villa Abd-el-Tif à cette époque : un Jean Launois, dont il ne devait plus se séparer, un Étienne Bouchaud. Les randonnées de ces trois mousquetaires de la peinture - et il n'y manquait point le quatrième - tant à Marseille, rue de Boutry, qu'à la Casbah d'Alger, marquaient les préférences que partageait un Toulouse-Lautrec. Le quatrième, à ses heures, fut le grand Pascin, dont, aujourd'hui encore, Brouty reconnaît qu'il fut son unique maître.

-----------On a célébré, en 1950, le vingtième anniversaire de la mort volontairement tragique - Pascin s'est suicidé dans son atelier à Paris, à l'âge de 45 ans - de Julius Pincas, dit Pascin, d'origine espagnole lointaine, dont la famille émigra vers la France, la Hollande, la Bulgarie et la Roumanie. Ce persécuté portait une lourde hérédité juive orientale avec ses rêves, son goût du néant et de la mort, son amour de la beauté morbide des choses et des êtres. De 1905 à 1930, il fut un familier sympathique des bars de Montparnasse, de Montmartre et des bords de la la Marne. Pascin, que tout le monde pittoresque de l'aube aimait, savait embellir la misère des hommes et surtout celle des femmes. Son oeuvre est connue et à l'importance de celle d'un Modigliani.

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Voilà un des secrets dévoilé de l'art de Charles
Brouty. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Qu'il ait regardé du côté de Toulouse- Lautrec, de Degas comme les modèles de ses affinités foncières, de Raoul Dufy pour l'esprit aigu du graphisme moderne, l'aventure de Brouty a été modelée par Pascin.

-----------Brouty fait ses premières armes dans le journalisme, c'est-à-dire qu'il fournit des dessins humoristiques, scènes de la rue, figures politiques à l'ancien quotidien du soir l'Algérie, que dirige le sénateur Jacques Duroux. C'est là que je l'ai connu, grand garçon aux yeux verts, à l'accent provençal qu'il n'a jamais complètement perdu. Nous sommes en 1924. Il signe " Vlan " ses pochades combative qui se répandent partout car Brouty est l'homme de la rue.

-----------Il est déjà fort connu à Alger, des " bistrots du port à la rue Kataroudjil, au faîte de la Casbah en passant par l'ancien quartier de la marine. Pour tous ceux que ces lieux hantaient, il était le guide bien accueilli partout et continue de l'être.

-----------Ses croquis du folklore algérien s'amoncelaient. Après les Assus, Drack-Oub, Herzig, i devient l'illustrateur spécialisé de la littérature algérienne. C'est Lucienne Favre qui lui demande sa collaboration pour " Tout l'inconnu de la Casbah d'Alger ", Robert Randau, pour " Professeur Martin ", René Janon, pour " Hommes de peine et filles de joie ", Edmond Brua, pour ses " Fables bônoises ", Paul Achard, pour " Salaouètches " qui ressuscite l'Alger populaire de 1900, alors que Cagayous, adolescent, remplissait le faubourg Bab-el-Oued de ses hauts faits. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Et si Brouty, trop jeune, n'avait pu connaître les types de cette époque lointaine, il en avait assez observé les descendants,
pas tellement différents, pour pouvoir les faire renaître dans toute leur truculence et leur fantaisie.

-----------Ses collaborations à la presse politique ou satirique ne se comptent plus. Son crayon, sa plume soulignaient la verve de nos plus ardents polémistes, les Auguste Beuscher, Charles Hagel, Alfred Klepping. Il fut l'hôte assidu du Salon des humoristes pendant plusieurs années.

-----------Mais, entre temps, le dessinateur qui s'était tant humanisé, avait été gagné par la couleur - la peinture à l'eau seulement - celle qui, par sa fluidité, allait laisser à son trait toute sa spontanéité. Depuis trente ans, que d'expositions de Brouty n'aurons-nous pas vues ! Elles révélaient, au fur et à mesure, l'évolution en profondeur de son talent. Et quelle surprise, au début, d'un Brouty délicat et sensible devant la nature, raffiné dans ses couleurs... S'il se refusait à l'huile, contraire à son tempérament, la gouache et l'aquarelle suffirent à son émotion pour constituer une œuvre peinte égale aux meilleures.

-----------En 1925, il se rendit en Italie et ses études colorées du Piémont, de Venise faisaient bien augurer de l'avenir. Il obtint en 1933 la Bourse de la Casa Velasquez et l'Espagne, si bien pressentie dans nos faubourgs, se révèle à lui dans la grandeur de son multiple visage.

-----------En 1927, Brouty n'avait pas craint d'exposer, salle du Crédit municipal, les notations de ses visites dans les mauvais lieux. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Certains esprits chagrins s'en étaient offusqués n'ayant vu qu'obscénités " que l'art se dégrade à vouloir reproduire ". Je retrouve la juste défense prise par mon éminent prédécesseur et regretté ami G.S. Mercier, dans l' " Écho d'Alger " et qui situe déjà l'art de Brouty tel que nous l'admirons aujourd'hui.
" Il faut avoir l'esprit bien enclin au mal, écrivait-il, pour
garder avec des yeux salaces tristes échantillons d'êtres que Brouty a dessinés d'un crayon pitoyable de réalisme et de vérité.C'est la débauche sous sa forme la plus affligeante ; c'est la femme tombée au dernier degré de la déchéance ! Et c'est par là que les dessins et pastels de M. Brouty touchent à la plus navrante humanité. Ah ! certes, ils découvrent un monde que la morale méprise et relègue aux bas-fonds de la société mais où toutes les plus noires tristesses, les plus fausses joies, les tares les plus dégradantes se sont réfugiées. Rouault peint sous les couleurs les plus sombres ce monde damné. M. Brouty, moins sinistre, satirise, mais sans amertume ni mépris, et son crayon, quoique cruel, se fait indulgent pour décrire ces dames et les messieurs de ces dames. Il trouve dans le type du souteneur et de la fille arabes, des modèles d'un caractère qui ne se rencontre qu'ici. Il les peint d'une couleur plutôt triste mais où éclate cependant la note joyeuse du paillon qui scintille, du foulard de couleur qui brille dans l'ombre et certains détails nous font sourire, car dans le monstrueux, il y a parfois un comique tragique. "


-----------En se libérant de certaines influences, le dessin de Brouty acquérait, d'année en année, une originalité toujours plus personnelle. L'artiste déplaçait sans cesse son objectif pour passer des bas-fonds vers l'innombrable armée roulante des clochards algérois, si totalement différents de ceux de Paris, de nos romanichels, les gitanos, diseurs de bonne aventure, rempailleurs de chaises, tondeurs de chiens, évoqués toujours avec un réalisme sans le moindre romantisme et une puissance extraordinaire.

-----------Nous sommes en 1929. Son projet de timbre pour le Centenaire de l'Algérie est adopté et Brouty ne tardera plus à recevoir le Grand prix artistique de l'Algérie qui, en 1934, consacre officiellement sont talent. Il avait, entre temps, obtenu la Médaille d'Or des peintres orientalistes français.

-----------Décorateur ingénieux et inventif, Brouty décore le Café maure du Pavillon de l'Algérie à l'Exposition coloniale en 1931, présente les vitrines de l'OFALAC, avenue de l'Opéra à Paris, pendant l'Exposition de 1937, et décore les Pavillons de l'Algérie à la Foire de Bruxelles de 1937 et de l'OFALAC à la Foire-Exposition d'Alger en 1938.

-----------Avec les années qui passent le talent de Brouty prend un accent de plus en plus humain. Certes, il n'ignore plus rien d'un métier dont il sait tirer tous les effets possibles, mais la maturité le fait constamment gagner en profondeur.

-----------Cet aspect de vérité et de sincérité qui, dès le début, avait frappé, nous ne le trouvons pas que dans ses figures ; il éclate dans ses gouaches, dans ses dessins aquarellés clairs, lumineux, pleins de vie. Cette vie bouillonne intense dans les dessins tracés d'une main rapide et que quelques touches de couleur font plus vibrants que des peintures achevées. C'est l'instant pris sur le vif et qu'on ne peut retoucher.

-----------Depuis quelques années, l'artiste voue à l'enfant une tendresse particulière. Son trait s'affinant et devenu plus sensible, en exprime le charme sans apprêt, l'étrangeté du type. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Ce sont les visages d'enfants gitans, malingres et chétifs et pourtant résistants et nerveux comme des petits félins ; des fillettes et garçons kabyles, rieurs ou graves, précocement mûris ; du poulbot algérois que représente le petit cireur des places et des cafés. C'est par centaines que les dessins de Brouty se sont répandus chez les collectionneurs, les musées, les particuliers.
-----------On en compte à la Résidence générale du Maroc, au musée d'Alger, à Tunis. Il expose à Paris, Tunis, le Caire, Rabat.

-----------Un nouvel album d'une sélection de ses récents dessins, édité par " Rivages ", intitulé " Un certain Alger ", vient d'être publié avec une spirituelle et sensible préface d'Emmanuel Roblès.

-----------Brouty est resté pur de tout conformisme. Aucun des courants nouveaux du XX" siècle - de sa première moitié - ne l'auront influencé. Il demeure un " dessinateur " qu'il faut rattacher aux maîtres de la fin du XIX' siècle en remontant à Daumier, génie romantique, Constantin Guys, dont la sensualité renforce les courbes, Degas qui procède d'Ingres et trouve la puissance d'un Rubens pour tordre la chair du corps féminin, Toulouse-Lautrec, érotique avec grandeur, dont le trait est un coup de fouet.

-----------Pascin lui a fait concilier l'héritage de ces maîtres et la nouveauté que nous apportaient, au début de ce siècle, les dessins de Bonnard, Matisse, Marquet, Segonzac que le jeune artiste ne pouvait ignorer. Mais c'est dans le choix des sujets qui l'inspire, la curiosité du spectacle de la rue, le comportement dans la vie, que Brouty s'identifie à son génial aîné. Rien de ce qui est humain ne lui est étranger. Si son réalisme se teinte d'humour c'est pour voiler la tendre piété que lui inspire la classe déshéritée de la société. Cette prédilection s'est transformée en lui en une forme d'amour, de toutes les amours...

Louis-Eugène ANGELI.

 
Gitanes d'Alger
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la plage
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la balseta
la balseta (site : ou la "bassetta"?)
jeune femme arabe dans un intérieur
jeune femme arabe dans un intérieur