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site le 06/02/2002
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-------Né à Alger en 1912, mort au Chesnay en Octobre 90, issu d'une famille d'origine italienne, le professeur Xavier Yacono, si sa réputation était établie dans le milieu universitaire, était sans doute moins connu dans notre communauté. Sa modestie en fut la cause comme son souci de ne pas se disperser et de se consacrer à son enseignement et à ses recherches. -------L'enseignement, il en avait gravi tous les échelons du Primaire au Supérieur... A 16 ans, il entrait à fEcole Normale de la Bouzareah où il côtoya des instituteurs algériens favorables à l'assimilation. Il passa ensuite par l'Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud qui formait les professeurs des EPS (Ecoles Primaires Supérieures). Revenu en Algérie, il enseigna dans le bled (Boufarik, Orléansville) puis à Maison Carrée et à Alger (au Champ de Manoeuvre). En même temps il entamait des études dans le Supérieur avec une licence classique (qui nécessita qu'il apprit tout seul le latin) puis une spécialisation en Histoire-Géographie. Il rédigea une thèse d'état sur «la colonisation dans les plaines du Chéliff »(1)complétée par une étude sur "les Bureaux Arabes"(2). Ces travaux lui valurent le titre de Docteur d'Etat (en 1956). Ce qui lui permit d'entrer à l'Université d'Alger en 1957 où il professa jusqu'en 1962. -------On le voit, une carrière classique mais avec de la ténacité et du travail. En juin 62, il gagna la France avec sa famille. En principe une chaire d'histoire de la colonisation devait lui être donnée en Sorbonne. Mais Hier (et comme aujourd'hui) le monde universitaire a ses clans et ses interdits. Certains appuis (promis, juré) lui firent défaut et il y eut contre lui une campagne calomnieuse. Il était suspect de complicité avec l'OAS. Il tenta sa chance à Aix. Même obstruction. Finalement c'est le doyen de la Faculté des Lettres de Toulouse, Jacques Godechot qui l'accueillit et lui confia la chaire d'histoire d'Outre Mer. Jacques Godechot passait pour avoir des idées avancées. Lui et sa famille avaient souffert pendant l'Occupation mais c'était un grand universitaire dans tous les sens du terme. Et un honnête homme. -------Xavier Yacono enseigna à Toulouse jusqu'en 1977 où il prit sa retraite. Habitant Paris il connut les problèmes des déplacements hebdomadaires et son état de santé s'en ressentit. A la retraite il continua ses recherches, rédigeant livres et articles et siégeant à l'Académie des Sciences d'Outre Mer. Malgré une santé de plus en plus précaire, il eut le temps de terminer son "Histoire de l'Algérie" (1830-1954) dictant de mémoire certains chapitres car il lisait de plus en plus péniblement. -------Si certains veulent découvrir son oeuvre, je vais essayer de les guider. Ce qui me paraît le plus accessible ce sont deux excellents précis parus dans la Collection Que sais-je ? et souvent réédités (ainsi que remis à jour) "L'Histoire de la Colonisation Française" et "les Etapes de la Décolonisation Française"(3). A travers ces deux petits livres, Xavier Yacono ne fait ni le pamphlet ni l'apologie d'une entreprise menée par la France et les Français pendant des siècles (il n'y eut pas moins de deux Empires Coloniaux). En conclusion de l'un d'eux il met en garde contre les "deux légendes" qui marquent l'histoire coloniale. La "rose" (triomphante dans les années 30) et la "noire" (qui sévit dans les années 60). A noter que cette dernière recule sérieusement devant la faillite des pays décolonisés .... -------Il a étudié aussi l'action de la franc maçonnerie en Algérie et publié un livre sur le sujet qu'il faudrait compléter par une intervention à un colloque(4). Il n'était pas franc maçon mais eut accès aux archives du Grand Orient. Avec sa rigueur et son honnêteté habituelles, Xavier Yacono démontrait que la franc maçonnerie accompagnant la colonisation en Algérie ne sut pas conquérir la société musulmane. Certes il y eut des Algériens franc maçons et parmi eux Abd El Kader (5)' mais ceci avant 1870. -------Lorsqu'ensuite le Grand Orient s'éloigna du séisme pour adopter la libre pensée, Abd El Kader quitta une société où il avait vu une passerelle entre le christianisme et l'Islam. Ce sont les faits et chacun peut en conclure ce qu'il veut... -------Un autre aspect des travaux de Xavier Yacono consiste dans des articles rédigés pour des revues et dont il faut espérer qu'un jour où l'autre ils seront réunis en volume. Je n'en signalerai qu'un mais capital. En 1982 dans la Revue de l'Occident Musulman et de la Méditerranée il publia une analyse des "Pertes Algériennes de 1954 à 1962". -------S'appuyant sur des chiffres irréfutables (car publiés en Algérie après 62) il démolit de façon magistrale le "mythe" (d'origine FLN) du million voire du million et demi de morts de la "guerre de libération". Après avoir confronté et recoupé les chiffres, il arrivait à un bilan de 300 000 (toutes pertes confondues, civiles, militaires, européens et musulmans). Depuis d'autres études d'historiens qui furent et restent anticolonialistes (et parfois s'opposèrent à Yacono) ont encore abaissé ce chiffre (6). Et même chez les soutiens (de plus en rares il est vrai) de l'Algérie algérienne, le "million" n'est plus cité. A noter pour montrer l'objectivité de Xavier Yacono, qu'il estimait "impossible" d'accepter le nombre de 150 000 harkis massacrés mais aussi de citer un chiffre vérifiable dans ce domaine. -------Tout Xavier Yacono est là. A la fois vérifier et critiquer les faits, les documents, les archives avec un esprit positiviste à l'écart des idéologies et des passions. -------On retrouvera sa griffe dans sa courte mais dense étude sur "De Gaulle et le FLN" (7). Il ne cédait ni à la nostalgie ni à la passion. Il concluait qu'en raison des contraintes internationales, des problèmes économiques et financiers, de l'explosion démographique et d'un conflit de plus en plus mal supporté par la Métropole, l'indépendance était inévitable mais il analysait au scalpel les palinodies et les mensonges qui menèrent du "Je vous ai compris" de 1958 au "lâchez tout" de 1962. On peut méditer ces dernières lignes "Danton était dans l'erreur. Ceux qui dans leur très grande majorité ont quitté définitivement le rivage sud de la Méditerranée emportèrent avec la liberté, leur vraie patrie à la semelle de leurs souliers". |
-------Il y eut
enfin cette "Histoire de l'Algérie" (8) qu'il ne put
mener jusqu'en 1962. Livre testament où il faut parfois être
un spécialiste pour discerner comment Xavier Yacono lutte contre
les désinformations anticoloniales. Là encore ni apologie
ni caricature. Mais démonstration que l'Algérie des Français
(sans doute pas aussi française dans ses profondeurs que nous le
croyions ou l'espérions) fut une grande construction difficile,
tourmentée, voire contradictoire mais animée par la France.
Il n'est pas question de nier qu'il y eut une autre Algérie qui
résista à notre influence et donna naissance à un
nationalisme algérien (d'ailleurs né en Métropole
chez les travailleurs immigrés) qui aboutissant à une longue
et cruelle guerre se termina par sa victoire etl'indépendance.
Mais après lecture je me suis personnellement interrogé.
C'est le ciment français incarné sur place dans différentes
communautés qui a créé et tenu l'Algérie.
Jean-Paul Angelelli Tous nos remerciements à Madame Yacono
qui fut la fidèle collaboratrice de son époux surtout dans
la mise au point de ses derniers ouvrages et nous a si aimablement fourni
documents et renseignements. |