---------Dans
cette partie du golfe où quelques roches émergées
formaient promontoire, offrant un abri naturel aux durs vents d'aval,
vinrent un jour s'arrêter les barcasses d'Hercule, qui poussait
vers l'Occident où il devait bientôt séparer les monts
de Calpée et d'Abyla.
---------Tirés
à terre, les esquifs attendirent la saison des vents favorables
; puis, le printemps venu, reprirent le chemin de l'Ouest vent arrière
; c'est alors que quelques compagnons d'Hercule, goûtant par trop
l'escale, désertèrent et firent souche à terre :
Eikosi naissait.
---------Quel
fût le type de ces premiers bateaux ? L'odyssée mentionne
comment Ulysse, aidé de Calypso, saisit deux épaisseurs
de troncs entre-croisés à l'aide de liens et de chevilles,
puis adjoignit un bordage de fortune à cette sorte de radeau qui
fut rendu plus stable par
l'addition d'outres gonflées ou remplies de paille.
---------Faut-il
croire que ce type de flotteur amena vraiment les premiers fondateurs
d'Eikosi ? La légende est trop nébuleuse pour l'affirmer.
Ce+ engin a pu servir d'accessoire aux gens d'Hercule, mais quant à
jouer le rôle de transport maritime proprement dit, nous en doutons,
d'autant plus que les Phéniciens avaient déjà appris
des Egyptiens, qui commerçaient vers les Indes, l'art de construire.
Il est certain que les bateaux du Dieu Baal, si petits fussent-ils,-possédaient
une certaine tenue à la mer.
---------L'archéologue
naval, Jal, a remarqué que le bateau égyptien du XVlle siècle
montre déjà de nombreux points de ressemblance avec la galère
qui ne fit pourtant son apparition que mille ans plus tard.
---------Or,
on a découvert, depuisJal, des documents beaucoup plus anciens
qui n'offrent pas de grandes différences avec ceux des époques
postérieures. Les fresques du roi Sahouri, en particulier, mises
au jour en 1907, à 5 kilomètres de Memphis, près
d'Abousir, sont des représentations fidèles de types de
bateaux en usage trois mille ans avant le Christ, c'est-à-dire
antérieurs de dix siècles aux navires de Minos et d'Ulysse.
---------Ces
grandes barques à voile unique, armées d'avirons et non
plus de pagaies, construites en cèdre du Liban, de 12 tonneaux
environ, mesuraient neuf mètres de long à la flottaison,
un peu plus de trois mètres de large et un demi mètre de
creux. En plus de ces véritables navires d'exploration, montés
par des équipages d'élite, il existait dans le Delta des
bateaux de charge qui atteignaient 20 et 30 mètres de longueur.
---------Si
nous possédons une riche collection de documents sur la flotte
des Egyptiens, il n'en est malheureusement pas de même en ce qui
concerne la marine phénicienne.
---------Par
lecture et déduction de l'iconographie pharaonique on peut admettre
cependant que les bateaux phéniciens étaient à peu
près identiques à leurs devanciers, bien que moins grands
; bâtiments marchands plus que guerriers, ils naviguaient isolément
pour l'exploration et le troc, ce qui ne les empêchait pas de se
prêter au pillage à l'occasion !
---------A
l'époque de Carthage, le bateau classique atteint 18 mètres
de long ; il est ponté avec un mât d'une seule pièce,
dit à pible, et arrive à donner de 7 à 8 noeuds.
---------La
galère grecque comporte une mâture à voiles carrées
; sa vitesse est celle des bâtiments égyptiens dont elle
e les mêmes dimensions. Le corsaire milésien Théopompe,
envoyé par Lysandre porter le nouvelle de la victoire d'Aegos Potamos,
franchit en trois jours les trois cent soixante quinze milles qui séparent
le lieu du combat du port d'Epidaure, en Laconie, ce qui donne environ
cinq milles à l'heure. La longueur de cette croisière, sou-tenue
à la vitesse maximum, indique que cette vitesse pût être
obtenue sans avoir besoin de recourir à tous les rameurs ; un tiers
d'entre eux devait se reposer. Nous voyons également, en 1495,
une flotte de galères qui va de Mes-sine à Naples, soit
70 milles, en trente heures, ce qui fait un peu plus de cinq noeuds et
demi. Mais que sont les dimensions de ces galères ?
---------Jal,
citant Marino Sanuto, nous répond qu'au troisième siècle,
les grandes galères avaient déjà 40 mètres
de longueur sur 5 m. 30 de large et 2 m. 50 de creux.
---------Doit-on
s'étonner de la longévité d'un type de bateau qui
n'a guère varié pendant vingt siècles ? Nous ne le
croyons pas, car tant que le moteur restait le même ainsi que le
besoin, les solutions ne pouvaient guère changer. Il est intéressant
de constater au surplus que dès les premiers âges, sans se
connaitre, et séparées par des lieues de distance, marine
nordique et marine méditerranéenne résolurent de
la même façon le problème de la navigation. Toutes
deux construisirent des vaisseaux longs et des vaisseaux ronds ; les premiers,
propulsés par le moteur humain, avec la voile pour accessoire,
constituaient les navires rapides de bataille, les seconds, de gros tonnage,
marchaient à la voile et servaient de transports.
---------Seule
la Méditerranée devait conserver jusqu'au XVllle siècle
ses vaisseaux longs, les galères, qui donnèrent naissance
à des types mixtes, à l'aviron et à la voile : chebecks,
felouques et autres. Ces bateaux à bord desquels la voile latine,
dont l'apparition remonte au début de l'ère chrétienne,
prenait la prépondérance, se transformèrent à
leur tour pour devenir les navires encore en usage de nos jours.
---------Après
la grecque, l'époque romaine, qui nous a laissé des témoignages
indiscutables de l'activité maritime de Julia Césarée
(Cherchell)
et même de Rusguniae (Matifou)
ne nous permet guère que de soupçonner l'existence d'une
Icosium bâtie sur l'antique Eikosi.
---------Il
faut atteindre la marine du croissant, au Xe siècle, pour en entendre
parler sous le nouveau nom d'El-Djezair, dont le minuscule promontoire
primitif s'est peu à peu désagrégé sous la
violence de la mer pour ne plus présenter qu'une suite d'îlots.
---------Ce
refuge précaire où le mauvais temps contraignait les équipages
à tirer les barques à terre, était certainement peu
accessible aux navires étrangers. N'est-ce pas cet isolement qui
lui a valu de devenir un repaire d'écumeurs des mers, de "
l'escumerie " comme disaient les nôtres en ce temps
?
---------On
a peu parlé de cette marine barbaresque des Xe, Xle, Xlle et XIIIe
siècles bien qu'elle ait donné pas mal de fil à retordre
aux Croisés et aux navigateurs de la Méditerranée.
---------Les
barbaresques s'aperçurent vite que la mer était pour eux
un domaine de rapport sans égal. Ils se mirent à l'exploiter
si méthodiquement que l'Empire Byzantin lui-même en fut amené
à demander secours à l'Europe contre leur audace.
* *
---------Se
rend-on compte que déjà au Xlle siècle de forts tonnages
existaient ?
---------Revenons
au témoignage de l'histoire et rappelons que le 11 juin 1191, à
la hauteur de Saida, un gros trois mâts, cuirassé de feutre
jaune et vert et portant quinze cents barbaresques, dont moitié
de guerriers, tenait tête à la flotte de Richard Coeur de
Lion. Impossible à prendre à l'abordage, la flotte anglaise
ne put le couler qu'à l'éperon après qu'il eut écrasé
sous ses feux grégeois trois navires chrétiens.
---------Huit
croisades successives eurent à lutter durement contre les pirates
de l'Afrique du Nord. Leurs équipages, des mieux armés,
étaient composés d'hommes de mer accomplis, qu'ils recrutaient
autant parmi les renégats que parmi les barbaresques et les maures
refoulés d'Espagne.
---------Toutes
les marines du Levant et du Ponant se trouvèrent représentées
dans les flottes des croisés. Lines, galiotes, galères,
huissières porteuses de chevaux, sagettes, buses, hourques, sélandres
et noves à plusieurs ponts se cotoyèrent, arborant sur leurs
voiles la croix chrétienne peinte de haut en bas.
---------Les
musulmans, eux, ne restèrent pas à la traîne avec
leurs multiples galères, fustes, mahonnes, caramoussales, galiotes,
et grosses nefs, armées jusqu'aux dents, comme nous venons de le
voir par l'exemple de ce gros trois mâts, dont la cuirasse de feutre
de couleur était imbibée d'eau pour se défendre du
feu grégeois, selon le système de protection déjà
en usage sur les dromons du IX` siècle.
---------Ce
fut une époque de perfectionnements : gréements, mâtures,
voilures. coques, et science même de la navigation évoluèrent
rapidement.
---------On
possède une iconographie assez pauvre concernant les nefs de la
Méditerranée. Toutefois des chiffres nous sont fournis par
des devis et des marchés. ---------Nous
citerons, à titre d'exemple et bien que bateau spécial,
la "Rocheforte ", livrée par Venise à Saint
Louis pour sa croisade. Elle avait 36 mètres de long sans compter
ses châteaux débordants ; sa quille n'avait que 23 mètres
avec des extrémités très arrondies. La largeur atteignait
13 mètres 30 et le creux était de 12 mètres 85 à
partir du plat bord. Ces mesures nous donnent évidemment de grosses
formes rondes bien loin d'être légères, mais ces formes
n'ont pris un réel allongement que récemment. Jal fait observer
à ce sujet que de son temps, voici à peine un siècle,
les navires avaient une largeur comprise entre le tiers et le quart de
leur longueur. Ces nefs, bâtiments lents mais marins, étaient
gouvernées par deux avirons de queue, un de chaque bord. Il ne
s'en perdit que deux, nous dit Joinville dans son récit, sur près
de quinze cents qui formaient la première expédition de
Saint Louis.
---------Voici
d'autres mesures concernant une nef latine du XIVè siècle.
Jal nous les donne (Archéologie, Tome H, Mémoire n°
5) comme provenant d'un manuscrit vénitien de la bibliothèque
de Magliabecchi :
---------Longueur
de quille : 20 m. 78 ; longueur totale
27 m. 77 ; largeur du pont : 8 m. 28 ; largeur, à trois
pieds au dessus du fond : 5 m. 53 ; largeur du fond
dans sa partie plate : 3 m. 12 ; creux À partir du pont
3 m. 28 ; longueur du mât de l'avant : 24 m. 36 ; longueur de son
antenne : 27 m. 77 ; longueur du mât du milieu : 22 m. 67 ; longueur
de son antenne 22 m. 67.
---------Sur
les formes du navire lui-même, il n'est donné aucune indication.
On peut tout au moins remarquer par la décroissance rapide de sa
largeur combien la coque devait être évasée. Le mât
de l'avant était très incliné sur l'étrave.
L'inventaire fournit, en outre, de précieux renseignements très
détaillés et décrit très bien le nouveau timon
avec sa manoeuvre à l'intérieur du navire c'est le gouvernail
axial qui apparaît et qui remplacera désormais les deux gros
avirons latéraux mentionnés sur la " Rocheforte ".
Le navire possède trois embarcations de 8 à 10 mètres.
---------Ces
lourds bateaux ne parvinrent pas à entraver l'activité des
barbaresques. Au début du XIVe siècle, dit le bénédictin
Fra Diego de Modo, les marins du petit Etat qu'était alors Alger,
où il fut esclave de nombreuses années, cinglaient jusqu'aux
côtes d'Espagne sur de tout petits brigantins. Tirant leurs barques
à terre, ils les enfouissaient dans le sable, puis, sous le déguisement
des gens du pays, allaient razzier les habitations d'alentour pour emplir
leurs embarcations, qu'ils déterraient alors en vue du retour.
Si l'esquif était minuscule, il faut avouer que le type d'homme
qui le montait était par contre d'une bien grande audace. C'est
d'ail-leurs à la suite de ces actes de brigandage par trop répétés,
que l'Espagne, maîtresse déjà de Mers-el-Kébir,
d'Oran et de Bougie, s'empara enfin des roches abri d'Alger pour y édifier
le fort du Penyon. En 1375, le nom d'Alger figure pour la première
fois sur une carte catalane conservée à la Bibliothèque
Nationale.
---------La
rade d'Alger dut alors voir plus de gros bâtiments qu'elle n'en
avait jamais reçus jusque là. Ses navires de fort tonnage
avaient pris l'habitude de se réfugier à Bougie et d'y hiverner
afin d'éviter le mauvais temps et le ressac qui ont causé
tant de naufrages.
---------Alger
n'a donc pa ignoré les tâtonnements de la marine et les grosses
améliorations apportées aux navires dès le début
du XVè siècle : les châteaux furent rehaussés,
la " rentrée " fit son apparition ainsi que les membrures
extérieures ou gros renforts verticaux destinés à
consolider les flancs du bâtiment, et l'arrière carré
" se disputa la priorité avec " l'arrière rond
". La voile milieu augmenta considérablement de dimension
pour accroître la propulsion, laissant à celles de l'avant
et de l'arrière le soin d'agir sur la direction.
---------Cette
époque vit deux géants de la mer s'affronter : Kheir-ed-Din,
dit " Barberousse ", et Andrea Doria, Amiral génois.
Kheir-ed-Din s'empara du Penyon espagnol en 1529, date à laquelle
la Régence d'Alger prit vraiment son essor. Rappelons en passant
que quelques an-nées plus tard, lors de l'alliance du Roi très
chrétien avec le Grand Seigneur, Alger voyait sortir de sa rade,
le 16 septembre 1536, huit galères turques et douze françaises
qui, naviguant de conserve, s'en allaient sur les côtes catalanes
attaquer les forces impériales.
---------Le
XVI° siècle, qui est véritablement celui de la formation
du " vaisseau ", continue le progrès amorcé et
développe voiles et gréements. La coque a perdu ses "
fesses rondes " et présente maintenant un tableau, sur presque
toutes les nouvelles constructions. Bartolomeo Crescention (Nautica Mediterranea)
nous indique que les navires de type courant avaient environ 30 mètres
de long, 10 de large et autant de creux ; le grand mât était
de la longueur du navire, le mât de proue de 8 mètres, et
les mâts arrière et de beaupré de 6 m. 30 ; les vergues
avaient les quatre cinquièmes de la longueur de leurs mâts.
Ces chiffres correspondent à la taille de nos "Terre-Neuves
", en plus large. Mais, en même temps, on en arrivait à
des exagérations, tant en hauteur de châteaux, nombre de
bouches à feu, qu'en hauteur de mâts..., exagérations
qui rendaient les navires si peu stables que de nombreux accidents survinrent.
L'assagissement suivra, comme il se doit, mais en laissant cependant se
développer le luxe des décorations et des sculptures jus-qu'au
siècle suivant.
---------A
partir de ce moment, la piraterie donne de tels résultats que toute
la population algéroise veuf prendre part à l'armement des
écumeurs de mer et l'on verra le XVIIè siècle devenir
l'époque la plus représentative de cette véritable
" industrie nationale ".
---------Vers
1630 la flotte d'Alger compte 70 navires, nous dit le père Dan
dans son " Histoire de la Barbarie ". Et ces navires
ont capturé en quelques années, à la France seule,
82 bateaux, soit cinq millions de livres de l'époque. Non seulement
les barbaresques opèrent de Tétouan aux Dardanelles, mais
encore les trouve-t-on en Mantique ainsi que sur les côtes d'Angleterre
et d'Islande, conduits par des pilotes renégats, alléchés
par l'appat du gain, ou bien encore captifs !
Barque longine XVIIè , dessin de Jouve.
|
---------La
flotte barbaresque a plusieurs origines : les gros navires sont des prises
amarinées et ramenées vers les ports africains. Les barbaresques
en mettent en chantier eux-mêmes un grand nombre de petits, auxquels
s'ajoutent les bâtiments que les prisonniers et les renégats
construisent avec les méthodes de leur pays. Ils ont, pour effectuer
les travaux, une maind'ceuvre nombreuse puisée dans les bagnes.
---------Avec
la galiotte, les bâtiments les plus nombreux de le flotte barbaresque
sont effectivement les brigantins et frégates à voiles latines
qui sont armés de quelques espingoles. Le brigantin e de huit à
seize bancs avec un seul homme par aviron et la frégate, de six
à douze ; elle mesure 35 pieds de long, sept pieds trois pouces
de large avec deux pieds et huit pouces de creux. Le chebec et la felouque,
types les plus caractéristiques, sont fins et rapides à
l'image d'une galère dont ils ont la voilure. Avec le temps, ils
furent dotés du grément à traits carrés et
de l'artillerie des bâtiments de haut-bord (18 à 30 canons
armaient un chebec). Entre leurs canons sont les sabords de nage. La "
pinque " génoise et le " polacre " ressemblent au
chebec, mais, légèrement plus massifs, servent plutôt
au commerce, tout en étant armés.
|
|
----------Les
chebecs et felouques, mouches insaisissables, harcelèrent le trafic,
où qu'il fut, tant et si bien qu'en 1662 les dirigeants de la ville
de Marseille demandèrent au roi d'intervenir contre les barbaresques.
Et le roi de France fit armer douze galères et vingt vaisseaux
qui combattirent sans merci. On se rappelle les exploits d'un des fameux
capitaines de ce temps : " Le Chevalier Paul ".
---------A
côté de ces guerillas quasi perpétuelles n'est-il
pas curieux de remarquer qu'à peu près toutes les nations
européennes envoyaient des cadeaux aux Régences barbaresques
?... et que ces cadeaux consistaient aussi bien en bois des pays nordiques
qu'en apparaux, armes et autres objets, de la part de l'Angleterre ; en
vaisseaux, tout gréés même, venant de Hollande ou
de France. En un mot la chrétienté fournissait délibérément
des verges pour se faire fouetter ; éternels intérêts
particuliers mis en jeu aux dépens de l'intérêt général.
Galère barbaresque, Le P.Dan, bibl.nationale.
|
---------Les
gros vaisseaux barbaresques sont donc pour la plupart des navires européens,
" trois mâts ", avec en plus, à l'époque,
un mât de perroquet de beaupré ; ils comportent, devant,
" civadière " ainsi que "contrecivadière
" et derrière, " l'orse ", cette antenne à
voile latine encombrante qui sera amputée de sa pointe de devant
pour nous donner la voile aurique, vers le début de la deuxième
moitié du XVIII5 siècle; l'orse, une fois tronquée
à la fin de ce siècle, nous laissera ensuite " la corne
", telle que nous la connaissons. Ces vaisseaux ont l'allure caractéristique
que chacun connaît pour en avoir vu des maquettes, avec leur avant
à " guibre " imposante, généralement décorée
d'une figure de proue ; cette guibre est reliée à la coque
par un encorbellement de " herpes " qui soutient des "caillebotis
". L'avant rappelle les chaussures pointues de l'époque, dites
à la " poulaine ". Là se trouvent les lieux d'aisance
de l'équipage, d'où l'expression encore en usage et si imagée
de se rendre à la " poulaine ". Le " coletis "
est cette muraille abrupte qui termine en carré l'avant du "
château ".
---------L'arrière,
toujours plus ou moins décoré, comporte généralement
un grand balcon flanqué de deux protubérances dénommées
" bouteilles ", à cause de leur forme de flacons ventrus.
Ces bouteilles servent de " lieux de commodité " aux
officiers - l'expression s'est conservée sur nos bateaux modernes.
- Entre les deux parties extrêmes, les flancs,
percés de " sabords " à " mantelets "
rabattables, laissant passer les gueules des canons. Les flancs sont ceinturés
de préceintes peintes en bleu, vert et même rouge, selon
le goût des capitaines. A l'intérieur, la " grand rue
", immense emplacement qui va du pied de l'artimon à l'arrière
du pied de mât de misaine et qui se fermera par un pont continu
vers la fin du XVIlle siècle, reçoit, l'une dans l'autre,
les embarcations. C'est à l'entrée du gaillard d'avant que
se réunit l'équipage, près du " charnier "
qui contient l'eau douce que boivent les hommes.
---------À
l'arrière se tient la "mèche", dans son barillet
suspendu, gardée par un factionnaire ; on y vient chercher le feu
pour fumer, les briquets étant interdits sur les navires en bois.
L'intérieur des pavois et des batteries est peint en rouge afin
d'atténuer la vue des éclaboussures du sang qu'on étanche
pendant le combat en répandant de la sciure de bois sur le pont.
Cette couleur subsistera à l'intérieur jusqu'au début
du XVIIIè siècle et sera finalement remplacée par
un vert, plus doux aux yeux, qu'on trouve d'un usage courant sur les navires
français vers 1815.
---------Le
gouvernail reste tel que nous l'avons vu, avec son timon manoeuvré
par la " manuelle ", cette espèce de grand bras de levier
vertical, qui, passant par une fente latérale au travers des ponts
des bâtiments de haut-bord, pousse sur tribord ou babord le timon
du gouvernail. On estime ainsi à sept degrés l'angle maximum
sous lequel on pouvait orienter le safran, tellement était ardu
le fonctionnement de cet appareil sur les gros vaisseaux ; aussi est-il
légitime de penser que le navire évoluait surtout par brasseillage
1 II faudra attendre le début du XVIII° siècle pour
qu'apparaisse la " roue " à gouverner. Les poupes alors,
redevenues rondes, de carrées qu'elles étaient encore au
début du règne de Louis XIV, permettront à la "mèche"
de pénétrer verticalement par un trou rond, " la jaumière
" qui sera étanchée par le " presse-étoupe
", imaginé à l'intention de supprimer les paquets de
mer qui entraient autrefois par l'ouverture du tableau où passait
le timon.
---------Quant
à la " frégate ", telle que nous la concevons,
c'est vers 1620 qu'elle est apparue dans la mer du Nord. De conception
Dunkerquoise ou Anglaise, Alger ne la verra que plus tard avec Duquesne.
C'est un " petit vaisseau " avec le même gréement
que son grand frère, mais ne portant que 10 à 15 canons
rangés sur le pont ; elle sert surtout d'estafette entre les navires
d'une même escadre, fait la police des rades etc... Cette frégate
porte environ 200 tonnes et mesure un peu plus de 27 mètres de
longueur de quille, près de 31 mètres hors tout, 8 mètres
de large avec 3 m. 25 de creux.
---------Petit
à petit, elle grandira pour devenir, aux approches de 1830, un
bâtiment de 55 mètres de long portant 60 bouches à
feu, avec 450 hommes à bord.
---------Et
la "Corvette"? Ce petit navire créé pour remplacer
la frégate qui grandit, n'est encore au XVIIè qu'une grande
barque mue à l'aviron comme le frégate primitive.
---------Alger
voit encore, avec Duquesne en 1682, les galiotes à bombes d'Elicageray,
dit Petit Renaud ; ces petits bâtiments ont des formes trapues (25
mètres de long sur un peu plus de 8 mètres de large) ; des
mortiers étaient établis à fond de cale sur une plate-forme
renforcée. Son gréement, curieux au premier abord, avec
son mât de misaine supprimé, s'explique cependant par le
dégagement qu'il offre au tir des mortiers. Quant à la
puissance manoeuvrière de ces navires. c'est une autre question
et l'énorme fardage que présentaient les voiles d'étai
devait imposer aux navires une dérive conséquente.
****
---------Le
Marquis d'Antin qui accompagnait Duguay-Trouin à Alger en 1731
sur le vaisseau l'" Espérance " nous e laissé
un aperçu de la marine algéroise dans ses mémoires.
Voici un extrait du journal où il narre la campagne de quatre Vaisseaux
du Roi :
---------"
Il a (le Dey), le 10 % sur toutes les marchandises des prises et lorsqu'il
s'y trouve des esclaves outre le huitième au-quel il e le droit,
il est le maistre d'en prendre tel nombre qu'il veut, et de les payer
au prix qu'il trouve bon. Comme cette république est gouvernée
par les Turcs, les marchands de cette nation sont exempts de tous droits.
Galère du XVIIè , par Pierre Puget
|
---------"
Les bois qu'ils emploient à leurs constructions sont d'une espèce
de chêne très dur dont la force et la durée les mettent
au dessus des bois du Nord. Ils les tirent en partie des montagnes dont
les habitants leur font payer très cher. Ils employent aussi à
leurs constructions les pièces de bois encore de service provenant
de la démolition de leurs prises.
---------"
Ils ont actuellement pour constructeur un renégat maltais qui a
travaillé longtemps sous le sieur Blaise Coulomb, constructeur
des vaisseaux du Roi au port de Toulon, lorsqu'il eut ordre de la Cour
de passer à Malte pour y construire pour la Religion.
---------"
Les Anglois, Hollandais et Suédois font souvent des présents
considérables au " Dey ", en munitions de guerre et marchandises
nécessaires dans un arsenal. Il y e deux ou trois mois que les
Suédois lui envoyèrent une flûte chargée de
50 mâts, de 40 canons de fer des calibres de 18, 14 et 12, de six
câbles de 18 pouces, 18.000 boulets, 4.000 sabres, 4.000 canons
de fusils, goudron, bray etc..., le tout estimé trois
cent mille livres ; ce présent a été une des conditions
de leur traité de paix avec les Algériens. Le " Dey
" a acheté cette flûte 13.000 piastres du pays valant
3 livres 5 la pièce, monnoye de France.
---------"
Liste des vaisseaux et autres bâtiments de la République
d'Alger qui sont actuellement dans le port ou à la mer :
Noms des vaisseauxet autres bâtimentsqui
vont à la mer
|
Canons
|
Equipages
|
Le Vaisseau de Bely
|
54
|
400
|
Le Grand Oranger
|
54
|
400
|
La Demi-Lune
|
44
|
350
|
La Petite Gazelle
|
46
|
350
|
Le Petit Oranger
|
50
|
400
|
L'Oranger
|
44
|
350
|
Le Cherif
|
26
|
200
|
Une Kaiche angloise
|
24
|
100
|
Idem
|
16
|
100
|
Idem
|
16
|
100
|
Idem
|
14
|
100
|
Une barque
|
18
|
120
|
Idem
|
16
|
150
|
Idem
|
16
|
150
|
Idem
|
14
|
100
|
Idem
|
12
|
90
|
Idem
|
12
|
100
|
Idem
|
2
|
50
|
---------"
Quatre galiottes, dont trois de 26 bancs chacune et l'autre de 24, ayant
toutes trois canons et plusieurs pierriers, à la mer.
---------"
Deux escampiers éperonnards, à la mer.
" Le Vaisseau de Bely, dans le port, de 80 canons, dont les oeuvres
mortes ne sont pas finies ; ce vaisseau e 15 sabords ouverts à
sa première batterie et doit être commandé par Mehemet
Rays, Portugais favory du " Dey ".
---------"II
y a trois vaisseaux sur le chantier qui sont presque finis et dont les
noms sont cy-après :
|
Canons
|
Capitaines
|
Le Rosier
|
44
|
Benagi Mauzzo
|
Le Soleil
|
46
|
Kava Ali Barbanegra
|
Le Petit Rosier
|
44
|
Mehemet Rays
|
---------"
Un autre en quille, de Bely, de 64 canons il doit être commandé
par Abdula Rays. C'est le Maltois renégat qui le construit.
---------Ce
" vaisseau de Bely " était le seul qui appartenait en
propre à la Régence et était armé aux frais
du " Dey ". Les autres navires étaient- à la charge
des armateurs qui devaient les remplacer en cas de pertes. Les capitaines
étaient, suivant l'usage de l'époque, intéressés
dans l'armement.
---------"
Le commerce consiste en " Bled ", orge, cuir, huiles, escayolles
ou graines de canaries, plumes d'autruches, laines, et autres marchandises
du Levant. Le commerce maritime est peu de chose, il ne consiste presque
tout que dans la vente des prises (1731) ".
*****
---------En
août 1816, le port d'Alger subit la présence de l'escadre
de Lord Exmouth qui vient, sous le couvert du pavillon parlementaire,
y incendier et détruire tous les bâtiments présents.
---------En
1829, Monsieur Bianchi, interprète du Roi, attaché au Commandant
de la Bretonnière, dit que dans le port se trouvaient :
---------La
Clef du Monde, grande frégate de 60 canons en très mauvais
état ; Le Fils du Plongeur, petite frégate ; Deux corvettes
; Le Bienfait de Dieu, brick ; Le Porteur de Bonnes Nouvelles, brick ;
Cinq goëlettes dont deux sans canons ; Une vingtaine de chaloupes
canonnières portant chacune une pièce de bronze de gros
calibre ; Deux cents rais et 1.800 marins étaient encore entretenus,
bien que sans emploi, aux frais de la Régence. Ils étaient
destinés aux armements éventuels ?
---------En
1830, la France a enfin apporté à la Régence, entre
autres richesses, le progrès de la vapeur et le développement
du port d'Alger. Ne lui reste-t-il pas maintenant le devoir de devenir
gardienne du long film maritime qui d'Eikosi à Alger s'est déroulé
pendant des siècles ? Or ce film est dispersé de tous les
côtés.
---------Par
sa position au centre du bassin occidental de la Méditerranée,
par sa longue histoire où les flottes antiques, barbaresques et
européennes jouent un si grand rôle, notre ville n'est-elle
pas désignée pour réunir et conserver une documentation
précieuse sur la vie maritime en Méditerranée au
cours des âges 7
---------Souhaitons
que de nombreux amis des choses de la mer, répondant à cet
appel, se groupent dans le but de combler une lacune et fondent à
Alger un Musée, de la Marine antique et Méditerranéenne
qui n'existe nulle part. Ce serait pour Alger une nouvelle richesse.
P. J. BRUHIER.
---------L'auteur
a consacré une bonne partie de son activité à défendre,
à Paris, les souvenirs de la vieille marine à voiles. Il
a été, en outre, chargé avant la guerre, de se faire
une idée des vestiges recélés par les côtes
de l'Afrique du Nord française. Ce n'est donc pas à la légère
qu'il préconise la création à Alger d'un musée
des Marines antique et barbaresque, où seraient réunies
des collections uniques en leur genre. -
---------Les
amis de la Marine qui désireraient apporter à ce projet
le concours de leur compétence sont priés d'adresser leur
correspondance à l'Ofalac, 26, boulevard Carnot.
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