On ne peut trouver d'Algérien
plus algérien que notre confrère Emile Renaudin, secrétaire
de la direction du Journal de la Marine marchande. Il est né
à Maison-Carrée, le 6 décembre 1881, de parents
nés eux-mêmes à Alger. Des circonstances fortuites
avaient conduit ses grands parents sur le sol algérien. Son
grand-père paternel y avait été déporté
par l'Empire ; son grand-père maternel, officier de zouaves,
était venu tenir garnison à Alger, après la
campagne d'Italie. C'était le père d'Etienne Baï-lac,
fondateur de l'Echo d'Alger, dont Emile Renaudin est le neveu. Les
premières familles algériennes avaient à honneur
de faire souche et celles des Renaudin et des Baïlac ne comptaient
pas moins de dix enfants chacune ce qui explique le léger
écart d'âge entre l'oncle et le neveu.
Comme nous demandons à notre confrère des détails
sur sa longue carrière journalistique, il nous répond
:
« J'avais, dès mon adolescence, désiré
devenir journaliste. Un concours organisé par Ernest Mallebay,
directeur de la Revue algérienne, me fournit l'occasion de
réaliser cet espoir. J'y avais pris part et mon envoi fut
retenu par Mallebay qui me convoqua, rue de Constantine, où
étaient alors situés les bureaux de la Revue algérienne.
Je lui fis part de ma « vocation ». Il me proposa de
diriger mes premiers pas dans la carrière. J'acceptai sur-le-champ,
et c'est ainsi que je devins rédacteur au Turco-Vélo.
» Ceci se passait en 1899, au plus fort de la tourmente antisémite,
qui avait gagné toute la jeunesse algérienne. Cependant,
le mouvement qui était parti avec Fernand Grégoire
des milieux « radicaux », lesqurls reprochaient au Consistoire
l'appui total qu'il apportait aux « opportunistes »
avait évolué avec Max Régis et Edouard Drumont,
élu député d'Alger en 1898, vers des buts nettement
réactionnaires. L'affaire Dreyfus battait son plein. L'ardente
campagne de Clemenceau et de Zola commençait à trouver
des échos en Algérie où bien des consciences
avaient été troublées par lè suicide
du colonel Henry. Une minorité courageuse prit parti parmi
la jeunesse et, attiré par ce mouvement, je fondai, avec
quelques camarades, riches seulement d'illusions, l' Etendard social,
que nous vendions nous-mêmes dans les rues de Mustapha et
d'Alger ce qui prouve que les camelots du roi n'ont rien
inventé !
» A ce « brûlot » qui eut une vie bien éphémère,
succéda l'Union républicaine : j'en étais à
la fois le rédacteur en chef et l'administrateur. Mais, malgré
le concours que voulaient bien me donner quelques aînés
: Hébrard, directeur du Sémaphore ; Casteran, que
ses allures de mousquetaire avaient popularisé ; Auguste
.Beuscher, le spirituel échotier de la Vigne, il connut assez
vite la même infortune que l'Etendard social.
» Heureuse époque où un journal ne coûtait
qu'un sou et où l'on pouvait, avec un billet de cinquante
francs, assurer un tirage de deux à trois mille exemplaires
chez Zammith, rue des Consuls, qui était le spécialiste
de ces éditions. Le jeune prote qui dirigeait alors l'imprimerie
n'était autre que Villeneuve. Celui-ci, depuis, a fait une
brillante carrière politique dans ces quartiers de la Marine.
Brave Villeneuve 1 Le même drame se renouvelait pour lui tous
les samedis quand, avant de livrer le tirage en cours, il présentait
la facture de la semaine précédente. Je le revois
sous sa blouse de typo, criant, gesticulant, menaçant et
finalement se laissant fléchir, prolongeant ainsi de quelques
semaines la vie d'un « canard » agonisant.
» Un événement imprévu vint mettre fin,
pour moi, à cette incertitude des lendemains. Il se manifesta
un beau jour sous la forme d'une entrée théâtrale
à la brasserie Masclaux, où nous nous réunissions
pour l'apéritif, de mon confrère Auguste Beuscher,
brandissant comme un trophée triomphal un télégramme
qu'il venait de recevoir : Zannettacci, rédacteur en chef
de l'Echo du Soir, de Constantine, lui demandait un rédacteur,
et avant même de s'assurer de mon acceptation, Beuscher avait
indiqué mon nom. Il fallait partir sur-le-champ. Je descendis
à la gare d'El-Kantara 48 heures après. Là
m'attendaient les braves gens dont j'allais devenir le collaborateur
: le papa Carbonnel, père du secrétaire général
de l'Echo d'Alger ; Paul Pompéani, l'administrateur, et Théodore
Zannettacci. »
Renaudin nous parle ensuite des luttes menées aux côtés
de Paul Cuttoli, aujourd'hui sénateur et maire de Philippeville,
puis du pacte de « conciliation » qui suivit, assurant
vingt-cinq années de calme et de prospérité
au département de Constantine. Entre temps, il devenait correspondant
du Petit Parisien, puis l'envoyé spécial de ce journal
au Maroc où il suivit tous les événements qui
précédèrent l'arrivée de nos troupes
à Casablanca. Il débarqua en même temps que
les marins de l'amiral Philibert.
(suite dans l'article.)
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https://data.bnf.fr/fr/11032898/emile_renaudin/
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