Eikosi, ,El Djezaïr, Alger
Où il est question de vaisseaux, de navires,de nefs, de brigandins, de pinques, felouques, chebec set autres galères...

Toutes les marines du Levant et du Ponant se trouvèrent représentées dans les flottes des croisés. Lines, galiotes, galères, huissières porteuses de chevaux, sagettes, buses, hourques, sélandres et noves à plusieurs ponts se cotoyèrent, arborant sur leurs voiles la croix chrétienne peinte de haut en bas.
Algeria et l'Afrique du nord illustrée, revue mensuelle, juillet-aout 1942, n°15. Édition de l'Office Algérien d'Action Économique et Touristique (OFALAC), 26 bd Carnot ou 40-42, rue d'Isly, Alger
sur site le 22-11-2005
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---------Dans cette partie du golfe où quelques roches émergées formaient promontoire, offrant un abri naturel aux durs vents d'aval, vinrent un jour s'arrêter les barcasses d'Hercule, qui poussait vers l'Occident où il devait bientôt séparer les monts de Calpée et d'Abyla.
---------Tirés à terre, les esquifs attendirent la saison des vents favorables ; puis, le printemps venu, reprirent le chemin de l'Ouest vent arrière ; c'est alors que quelques compagnons d'Hercule, goûtant par trop l'escale, désertèrent et firent souche à terre : Eikosi naissait.
---------Quel fût le type de ces premiers bateaux ? L'odyssée mentionne comment Ulysse, aidé de Calypso, saisit deux épaisseurs de troncs entre-croisés à l'aide de liens et de chevilles, puis adjoignit un bordage de fortune à cette sorte de radeau qui fut rendu plus stable par
l'addition d'outres gonflées ou remplies de paille.
---------Faut-il croire que ce type de flotteur amena vraiment les premiers fondateurs d'Eikosi ? La légende est trop nébuleuse pour l'affirmer. Ce+ engin a pu servir d'accessoire aux gens d'Hercule, mais quant à jouer le rôle de transport maritime proprement dit, nous en doutons, d'autant plus que les Phéniciens avaient déjà appris des Egyptiens, qui commerçaient vers les Indes, l'art de construire. Il est certain que les bateaux du Dieu Baal, si petits fussent-ils,-possédaient une certaine tenue à la mer.
---------L'archéologue naval, Jal, a remarqué que le bateau égyptien du XVlle siècle montre déjà de nombreux points de ressemblance avec la galère qui ne fit pourtant son apparition que mille ans plus tard.
---------Or, on a découvert, depuisJal, des documents beaucoup plus anciens qui n'offrent pas de grandes différences avec ceux des époques postérieures. Les fresques du roi Sahouri, en particulier, mises au jour en 1907, à 5 kilomètres de Memphis, près d'Abousir, sont des représentations fidèles de types de bateaux en usage trois mille ans avant le Christ, c'est-à-dire antérieurs de dix siècles aux navires de Minos et d'Ulysse.
---------Ces grandes barques à voile unique, armées d'avirons et non plus de pagaies, construites en cèdre du Liban, de 12 tonneaux environ, mesuraient neuf mètres de long à la flottaison, un peu plus de trois mètres de large et un demi mètre de creux. En plus de ces véritables navires d'exploration, montés par des équipages d'élite, il existait dans le Delta des bateaux de charge qui atteignaient 20 et 30 mètres de longueur.
---------Si nous possédons une riche collection de documents sur la flotte des Egyptiens, il n'en est malheureusement pas de même en ce qui concerne la marine phénicienne.
---------Par lecture et déduction de l'iconographie pharaonique on peut admettre cependant que les bateaux phéniciens étaient à peu près identiques à leurs devanciers, bien que moins grands ; bâtiments marchands plus que guerriers, ils naviguaient isolément pour l'exploration et le troc, ce qui ne les empêchait pas de se prêter au pillage à l'occasion !

---------A l'époque de Carthage, le bateau classique atteint 18 mètres de long ; il est ponté avec un mât d'une seule pièce, dit à pible, et arrive à donner de 7 à 8 noeuds.
---------La galère grecque comporte une mâture à voiles carrées ; sa vitesse est celle des bâtiments égyptiens dont elle e les mêmes dimensions. Le corsaire milésien Théopompe, envoyé par Lysandre porter le nouvelle de la victoire d'Aegos Potamos, franchit en trois jours les trois cent soixante quinze milles qui séparent le lieu du combat du port d'Epidaure, en Laconie, ce qui donne environ cinq milles à l'heure. La longueur de cette croisière, sou-tenue à la vitesse maximum, indique que cette vitesse pût être obtenue sans avoir besoin de recourir à tous les rameurs ; un tiers d'entre eux devait se reposer. Nous voyons également, en 1495, une flotte de galères qui va de Mes-sine à Naples, soit 70 milles, en trente heures, ce qui fait un peu plus de cinq noeuds et demi. Mais que sont les dimensions de ces galères ?

---------Jal, citant Marino Sanuto, nous répond qu'au troisième siècle, les grandes galères avaient déjà 40 mètres de longueur sur 5 m. 30 de large et 2 m. 50 de creux.
---------Doit-on s'étonner de la longévité d'un type de bateau qui n'a guère varié pendant vingt siècles ? Nous ne le croyons pas, car tant que le moteur restait le même ainsi que le besoin, les solutions ne pouvaient guère changer. Il est intéressant de constater au surplus que dès les premiers âges, sans se connaitre, et séparées par des lieues de distance, marine nordique et marine méditerranéenne résolurent de la même façon le problème de la navigation. Toutes deux construisirent des vaisseaux longs et des vaisseaux ronds ; les premiers, propulsés par le moteur humain, avec la voile pour accessoire, constituaient les navires rapides de bataille, les seconds, de gros tonnage, marchaient à la voile et servaient de transports.
---------Seule la Méditerranée devait conserver jusqu'au XVllle siècle ses vaisseaux longs, les galères, qui donnèrent naissance à des types mixtes, à l'aviron et à la voile : chebecks, felouques et autres. Ces bateaux à bord desquels la voile latine, dont l'apparition remonte au début de l'ère chrétienne, prenait la prépondérance, se transformèrent à leur tour pour devenir les navires encore en usage de nos jours.

---------Après la grecque, l'époque romaine, qui nous a laissé des témoignages indiscutables de l'activité maritime de Julia Césarée (Cherchell) et même de Rusguniae (Matifou) ne nous permet guère que de soupçonner l'existence d'une Icosium bâtie sur l'antique Eikosi.
---------Il faut atteindre la marine du croissant, au Xe siècle, pour en entendre parler sous le nouveau nom d'El-Djezair, dont le minuscule promontoire primitif s'est peu à peu désagrégé sous la violence de la mer pour ne plus présenter qu'une suite d'îlots.
---------Ce refuge précaire où le mauvais temps contraignait les équipages à tirer les barques à terre, était certainement peu accessible aux navires étrangers. N'est-ce pas cet isolement qui lui a valu de devenir un repaire d'écumeurs des mers, de " l'escumerie " comme disaient les nôtres en ce temps ?
---------On a peu parlé de cette marine barbaresque des Xe, Xle, Xlle et XIIIe siècles bien qu'elle ait donné pas mal de fil à retordre aux Croisés et aux navigateurs de la Méditerranée.
---------Les barbaresques s'aperçurent vite que la mer était pour eux un domaine de rapport sans égal. Ils se mirent à l'exploiter si méthodiquement que l'Empire Byzantin lui-même en fut amené à demander secours à l'Europe contre leur audace.

* *

---------Se rend-on compte que déjà au Xlle siècle de forts tonnages existaient ?
---------Revenons au témoignage de l'histoire et rappelons que le 11 juin 1191, à la hauteur de Saida, un gros trois mâts, cuirassé de feutre jaune et vert et portant quinze cents barbaresques, dont moitié de guerriers, tenait tête à la flotte de Richard Coeur de Lion. Impossible à prendre à l'abordage, la flotte anglaise ne put le couler qu'à l'éperon après qu'il eut écrasé sous ses feux grégeois trois navires chrétiens.
---------Huit croisades successives eurent à lutter durement contre les pirates de l'Afrique du Nord. Leurs équipages, des mieux armés, étaient composés d'hommes de mer accomplis, qu'ils recrutaient autant parmi les renégats que parmi les barbaresques et les maures refoulés d'Espagne.
---------Toutes les marines du Levant et du Ponant se trouvèrent représentées dans les flottes des croisés. Lines, galiotes, galères, huissières porteuses de chevaux, sagettes, buses, hourques, sélandres et noves à plusieurs ponts se cotoyèrent, arborant sur leurs voiles la croix chrétienne peinte de haut en bas.
---------Les musulmans, eux, ne restèrent pas à la traîne avec leurs multiples galères, fustes, mahonnes, caramoussales, galiotes, et grosses nefs, armées jusqu'aux dents, comme nous venons de le voir par l'exemple de ce gros trois mâts, dont la cuirasse de feutre de couleur était imbibée d'eau pour se défendre du feu grégeois, selon le système de protection déjà en usage sur les dromons du IX` siècle.
---------Ce fut une époque de perfectionnements : gréements, mâtures, voilures. coques, et science même de la navigation évoluèrent rapidement.
---------On possède une iconographie assez pauvre concernant les nefs de la Méditerranée. Toutefois des chiffres nous sont fournis par des devis et des marchés. ---------Nous citerons, à titre d'exemple et bien que bateau spécial, la "Rocheforte ", livrée par Venise à Saint Louis pour sa croisade. Elle avait 36 mètres de long sans compter ses châteaux débordants ; sa quille n'avait que 23 mètres avec des extrémités très arrondies. La largeur atteignait 13 mètres 30 et le creux était de 12 mètres 85 à partir du plat bord. Ces mesures nous donnent évidemment de grosses formes rondes bien loin d'être légères, mais ces formes n'ont pris un réel allongement que récemment. Jal fait observer à ce sujet que de son temps, voici à peine un siècle, les navires avaient une largeur comprise entre le tiers et le quart de leur longueur. Ces nefs, bâtiments lents mais marins, étaient gouvernées par deux avirons de queue, un de chaque bord. Il ne s'en perdit que deux, nous dit Joinville dans son récit, sur près de quinze cents qui formaient la première expédition de Saint Louis.
---------Voici d'autres mesures concernant une nef latine du XIVè siècle. Jal nous les donne (Archéologie, Tome H, Mémoire n° 5) comme provenant d'un manuscrit vénitien de la bibliothèque de Magliabecchi :
---------Longueur de quille : 20 m. 78 ; longueur totale
27 m. 77 ; largeur du pont : 8 m. 28 ; largeur, à trois
pieds au dessus du fond : 5 m. 53 ; largeur du fond
dans sa partie plate : 3 m. 12 ; creux À partir du pont
3 m. 28 ; longueur du mât de l'avant : 24 m. 36 ; longueur de son antenne : 27 m. 77 ; longueur du mât du milieu : 22 m. 67 ; longueur de son antenne 22 m. 67.
---------Sur les formes du navire lui-même, il n'est donné aucune indication. On peut tout au moins remarquer par la décroissance rapide de sa largeur combien la coque devait être évasée. Le mât de l'avant était très incliné sur l'étrave. L'inventaire fournit, en outre, de précieux renseignements très détaillés et décrit très bien le nouveau timon avec sa manoeuvre à l'intérieur du navire c'est le gouvernail axial qui apparaît et qui remplacera désormais les deux gros avirons latéraux mentionnés sur la " Rocheforte ". Le navire possède trois embarcations de 8 à 10 mètres.
---------Ces lourds bateaux ne parvinrent pas à entraver l'activité des barbaresques. Au début du XIVe siècle, dit le bénédictin Fra Diego de Modo, les marins du petit Etat qu'était alors Alger, où il fut esclave de nombreuses années, cinglaient jusqu'aux côtes d'Espagne sur de tout petits brigantins. Tirant leurs barques à terre, ils les enfouissaient dans le sable, puis, sous le déguisement des gens du pays, allaient razzier les habitations d'alentour pour emplir leurs embarcations, qu'ils déterraient alors en vue du retour. Si l'esquif était minuscule, il faut avouer que le type d'homme qui le montait était par contre d'une bien grande audace. C'est d'ail-leurs à la suite de ces actes de brigandage par trop répétés, que l'Espagne, maîtresse déjà de Mers-el-Kébir, d'Oran et de Bougie, s'empara enfin des roches abri d'Alger pour y édifier le fort du Penyon. En 1375, le nom d'Alger figure pour la première fois sur une carte catalane conservée à la Bibliothèque Nationale.
---------La rade d'Alger dut alors voir plus de gros bâtiments qu'elle n'en avait jamais reçus jusque là. Ses navires de fort tonnage avaient pris l'habitude de se réfugier à Bougie et d'y hiverner afin d'éviter le mauvais temps et le ressac qui ont causé tant de naufrages.
---------Alger n'a donc pa ignoré les tâtonnements de la marine et les grosses améliorations apportées aux navires dès le début du XVè siècle : les châteaux furent rehaussés, la " rentrée " fit son apparition ainsi que les membrures extérieures ou gros renforts verticaux destinés à consolider les flancs du bâtiment, et l'arrière carré " se disputa la priorité avec " l'arrière rond ". La voile milieu augmenta considérablement de dimension pour accroître la propulsion, laissant à celles de l'avant et de l'arrière le soin d'agir sur la direction.
---------Cette époque vit deux géants de la mer s'affronter : Kheir-ed-Din, dit " Barberousse ", et Andrea Doria, Amiral génois. Kheir-ed-Din s'empara du Penyon espagnol en 1529, date à laquelle la Régence d'Alger prit vraiment son essor. Rappelons en passant que quelques an-nées plus tard, lors de l'alliance du Roi très chrétien avec le Grand Seigneur, Alger voyait sortir de sa rade, le 16 septembre 1536, huit galères turques et douze françaises qui, naviguant de conserve, s'en allaient sur les côtes catalanes attaquer les forces impériales.
---------Le XVI° siècle, qui est véritablement celui de la formation du " vaisseau ", continue le progrès amorcé et développe voiles et gréements. La coque a perdu ses " fesses rondes " et présente maintenant un tableau, sur presque toutes les nouvelles constructions. Bartolomeo Crescention (Nautica Mediterranea) nous indique que les navires de type courant avaient environ 30 mètres de long, 10 de large et autant de creux ; le grand mât était de la longueur du navire, le mât de proue de 8 mètres, et les mâts arrière et de beaupré de 6 m. 30 ; les vergues avaient les quatre cinquièmes de la longueur de leurs mâts. Ces chiffres correspondent à la taille de nos "Terre-Neuves ", en plus large. Mais, en même temps, on en arrivait à des exagérations, tant en hauteur de châteaux, nombre de bouches à feu, qu'en hauteur de mâts..., exagérations qui rendaient les navires si peu stables que de nombreux accidents survinrent. L'assagissement suivra, comme il se doit, mais en laissant cependant se développer le luxe des décorations et des sculptures jus-qu'au siècle suivant.
---------A partir de ce moment, la piraterie donne de tels résultats que toute la population algéroise veuf prendre part à l'armement des écumeurs de mer et l'on verra le XVIIè siècle devenir l'époque la plus représentative de cette véritable " industrie nationale ".
---------Vers 1630 la flotte d'Alger compte 70 navires, nous dit le père Dan dans son " Histoire de la Barbarie ". Et ces navires ont capturé en quelques années, à la France seule, 82 bateaux, soit cinq millions de livres de l'époque. Non seulement les barbaresques opèrent de Tétouan aux Dardanelles, mais encore les trouve-t-on en Mantique ainsi que sur les côtes d'Angleterre et d'Islande, conduits par des pilotes renégats, alléchés par l'appat du gain, ou bien encore captifs !

Barque longine XVIIè , dessin de Jouve.
Barque longine XVIIè , dessin de Jouve.


---------La flotte barbaresque a plusieurs origines : les gros navires sont des prises amarinées et ramenées vers les ports africains. Les barbaresques en mettent en chantier eux-mêmes un grand nombre de petits, auxquels s'ajoutent les bâtiments que les prisonniers et les renégats construisent avec les méthodes de leur pays. Ils ont, pour effectuer les travaux, une maind'ceuvre nombreuse puisée dans les bagnes.
---------Avec la galiotte, les bâtiments les plus nombreux de le flotte barbaresque sont effectivement les brigantins et frégates à voiles latines qui sont armés de quelques espingoles. Le brigantin e de huit à seize bancs avec un seul homme par aviron et la frégate, de six à douze ; elle mesure 35 pieds de long, sept pieds trois pouces de large avec deux pieds et huit pouces de creux. Le chebec et la felouque, types les plus caractéristiques, sont fins et rapides à l'image d'une galère dont ils ont la voilure. Avec le temps, ils furent dotés du grément à traits carrés et de l'artillerie des bâtiments de haut-bord (18 à 30 canons armaient un chebec). Entre leurs canons sont les sabords de nage. La " pinque " génoise et le " polacre " ressemblent au chebec, mais, légèrement plus massifs, servent plutôt au commerce, tout en étant armés.

 


----------Les chebecs et felouques, mouches insaisissables, harcelèrent le trafic, où qu'il fut, tant et si bien qu'en 1662 les dirigeants de la ville de Marseille demandèrent au roi d'intervenir contre les barbaresques. Et le roi de France fit armer douze galères et vingt vaisseaux qui combattirent sans merci. On se rappelle les exploits d'un des fameux capitaines de ce temps : " Le Chevalier Paul ".
---------A côté de ces guerillas quasi perpétuelles n'est-il pas curieux de remarquer qu'à peu près toutes les nations européennes envoyaient des cadeaux aux Régences barbaresques ?... et que ces cadeaux consistaient aussi bien en bois des pays nordiques qu'en apparaux, armes et autres objets, de la part de l'Angleterre ; en vaisseaux, tout gréés même, venant de Hollande ou de France. En un mot la chrétienté fournissait délibérément des verges pour se faire fouetter ; éternels intérêts particuliers mis en jeu aux dépens de l'intérêt général.

Galère barbaresque, Le P.Dan, bibl.nationale.
Galère barbaresque, Le P.Dan, bibl.nationale.


---------Les gros vaisseaux barbaresques sont donc pour la plupart des navires européens, " trois mâts ", avec en plus, à l'époque, un mât de perroquet de beaupré ; ils comportent, devant, " civadière " ainsi que "contrecivadière " et derrière, " l'orse ", cette antenne à voile latine encombrante qui sera amputée de sa pointe de devant pour nous donner la voile aurique, vers le début de la deuxième moitié du XVIII5 siècle; l'orse, une fois tronquée à la fin de ce siècle, nous laissera ensuite " la corne ", telle que nous la connaissons. Ces vaisseaux ont l'allure caractéristique que chacun connaît pour en avoir vu des maquettes, avec leur avant à " guibre " imposante, généralement décorée d'une figure de proue ; cette guibre est reliée à la coque par un encorbellement de " herpes " qui soutient des "caillebotis ". L'avant rappelle les chaussures pointues de l'époque, dites à la " poulaine ". Là se trouvent les lieux d'aisance de l'équipage, d'où l'expression encore en usage et si imagée de se rendre à la " poulaine ". Le " coletis " est cette muraille abrupte qui termine en carré l'avant du " château ".
---------L'arrière, toujours plus ou moins décoré, comporte généralement un grand balcon flanqué de deux protubérances dénommées " bouteilles ", à cause de leur forme de flacons ventrus. Ces bouteilles servent de " lieux de commodité " aux officiers - l'expression s'est conservée sur nos bateaux modernes. - Entre les deux parties extrêmes, les flancs, percés de " sabords " à " mantelets " rabattables, laissant passer les gueules des canons. Les flancs sont ceinturés de préceintes peintes en bleu, vert et même rouge, selon le goût des capitaines. A l'intérieur, la " grand rue ", immense emplacement qui va du pied de l'artimon à l'arrière du pied de mât de misaine et qui se fermera par un pont continu vers la fin du XVIlle siècle, reçoit, l'une dans l'autre, les embarcations. C'est à l'entrée du gaillard d'avant que se réunit l'équipage, près du " charnier " qui contient l'eau douce que boivent les hommes.

---------À l'arrière se tient la "mèche", dans son barillet suspendu, gardée par un factionnaire ; on y vient chercher le feu pour fumer, les briquets étant interdits sur les navires en bois. L'intérieur des pavois et des batteries est peint en rouge afin d'atténuer la vue des éclaboussures du sang qu'on étanche pendant le combat en répandant de la sciure de bois sur le pont. Cette couleur subsistera à l'intérieur jusqu'au début du XVIIIè siècle et sera finalement remplacée par un vert, plus doux aux yeux, qu'on trouve d'un usage courant sur les navires français vers 1815.
---------Le gouvernail reste tel que nous l'avons vu, avec son timon manoeuvré par la " manuelle ", cette espèce de grand bras de levier vertical, qui, passant par une fente latérale au travers des ponts des bâtiments de haut-bord, pousse sur tribord ou babord le timon du gouvernail. On estime ainsi à sept degrés l'angle maximum sous lequel on pouvait orienter le safran, tellement était ardu le fonctionnement de cet appareil sur les gros vaisseaux ; aussi est-il légitime de penser que le navire évoluait surtout par brasseillage 1 II faudra attendre le début du XVIII° siècle pour qu'apparaisse la " roue " à gouverner. Les poupes alors, redevenues rondes, de carrées qu'elles étaient encore au début du règne de Louis XIV, permettront à la "mèche" de pénétrer verticalement par un trou rond, " la jaumière " qui sera étanchée par le " presse-étoupe ", imaginé à l'intention de supprimer les paquets de mer qui entraient autrefois par l'ouverture du tableau où passait le timon.
---------Quant à la " frégate ", telle que nous la concevons, c'est vers 1620 qu'elle est apparue dans la mer du Nord. De conception Dunkerquoise ou Anglaise, Alger ne la verra que plus tard avec Duquesne. C'est un " petit vaisseau " avec le même gréement que son grand frère, mais ne portant que 10 à 15 canons rangés sur le pont ; elle sert surtout d'estafette entre les navires d'une même escadre, fait la police des rades etc... Cette frégate porte environ 200 tonnes et mesure un peu plus de 27 mètres de longueur de quille, près de 31 mètres hors tout, 8 mètres de large avec 3 m. 25 de creux.
---------Petit à petit, elle grandira pour devenir, aux approches de 1830, un bâtiment de 55 mètres de long portant 60 bouches à feu, avec 450 hommes à bord.
---------Et la "Corvette"? Ce petit navire créé pour remplacer la frégate qui grandit, n'est encore au XVIIè qu'une grande barque mue à l'aviron comme le frégate primitive.
---------Alger voit encore, avec Duquesne en 1682, les galiotes à bombes d'Elicageray, dit Petit Renaud ; ces petits bâtiments ont des formes trapues (25 mètres de long sur un peu plus de 8 mètres de large) ; des mortiers étaient établis à fond de cale sur une plate-forme renforcée. Son gréement, curieux au premier abord, avec son mât de misaine supprimé, s'explique cependant par le dégagement qu'il offre au tir des mortiers. Quant à la puissance manoeuvrière de ces navires. c'est une autre question et l'énorme fardage que présentaient les voiles d'étai devait imposer aux navires une dérive conséquente.

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---------Le Marquis d'Antin qui accompagnait Duguay-Trouin à Alger en 1731 sur le vaisseau l'" Espérance " nous e laissé un aperçu de la marine algéroise dans ses mémoires. Voici un extrait du journal où il narre la campagne de quatre Vaisseaux du Roi :
---------" Il a (le Dey), le 10 % sur toutes les marchandises des prises et lorsqu'il s'y trouve des esclaves outre le huitième au-quel il e le droit, il est le maistre d'en prendre tel nombre qu'il veut, et de les payer au prix qu'il trouve bon. Comme cette république est gouvernée par les Turcs, les marchands de cette nation sont exempts de tous droits.

Galère du XVIIè , par Pierre Puget
Galère du XVIIè , par Pierre Puget


---------" Les bois qu'ils emploient à leurs constructions sont d'une espèce de chêne très dur dont la force et la durée les mettent au dessus des bois du Nord. Ils les tirent en partie des montagnes dont les habitants leur font payer très cher. Ils employent aussi à leurs constructions les pièces de bois encore de service provenant de la démolition de leurs prises.
---------" Ils ont actuellement pour constructeur un renégat maltais qui a travaillé longtemps sous le sieur Blaise Coulomb, constructeur des vaisseaux du Roi au port de Toulon, lorsqu'il eut ordre de la Cour de passer à Malte pour y construire pour la Religion.
---------" Les Anglois, Hollandais et Suédois font souvent des présents considérables au " Dey ", en munitions de guerre et marchandises nécessaires dans un arsenal. Il y e deux ou trois mois que les Suédois lui envoyèrent une flûte chargée de 50 mâts, de 40 canons de fer des calibres de 18, 14 et 12, de six câbles de 18 pouces, 18.000 boulets, 4.000 sabres, 4.000 canons de fusils, goudron, bray etc..., le tout estimé trois cent mille livres ; ce présent a été une des conditions de leur traité de paix avec les Algériens. Le " Dey " a acheté cette flûte 13.000 piastres du pays valant 3 livres 5 la pièce, monnoye de France.
---------" Liste des vaisseaux et autres bâtiments de la République d'Alger qui sont actuellement dans le port ou à la mer :

Noms des vaisseauxet autres bâtimentsqui vont à la mer
Canons
Equipages
Le Vaisseau de Bely
54
400
Le Grand Oranger
54
400
La Demi-Lune
44
350
La Petite Gazelle
46
350
Le Petit Oranger
50
400
L'Oranger
44
350
Le Cherif
26
200
Une Kaiche angloise
24
100
Idem
16
100
Idem
16
100
Idem
14
100
Une barque
18
120
Idem
16
150
Idem
16
150
Idem
14
100
Idem
12
90
Idem
12
100
Idem
2
50

---------" Quatre galiottes, dont trois de 26 bancs chacune et l'autre de 24, ayant toutes trois canons et plusieurs pierriers, à la mer.
---------" Deux escampiers éperonnards, à la mer.
" Le Vaisseau de Bely, dans le port, de 80 canons, dont les oeuvres mortes ne sont pas finies ; ce vaisseau e 15 sabords ouverts à sa première batterie et doit être commandé par Mehemet Rays, Portugais favory du " Dey ".
---------"II y a trois vaisseaux sur le chantier qui sont presque finis et dont les noms sont cy-après :

 
Canons
Capitaines
Le Rosier
44
Benagi Mauzzo
Le Soleil
46
Kava Ali Barbanegra
Le Petit Rosier
44
Mehemet Rays

---------" Un autre en quille, de Bely, de 64 canons il doit être commandé par Abdula Rays. C'est le Maltois renégat qui le construit.
---------Ce " vaisseau de Bely " était le seul qui appartenait en propre à la Régence et était armé aux frais du " Dey ". Les autres navires étaient- à la charge des armateurs qui devaient les remplacer en cas de pertes. Les capitaines étaient, suivant l'usage de l'époque, intéressés dans l'armement.
---------" Le commerce consiste en " Bled ", orge, cuir, huiles, escayolles ou graines de canaries, plumes d'autruches, laines, et autres marchandises du Levant. Le commerce maritime est peu de chose, il ne consiste presque tout que dans la vente des prises (1731) ".

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---------En août 1816, le port d'Alger subit la présence de l'escadre de Lord Exmouth qui vient, sous le couvert du pavillon parlementaire, y incendier et détruire tous les bâtiments présents.
---------En 1829, Monsieur Bianchi, interprète du Roi, attaché au Commandant de la Bretonnière, dit que dans le port se trouvaient :
---------La Clef du Monde, grande frégate de 60 canons en très mauvais état ; Le Fils du Plongeur, petite frégate ; Deux corvettes ; Le Bienfait de Dieu, brick ; Le Porteur de Bonnes Nouvelles, brick ; Cinq goëlettes dont deux sans canons ; Une vingtaine de chaloupes canonnières portant chacune une pièce de bronze de gros calibre ; Deux cents rais et 1.800 marins étaient encore entretenus, bien que sans emploi, aux frais de la Régence. Ils étaient destinés aux armements éventuels ?
---------En 1830, la France a enfin apporté à la Régence, entre autres richesses, le progrès de la vapeur et le développement du port d'Alger. Ne lui reste-t-il pas maintenant le devoir de devenir gardienne du long film maritime qui d'Eikosi à Alger s'est déroulé pendant des siècles ? Or ce film est dispersé de tous les côtés.
---------Par sa position au centre du bassin occidental de la Méditerranée, par sa longue histoire où les flottes antiques, barbaresques et européennes jouent un si grand rôle, notre ville n'est-elle pas désignée pour réunir et conserver une documentation précieuse sur la vie maritime en Méditerranée au cours des âges 7
---------Souhaitons que de nombreux amis des choses de la mer, répondant à cet appel, se groupent dans le but de combler une lacune et fondent à Alger un Musée, de la Marine antique et Méditerranéenne qui n'existe nulle part. Ce serait pour Alger une nouvelle richesse.

P. J. BRUHIER.

---------L'auteur a consacré une bonne partie de son activité à défendre, à Paris, les souvenirs de la vieille marine à voiles. Il a été, en outre, chargé avant la guerre, de se faire une idée des vestiges recélés par les côtes de l'Afrique du Nord française. Ce n'est donc pas à la légère qu'il préconise la création à Alger d'un musée des Marines antique et barbaresque, où seraient réunies des collections uniques en leur genre. -
---------Les amis de la Marine qui désireraient apporter à ce projet le concours de leur compétence sont priés d'adresser leur correspondance à l'Ofalac, 26, boulevard Carnot.