Le port
d'Alger
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I - La nécessité de moderniser le port de Marseille dans les années 1830 Le Lacydon, une calanque naturelle de 26 hectares, véritable port naturel abrité des vents dominants, protégé du large par une passe d’entrée resserrée, sut répondre parfaitement, pendant plus de deux millénaires, aux besoins militaires et commerciaux de la cité phocéenne.
Pour résumer, deux conceptions s’opposent : Celle d’un Lacydon-bis, creusé au milieu des terres, en prolongation du Lacydon existant, ou encore creusé dans la côte, comme une calanque artificielle, dans le secteur de Saint-Lambert ou celui des Catalans.
Citons également, pour mémoire, le projet d’Alexandre Corréard (1837) qui jette deux grands viaducs au-dessus du Lacydon pour conduire les trains jusqu’aux Catalans où sont établis les docks !
La seconde option, la plus audacieuse, présente de nombreux avantages, notamment parce qu’elle permet d’échapper à toute contrainte foncière, qu’elle peut être reliée au Lacydon en réutilisant les fossés du fort Saint-Jean, qu’elle serait plus facilement reliée au futur réseau ferré, mais aussi au Rhône… Mais, en revanche, elle pose des problèmes techniques de grande envergure, notamment la réalisation de travaux maritimes en pleine mer par des fonds supérieurs à 10 mètres.
Concrètement, l’argument qui a permit de conclure ce débat au profit du projet le plus audacieux, a été la publication, en 1840, du mémoire de l’ingénieur Poirel qui venait de mener à bien, le prolongement de la digue du port d’Alger. Il démontre que c’est grâce à l’emploi de blocs artificiels en béton, pesant plus de dix tonnes chacun, que la fondation de cet ouvrage par grand fond avait prouvé sa résistance aux assauts d’une mer réputée dangereuse. C’est en se référant explicitement au modèle algérois que l’Ingénieur en Chef du département des Bouches du Rhône, Charles-François de Montluisant et son second Louis Toussaint, réussissent à persuader l’administration centrale ainsi que les institutions locales d’approuver le projet de « port auxiliaire de la Joliette ». II - Le modèle algérois des travaux à la mer de l’ingénieur Poirel Au moment de la prise d’Alger, l’ancienne darse des Turcs n’avait qu’une superficie de 3,5 hectares avec une passe de 130 mètres de largeur ouverte au Sud.
« Comme le grand môle est exposé directement au nord, pour empêcher qu'il ne soit emporté par les furieux coups de mer, qui roulent avec impétuosité sur un banc de sable, qui règne tout le long de ce môle, en dehors du port, on est obligé de faire travailler toute l'année les esclaves du Beylick à une carrière de pierres dures, qui est près de la pointe Pescade, et à porter ces pierres et les jeter dans la mer, tout le long du môle, pour le garantir. La mer emporte à peu près tous les rochers qu'on y jette, mais on a toujours soin de les remplacer. »
Dans son mémoire « Mode de fondation à la mer pour les jetées des ports », l’ingénieur des Ponts et Chaussées Victor Poirel, chargé en 1833 des travaux du Port d’Alger, précise : « Le saillant ou musoir du môle, dans lequel la mer avait ouvert une large brèche, fut aussi réparé en 1831 ; mais la nouvelle maçonnerie, qui reposait sur des enrochements que chaque coup de mer un peu fort faisait descendre, fut entièrement détruite par les premiers mauvais temps de l'hiver de 1832. Toutes les reprises qu'on eût pu faire au parement eussent infailliblement subi le même sort, puisque la base sur laquelle on l'avait fondé était mobile. » Les hivers suivants, certains blocs de près d’un mètre cube sont « portés par la lame sur le terre-plein du môle », un autre « d’un volume de 4 mètres avait traversé la passe pour venir jusqu’au musoir de la santé. »
En bon ingénieur, Poirel expose que « l’action (de la lame), étant proportionnelle à la surface choquée, tandis que la résistance du bloc croît comme son cube, il y a nécessairement un point où cette dernière doit l'emporter. Cette limite fut d'abord fixée à 20 mètres cubes; mais il a depuis été reconnu que sous un volume de 10 mètres, le bloc restait déjà immobile. On ne pouvait pas songer, pour des masses pareilles, à les tirer des carrières, en raison des difficultés que l'on eût trouvées à les extraire et de celles, non moins grandes, que leur transport eût présentées. Il ne restait donc d'autre parti à prendre que de les fabriquer artificiellement, et l'on s'est ainsi trouvé conduit à l'usage des blocs de béton. »
Les blocs de béton imaginés puis mis en œuvre par Poirel sont de deux espèces. Ceux de la première espèce se construisent dans l’eau, à la place même qu’ils doivent occuper. « Ils se moulent parfaitement sur le terrain et se lient avec lui par les aspérités qu’il présente ». Les autres sont fabriqués sur berge, pour ensuite être lancés à la mer par ripage depuis la terre ou par pontons flottants remorqués jusqu’à leur place définitive. Dans les deux cas, on utilise des « caisses-sacs », démontables et réutilisables, garnies à l’intérieur de toile goudronnée.
Le mortier utilisé pour la fabrication du béton immergé est formé en volume d’une partie de chaux grasse éteinte en pâte, mélangée avec deux parties de pouzzolane provenant des caves de Saint-Paul, près de Rome. Grâce aux techniques mises au point « sur le tas », M. Poirel est parvenu en 5 années à reconstruire à neuf le môle de l’îlot de la marine (125 m de longueur sur 95 m dans sa plus grande largeur) sur toute sa longueur, à former un brise-lames le long de la jetée Khaïr-ed-Din (175 m de longueur sur 40 m de largeur en couronnement) et à donner à ces ouvrages une solidité à toute épreuve. III - Le bassin-modèle de la Joliette Rassurés sur le plan technique par l’expérience algéroise, les ingénieurs chargés à Marseille de la réalisation du « port auxiliaire de la Joliette » vont réaliser une grande digue de protection parallèle à la côte, « la grande jetée du large ». La relation de cette digue à la terre sera assurée par deux jetées perpendiculaires, appelées traverses, qui forment les limites latérales du bassin. Le prolongement de la digue au-delà des traverses détermine deux avant-ports protégeant les deux passes d’entrée de la darse. Tout le bassin est entouré de quais : la digue du large sur sa face interne, le quai de rive, les quais le long des deux faces des traverses. L’avenir du port de Marseille est alors assuré pour un siècle, et c’est bien à l’expérience préalable réalisée pour le port d’Alger par l’ingénieur Poirel que les ingénieurs du port de Marseille le doivent à l’époque.
Par la suite, le tracé des bassins du Lazaret et d’Arenc, puis Napoléon, National, de la Pinède, de la Madrague, qui répondront aux besoins d’extension du port, ne feront que reproduire ce schéma au 19ième puis au 20ième siècles, jusqu’à ce que soit commencée la reconstruction du port dans les années 1950 et conçu et décidé le grand projet de Fos, en 1964. IV - L’amélioration du modèle algérois La reprise du modèle algérois à Marseille fera l’objet d’améliorations et de perfectionnements. En effet, l’utilisation exclusive de blocs de béton d’une masse supérieure à 10 tonnes peut conduire à des coûts exorbitants si le système est appliqué par grands fonds, ce qui est le cas à Marseille où la cote des 10 m est dépassée partout. La grande jetée de Cherbourg, achevée au début du 19ème siècle, construite selon la technique des « jetées à pierres perdues » constituait la référence jusqu’à l’expérience d’Alger. Blocs de pierre et produits de carrière étaient immergés pêle-mêle, sans distinction de grosseur. La stabilité de l’ensemble ne se réalisait qu’au prix d’une pente très douce du côté du large (12%), et malgré cela des affaissements se produisaient obligeant à recharger constamment l’édifice. En s’inspirant des deux formules, celle de Cherbourg et celle d’Alger, les ingénieurs Montluisant et Toussaint vont imaginer pour Marseille un nouveau mode de construction, combinant les enrochements naturels et l’emploi des blocs artificiels.
Les blocs de béton ne forment que le revêtement extérieur, du côté du large, d’une jetée dont le noyau sera constitué d’enrochements naturels, mais à la différence de Cherbourg, les produits constituant le noyau ne sont pas déversés pêle-mêle, mais disposés par couches successives selon leur grosseur, de façon que les plus gros recouvrent toujours les plus petits. La stabilité est donc croissante à l’approche des sommets des vagues, et maximale du côté du large. Cette technique permet en outre d’économiser des matériaux : il y a 30% de vide dans la digue de Marseille, contre 10% pour Cherbourg ; le talus est à 75% de pente pour Marseille contre 12% à Cherbourg. L’expérience d’un siècle et demi permet aujourd’hui de confirmer l’excellence du système adopté.
V - Le port d’Alger à la fin du 19ième siècle Juste retour de choses, après avoir été l’initiateur de nouvelles techniques de fondation de jetées en mer, le port d’Alger bénéficia des perfectionnements apportés par le port de Marseille. En moins de 50 années la superficie totale du port passa de 3,5 hectares à 87 hectares, accessibles aux plus grands navires sur presque toute son étendue, et comprenant les ouvrages suivants : 1. Le jetée Khaïr-ed-Din et le môle de l’ilot de la Marine, formant la darse ; 2. La jetée du Nord, avec son musoir et son prolongement de 200 m au-delà ; 3. La jetée du Sud, formée de deux branches : l’une de l’enracinement et l’autre de l’Est, avec musoir à son extrémité ; 4. Les quais ; 5. Quatre cales de carénage, dont une située au fond de la darse, près de l’Amirauté, et les trois autres se suivant, sans intervalle entre elles, et contigües au quai précédant immédiatement la tête de la petite forme de radoub ; 6. Les deux formes de radoub.
Jean-Pierre SIMON Bibliographie
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