|  PRESENTATION GENERALE 
        HISTORIQUE 2° 32 ans pour coloniser la 
        Mitidja : 1830-1862
 Je prends le mot colonisation dans son sens 
        étymologique, qui signifie installation de colons soit par le gouvernement, 
        soit à son initiative, soit avec son accord, dans une territoire 
        dépendant d'une métropole. Ainsi conçue la colonisation 
        de la Mitidja est achevée en 1862 avec la création des deux 
        villages d' Attatba et de Montebello. A cette date, au plus tard, les 
        territoires dépendant d'un village de colonisation sont limitrophes 
        et recouvrent toute la plaine.  Cette installation de colons fut, pour l'essentiel, l'uvre 
        des gouvernements français ; mais elle fut toujours accompagnée, 
        voire précédée, par des initiatives individuelles. 
        Elle a commencé bien avant que la sécurité ne soit 
        établie solidement : on se souvient du désastre de l'automne 
        1839. Et elle fut lente car les problèmes furent nombreux et les 
        solutions difficiles à imaginer et à imposer à une 
        population indigène musulmane qui ne pouvait pas être favorable 
        d'emblée à cette cohabitation contrainte avec des chrétiens 
        qui la dépossédaient nécessairement d'une partie 
        de ses terres de parcours.  Pour coloniser il faut trouver des terres disponibles, 
        des colons, des compromis acceptables par la population indigène 
        et des modes d'attribution des terres judicieux. Ce ne fut pas facile 
        : il y eut beaucoup d'hésitations de 1830 à 1851, date de 
        la création de la commission des transactions 
        et partages. Comme, durant cette période, la plaine de la 
        Mitidja était la seule région un peu étendue à 
        voir débarquer des centaines de colons, elle a servi de banc d'essais 
        ; pas étonnant que les solutions retenues aient été 
        changeantes au début 2a/ Comment prendre 
        possession des terres à coloniser ? Il y a trois façons de s'y prendre - incorporation au Domaine 
        public
 - mise sous séquestre
 - achat.
 
 Les deux premières pratiques ne sont accessibles qu'à l'Etat 
        ; en l'occurrence à l'initiative du Commandant en chef ou du Gouverneur 
        Général. Les achats peuvent être privés ou 
        publics : s'ils sont publics, ils peuvent accompagner une expropriation 
        pour cause d'utilité publique. Ces expropriations furent exceptionnelles 
        dans la Mitidja, et le plus souvent liées à des travaux 
        d'assainissement ou de routes. Quel que soit le mode choisi, il était 
        rendu délicat par la destruction des registres notariaux (lorsqu'ils 
        avaient existé) et par l'absence de cadastre.
 Dès le 9 septembre 1830 Clauzel 
        signe un arrêté qui décide 
        l'incorporation au domaine public des 
        biens du beylik (propriétés du dey et de son administration), 
        des Turcs qui s'étaient enfuis (il y en avait beaucoup dans la 
        Mitidja, notamment autour de Blida) et des habous publics. Cet arrêté 
        est confirmé par les ordonnances royales d'octobre 
        1844 et de juillet 1846 qui ajoutent que pourront être 
        saisies les terres non cultivées si aucun propriétaire ne 
        possède de titre officiel (cas très rare). L'application 
        de ces mesures fut souple : voici les chiffres trouvés dans un 
        article des Annales de Géographie de 1951 pour la Mitidja. 
         
          | Attribués à des colons 
            européens, presque toujours français | 37 000 hectares |   
          | Attribués à des colons 
            indigènes | 27 000 hectares |   
          | Consacrés à la création 
            de 9 villages de colonisation | 49 000 hectares |   
          | Laissés aux occupants indigènes | 11 000 hectares |   
          |  |  |  Ce total de 124 000 hectares est compatible avec la surface 
        de la plaine qui est de l'ordre de 130 000 hectares. A noter que les attributaires 
        indigènes pouvaient vendre leur terre à un autre indigène, 
        mais pas à un colon ; disposition mal appliquée, semble-t-il. 
         
         
          | Les biens habous 
              privés Ce sont des 
              biens de mainmorte musulmans dans la version sunnite 
              malékite en usage dans les pays du Maghreb ; en orient on 
              dirait biens waqf.
 Ils sont créés 
              par des particuliers qui font un don perpétuel de tout ou 
              partie de leurs biens à une institution pieuse ou charitable 
              ; mosquée, zaouïa, medersa, hôpital, cimetière 
              etc. La donation est enregistrée par un cadi. 
              Le bien donné ne sera mis à la disposition du donataire 
              que lorsque la lignée du donateur sera éteinte (ou 
              déshéritée).
 
 En attendant ce jour lointain le donateur, puis ses descendants 
              gardent l'usufruit.
 
 Les biens habous sont inaliénables et incessibles ; ils ne 
              peuvent être ni vendus, ni cédés, ni partagés. 
              Dans l'école juridique malékite les biens meubles 
              ne peuvent être dissociés du bien donné. Si 
              le don concerne un haouch, les instruments et les troupeaux en font 
              partie.
 
 Quelles peuvent être les raisons 
              du donateur ?
 Elles sont de deux sortes : la piété et l'intérêt.
 La piété peut suffire ; mais ce doit être rare.
 L'intérêt peut être multiple :
 garantie contre le risque de spoliation
 garantie de garder ses revenus
 pouvoir favoriser ou léser un héritier.
 En ce qui concerne la répartition entre les héritiers, 
              elle est enregistrée par le cadi et gardée secrète 
              jusqu'à la mort du décideur. Pas de dispute prématurée 
              entre futurs héritiers et pas de dispute utile au moment 
              de l'héritage.
 
 Dans la Mitidja la pratique des biens habous s'est développée 
              surtout durant la période ottomane. Les haouchs de la Mitidja, 
              proches d'Alger, intéressaient les dignitaires turcs résidant 
              à Alger : le risque de confiscation sous divers prétextes 
              était donc réel. Pour les propriétaires pas 
              de meilleure protection : bien qu'hanéfites (et non malékites) 
              les Turcs ont respecté l'inaliénabilité des 
              biens habous.
 
 A la mort du dernier dévolutaire 
              les biens habous privés deviennent publics. Tous 
              les habous privés ont vocation à devenir publics. 
              Les biens habous publics ne peuvent jamais redevenir privés. 
              Les habous publics sont administrés par l'institution choisie 
              au départ par le donateur, ou par un mandataire appelé 
              nadhir si la susdite institution a disparu.
 
 Dans la Mitidja ces biens privés ont survécu à 
              tous les changements politiques depuis 1830. Ils sont aujourd'hui 
              régis par une loi, complexe, promulguée en 1984, et 
              consultable sur internet.
 
 |  Dès 1840, après la grande peur de la fin 
        1839 dans la Mitidja, les biens des tribus révoltées, essentiellement 
        les Hadjoutes, sont mis sous séquestre. Un séquestre 
        est une confiscation provisoire qui peut déboucher sur- une restitution sans condition
 - une restitution après paiement d'une amende
 - une incorporation au domaine public.
 
 En 1840 les tribus du Sahel , complices des Hadjoutes, ont récupéré 
        une partie seulement de leurs biens, mais les terres des Hadjoutes ont 
        servi à la création des villages de la région de 
        Marengo. On se souvient que les Hadjoutes appartenaient, sous les Ottomans, 
        au Maghzen supérieur.
 
         
          |  Les trois sortes 
              de tribus à l'époque turque Les tribus 
              du Maghzen supérieur devaient se tenir prêtes 
              à fournir un appui militaire (hommes et chevaux) à 
              n'importe quel moment. En échange elles sont dispensées 
              du paiement des impôts non coraniques. Elles sont propriétaires 
              de leurs terres et ne doivent donc payer aucun fermage.
 Les tribus du Maghzen inférieur 
              ne sont mobilisables qu'à titre exceptionnel ; et ne sont 
              dispensées du paiement que d'une partie des impôts. 
              Elles sont assujetties au paiement d'une taxe territoriale qui est 
              une sorte de droit d'usage des terres.
 
 Les tribus raïas payent tous les impôts et 
              ne peuvent jamais être mobilisées. Pour elles les tribus 
              Maghzen sont une calamité.
 |   Dans la Mitidja, avant 1842, il y avait les Hadjoutes 
        du Maghzen supérieur et les autres qui étaient raïas. 
        Les Hadjoutes nous furent forcément hostiles car ils risquaient 
        de perdre leur statut privilégié. Les raïas les plus 
        proches des Hadjoutes en étaient souvent les victimes au moment 
        où ces derniers aidaient à la collecte des impôts. 
        C'est ainsi que les Beni-Moussa et les Beni-Khelil ont aidé Changarnier 
        à soumettre les Hadjoutes en 1842 ; prenant leur revanche sur trois 
        siècles d'humiliations.
 L'achat de terres est une solution 
        facile en apparence qui s'est révélée difficile en 
        réalité à cause de l'absence 
        de tout cadastre, de la mauvaise foi de certains vendeurs et 
        de l'aveuglement de certains acheteurs. Et aussi en raison d'une législation 
        changeante qui tantôt autorisait et tantôt interdisait les 
        transactions entre indigènes et européens ; essentiellement 
        français dans la Mitidja au tout début.
  De 1830 à 1834 
        la souveraineté française n'est pas considérée 
        comme définitive. Comme vendeurs et acheteurs envisagent la possibilité 
        d'un retrait français, les transactions se font selon des pratiques 
        inhabituelles adaptées à ce risque. L'acheteur ne verse 
        qu'une rente perpétuelle fixée à un taux très 
        bas. Si la France se retire, il n'aura pas perdu grand chose, et le vendeur 
        récupérera son bien. Durant ces quatre années ce 
        mode d'achat entraîne, pour ce qui concerne la Mitidja où 
        les déplacements n'étaient pas aisés, des conséquences 
        fâcheuses : l'acheteur, encouragé par la faiblesse en jeu 
        achetait à l'aveuglette n'importe quoi, voire un bien imaginaire, 
        et le vendeur pouvait vendre le même bien à plusieurs acheteurs, 
        et même vendre un bien qui ne lui appartenait pas ou qui n'existait 
        pas.  Ce n'est qu'en octobre 1844 
        qu'une ordonnance royale fixa des règles claires, soumettant à 
        la loi française les transactions entre européens et indigènes. 
        Cette même ordonnance interdit l'achat de terres indigènes 
        par des fonctionnaires ou des officiers français. En 1846 
        on ajouta l'obligation de cultiver ses terres sous peine du paiement d'un 
        impôt spécial de 10fr par hectare laissé inculte ; 
        et de confiscation si l'impôt n'est pas payé. Cela gêna 
        les colons possédant de trop grands domaines, comme De Vialar ou 
        De Tonnac.  En 1851 est instituée 
        une commission des transactions et partages pour superviser 
        tous les problèmes liés aux ventes et achats de terres. 
        Cette commission fut dissoute en 1867 après avoir terminé 
        sa tâche : à savoir installer des colons, recaser les anciens 
        occupants, promouvoir la propriété familiale. Accessoirement 
        elle eut aussi à mettre fin à l' usurpation de certaines 
        terres domaniales. Elle considéra comme saisissables les terres 
        des propriétaires absentéistes ou négligents, mais 
        offrit des compensations aux indigènes dépossédés. 
        Elle partagea ces terres entre des européens soumis à des 
        conditions précises de construction de maison, de défrichement 
        et de plantation d'arbres ; et des arabes sans les astreindre aux mêmes 
        conditions que les européens. Les arabes avaient le droit de revendre 
        à d'autres arabes, mais pas aux européens. Cette généralisation 
        des biens familiaux (melk) et non collectifs (arch) a entraîné 
        le déclin de l'élevage traditionnel et l'extension des cultures 
        qui trouvaient un débouché à Alger grâce aux 
        routes aménagées depuis les années 1840. 2b/ L'évolution 
        de la colonisation : ses principales étapes chronologiques. 
         
          | 1830 | Le temps des initiatives 
              de Clauzel. Clauzel était pour la colonisation 
              sans même savoir si la France resterait : son successeur Berthezène 
              fut contre, mais il n'annula pas les deux décisions de Clauzel 
              pour des terres de la plaine de part et d'autre du fort Sidi Yahia 
              (futur Maison-Carrée) ; à savoir achat de fermes à 
              l'est, pour 40 000 francs ou moins, et saisie en octobre, du vaste 
              domaine de l'Haouch Hassan (ou Hossein ?) Pacha pour en faire un 
              exemple. Ce domaine est depuis lors connu sous le nom de ferme-modèle. 
              Mais il n'a guère été un modèle de ferme 
              à cause de l'insécurité et du paludisme qui 
              ont empêché la tenue de travaux agricoles réguliers. 
              Il aurait été abandonné, pour ce qui concerne 
              l'agriculture, vers 1836 ou 1837 après la fin du deuxième 
              séjour de Clauzel à Alger. Mais ses bâtiments 
              ont continué à servir de caserne. Après 1842, 
              la sécurité enfin établie, il a été 
              acheté par des particuliers. En 1962 c'était, dans 
              la commune de Birkhadem, la ferme De Keroulis. 
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                        Le maréchal Clauzel |  Clauzel effectua 2 séjours à 
                    Alger ;d'août 1830 à mars 1831
 et d'août 1835 à décembre 
                    1837.
 
 Le croquis ci-dessous montre une ferme fortifiée qui 
                    a plutôt des allures de poste militaire que d'exploitation 
                    agricole. En 1839 elle offrit un refuge aux colons des environs. 
                    Le croquis exagère la hauteur des collines du Sahel.
 
                     
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                           Une ferme fortifiée qui a 
                          plutôt des allures de poste militaire que d'exploitation 
                          agricole. |  |  |  
         
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                | En 
                    cliquant 
                    sur la carte ci-dessous, vous 
                    obtiendrez une image agrandie à promener sur votre 
                    écran, où bon vous semble,  
                    en la tirant par la barre de navigation.
 
 |  | La ferme-modèle est située en bordure 
              de la plaine, à peine au-dessus des zones inondables de la 
              vallée de l'oued Harrach, près de son confluent avec 
              l'oued Kerma.  
             En 1830 cette zone était très paludéenne 
              et les soldats de la petite garnison devaient être relevés 
              très souvent. La ferme est située dans la commune de Birkhadem 
              avec à l'est la commune de Kouba et à l'ouest celle 
              de Saoula. L'oued Harrach coule vers le nord-est.
   
       |  
         
          | 1830-1834 |  Le temps des interdictions. 
              Le gouvernement français n'ayant pas encore décidé 
              de rester il est fortement déconseillé aux européens 
              de s'éloigner des environs immédiats des camps français 
              et de la ferme-modèle. Pourtant un docteur, Savinien Longueville 
              achète une ferme payable en rentes annuelles près 
              du futur l'Arba, dès le 26 mai 1831. L'acte d'achat a été 
              enregistré par un cadi d'Alger.  
           |   
          | 1834-1842 | Le 
            temps des pionniers. La Mitidja est officiellement ouverte 
            aux européens en 1834. Ce qui me semble étonnant, vu 
            l'insécurité et le paludisme, c'est qu'il se soit trouvé 
            des volontaires pour acheter des terres et s'y installer à 
            demeure, sans autre garantie que la proximité, parfois, d'un 
            camp militaire français. Les pionniers sont allés à 
            l'est et n'ont pas dépassé vers l'ouest le méridien 
            de Blida : au delà était le territoire des Hadjoutes 
            tant redoutés à juste titre et qui ont en décembre 
            1839, à la demande d'Abd-el-Kader, presque effacé cette 
            première colonisation rurale. De surcroît Valée 
            avait donné l'ordre d'évacuer de force les colons qui 
            refusaient de partir. Je me contenterai de proposer quelques portraits 
              de ces colons de la première heure. Maximilien Tonnac de Villeneuve 
              vient en 1834. Ce magistrat était légitimiste. 
              Après la révolution de juillet 1830 il refusa de servir 
              " l'usurpateur " Louis-Philippe, démissionna et 
              quitta la France. Il avait de l'enthousiasme, des capitaux et un 
              ami qui partageait ses vues, le baron De Vialar. Tous deux arrivent 
              à Alger en 1832 et s'installent d'abord dans le Sahel, à 
              Tixeraïn. Encouragés par le nouveau Gouverneur Général 
              Voirol il achète en 1834 dans la Mitidja le haouch de l'Aïn 
              Khadra près de l'Atlas. Il s'efforce de se faire accepter 
              par ses voisins arabes ; il apprend leur langue, porte le burnous, 
              finance la restauration d'un marabout et leur offre le café. 
              Il négocie avec les caïds locaux et réussit à 
              vivre presque seul (il a un domestique arabe) au milieu de 35 familles 
              indigènes. En 1839 Valée lui ordonne d'évacuer. 
              Il obtempère et va à Blida présider le Tribunal 
              civil. Lorsqu'il y meurt en 1884, à 81 ans, il était 
              maire de la ville 
 et père de neuf enfants. En 1873 
              il avait rattaché à Blida les terres des Beni-Salah 
              (futur Chréa). Augustin de Vialar 
              démissionna lui aussi en 1830, de sa charge de Procureur 
              du roi à Epernay. Avec De Tonnac il partit pour l'Egypte 
              en 1832, mais une tempête les détourna sur Alger. Il 
              décide d'y rester et achète deux fermes dans la Mitidja, 
              l'une tout près du Sahel, à Baraki, l'autre près 
              de son ami à Aïn Khadra. En 1835 il fonde près 
              du camp d'Erlon (futur Medina Clauzel, futur Boufarik), un dispensaire 
              qui sera tenu par des religieuses recrutées par sa sur 
              Emilie qui avait fondé la congrégation charitable 
              dite des surs de Saint Joseph de l'Apparition. En 1835 également il va à Paris défendre 
              l'idée d'une colonisation libre. Au retour une tempête 
              (encore une !) l'oblige à rester quelques jours à 
              Mahon où il a un ami. Avec ce dernier il monte une sorte 
              de réseau pour aider des Mahonnais dont il connaissait les 
              compétences en maraîchage, à venir à 
              Alger. Il en installe quelques uns à Boufarik sans pouvoir 
              leur faire attribuer les lots de 4 hectares prévus par l'arrêté 
              de Clauzel du 27 septembre 1836. En effet ces lots, gratuits mais 
              soumis à une redevance annuelle de 8fr sont réservés 
              aux Français.Natif de Gaillac Il avait pu faire profiter de cet arrêté 
              quelques paysans du Tarn. Son action ne s'arrête pas là 
              ; nous le retrouverons à La Rassauta en 1845.
 Il faut mettre à part le cas du peintre 
              orientaliste Horace Vernet. En quête d'exotisme 
              il débarque à Alger en 1833 ; et il est très 
              déçu : pas assez d'arabes en ville et pas assez deminarets 
              dans le ciel. On lui procure une escorte militaire pour sillonner 
              durant 10 jours Sahel et Mitidja. Le Directeur de la colonisation 
              d'alors, Victor Amanton, accepte de lui vendre près de Boufarik 
              un grand haouch appelé Ben Koula. Il n'a nulle intention 
              de s'y fixer, mais de l'exploiter, oui. Il nomme un gérant 
              qui se révéla efficace : les revenus de cet haouch 
              l'auraient enrichi. Horace Vernet revint trois fois en Algérie, 
              en 1837, 1845 et 1853. Voilà ce que j'ai pu trouver de précis 
              sur quelques acheteurs éminents. Mais il y eut aussi ces 
              concessionnaires qui n'eurent pas à payer leurs grosses parts 
              de biens domaniaux. Comment ces heureux hommes étaient-ils 
              choisis ? Je l'ignore. Je suppose qu'il fallait de solides appuis 
              bien placés. Je sais néanmoins qu'il fallait prendre 
              des engagements pour un avenir trop incertain pour que ces engagements 
              soient tenables. Le prince polonais Sviatopolk 
              de Mir-Mirski est le meilleur exemple de concessionnaire 
              incompétent. Il avait dû fuir Varsovie après 
              l'échec de l'insurrection du 29 novembre 1830 contre les 
              Russes. Il s'était réfugié à Paris comme 
              beaucoup de ses compatriotes. Il était sans ressources, mais 
              avait beaucoup d'allure et d'entregent ; et de surcroît la 
              Pologne était à la mode. Il obtint de Drouet d'Erlon, 
              en 1835, la concession de 3000 ou 4000 hectares entre les futurs 
              Maison-Blanche et Réghaïa autour de La 
              Rassauta
 et un prêt de 100 000 francs. Pour 
              impressionner ses ouvriers arabes de la tribu des Aribs, il mettait 
              son uniforme de général polonais et ses décorations. 
              Il créa une infirmerie et des écoles française 
              et arabe. Il aurait aimé convertir ses ouvriers au christianisme 
              et plaça une croix au-dessus du bâtiment principal. 
              Las ! Personne ne se convertit et le prince, trop endetté, 
              dut céder son bien à ses créanciers. Après 
              5 ans de palabres il dut céder son bien qui fut confié 
              à un autre comte qui s'avéra tout aussi mauvais gestionnaire. 
              En 1843 le domaine fit retour à l'Etat. Je reparlerai de 
              ce domaine de La Rassauta dans le chapitre suivant car son histoire, 
              exemplaire, n'est pas terminée. Il a existé des concessionnaires plus avisés 
              tel Borély-la-Sapie qui 
              bénéficia d'un " petit " domaine de 403 
              hectares de terres marécageuses à Souk-Ali, 
              à 4 km à l'est de Boufarik. Il se mit au travail et 
              essaya de tenir ses engagements : implanter 20 familles françaises 
              (en fait il créa un hameau pour 6 familles). En 1842 la menace 
              hadjoute avait été écartée, mais les 
              moustiques étaient toujours là. Il réussit 
              à assécher ses terres grâce au travail de 40 
              employés européens et de 40 khammès. En ce 
              temps-là c'est la  vente de fourrages à l'intendance militaires 
              qui fournissait des revenus aux colons. Borély-la-Sapie innova 
              en semant du blé et en plantant de la vigne, des orangers, 
              du tabac, des mûriers avec succès, et du coton sans 
              succès. Il fut un précurseur agricole et devint une 
              personnalité politique de la Mitidja. En 1849 il est le premier 
              maire de Boufarik ; en 1867 il est le maire de Blida. 1866 et 1867 
              furent des années terribles : en 1866 il plut très 
              peu et en 1867 trois autres fléaux s'ajoutèrent à 
              la sécheresse : les sauterelles, le typhus et le choléra. 
              En tant que maire Borély-la-Sapie se démena efficacement 
              pour trouver des secours aux meskines (pauvres) en ouvrant des chantiers 
              de charité près de Blida. |  
 
         
          | 1842-1848 | Le temps du plan Guyot. 
              La date symbolique fondamentale du choix décisif fait par 
              la France d'une politique de colonisation de peuplement en milieu 
              hostile est le 12 mars 1842. Ce jour-là le comte Guyot 
              signe un texte de 34 pages consultable aux archives d'Aix (cote 
              5 M2) intitulé " Plan de colonisation du Sahel d'Alger 
              ". Depuis 1838 le comte Guyot était à Alger Directeur 
              de l'Intérieur et de la Colonisation. Il prône 
              la création de villages français malgré une 
              ambiance d'insécurité et d'inquiétude où 
              les impératifs stratégiques seront déterminants. 
              Cette politique inaugure un siècle de colonisation de peuplement 
              vouée dès les origines à l'échec puisque 
              les populations locales n'ont été 
              ni éliminées, ni refoulées, ni assimilées, 
              ni submergées par les colons. Malgré la 
              référence au seul Sahel de l'intitulé, le plan 
              concerne trois villages de la Mitidja dans l'immédiat et 
              tous les autres par la suite ; ainsi que tous les villages français 
              créés en Algérie aussi longtemps que l'insécurité 
              persista, c'est-à-dire jusqu'aux années 1880. Je reproduis ou résume les principales propositions 
              de Guyot qui furent effectivement appliquées durant quelques 
              années. Un siècle plus tard, même leur souvenir 
              avait disparu des mémoires. Les titres des encarts sont de 
              Guyot. 
               
                | Des 
                    enceintes de sécuritéIl faut des villages pour offrir aux populations aide et 
                    protection. Ces villages devront être revêtus 
                    d'ouvrages de protection derrière lesquels, à 
                    force ouverte ou par surprise, on puisse résister. 
                    Deux moyens ont été mis en avant ; l'un par 
                    le Génie militaire, ce sont des murailles ; l'autre 
                    par moi, c'est le fossé avec parapet en terre garni 
                    de plantes épineuses et flanqué de 2,3 ou 4 
                    tours. La paysanne avec le parapet entouré d'une ou 
                    deux rangées d'arbres, ne perd pas de vue la campagne 
                    et peut veiller de loin sur le chef de famille et les enfants 
                    travaillant aux champs. Le village est gai et riant. L'air 
                    y circule librement.
 
 L'entretien sera facile et sans frais par des prestations 
                    en nature. Cet aménagement coûtera 8fr au mètre, 
                    au lieu de 30 pour les murailles.
 |   Guyot admettait tout de même une exception 
              pour la ville de Blida dont les murailles turques furent maintenues 
              et améliorées. Mais il est vrai que Blida n'était 
              ni un village, ni une création française. 
               
                | Des casernes de gendarmeriePar suite de sa fixité et de son rayonnement perpétuel 
                    le gendarme a appris à connaître tous les individus 
                    européens et indigènes de sa circonscription. 
                    Il connaît le ravin, le sentier, le buisson, la grotte 
                    qui servent de passage et de retraite à l'ennemi ; 
                    aussi acquiert-il en peu de temps la confiance du colon.
 
 Les gendarmes encadrent les colons organisés en milice, 
                    ce qui permettra de diminuer les garnisons militaires et rendra 
                    les troupes disponibles pour être postées dans 
                    l'intérieur.
 |   Je ne sais à quel intérieur pensait 
              Guyot ; mais vu la date et le risque hadjoute pas encore levé, 
              les camps militaires de la bordure de l'Atlas et du pourtour de 
              Blida devaient en faire partie.  
               
                | Du choix des 
                    noms de villagesIl faut garder les noms de lieux en usage car ils ne laissent 
                    à craindre aucune équivoque avec d'autres noms 
                    en Europe. Ils facilitent l'entente avec les indigènes 
                    restés parmi nous.
 |  Ce principe fut respecté à de rares 
              exceptions près (Saint-Pierre Saint-Paul, Marengo, Joinville, 
              Montpensier, Dalmatie et Maison-Blanche) par la Seconde République 
              et par le Second Empire. Mais après 1870 la troisième 
              République se crut obligée de donner à ses 
              créations des noms de généraux, de savants, 
              d'écrivains ou de personnalités politiques de premier 
              plan.  
               
                | Des 
                    églises et des presbytèresQuoi de plus propre que la religion à établir 
                    l'union entre les colons, à leur inspirer la patience, 
                    la résignation, le courage ? Mais il n'est pas possible 
                    d'établir une église par village ; il faut les 
                    répartir de manière à ce qu'elles puissent 
                    servir à plusieurs localités.
 |  En fait tous les villages ont eu leur église 
              assez rapidement ; mais pas leur temple car les protestants étaient 
              trop peu nombreux ou absents. Pour ce qui est du courage et de la 
              patience, il en fallut beaucoup plus encore que n'imaginait Guyot 
              car certains villages ont dû être peuplés deux 
              fois. Guyot évoque aussi la nécessité 
              de " faire entreprendre rapidement les travaux de route 
              " afin que le produit des récoltes puisse être 
              acheminé jusqu'à Alger ou jusqu'à Blida et 
              que les colons trouvent ainsi des acheteurs pour leurs productions. 
              Les soldats du Génie furent employés pour accélérer 
              la construction de pistes empierrées et pour acheminer les 
              matériaux de construction. Ces travaux étaient à 
              peu près terminés vers 1845. Guyot envisage, pour la Mitidja, la création 
              de 5 villages : Beni-Mered, Ouled Yaich, Ouled Mendil, Mebdoua et 
              l'Arba.  Beni-Mered, 
              entre Boufarik et Blida était déjà en cours 
              de construction par les soldats du Génie. Il est l'un des 
              trois villages prévus autour de Blida. Ouled Yaich est 
              le deuxième de ces trois villages blidéens. Il a été 
              créé sous le nom de Dalmatie 
              un peu au sud des mechtas des Ouled Yaich. Mebdoua aurait 
              dû être le troisième de ces villages blidéens. 
              Il y avait là, au nord de Blida une ferme avec des orangers, 
              près de " l'obstacle continu ". Guyot craignait 
              l'insalubrité des marais du Mazafran et de l'oued Tleta. 
              Ce village ne fut jamais créé. Ouled Mendil 
              est le nom d'une tribu et d'un marais. Le village qui ne fut pas 
              créé aurait eu ses champs dans la Mitidja et ses maisons 
              un peu au-dessus du marais, sur la route descendant de Douéra 
              vers la plaine ; donc près de l'actuel carrefour et hameau 
              dit des quatre chemins. Pour l'Arba Guyot 
              était moins précis : il croyait à la nécessité 
              d'implanter un village près de ce camp militaire pour protéger 
              les fermiers européens installés sur le territoire 
              des Beni-Moussa et des Beni-Khelil. Sa proposition peut tout aussi 
              bien désigner le futur l'Arba que le futur Sidi-Moussa. |   
          |  |  |  
         
          | 1848-1851 | Le 
            temps des " colonies agricoles. Le 
            choix de ce terme est étrange car tous les villages créés 
            par la France en Algérie furent agricoles à l'origine. 
            Mais il est de tradition chez les historiens pour désigner 
            les 54 villages prévus par les arrêtés du 19 
            septembre 1848 (42 villages dont 2 dans la Mitidja Bou-Roumi 
            et El Affroun créés dès 1848), et du 19 
            mai 1849 ( 12 villages dont 2 dans la Mitidja, Ameur-el-Aïn 
            et Bourkika). On doit souligner que tous ces villages se trouvent 
            dans la Mitidja occidentale, celle dont l'accès avait été 
            interdit aux européens jusqu'à la fin 1842 par les Hadjoutes. 
 En vérité certains parisiens avaient déliré 
            début février tant leurs projets étaient stupidement 
            grandioses. Je prends plaisir à en dire quelques mots avant 
            de décrire une réalité plus modeste, bien que 
            considérable : 13 900 colons dans 54 villages au total en Algérie.
 
 |   
          |  | · | Le 
            fantasme des " philanthropes ". Ils croyaient 
            pouvoir régler la question sociale en envoyant des ouvriers 
            chômeurs volontaires cultiver l'Algérie. " L'Etat 
            donnerait un capital au lieu de donner un salaire aux ouvriers des 
            Ateliers Nationaux. On concèderait 10 ha par famille et l'on 
            concèderait ainsi 10 millions d'ha à un million de familles 
            ". Avec une femme et deux enfants par famille c'est 4 millions 
            de Français qui auraient traversé la Méditerranée 
            pour submerger la population indigène estimée à 
            3 ou 4 millions. |   
          |  | · | Le 
            rêve des " villages départementaux ". 
            C'est le titre d'une brochure rédigé et publié 
            par un certain Ducuing qui pensait trouver dans chacun des 86 départements 
            de l'époque assez de volontaires pour créer en Algérie 
            un village par des gens de la même région métropolitaine. 
            Il croyait pouvoir établir 40 000 colons dès la première 
            année. |   
          |  | Les réalisations 
            des années 1848-1852 furent plus modestes, mais nullement négligeables. 
            Tout commence à Paris où de nombreux ouvriers sont sans 
            travail et sans ressources : on n'indemnise pas le chômage en 
            1848. Le Gouvernement Provisoire né de la 
            révolution des 22-23-24 février croit trouver 
            une solution en ouvrant des chantiers de terrassement à Paris 
            appelés Ateliers Nationaux. Cette tâche, payée 
            2fr par jour ouvrable, a eu un énorme succès ; on vint 
            même de province pour profiter de l'aubaine. 
 En fait on ne sait à quoi employer les 40 000 volontaires, 
            et ces travaux sans objet coûtent trop cher. Les ateliers nationaux 
            furent supprimés le 23 juin. Cette fermeture entraîna 
            les trois jours d'émeutes sanglantes dites 
            journées de juin, du 24 au 26 juin. Il y eut 4000 
            morts chez les insurgés, 1600 chez les forces de l'ordre ; 
            et 11 000 arrestations. Que faire de tous ces gens ? Le ministre de 
            la Guerre La Moricière eut une idée : envoyer en Algérie 
            ceux qui se porteraient volontaires.
 
 Le décret-loi du 19 septembre 1848 ouvrit un crédit 
            de 50 millions et celui du 19 mai 1849 ajouta 5 nouveaux millions. 
            On placarda des affiches pour informer les citoyens intéressés 
            d'avoir à se faire inscrire dans l'une des 12 mairies existant 
            alors à Paris. Il y eut foule. Il fallut nommer une commission 
            de sélection des candidatures dont les 14 membres (6 représentants 
            du peuple, 2 maires d'arrondissement, 2 médecins, 3 fonctionnaires 
            et le Président Trélat) siégeaient à tour 
            de rôle de 8 heures du matin à minuit car on était 
            pressé de voir partir les péniches des convois vers 
            Arles où un train prendrait le relais.
 
 Chaque colon avait droit à 50 kg de bagages pour les adultes 
            et 25kg pour les enfants. Le voyage était long mais gratuit 
            jusqu'au village où, en théorie, chaque colon trouverait 
            un lot à cultiver (3 à 10ha), une maison, des semences, 
            des outils, un attelage, une truie ; plus une charrue pour 3 familles 
            et un chariot pour 5. Malheureusement le Gouverneur Général 
             Charon, avisé trop tard, 
            n'avait eu le temps que de faire monter par le Génie des baraquements 
            collectifs partagés en chambres familiales par de légères 
            cloisons : ni confort, ni intimité. Ce fut bien sûr provisoire. 
            Au bout de quelques mois chaque famille eut une maison de 40m² 
            environ non carrelée au début, et divisée en 
            2 pièces dont l'une avec cheminée. Pour l'eau il y avait 
            un lavoir-abreuvoir et pour le pain des fours publics. Pas de WC, 
            mais des feuillées.
 
 Le colon avait trois ans, durant lesquels il percevait des vivres 
            ou un viatique de 10 centimes par personne, pour défricher 
            (avec l'aide de l'armée) et mettre en exploitation sa terre. 
            Après le passage d'un Inspecteur de la colonisation il pouvait 
            recevoir son titre de propriété, ou un sursis d'une 
            année non renouvelable
 
 Il y eut tellement de défections que certains 
            villages durent être peuplés deux fois ! Les raisons 
            invoquées pour expliquer ces échecs sont :
 ·L'incompétence d'ouvriers 
            ou d'artisans improvisés agriculteurs ;
 ·L'incompétence ou 
            le désintérêt des moniteurs nommés pour 
            les aider ;
 ·La rigidité de l' 
            encadrement militaire peu motivé et pas compétent ;
 ·L'obligation du travail 
            en commun à horaires contraints ;
 ·La trop faible superficie 
            des lots (on la porta à 10 ha assez vite).
 
 Il y eut des exceptions à ce tableau négatif. L'un des 
            noms le plus souvent cité est celui du capitaine du Génie 
            Malglaive qui eut à s'occuper des villages de Marengo 
            et de Bou-Roumi.
 
 Les convois qui transportèrent les colons des 2 villages de 
            la Mitidja déjà cités pour 1848 furent les numéros 
            12 et 13 (sur 17) qui débarquèrent passagers et bagages 
            à Cherchell, le 8 décembre 
            et le 11 décembre 1848. Débarquèrent ainsi 807 
            personnes le 12 et 808 le 11, qui furent aussitôt acheminées 
            vers leur destination finale. Il en vint d'autres en 1850 pour Ameur-el-Aïn 
            et Bourkika, mais je n'ai pas 
            trouvé la date précise de leur traversée, ni 
            le nom du port utilisé en Algérie.
 
 |  Les colonies agricoles dites de 1848 et 1849 ne sont pas 
        les seules fondations de villages de colonisation imputables à 
        la IIè République. Reste à évoquer le cas 
        de la région de La Rassauta située sur le territoire des 
        Aribs, une tribu ralliée en 1835 à la France et qui nous 
        avait aidé à battre les Hadjoutes. Ce territoire est au 
        nord de la Mitidja et à l'est de Maison Carrée. Une bonne 
        partie de ce territoire avait été donné en concession 
        à un noble polonais (voir plus haut) qui l'avait perdu à 
        cause de ses dettes, puis à un autre comte, José del Valle 
        de San Juan qui ne fit pas mieux. En 1843 au plus tard ces terres sont 
        retombées dans le domaine public français.  On se souvient qu'un certain baron de Vialar, avait apprécié 
        au cours d'une escale imprévue à Mahon, les qualités 
        des maraîchers mahonnais. Il en avait même fait venir comme 
        métayers dans sa propriété de Kouba.
 Fin 1845 il prend conscience de la richesse des terres de La Rassauta 
        particulièrement adaptées à la culture des légumes. 
        Manquent les agriculteurs. Des Mahonnais sollicitent l'octroi d'une parcelle. 
        Mais ces concessions de terre sont réservées par la loi 
        aux seuls citoyens français. C'est alors que le baron de Vialar 
        écrit au ministre de la Guerre une lettre en faveur des candidatures 
        mahonnaises, " les Mahonnais sont plus acclimatés, plus 
        sobres et plus habiles dans la petite culture et ont trouvé le 
        moyen de vivre dans l'aisance dans les propriétés des autres 
        Européens et de leur payer des fermages élevés ". 
        Comme ce sont de vrais agriculteurs " ce serait pour la première 
        fois qu'un village agricole serait fondé en Algérie dans 
        des conditions assurées du succès ". On ne lui 
        dit pas carrément non : on réunit une commission d'enquête 
        et on fait traîner les pourparlers jusqu'à la chute, inattendue, 
        de la Monarchie de Juillet. La IIè République, plus conciliante 
        donne satisfaction aux demandes des Mahonnais. En 1849 on octroit à 
        50 familles 8ha de terres plus un lot à bâtir, avec jardin 
        attenant, de 26 ares. Les années suivantes d'autres concession 
        sont accordées : au total 300. En août 1851 La Rassauta devient 
        une CPE, commune de plein exercice ; mais son territoire est trop grand 
        pour que les 300 familles puissent habiter le même centre. ; certaines 
        allèrent habiter à Maison-Blanche, et les autres dans trois 
        communes créées dans la Mitidja à 
        Rouiba en 1853, ou Réghaïa 
        créée en 1854 ou à l'Alma 
        créée en 1856. Curieusement le nom de La Rassauta ne fut 
        repris par aucun de ces nouveaux centres.
 C'est sous le Second Empire que furent établis 
        à l'exception d'un seul, Meurad, les tout derniers centres de colonisation 
        de la Mitidja même si certaines études préalables 
        avaient été menées sous la IIè 
        République. 
        
          |  |    ·       | Au pied des monts de l'Atlas on compléta 
              la suite des villages de bordure par la fondation, d'ouest vers 
              l'est, des centres de Bouinan, Rovigo, 
              L'Arba et Rivet. |  
          |  |    ·        | Au milieu de la plaine, à mi-chemin 
            des montagnes de l'Atlas et des collines du Sahel, on bâtit 
            Chebli et les villages jumeaux 
            de Saint-Pierre et 
            Saint-Paul. |  
          |  | · | En bordure du Sahel toutes les nouveautés 
            furent créées en Mitidja occidentale, dans une zone 
            très insalubre à cause du lac Halloula et des marécages 
            à superficie variable qui le prolongeaient le long des oueds 
            qui s'y jetaient. Ils sont fondés en 1862, 68 ans avant le 
            creusement du tunnel d'un peu plus de 2km qui permet l'écoulement 
            des eaux du lac vers la mer sous les collines du Sahel. L'hiver les 
            champs risquaient d'être inondés. C'est sans doute la 
            raison pour laquelle ces centres ont connu un développement 
            modeste. Il y eut deux villages, Montebello, 
            le plus proche du lac, et vers l'est Attatba, 
            puis, dans la commune de Koléa les hameaux de 
            Tekteka et de Berbessa. |  Meurad a été 
        fondé en 1875 au début de la IIIè République, 
        près de Marengo. Je tiens pour probable que cette fondation avait 
        été envisagée avant la chute de l'Empire. Le croquis ci-dessous a pour ambition de fournir une conclusion 
        cartographique à ce chapitre de présentation historique 
        en situant l'ensemble des centres de colonisation officiels situés 
        dans la plaine de la Mitidja, villages et hameaux, ainsi que Maison-Carrée 
        où passe l'Harrach qui offrit aux colonisateurs la première 
        et la principale porte d'entrée et de sortie pour les personnes 
        et pour tous les produits importés comme pour les productions exportées 
        lorsque la mise en valeur de la plaine fut suffisante. 
        
          |  
              En cliquant 
              sur le carré bleu, vous 
              obtiendrez une image agrandie à promener sur votre écran, 
              où bon vous semble,  
              en la tirant par la barre ve navigation.
              
               Centres de colonisation officiels : les cercles 
              sont des villages, les points des hameaux |  Bien sûr pour être complet il aurait fallu 
        ajouter les fermes : le format ne le permettait pas : vous les verrez 
        sur les extraits de carte au 1 : 50 000 dans la troisième partie. 
        Le barrage de Meurad serait le premier barrage-réservoir construit 
        en Algérie de 1852 à 1857. Le premier barrage du Hamiz est 
        de 1883.
 La période bleue est celle de la Monarchie de Juillet ; la marron 
        celle de la Seconde République et la période jaune celle 
        du Second Empire.
 Après la conclusion cartographique, voici une conclusion 
        sous forme de tableau chronologique. Il y a du flou dans les dates de 
        création des centres de colonisation. Lorsque l'écart entre 
        les sources n'est que de 1 ou 2 ans, c'est que l'on peut choisir la date 
        du décret décidant la création ou la date du peuplement 
        du village. Parfois l'écart est plus grand. Comme je ne sais pas 
        qui se trompe, j'ai choisi de recopier les dates parues en 1898 dans le 
        volume 7 des Annales de Géographie. Les auteurs précisent 
        qu'ils ont utilisé deux brochures fournies par le Gouvernement 
        Général de l'Algérie. 
        
          | Le chiffre de droite est celui de la population 
            européenne au premier recensement suivant la création 
            : 1861 ou 1871 ou 1877. Les noms en gras désignent les " 
            colonies agricoles " de 1848-1849. 
 
 
               
                | Monarchie 
                    de Juillet1830 - janvier 1848
 | Seconde 
                    République février 1848-nov. 1852
 | Second 
                    Empiredéc. 1852 - sept.1870
 |   
                | 1836 | Boufarik  | ? | 1848  | Bou-Roumi | 72  | 1853 |  Rouiba  | 272 |   
                | 1843  | Maison-Carrée  | 257 | 1848 |  El-Affroun  | 242 | 1854 |  Réghaïa  | 151 |   
                | 1844  | Fondouk  | 233 | 1848  | Marengo  | 555 | 1856 | Chebli  | 682 |   
                | 1845 | Souma |  135 | 1849  | Ameur-el-Aïn  | 249 | 1856 | Hamedi |  67 |   
                | 1846 |  La Chiffa  | 114 | 1849  | Bourkika  | 196 | 1856  | L'Alma  | 313 |   
                | 1846  | Mouzaïaville  | 358 | 1849  | L'Arba |  237 | 1856  | Rivet  | 225 |   
                | 1848 |  Beni-Méred  | 284  | 1851 |  Berbessa  | 44 | 1857 |  Bouinan  | 361 |   
                | 1848  | Dalmatie  | 212 | 1851  | Birtouta |  88 | 1858 |  St-Pierre-St-Paul  | 83 |   
                | 1848  | Joinville  | 123  | 1851  | Maison-Blanche  | 195 | 1862 |  Attaba  | 223 |   
                | 1848  | Montpensier  | 122 | 1851 |  Oued-el-Alleug |  696 | 1862  | Montebello  | 53 |   
                |  |  |  | 1851  | Rovigo  | 321 | 1851 |  Sidi-Moussa  | 256 |   
                |  |  |  | 1851 | Tekteka  | ? | + en 1875 | Meurad |  141 |  |  3° 
        / Sept ans d'insécurité pour perdre la Mitidja : novembre 
        1954-été 1962 Il faut sans doute beaucoup d'imagination pour vivre par 
        procuration, et sur la durée, les angoisses et les contraintes 
        de la vie quotidienne; et la désespérance finale ! 
 Pour aider le lecteur à comprendre ce que veut dire au juste 7 
        ans d'insécurité, j'ai choisi d'aligner ci-dessous, la liste 
        macabre des attentats, dans la seule Mitidja pour une seule année, 
        celle de 1956. Ce sera bien suffisant pour en tirer, en conclusion, quelques 
        enseignements.
 
         
          |  | 16 février | Une ferme incendiée et 3 assassinats 
            dans la vallée de l'oued Boudouaou |   
          |  | 23 février | Plusieurs fermes incendiées et 
            vignes saccagées dans la même vallée |   
          |  | 24 février | Trois fermes attaquées à 
            Saint-Pierre-Saint-Paul |   
          |  | 31 mars | Assassinat du Commandant de l'unité 
            de défense territoriale à l'Alma NB. La territoriale est formée de civils du village astreints 
            à un ou deux jours de garde ou de patrouille par semaine. Ce 
            ne sont pas des militaires.
 |   
          |  | 7 mai | Assassinat d'un policier à Boufarik. Assassinat de deux soldats à Maison-Carrée
 |   
          |  | 10 mai | Une ferme attaquée et un assassinat 
            à Fondouk Assassinat d'un fermier à Réghaïa
 |   
          |  | 18 juin | Deux fermes incendiées et vignes 
            saccagées à Réghaïa |   
          |  | 19 juin | Deux fermes incendiées et 6ha 
            de vignes saccagées près de l'Alma Un retraité assassiné à l'Alma également
 |   
          |  | 21 juin | Assassinat de l'Imam de la mosquée 
            hanéfite à Blida |   
          |  | 8 juillet | Assassinat de 9 personnes à Boufarik |   
          |  | 9 juillet | Assassinat d'un garde-champêtre 
            à Saint-Pierre-Saint-Paul |   
          |  | 11 juillet | Deux fermes attaquées à 
            Saint-Pierre-Saint-Paul |   
          |  | 17 juillet | Trois fermes incendiées près 
            de Maréchal-Foch. Vignes saccagées |   
          |  | 19 juillet | Assassinat d'un fermier à l'Arba |   
          |  | 19 juillet | Vignes et orangeraies saccagées 
            près de Fondouk |   
          |  | 23 juillet | Deux fermes incendiées près 
            de Maréchal-Foch |   
          |  | 5 août | Un adjoint au maire de l'Alma blessé |   
          |  | 5 août | Attentat contre un autocar à Bourkika 
            : trois morts |   
          |  | 26 août | Attentat à l'Arba : un blessé |   
          |  | 4 septembre | Attentat à Boufarik : un blessé |   
          |  | 8 septembre | Un adjoint au maire de Boufarik blessé |   
          |  | 12 septembre | Assassinat de trois personnes à 
            l'Arba |   
          |  | 12 septembre | Attentat à Blida, un mort |   
          |  | 18 septembre | Assassinat d'un chef de chantier à 
            l'Arba |   
          |  | 22 septembre | Assassinat d'un policier à Blida |   
          |  | 26 septembre | Assassinat d'un maçon à 
            Blida |   
          |  | 28 septembre | Attentat à Boufarik : un fermier 
            blessé |   
          |  | 29 septembre | Assassinat de deux personnes à 
            Fondouk |   
          |  | 2 octobre | Bombe dans le car Alger-Tablat : 9 morts |   
          |  | 19 octobre | Bombe dans un café à Blida 
            : 7 blessés |   
          |  | 1 novembre | Assassinat d'un garde-champêtre 
            à Maréchal Foch |   
          |  | 5 novembre | Assassinat d'un cantonnier à Chébli |   
          |  | 10 novembre | Assassinat d'un enfant de treize ans 
            à Saint-Pierre-Saint-Paul |   
          |  | 12 novembre | Deux fermes attaquées à 
            Saint-Pierre-Saint-Paul |   
          |  | 12 novembre | Hangars à tabac incendiés 
            à Ameur-el-Aïn |   
          |  | 16 novembre | Découverte d'un cadavre égorgé 
            et enterré près de Blida |   
          |  | 17 novembre | Attentat à Blida : plusieurs morts 
            et blessés |   
          |  | 18 novembre | Bombe dans un café à Maison-Carré 
            : 2 blessés |   
          |  | 25 novembre | Un chef de chantier blessé à 
            La Chiffa |   
          |  | 4 décembre | Attentat à Blida : un mort. Et deux ou trois jours plus tard quatre tués au cours des obsèques 
            de la victime du 4 décembre
 |   
          |  | 7 décembre | Attentat à Réghaïa 
            : deux morts |   
          |  | 11 décembre | Attentat à Oued-el-Alleug : un 
            mort |   
          |  | 12 décembre | Attentat à Boufarik : un blessé |   
          |  | 16 décembre | Grenade dans un cinéma à 
            Boufarik : deux morts, trente blessés |   
          |  | 16 décembre | Attentat à Blida : deux morts, 
            deux blessés |   
          |  | 16 décembre | La mine (de baryte) de Keddara est abandonnée 
            (près de Fondouk) |   
          |  | 18 décembre | Attentat à Boufarik : un blessé |   
          |  | 18 décembre | Enlèvement d'un fermier à 
            Fondouk |   
          |  | 24 décembre | Attentat à Blida : deux morts, 
            un blessé |   
          |  | 25 décembre | Attentat à Blida : un blessé |   
          |  | 27 décembre | Attentat à Blida : un blessé |   
          |  | 28 décembre | Assassinat du maire de Boufarik |   
          |  | 28 décembre | Attentats à Blida : un mort, un 
            blessé, trois enlèvements |   
          |  | 28 décembre | Grenade au boulodrome de l'Arba : des 
            blessés |  
          |  | 30 décembre | Bombe à l'Arba : deux blessés |  Le rythme des attentats s'est maintenu en 1957, beaucoup 
        réduit en 1958 (moins de dix) et reparti à la hausse en 
        1959. Outre le risque d'attentats il faut noter, pour la vie de tous les 
        jours les perturbations suivantes.
 L'inquiétude devant tout retard au retour chez soi pour celui qui 
        attend au foyer.
 Les routes, et même les voies ferrées, dangereuses. 
        Aucune protection possible contre les mitraillages, les embuscades et 
        les faux barrages de contrôle par de faux militaires en uniforme. Les attaques contre fermes et fermiers. Certaines avaient 
        été pourvues d'un mirador et d'un petit détachement 
        de soldats. En l'absence de cette protection militaire non généralisable, 
        on renforçait portes et fenêtres ; en vain, car l'assassin 
        pouvait monter facilement sur le toit de ces bâtiments, bas le plus 
        souvent. De toute façon aucune protection possible dans les champs. Les doubles portes avec sas intermédiaire grillagé, 
        à l'entrée des cafés, bars et restaurants, pour rendre 
        plus difficile la fuite de l'auteur de l'attentat (pas de kamikaze à 
        l'époque). Les fouilles systématiques à l'entrée 
        des grands magasins et des salles de spectacle. Mais pas des petits commerces, 
        ni des terrains de jeux extérieurs. Le couvre-feu de 20 heures à 6 heures du matin. On pourrait ajouter la lecture du journal chaque matin. 
        On y trouvait le décompte des victimes de la veille : victimes 
        européennes, civiles et militaires, victimes musulmanes, le plus 
        souvent égorgées. Ainsi que le nombre des rebelles tués. 
        Très fréquemment, mais pas tous les jours, s'ajoutaient 
        les photos des fermes incendiées, du bétail abattu, des 
        récoltes détruites, des véhicules brûlés, 
        des cadavres torturés et mutilés par les rebelles. Ces derniers 
        étaient presque toujours ceux de musulmans loyalistes. L'histoire 
        officielle, mensongère, a occulté le fait que les " 
        événements " ont été aussi une 
        lutte entre musulmans : loyalistes lâchés par la France, 
        et rebelles soutenus par les Etats-Unis, l'U.R.S.S., l'O.N.U et les " 
        porteurs de valises " français réunis. Cette amnésie 
        volontaire a permis de rendre crédible la fiction d'un peuple unanimement 
        soulevé contre l'oppression et pour sa liberté.  
       |