LA PLAINE DE LA MITIDJA AVANT 1962
RAPIDE SURVOL DES COMMUNES DE LA MITIDJA

BOURKIKA
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BOURKIKA VILLAGE DE COLONISATION
+ BOURKIKA VILLAGE DE REGROUPEMENT

Georges Bouchet

mise sur site le 10-5-2011

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BOURKIKA

BOURKIKA

 

Origine du nom : arabe. C'est le nom de l'oued près duquel a été bâti le village. Cet oued Bourkika, qui sert de limite à la commune, est un affluent de l'oued Nador.

Origine du centre : française. Créé en 1851, juste au moment où, après le coup d'Etat du 2 décembre 1851, des émeutes avaient éclaté en France contre Louis Napoléon, Président de la République et futur Empereur. Ce village a accueilli beaucoup de " transportés ", nom donné aux émeutiers arrêtés jugés et condamnés. En fait des lois d'amnistie les libérèrent entre 1853 et 1859, et ils repartirent presque tous. La plupart étaient francs-comtois et bons buveurs.

Le territoire communal est double : montagne et plaine. Seule la plaine a vu l'installation de fermes européennes ; en petit nombre, car les champs du nord étaient, jusqu'en 1930, menacés par les extensions hivernales du lac Halloula.

Un seul centre de peuplement : le village de Bourkika au plan en damier classique, établi de part et d'autre de la RN 42 qui suit le pied de l'Atlas de Marengo à La Chiffa. Il était desservi par les autobus de la société Mory.

Les activités étaient purement agricoles : vigne, agrumes et, après 1945, fleurs.

La population en 1954 était de 3203 dont 397 non musulmans (soit 12,39%). La population agglomérée au village était de 472 personnes en 1948.

Particularité
: la découverte, à 5 km au nord du village, de 12 sarcophages (vandalisés depuis longtemps) avec des inscriptions évoquant deux martyres chrétiennes du IVè siècle.


BOURKIKA VILLAGE DE COLONISATION

Vers 1900

Voici la photo d'un village de colonisation exemplaire prise vers 1900. Cette datation au jugé est étayée par l'absence totale de voiture et par la présence d'un train des CFRA (chemins de fer sur route d'Algérie). Comme son nom l'indique, cette société posait ses rails sur le bas-côté des routes Les trains traversaient les villages en restant sur la route qui devenait le rue principale du village Il n'y avait pas de gare, mais une halte comme pour un tramway. Ici le train est à l'arrêt devant la terrasse d'un café. C'est un endroit bien choisi pour les voyageurs assoifés. Il n'y avait de vraies gares qu'aux terminus : El-Affroun à l'ouest et, à l'est, Marengo (en1894), puis Cherchell (en 1909). Il s'agissait d'une voie étroite de 1,055m. La gare de Cherchell a été fermée dans les années 1930, et celle de Marengo après 1945. Bourkika a donc été desservi par des trains mixtes de 1894 à 1930 ; et par des trains de marchandises jusqu'après la guerre.

BOURKIKA VILLAGE DE COLONISATION

Les maisons basses sont d'origine (1851) ; elles sont parfois qualifiées de " mahonnaises ". Mais il y a déjà un bâtiment plus haut. La rue, comme il était de règle dans ces villages, est bordée de trottoirs plantés d'arbres. La voie du train est séparée de la rue par une bordure de trottoir : c'est une disposition de prudence assez rare.

Le nom de Bourkika (le père de la maigre) évoquerait le drame d'un ermite du temps jadis qui aurait eu une fille anorexique ! C'est d'abord le nom de l'oued le plus proche.

Le village est sur la RN 42 qui va de Blida à Desaix. Il est à mi-chemin entre Blida et Cherchell : 33km de chaque côté. Le centre européen le plus proche était Marengo à 6km Le villa a été construit dans la plaine, mais très près du piémont de l'Atlas blidéen

Après 1945

En cliquant sur la carte ci-dessous, vous obtiendrez une image agrandie à promener sur votre écran, où bon vous semble, en la tirant par la barre de navigation.


Plan en damier classique ; mais la rue principale n'est pas au milieu comme le plus souvent. Et il n'y a pas de place carrée ou rectangulaire centrale ; seulement un mail ombragé. Il est difficile de dire si les premières maisons à gauche de cette rue, confondue avec la RN 42, sont les maisons d'origine, mais ce n'est pas impossible. D'une façon générale il y peu de maisons à étage et beaucoup de jardins derrière les maisons. Donc un village et pas du tout une petite ville. La direction de Blida est " à droite " et celle de Marengo " en haut ".

L'architecture de l'église, avec son haut fronton échancré et son clocher en forme de tour, est très originale. Ce n'est sûrement pas l'église de 1851.

En 1948 ce village n'avait que 472 habitants.

BOURKIKA VILLAGE DE REGROUPEMENT

 


Le village de Bourkika nouvelle manière qui est représenté ci-dessus, ne remplace pas l'ancien. Il le complète pour une période à priori de courte durée. Il a été créé en 1958 ou 1959 ; c'est-à-dire à une époque de grande insécurité, surtout pour les populations montagnardes. Il a sans doute été abandonné par les regroupés peu après l'indépendance acquise en 1962. Mais je ne puis rien affirmer péremptoirement : ce n'est que l'hypothèse la plus probable.

Toutefois la nature de l'urbanisme, avec ses petites maisons à cour fermée familiale, avait été conçue pour pouvoir durer un " certain temps ". Ce n'était pas un village de tentes, même s'il semble y en avoir quelques unes en périphérie, mais un village en dur. Ceci étant, ce devait être tout de même, ne serait-ce qu'à cause de la promiscuité, un vrai bouleversement des conditions de vie en plus de la perte de toute les ressources traditionnelles de la culture et de l'élevage.

Ce village est très officiellement un village de regroupement de piémont situé tout près de la plaine de la Mitidja, dont on aperçoit à gauche quelques rangées de vigne. Il a été établi à l'écart des terrains de culture trop chers à exproprier ; et sur un petit plateau. C'est un site d'oppidum sans les solides fortifications qui l'accompagnent généralement. Il faut dire que son aménagement a dû prendre quelques semaines tout au plus : cette hâte est due à des préoccupations militaires.

Les alignements ont une rigueur toute militaire. Les cours intérieures sont justifiées par le désir de ne pas trop perturber les fellahs qui avaient dû laisser dans la montagne leur maison, leurs champs et peut-être leur bétail. Mais c'était le prix à payer pour éviter les menaces et les exactions des rebelles ; voire la mort par égorgement. La maison couvre 20m2 (deux pièces et un coin cuisine) et avec la cour 50m2.

J'ai compté 156 maisons semblables, de quoi loger entre 600 et 800 réfugiés. Le village est entouré d'une protection légère ; des rouleaux de barbelés vite posés, je suppose. Il y a aussi deux tours : mirador ou château d'eau ? Un mirador est plus vite et plus facile à construire.

J'imagine que les bâtiments blancs à droite de la photo regroupent quelques commodités collectives et d'abord les bureaux du responsable militaire, chef de la SAS (section administrative spécialisée) ; et de quoi loger l'officier, un lieutenant le plus souvent, et ses adjoints.

Le village est traversé par une bonne piste aménagée tout exprès.

Notule sur les regroupements

Cette appellation officielle a été inventée en 1957 pour désigner ce cas particulier de personnes déplacées collectivement vers un refuge créé et protégé par l'armée. Ce déplacement est presque toujours contraint et accompli dans l'urgence.

Les antécédents. Il avait eu dès 1955 des " recasements " et des " resserrements ", les uns et les autres spontanés. L'initiative était privée, mais la raison était déjà le désir de fuir les dangers et les exigences des rebelles. Un recasé allait chercher refuge chez un frère ou un cousin vivant en zone considérée comme sûre, pour un temps ; ou dans un bidonville des environs d'Alger, pour toujours. Les resserrés, tout en restant dans leur commune, se " regroupaient " à l' endroit de la commune le plus rassurant ; près d'une gendarmerie ou d'un poste militaire par exemple.

La chronologie. Le regroupement, décidé par les autorités françaises et conduit par l'armée, devient systématique en 1958 dans toutes les zones où nous voulons enlever aux rebelles le " gourbi, le couscous et le chouf ". Il s'agit de gêner la vie et les informations des rebelles. Le toit c'est l'abri pour la nuit, le couscous c'est la nourriture et le chouf c'est le guetteur.

Il s'agit aussi de permettre aux populations d'échapper à l'emprise de la rébellion sans les obliger à prendre parti pour la France. En d'autres termes on n'a enrôlé comme supplétifs que les volontaires.
Il est arrivé parfois que la zone évacuée soit ensuite déclarée interdite d'accès : décision applicable le jour grâce à la surveillance aérienne, mais pas la nuit.

En novembre 1959 est publiée la première directive officielle.

En mai 1960 est créée une Inspection Générale des Regroupements.

En 1961 on cesse, sans le proclamer, de créer de nouveaux villages de regroupés.

NB. La meilleure étude des regroupements que je connaisse, se trouve dans les annales de géographie : volume 71 en 1962. C'est un long article signé Henri Baulig